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jeudi 28 avril 2016

Raymond Lacroix : Un soir de Septembre à Tihuiten

Paysage de la Nouvelle-Calédonie (source)

Il y a quelques jours j'ai participé à une jeu poétique venu du Québec. Il s'agissait de partager son amour de la poésie avec d'autres personnes, inconnues ou non, dont on nous indiquait l'adresse mail, en envoyant un de nos poèmes favoris. Je vous ai d'ailleurs sollicités, chers amis blogueurs! Il faut croire que le jeu a voyagé puisque j'ai reçu, quant à moi, une poésie de la Nouvelle-Calédonie, Un soir de Septembre à Tihuiten, de Raymond Lacroix, envoyée par Régine G. que je remercie ici.

 Raymond Lacroix : Voir sa biographie ICI "La mort d’un poète : Raymond Lacroix n’est plus" parue en Mars 2005 à l'occasion de son décès.

 Un soir de Septembre à Tihuiten est un sonnet de facture classique qui montre l'influence française mais ce que j'ai le plus apprécié, c'est évidemment de découvrir l'île et sa culture.

 Un soir de Septembre à Tihuiten

La cascade aux roseaux bourdonne son glouglou
Bordant la tarodière en pente évanescente
Près des billons fumants, le danseur dans la sente
Scande un rythme oublié de l'antique pilou.

C'est l'heure vespérale ou règne le Tabou.
Du banian défeuillé la roussette s'absente;
Sur la brise des monts que l'érythrine hante
Les grincheuses du soir descendent en vol flou.

Des brouillards indécis s'enrobent sur la chaîne.
Un bramement résonne et déferle à la plaine;
La sylve en harmonie entonne sa chanson;

Le chant lent des notous retentit dans la gorge
Puis s'égrène aux grands pans que partout l'écho forge;
Mais tout âme bientôt s'apaise à l'unisson.

Raymond Lacroix

Le pilou est la danse traditionnelle kanake. Elle tient son nom des missionnaires français en Nouvelle-Calédonie. Les pilous marquent les grandes cérémonies mais aussi des événements plus mineurs : il existe des "pilous de guerre", des "pilous de deuil", ou encore de simples pilous d'adieu lors du départ d'une personne d'importance. Généralement, une tribu invite des tribus amies. La tribu invitante fournit la nourriture, les tribus invitées apportent des présents. Le chef de la tribu invitante prononce un discours. Une cérémonie a lieu. La danse consiste à tourner selon une spirale, hommes et femmes séparés, au son des instruments qui marquent la cadence, tambours en bambou et tambourins en écorce frappés l'un contre l'autre. Les hommes portent leurs armes, alors que les femmes portent des rameaux ou des bâtons. Les guerriers simulent des combats.
La dernière partie est une boria, danse totalement différente, mêlant les genres, en une sorte de piétinement lourd et rythmé, « réplique et préfiguration de cette occupation des défunts » (Leenhardt, Do Kamo, 112). La foule gesticule, martèle le sol, pilonne, écrase, en mesure.
Chaque danse invente sa propre chorégraphie. (source Wikipédia)

Rendue célèbre lors de l'exposition coloniale de 1931 à Paris où les kanaks amenés de leur île furent présentés comme des sauvages cannibales, la danse a connu un vif succès dans la bonne société parisienne qui l'avait adoptée et..  adaptée!  Les autorités françaises et l'église catholique considéraient cette danse comme indécente. Elle fut interdite en 1880 mais les cabarets continuèrent à l'offrir aux touristes. 





Le banian ou figuier de l'Inde se propage sur de grandes étendues grâce à ses racines aériennes qui se développent quand elles touchent la terre. Il  peut atteindre une taille gigantesque..
 
Banians (source)
 Les billons : désigne spécifiquement le monticule de terre allongé dans lequel sont cultivées les ignames. Les billons des anciennes cultures d'ignames des Mélanésiens étaient particulièrement importants, hauts de plus de 1 mètre, larges de 3 m, ils s'étendaient sur plusieurs dizaines de mètres en plusieurs rangs et permettaient d'obtenir des ignames atteignant plus d'un mètre de longueur. (source)

 
L'érythrine, crête de coq

 Voici aussi les explications données, à la suite de ce poème, par  Pierre de Saint Steban, commissaire général de la Marine  et que vient compléter Régine G. qui nous a fait découvrir ce sonnet.  

La tarodière est un lieu planté de taros, plantes tropicales de la famille des aracées, dont les tubercules sont comestibles.
 
Le taro (source)
 
Le taro (source)

 Les grincheuses sont les roussettes, grosses chauves-souris  dont la chair très fine est très appréciée des Calédoniens de toute origine et dont les poils tressés servent à faire des colliers et des bracelets.

 
Roussette de Nouvelle-Calédonie (source)

La chaîne, c'est ainsi qu'est appelée la montagne calédonienne.


La chaîne : la montagne calédonienne (source)

Les notous sont de gros pigeons autochtones, en voie de disparition parce que trop chassés.
Le bramement : les marins ont laissé des cerfs et des biches sur le territoire pour se réapprovisionner en viande fraîche dans leurs longs périples, ils ont fait de même avec les dindons qui aujourd'hui ont des pattes très, très hautes! On chasse toujours les cerfs et les dindons (moins prisés). Il n y avait aucune viande sur le territoire.

 
Paysage de Nouvelle-Calédonie (source)
"La Nouvelle-Calédonie, écrit Régine, pays paradisiaque tant que l'ambition et la politique ne s'en mêlent pas! Habitants multicolores, les marins ont laissé des enfants, certains a la "retraite" ont pris femme sur le territoire marin : italiens, anglais, danois, allemands, français, prisonniers politiques, mais aussi paysans aventureux, indochinois, chinois, réunionnais(qui ont apporté... les arbres à fleurs!), pieds noirs, antillais.... Chacun a trouvé sa place même si on titille la vieille culpabilité coloniale, ce n'est pas le petit blanc qui a fait fortune aux dépends du Canaque!


Dans le cadre La poésie du Jeudi Chez Asphodèle


jeudi 17 mars 2016

Johan Sebastian Welhaven : La neige tombe, ardente et vive

Gustav Fjaestad peintre suédois

Johan S. Welhaven poète romantique norvégien
Johan S. Welhaven
Le poète Norvégien romantique Johan Sebastian Welhaven (1807-1873) est né à Bergen d'un père norvégien et d'une mère danoise. Pour libérer leur pays de la tutelle du Danemark, les écrivains nationalistes norvégiens se font à cette époque les défenseurs de leur langue et de leur culture. Dans la lutte qui l'oppose au poète Henrik Wergeland, son camarade d'université, Johan S. Welhaven prend le parti de la langue et de la culture danoise.  
Ses poèmes harmonieux, nous dit-on, parlent avec subtilité du sentiment amoureux. Il s'inspire aussi des légendes et des mythes nordiques.  
Il m'a été impossible de trouver des recueils de ses oeuvres en français et, en surfant sur le net, je n'ai découvert que cette poésie The snow’s now falling thick and fast (1838) traduit en anglais par un norvégien dont je vous invite à lire le site ICI
J'ai pu lire aussi un poème en français sur les canards sauvages qui a directement inspiré la pièce de théâtre de Henrik Ibsen dont j'ai parlé hier, La cane sauvage mais je n'ai pas aimé la traduction. Vous avouerez que c'est bien peu pour connaître un poète et c'est assez frustrant! 

Pourtant, j'aime énormément cette poésie sur la neige The snow’s now falling thick and fast où le poète décrit avec vérité et humour un petit garçon en train de s'amuser dans la neige jusqu'à épuisement. On a le sourire aux lèvres à la fin de ce texte plaisant et vivant.

Esbjorn sur les skis  Carl Larsson


The snow’s now falling thick and fast

The snow’s now falling thick and fast,
And the boy runs hither and thither.
A great many miles does he slither
And slide now before the day’s past.

Great blocks of snow in the courtyard he rolls,
And into stout soldiers he makes them;
Much effort and toil does it take him.
The soldiers are given eyes made of coal.

He trundles the snow as if in a trance,  
While the towering  warriors stand gazing;
A breastwork he now works on raising.
The broomstick he gives them serves as a lance.

And now he is done, and his strength is no more;
His hands are both frozen and stinging.
With strong dreams soon to be winging
A restless night the boy has in store.
                                                                     
You hear him exclaim, the tired little one:
‘Tomorrow they all will do battle!’
Then rainclouds the sky shake and rattle,
And his warriors soon are all gone.

Il m'a fallu traduire ce poème pour ceux d'entre vous qui ne lisent pas l'anglais. Je sais, c'est assez outrecuidant de m'improviser traductrice alors que je n'en ai pas les compétences mais.. c'est pour les besoins de la cause.
 
Carl Larsson

La neige tombe, ardente et vive

La neige tombe, ardente et vive,
Le jeune garçon court de ci de là
De l’instant présent au jour finissant
Sur de nombreux miles, il glisse et patine.

Dans la cour, il roule des boules de neige
Et il les façonne en soldats farouches
C’est un gros effort et un dur travail
Il donne aux soldats des yeux de charbon

Et puis comme en transe il pousse la neige
Imposants guerriers au regard figé

A présent érige un rempart fragile
 leur donne un balai qui leur sert de lance. 

Maintenant c’est fait, le voici sans force.
Ses mains sont gelées, cuisantes à la fois.
De rêves violents bien
vite mouillé
 le petit garçon a sa nuit troublée.

Vous l’entendez dire, le petit bonhomme :
« Demain, tous iront au champ de bataille! »
Nuages de pluie au ciel s'entrechoquent.

Ses guerriers bien vite ont tous disparu.


*thick and fast adv : à un rythme infernal
slither and slide : glisser et ramper, onduler :  termes souvent employés pour un serpent. Ici , dans la neige, j'ai pensé à la luge et aux patins = glisser, patiner
A breastwork he now works on raising : il élève un mur défensif construit à la hâte 
*as if in a trance : comme s'il était en transe 
* A restless night the boy has in store : il passe une nuit agitée
*You hear him exclaim, the tired little one : Vous l'entendez s'exclamer, le petit garçon, fatigué 




 

mercredi 2 mars 2016

Nuit d'Hiver : Hommage à Harald Sohlberg, peintre norvégien

Nuit d'Hiver à Rondane : Harlad  Oskar Sohlberg national Gallery d'Oslo
Nuit d'Hiver à Rondane : Vinternatt i Rondane de Harlad  Oskar Sohlberg

Dans le cadre de la poésie du Jeudi, Asphodèle nous a demandé d'écrire notre propre texte pour ce jeudi 3 Mars. D'où ce poème en hommage à un peintre norvégien Harald Sohlberg et à son tableau Vinternatt i Rondane que je vais découvrir à Oslo au mois de mai. Mais déjà par l'intermédiaire de ces reproductions, je l'aime beaucoup.

 Vinternatt * :  Nuit d'hiver


Dressez-vous dans la nuit, sommets crépusculaires

Vagues pétrifiées s’élançant vers le ciel

Suaire aux plis figés, domaine des esprits,

Royaume de la Mort, dans ta blanche noirceur,

Violette argentée, éblouie de lumière,

Mystère de la nuit et des trolls et des fées.

Dressez-vous dans la nuit, sculptées par la beauté

Froides apparitions, vertigineux effroi,

Solitudes peuplées, glaçage d’un gâteau

Improbable, sucré, aux rondeurs torturées,

Glaciale féérie, tu divagues, tu chantes

Un air purifié, mystère de la vie

un chant pur et doré qui m’emplit de bonté

Au jardin de l’esprit, aux neigeuses contrées,

Etoile de la vie, hivernale et bleutée.

Harald Oskar Sohlberg

Harald Sohlberg : autoprotrait

Harald Oskar Sohlberg (1869-1939) est un des plus grands  peintres de Norvège. Il illustre le style néo-romantique qui fleurit dans les années 1890 après le réalisme des années 80.. Nuit d'hiver à Rondane que l'on peut voir au musée d'Oslo est le tableau phare de ce mouvement.

Il se forma chez Zahrtmann à Copenhague (1891-92) et chez Harriet Backer à Oslo. Il poursuivit ensuite ses études à Paris et à Weimar. Avec sa première toile, Braise de nuit (1893, Oslo, Ng), il participe, dans les années 1890, à l'introduction en Norvège de la peinture d'atmosphère néo-romantique, qu'il continue d'illustrer : Nuit d'été (1899, id.), Pré fleuri près de Røros (1905, id.), Nuit d'hiver à Rondane (1914, id.) ainsi que la monumentale réalisation Nuit (1902-1903, Trøndelag Kunstgalleri, Trondheim). La solitude et l'infini de la nature imprègnent tout son art, qui s'exprime dans un dessin sévère, finement détaillé et une luminosité évoquant l'émail. (source encyclopédie larousse)

Les montagnes de Rondane  fut l'un de ses sujets de prédilection, il a passé 15 ans à les peindre  ainsi que la ville de Roros.


Harald Sohlberg  Après la tempête de neige ; rue de Roros peintre norvégien mouvement néo-romantique
Harald Sohlberg  Après la tempête de neige ; rue de Roros

Harald Sohlberg : rue de Roros

Harald Sohlberg : principale rue de Roros


Norvège Harald Sohlberg : Maison de pêcheur peintre norvégien néo-romantique
Harald Sohlberg : Maison de pêcheur

Harald Sohlberg : Pré fleuri près de Roros peintre norvégien néo-romantique
Harald Sohlberg : Pré fleuri près de Roros

Peintre norvégien Harald Sohlberg : Nuit d'été  galerie nationale Oslo
Harald Sohlberg : Nuit d'été
Harald Sohlberg :


mardi 2 février 2016

William Butler Yeats : Down by the Salley Gardens/Au bas des jardins de saules

Saule et nymphéa de Monet

Down By The Salley Gardens

Down by the salley gardens my love and I did meet;
She passed the salley gardens with little snow-white feet.
She bid me take love easy, as the leaves grow on the tree;
But I, being young and foolish, with her did not agree.

In a field by the river my love and I did stand,
And on my leaning shoulder she laid her snow-white hand.
She bid me take life easy, as the grass grows on the weirs;
But I was young and foolish, and now I am full of tears.




Claude Monet

Au bas des jardins de saules

Au bas des jardins de saules je t’ai rencontrée, mon amour.
Tu passais les jardins de saules d’un pied qui est comme neige
Tu me dis de prendre l’amour simplement ainsi que poussent les feuilles,
Mais moi j’étais jeune et fou et n’ai pas voulu comprendre.

Dans un champ près de la rivière nous nous sommes tenus, mon amour,
Et sur mon épaule penchée tu posas la main qui est comme neige.
Tu me dis de prendre la vie simplement, comme l’herbe pousse sur la levée,
Mais moi j’étais jeune et fou et depuis lors je te pleure.






 traduction Yves Bonnefoy aux éditions Gallimard/Poésie : Quarante cinq poèmes suivis de La Résurrection














jeudi 10 décembre 2015

Victor Hugo : Vieille chanson du jeune temps

Auguste Renoir : Les amoureux

Vieille chanson du jeune temps

Je ne songeais pas à Rose ;
Rose au bois vint avec moi ;
Nous parlions de quelque chose,
Mais je ne sais plus de quoi.

J'étais froid comme les marbres ;
Je marchais à pas distraits ;
Je parlais des fleurs, des arbres
Son oeil semblait dire: " Après ? "

La rosée offrait ses perles,
Le taillis ses parasols ;
J'allais ; j'écoutais les merles,
Et Rose les rossignols.

Moi, seize ans, et l'air morose ;
Elle, vingt ; ses yeux brillaient.
Les rossignols chantaient Rose
Et les merles me sifflaient.

Rose, droite sur ses hanches,
Leva son beau bras tremblant
Pour prendre une mûre aux branches
Je ne vis pas son bras blanc.

Une eau courait, fraîche et creuse,
Sur les mousses de velours ;
Et la nature amoureuse
Dormait dans les grands bois sourds.

Rose défit sa chaussure,
Et mit, d'un air ingénu,
Son petit pied dans l'eau pure
Je ne vis pas son pied nu.

Je ne savais que lui dire ;
Je la suivais dans le bois,
La voyant parfois sourire
Et soupirer quelquefois.

Je ne vis qu'elle était belle
Qu'en sortant des grands bois sourds.
" Soit ; n'y pensons plus ! " dit-elle.
Depuis, j'y pense toujours.








mercredi 25 novembre 2015

Jean-Michel Maulpoix et Andrée Chedid : L'espoir luit/ L'espérance

André Bielen : La terre des promesses artiste contemporain
André Bielen : La terre des promesses

L'espoir luit

L’espoir luit comme un brin de paille

Comme une étincelle d’or sur les neiges d’antan

Comme les voiles au loin descendant vers Harfleur

Jusqu'à l’autre océan où la splendeur éclate.
 
L’espoir luit comme cette eau courante

Qui baigne les mains silencieuses

Traçant de lentes lignes claires.

Jean-Michel Maulpoix

L’espérance


J’ai ancré l’espérance

Aux racines de la vie

Face aux ténèbres

J’ai dressé des clartés

Planté des flambeaux

A la lisière des nuits
 
Des clartés qui persistent

Des flambeaux qui se glissent

Entre ombres et barbaries
 
Des clartés qui renaissent

Des flambeaux qui se dressent

Sans jamais dépérir

J’enracine l’espérance

Dans le terreau du cœur

J’adopte toute l’espérance

En son esprit frondeur.
 
Andrée Chedid


 
Ces deux poèmes ont été publiés dans l’anthologie Une salve d’avenir. L’espoir, anthologie poétique, parue chez Gallimard en Mars 2004

Et pour répondre à l'esprit de ces poésies, j'ai à nouveau choisi des tableaux d'André Bielen, un artiste dont je vous ai déjà parlé ICI,  et dont la représentation de l'univers me fascine. Il nous fait prendre de la hauteur pour embrasser le Monde du regard, en nous mettant à la place de Dieu, et nous plonge ainsi au coeur du Mystère. Avec La terre des promesses dont le titre devient pour moi pleine de sens  à la lueur des évènements de Janvier et Novembre 2015, le globe terrestre ensanglanté semble rouler dans l'espace en proie au désordre mais la lueur est bien là, elle émerge, c'est l'or de l'Espoir  car " Face aux ténèbres,/ j'ai dressé des flambeaux/ Des flambeaux qui se glissent/ entre ombres et barbaries."
Le deuxième tableau intitulé Phoenix fait partie du triptyque Gaïa, "des clartés qui renaissent/ des flambeaux qui se dressent/ sans jamais dépérir."
André Bielen : deuxième tableau du triptyque intitulé : Gaïa : Phoenix


mercredi 11 novembre 2015

Venise : Instants parfaits

Venise : façades typiques

Au cours du mois italien d'Eimelle, en Octobre, Albertine a publié un billet sur les instants parfaits vécus en Italie que vous pouvez lire ICI :

" Dans la vie, il y a des "instants parfaits" où l'on se sent pleinement exister, animé de l'idée qu'on est exactement au bon endroit au bon moment. L'Italie est le pays qui m'a offert le plus de ces parenthèses enchantées, de celles que la mémoire peut reconstituer dans les moindres nuances. Je vous en dévoile un, et puis ce sera votre tour..."

Je me suis souvenue avoir rédigé un texte sur le même thème; il a disparu de mon blog à l'occasion de son transfert. Certes, il s'agit de prose mais j'espère que Asphodèle l'acceptera pour son jeudi poétique;  elle, qui nous a demandé de rédiger nous-mêmes notre texte pour Jeudi 12 Novembre.  

Voici deux instants parfaits à Venise, une ville qui a vite fait de vous retourner le coeur et la tête et de vous emporter au loin. Mais il y en a bien d'autres, je pourrais être intarissable sur ces instants priviligiés en Italie et vous?

Le nouveau Monde (1961)

Venise : un canal
Le premier souvenir remonte à mon adolescence et à ma première visite à Venise. Le soir de notre arrivée, ma mère et moi, nous partons vers la place San Marco. Nous sommes logées loin du centre, près de la gare, et nous prenons plaisir à nous perdre dans ces ruelles qui s'arrêtent brusquement sur des corti, petites places presque fermées sur elles-mêmes, ou sur des campielli à la Goldoni avec leurs maisons aux crépis rouges ou ocres qui s'effritent, leurs façades qui regardent vers l'intérieur, leurs  hautes cheminées à la Carpaccio. C'est un véritable plaisir, ce cheminement dans ces petites calli obscures qui s'étranglent et qui de solides se terminent en chemins liquides. Et puis cette succession de ponts en dos d'âne qui nous transforment en petits chèvres des montagnes, escaladant, descendant, encore et encore!
Mais rien, aucune photographie, aucun film, aucun récit, rien, ne peut préparer à la rencontre d’une telle beauté quand on débouche pour la première fois sur la place San Marco. Dans la semi-obscurité qui peu à peu enveloppe la place, les dentelles blanches du palais des Doges, les scintillements des mosaïques d’or de la cathédrale, les lignes élancées du campanile s'estompent doucement. Les lumières dorées qui éclairent les élégantes arcades des constructions entourant la place prennent le relais. La Piazza brille d’un éclat étrange, plein d'attente. Sur une estrade, au milieu de la place, un orchestre symphonique donne un concert d’été ouvert à tous. La foule est dense. Certains restent debout, recueillis, d’autres s’assoient à même le sol... une émotion ressentie par tous tandis que se déroulent les thèmes de La Symphonie du Nouveau Monde. La musique se déploie, monte jusqu'au ciel noir au-dessus de la Place de lumière et de la marée humaine qui observe un silence attentif. Par la suite, lorsque j’écouterai la musique de Dvorjak, ce ne sont pas les images des grands espaces du Nouveau Monde qui surgiront devant mes yeux. Ce sont les ors chauds de la Piazza San Marco qui viendront à moi et le sentiment éprouvé alors de beauté parfaite, partagé par chacun d’entre nous dans la magie de ce lieu.

Une fillette sous la pluie (1981)

Venise: place Saint Marc la nuit source

Des années plus tard quand je reviendrai à Venise avec mon mari et Aurélia, ma fille âgée de 4 ans, se reproduira un instant de grâce comme seule la Piazza peut nous réserver. Ce soir-là, il pleut. L’immense place est déserte, les promeneurs se sont réfugiés sous les arcades. Ils regardent la pluie, patiemment. Discussion, brouhaha... Les orchestres des cafés du Quadri et du Florian jouent sans conviction quelques airs languissants. Mezzo Voce... Attente. La pluie scintille sur le sol dallé qui devient miroir et reflète les lumières qui parent les arcades des Procuratie Vecchie de feux tremblotants.  Soudain, Aurélia s’élance, petite elfe minuscule sur l'immense place et commence à danser; elle tournoie sur elle-même, les bras écartés, la tête levée vers le ciel, heureuse. Les musiciens la voient, s’animent et entament une valse de Strauss, vive, légère. L'enfant suit le rythme, valse, valse, se grise de liberté et de musique. Les gens s’arrêtent de parler, la montrent du doigt et tous observent, silencieux, avec un sourire amusé, la jolie fillette blonde vêtue d’un ciré bleu, qui virevolte sur la place mouillée dans un ruissellement d'ors et de lumières.

Venise : café du Florian






Pour le challenge italien d'Eimelle il Viaggio dites-nous quels instants parfaits vous avez vécus  à Venise ou ailleurs en Italie. Alors, qui  se lance?

mercredi 14 octobre 2015

Guillaume Apollinaire : Le chat


Auguste Renoir

Ce poème, l'image du bonheur?

Le chat


Je souhaite dans ma maison
Une femme ayant sa raison
Un chat passant parmi les livres
Des amis en toute saison
Sans lesquels je ne peux pas vivre

Le bestiaire ou Cortège d'Orphée


Pour moi, il manquerait un enfant ...



Otto Van Veen : le peintre et sa famille (détail)

 

mercredi 20 mai 2015

Connais-tu le pays où fleurit l'oranger? Mignon : Goethe / Ambroise Thomas

Tapisserie de la Dame à la licorne (détail : oranger)

 

Les années d'apprentissages de Wilhelm Meister de Goethe

Mignon est un opéra de Ambroise Thomas créé à l'opéra comique de Paris en 1866.
Il est inspiré d'un roman de Wolfgang von Goethe Les années d'apprentissage de Wilhelm Meister


 

Fille portant des citrons(peinture de William Bouguereau XIXe siècle réprésentatif de la peinture académique
William Adolphe Bouguereau : Fille portant des citrons

 
Dans ce roman un jeune homme, Wilhelm Meister, fait son apprentissage de comédien avec un troupe de bohémiens itinérants. Il y rencontre une fillette Mignon dont le passé est mystérieux car elle ne sait pas qui elle ni d'où elle vient. Son seul souvenir est d'avoir vécu dans un pays où fleurissent les citronniers. 

«  Connais-tu la contrée où les citronniers fleurissent ? Dans le sombre feuillage brillent les pommes d’or ; un doux vent souffle du ciel bleu ; le myrte discret s’élève auprès du superbe laurier…. La connais-tu ?
«  C’est là, c’est là, ô mon bien-aimé, que je voudrais aller avec toi.
«  Connais-tu la maison? Son toit repose sur des colonnes ; la salle brille, les chambres resplendissent, et les figures de marbre se dressent et me regardent. 
« Que vous a-t-on fait, pauvre enfant ? »
 La connais-tu ?
«  C’est là, c’est là, ô mon protecteur, que je voudrais aller avec toi.
« Connais-tu la montagne et son sentier dans les nuages? La mule cherche sa route dans le brouillard ; dans les cavernes habite l’antique race des dragons ; le rocher se précipite et, après lui, le torrent. La connais-tu ?
«  C’est là, c’est là que passe notre chemin : ô mon père, partons ! » Goethe
 

Air de Mignon : opéra d'Ambroise Thomas 

Adolphe Beaupère : la cueillette des orangers

 
Pour l'opéra d'Ambroise Thomas, les librettistes Jules Barbier et Michel Carré reprennent le texte de Goethe, en y apportant des modifications d'où cet air, Connais-tu le pays où fleurit l'oranger?, l'un des plus célèbres de l'opéra.
J'ai lu dans Le Figaro-Culture (ICI) un article assez ironique en ce qui concerne la musique de Ambroise Thomas et ses opéras : « Il y a deux espèces de musique : la bonne et la mauvaise et puis, il y a la musique d'Ambroise Thomas » raillait Emmanuel Chabrier. 
L'auteur de l'article critique le manque d'ambition de la musique de Thomas et continue ainsi  :"Las, les nombreux opéras d'Ambroise Thomas sont des pièces charmantes, astucieusement calibrées pour plaire à leur temps, tricotées de mélodies faciles et toujours élégantes. (...) Son Mignon, inspiré des Années d'apprentissage de Wilhelm Meister  de Goethe, continue de charmer. Créées à l'Opéra-Comique en 1866, les aventures de cette bohémienne, qui n'est autre qu'une princesse italienne amnésique, restent le plus gros succès de son auteur. De son vivant, la Salle Favart le joua plus de mille fois."
 
Et oui, malgré la condescendance des critiques musicaux, l'opéra continue à plaire  et moi, j'aime beaucoup cet air de Mignon quoi que l'on en dise! 
 
Connais-tu le pays où fleurit l'oranger?
Le pays des fruits d'or et des roses vermeilles,
Où la brise est plus douce et l'oiseau plus léger,
Où dans toute saison butinent les abeilles,
Où rayonne et sourit, comme un bienfait de Dieu,
 
Un éternel printemps sous un ciel toujours bleu!
Hélas! Que ne puis-je te suivre
Vers ce rivage heureux d'où le sort m'exila!
C'est là! C’est là que je voudrais vivre,
Aimer, aimer et mourir!  

Connais-tu la maison où l'on m'attend là-bas?
La salle aux lambris d'or, où des hommes de marbre
M'appellent dans la nuit en me tendant les bras?
Et la cour où l'on danse à l'ombre d'un grand arbre?
Et le lac transparent où glissent sur les eaux
Mille bateaux légers pareils à des oiseaux!
Hélas! Que ne puis-je te suivre
Vers ce pays lointain d'où le sort m'exila!
C'est là! C’est là que je voudrais vivre,
Aimer, aimer et mourir! 

 

Et vous ? Vous aimez ?


Connais-tu le pays...? avec Magdalena Kozena