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vendredi 4 décembre 2020

Balzac : La femme abandonnée

Le personnage de la vicomtesse de Bauséant est un personnage important de La Comédie humaine. Dans Le père Goriot  on l'y voit tenir un brillant salon parisien où il est de bon ton de paraître et n’y est pas reçu qui veut. Mais lorsqu’elle est abandonnée par son amant, elle quitte son mari et vient se réfugier à Bayeux. Mise au ban de la société pour sa scandaleuse conduite et son indépendance, elle vit orgueilleusement retirée dans ses appartements. Balzac lui consacre cette courte nouvelle intitulée La Femme abandonnée. Le second personnage est le jeune baron Gaston de Nueil, parisien lui aussi, mais en exil à Bayeux pour des raisons de santé. Il s’ennuie à mourir dans cette société provinciale étriquée et rigide. Aussi lorsqu’il entend parler la vicomtesse, son imagination fait le reste et il en tombe amoureux sans l'avoir encore rencontrée. Il finira par devenir son amant et vivre avec elle mais …

Avec sa vive imagination et sa promptitude à tomber amoureux, le baron me fait penser au Julien Sorel de Stendhal. Surtout dans la scène où renvoyé par la vicomtesse et raccompagné à la porte de la demeure par un serviteur, il comprend que son honneur est en jeu et son orgueil le pousse à la témérité. Mais la comparaison s’arrête là, Julien étant un roturier peu habitué à la société mondaine, ce qui n’est pas le cas de Gaston de Nueil.

L’intrigue de cette nouvelle est légère, assez convenue et m'a laissée un peu sur ma faim. Toute sa valeur réside à mes yeux dans deux éléments :

La conclusion de la nouvelle

La brutalité de la chute racontée en une phrase et d’un ton entièrement détaché, crée un choc, conclusion lapidaire, inattendue, de cette histoire d’amour. C’est dommage que Balzac ne se soit pas arrêté à cette phrase, ce qui aurait donné une plus grande force au dénouement qui me rappelle la manière de Victor Hugo dans La légende des siècles : et le lendemain Aymerillot prit la ville. Mais Balzac n’est pas Hugo (et réciproquement)  et il parle ici en moraliste! C'est pourquoi la conclusion est suivie  par des considérations dignes d’un entomologiste sur la nature humaine, la femme amoureuse.

La satire de la vie provinciale

Ce que j’ai le plus apprécié dans La femme abandonnée, c’est la satire acide de la société provinciale qui est décrite avec une méchanceté étudiée. Dans ses romans, Balzac nous montre la société en action, dans la nouvelle, il nous en fait la synthèse et nous la décrit comme une carte du ciel, avec ses planètes tournant autour du soleil. Or ce dernier est ici un astre bien faible en province et Balzac a des formules acérées  pour le décrire :
"C’était d’abord la famille dont la noblesse, inconnue à cinquante lieues plus loin passe, dans le département, pour incontestable et de la plus haute antiquité…"  "Cette espèce de  famille royale  au petit pied " " Cette famille fossile" " Le chef de cette race illustre est toujours un chasseur déterminé. Homme sans manières, il accable tout le monde de sa supériorité nominale…"
"Sa femme a le ton tranchant, parle haut, a eu des adorateurs, mais fait régulièrement ses pâques; elle élève mal ses filles et pense qu’elles seront toujours assez riches de leur nom. "

"Puis viennent les astres secondaires" :
Ceux qui gravitent autour de la noblesse ancienne, une noblesse récente  plus à la mode mais tout aussi conventionnelle et figée, dans un autre style, les gentilshommes campagnards, les membres du clergé tolérés pour leur fonction mais roturiers donc inférieurs.
Et Balzac de conclure :
La vie de ces routinières personnes gravite dans une sphère d’habitudes aussi incommutables que le sont leurs opinions religieuses, politiques, morales et littéraires.

Bien entendu pour le réac Balzac, la supériorité parisienne même s'il s'agit de la noblesse n'est pas à démontrer et tout ce qui s'attache à la province est dénigrée. Mais comme il n'épargne pas, non plus, les parisiens, disons que c'est acceptable !

 Lecture commune (oui, je suis en retard !)

initiée par Maggie Ici

Miriam Ici 

Céline Ici


vendredi 18 septembre 2020

Jack London : Les contes des mers du sud

Le recueil Les contes de la mer du sud de Jack London, paru en 1911, regroupe huit nouvelles dont l’écrivain a trouvé les matériaux lors d’une croisière et un séjour de deux ans dans les archipels de l’océan pacifique en 1907 autour des îles Salomon, Fidji et de la Polynésie Française.
Les titres de ces nouvelles : La graine de MacCoy, Le païen, l’Inévitable Blanc,  les Salomon, îles de la terreur, Maouki, Yah! Yah! Yah !, La maison de Mapuhi, La dent du cachalot…

Aventures…
On y retrouve la force des récits d’aventures de Jack London, inégalable conteur, que ce soit dans le récit d’effroyables tempêtes, de naufrages, de Tsunami terrifiant, mais aussi d’absence de vent, calme plat qui réduit les voiliers à l’immobilisme avec le manque d’eau et de nourriture, que ce soit avec les épidémies qui ravagent l’équipage et les passagers ou les attaques meurtrières des blancs contre les indigènes et réciproquement. On se laisse ainsi entraîner fort loin de notre quotidien, en plein océan pacifique, chez les peuples de coupeurs de têtes !
Portraits
London présente aussi une galerie de portraits d’hommes rudes, aventuriers blancs parfois sans morale ou humanité, trafiquants surtout préoccupés des profits qu’ils font en exploitant les indigènes, iliens sauvages ou cannibales qui défendent leurs territoires … Parfois au-dessus de cette humanité moyenne, certains personnages sont moralement supérieurs : le canaque Otoo, natif de Bora Bora, une des îles tahitiennes, dans Le Païen est un de ces hommes, courageux, sincère, dévoué. Il se lie d’amitié avec le narrateur :
Otoo était la bonté personnifiée. Bien qu’il mesurât six pieds de haut et fût musclé comme un gladiateur romain, il était la gentillesse et la douceur même.
S’il est païen et tient à le rester, Otoo, non seulement n’a rien à envier aux chrétiens qui veulent le convertir mais il leur est souvent cent fois supérieur. Il en est de même de Mac Coy dans la nouvelle La graine de Mc Coy, gouverneur de Pitcairn, descendant d’un révolté du Bounty. Il provoque d’abord le mépris du capitaine et de ses officiers par sa tenue négligée. Mais il sauve le navire en feu au mépris du danger au cours d’un récit haletant où la course contre l’incendie qui risque de faire exploser le bateau est engagée ! Ce sont mes deux nouvelles préférées, certainement parce qu’elles nous redonnent confiance en la nature humaine. ce qui n’est pas le cas des autres nouvelles !

Colonialisme

Mais ce qui fait l’intérêt primordial de ces nouvelles, c’est la vision de la violence et de l’horreur du colonialisme. Les hommes blancs affirment leur suprématie à l’aide de canons, de fusils, de spoliations, d’exécutions répétées et toujours impunies.
 Ils réduisent les autotochtones à un esclavage qui ne porte pas son nom puisque les hommes ne sont pas « obligés » de s’enrôler (sauf la misère qui les y contraint), sont « payés » (un salaire dérisoire pour des heures non stop de travail pénible et dur ). Ils sont punis (fouets, coups, prison à la moindre négligence ou révolte) et écopent d’années supplémentaires s’ils cherchent à s’enfuir. C’est ce qui arrive à Maouki, fils du chef de Port-Adam.
L’esprit du colonialisme c’est bien sûr l’inévitable blanc dans la nouvelle éponyme :
- J’ai vu, reprit le capitaine Woodward, je ne sais combien de braves gens s’obstiner à traiter les noirs comme des égaux.
«  Mal leur en pris et ils ont tous fini dans l’estomac de leur nouveaux amis ».
« Non, non, mille fois non! Ne me parlez pas de comprendre les noirs. La mission du blanc est être fermier du monde et il n’a pas à s’attarder à des contingences aussi dangereuses qu’inutiles »

Dites à un blanc qu’il trouvera de la nacre dans un lagon infesté de cannibales. Il n’ira pas s’attarder à parlementer avec eux. Mais solidement armé, il arrivera sur un méchant cotre de cinq tonneaux (… )
Et vlan ! il commencera par une fusillade, voire une canonnade en règle. Après quoi, sa demi-douzaine de plongeurs canaques pourra, sans danger, entamer la besogne. (L’inévitable blanc)

On comprend pourquoi les têtes de blanc sont si prisées par les indigènes et sont un trophée dont ils sont fiers ! Ceux-ci sont cannibales et leurs ennemis finissent si possible dans leur marmite.
« Manger ou être mangé avait été, de tout temps, la loi du pays. Pour longtemps encore, elle semblait destinée à demeurer telle (La dent de cachalot)
Voilà donc une série de contes qui plaisent par les différentes approches qu'ils nous proposent. Une lecture intéressante mais qui nous secouent.

A propos du  cannibalisme


 
Je me suis demandée si Jack London faisait la part  belle à l'imaginaire en nous parlant du cannibalisme. existait-il encore des cannibales dans les îles du sud ?

 Montaigne parlait déjà de ceux du Nouveau Monde dans l'essai du même nom. Il note que ceux-ci mangent leurs ennemis morts en signe de vengeance alors que les Portugais les torturent longuement et avec raffinement avant de les pendre!

Je ne suis pas marri que nous remarquons l'horreur barbaresque qu'il y a en une telle action*, mais oui bien de quoi, jugeant bien de leurs fautes, nous soyons si aveugles aux nôtres. Je pense qu'il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu'à le manger mort, à déchirer par tourments et par gênes un corps encore plein de sentiment, le faire rôtir par le menu, le faire mordre et meurtrir aux chiens et aux pourceaux (comme nous l'avons non seulement lu, mais vu de fraîche mémoire, non entre des ennemis anciens, mais entre des voisins et concitoyens, et, qui pis est, sous prétexte de piété et de religion)**, que de le rôtir et manger après qu'il est trépassé.
Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie.


 *le cannibalisme
** Quand Montaigne écrit les Essais, la France est déchirée par les guerres de religion 

Le cannibalisme a duré jusqu’au XIX siècle comme en témoignent des récits de voyageurs. J’ai lu un article  et un essai sur la question auxquels je vous renvoie si cela vous intéresse.
https://journals.openedition.org/carnets/10176
https://www.lepoint.fr/culture/le-tour-du-monde-des-cannibales-4-les-gourmets-des-iles-marquises-et-salomon-02-08-2018-2240943_3.php

Lecture Commune avec  ?

 Voir Pralines, enthousiaste de sa relecture de Croc Blanc : ICI

Lu dans le cadre du challenge Jack London



mercredi 2 septembre 2020

Retour à Avignon : A bientôt !

Et voilà, je vais bientôt quitter mon village lozérien pour Avignon et dire au revoir à la maison des Totems aussi surnommée la maison aux belles joubarbes. Retour qui correspond à celui que je vais faire dans mon blog.






Le frêne au bas du pré

La cabane des enfants sur le frêne : que de belles nuits passées à se faire peur !


Et je vous dis à bientôt pour les LC du challenge Jack London que je rappelle ici :

Les lectures de l'été : rendez-vous au mois de Septembre

Pour le 4 Septembre : La petite dame de la grande maison

Pour le 18 Septembre : Contes des mers du sud

Pour le 30 septembre : Le fils du loup et autres nouvelles


samedi 20 juin 2020

Jack London : Une femme de cran



Une femme de cran est le titre éponyme d’un recueil de nouvelles qui se déroule dans le grand nord canadien, le Konklide au temps de la ruée vers l’or. Dans une tente où ils sont réfugiés autour d’un poêle, unique moyen de survie, Sitka Charley, indien de naissance mais blanc de coeur, selon ses dires, raconte à ses compagnons l’histoire de Passuk, une femme exceptionnelle.

La femme était petite, mais son coeur était plus grand que le coeur de boeuf de l’homme, et elle avait un sacré cran !

Il l’a achetée à son père sans même la regarder parce qu’il lui fallait une femme pour faire la cuisine, s’occuper des chiens et partager son unique couverture. Mais il n’a jamais été question d’amour envers elle. Elle n’existait pas pour lui. C’est peu à peu qu’il a pu apprécier ses qualités, sa force morale. Mais c’est surtout au moment de la grande famine que Sitka Charley va découvrir la grandeur d’âme, le courage, l’abnégation de cette femme et qu’il prendra conscience de son amour pour elle.

Mon idée était de rester là et d’aller à la rencontre de la Mort main dans la main  avec Passuk, car j’avais vieilli et j’avais appris ce qu’est l’amour d’une femme.
Pendant une longue marche qu’ils entreprennent pour sauver leur village, Forty Mile, de la famine, Passuk se révèle, à la fois, impitoyable pour un de leur compagnon de route car c’est la loi du grand Nord qui élimine les faibles mais tout aussi exigeante envers elle-même. Elle ira même jusqu’à sacrifier à celui qu’elle aime un être qui compte énormément pour elle.

On a trimé sur une longue piste, jusqu’à l’Eau salée, le froid était terrible, la neige profonde et on crevait de faim. Et l’amour de la femme était un amour immense- on ne peut pas dire autre chose.

Au moment de mourir, elle lui découvre ses sentiments, le grand amour qu’elle a pour lui et combien elle a souffert de son indifférence. Il prend alors conscience du dévouement sans limite de sa femme et trouvera le courage pour poursuivre sa route et sauver les hommes de Forty Mile. Un très beau portrait de femme.

Cette nouvelle est une très belle et poignante histoire d’amour et il y a tant de pudeur et de dignité dans ces personnages que leurs sentiments ne peuvent s’exprimer qu’au seuil de la mort.
Jack London fait preuve d’une grande compréhension du coeur humain et en particulier des femmes et lorsqu’il laisse la parole à Passuk. Ce qu’elle dit est à la fois d’une grande tristesse et d’une grande beauté. L’écrivain analyse avec finesse et sensibilité les sentiments d’une jeune fille ainsi vendue, humiliée et rabaissée à un niveau inférieur.

Lorsqu’au début tu es venu à Chilkat et que, sans même me regarder, tu m’as acheté comme on achète un chien et emmenée mon coeur était dur envers toi et rempli de crainte et d’amertume. Mais c’était il y a longtemps. Car tu as été bon envers moi, Charles, comme un brave homme l’est pour son chien.Et il décrit aussi avec beaucoup de justesse comment les sentiments de Passuk ont pu évoluer.

J’ai pu te mesurer aux hommes des autres races et j’ai vu que tu occupais parmi eux une place pleine d’honneur et que ta parole était sage et vraie. Et je suis devenue fière de toi, au point que tu as empli mon coeur tout entier et occupé toutes mes pensées.
La réponse de Charley est aussi d’une grande beauté car l’amour qu’il éprouve se traduit en images et se mêle à la grande voix de la nature. Pour lui que l’hiver soumet à la loi rigoureuse de la vie et la mort, l’amour emprunte la voix du printemps et de la chaleur retrouvée. Il faudrait le citer tout entier pour rendre compte du style de  Jack London.

C’est vrai, il n’y avait pas de place pour toi dans la froideur de mon coeur. mais c’est du passé. Maintenant mon coeur est comme la neige au printemps quand reparaît le soleil. Le temps est venu du grand dégel, du murmure de l’eau qui coule, du bourgeonnement et de l’éclosion de la verdure. On entend le ramage des perdrix, le chant des merles et toute une immense musique, car l’hiver est vaincu, Passuk, et j’ai compris ce qu’est l’amour d’une femme.

La nature est toujours présente et London comme d’habitude excelle à en révéler la puissance et la cruauté mais aussi l’éblouissement que procure les grandes étendues givrées, le silence, la pureté de la neige comme une poussière de diamant qui palpitait et dansait sous nos yeux , l’étrange proximité des étoiles dans le ciel, l’air tout entier qui brillait et qui scintillait.
Et puis comme d’habitude dans ses livres de froid et de neige, ce récit d’aventures rapporté par un grand conteur est aussi celui de l’aventure intérieure, d’un cheminement personnel qui transforme l’individu et révèle en lui le pire ou le meilleur.

LC pour le challenge Jack London


dimanche 24 mai 2020

Balzac : Maître Cornélius





La nouvelle Maître Cornélius de Balzac fait partie des études philosophiques de La Comédie humaine.

Le récit se déroule sous le règne de Louis XI. La fille adultérine de Louis XI est mariée à un affreux vieillard, jaloux et cruel, le comte de Saint Vallier. Elle aime en secret le jeune Georges d’Estouville. Celui-ci s’engage comme apprenti dans la maison de Maître Cornélius, argentier du roi, dont la maison jouxte celle des Saint Vallier. En passant par la cheminée, le jeune homme fougueux parvient à rejoindre sa bien-aimée. Mais la nuit même, un vol se produit et Georges accusé par Cornélius est condamné à mort. Ce n’est pas la première fois que de tels vols se produisent et tous les jeunes gens engagés par maître Cornélius ont été tour à tour accusés et pendus. Quel mystère plane sur cette demeure et son mystérieux propriétaire?

J’ai été un peu étonnée par ce texte dans lequel Balzac ne semble pas trop de quel côté se diriger.
Roman d’amour ? Le jeune noble, Georges d’Estouville, est prêt à mourir pour gagner l’amour de sa belle, Marie de Saint Vallier. Mais le récit de cet amour tourne court, et nous ne savons ce qu’il advient du jeune homme à la fin ?
Roman historique ? Il dresse un portrait un peu convenu mais pourtant réussi de Louis XI en roi intelligent, pervers, retors, et cupide. Mais le roi reste un personnage secondaire.
La nouvelle pourrait surtout présenter une dimension fantastique car le personnage de maître Cornélius et celui de sa soeur sont auréolés de mystère et de noirceur. Sorcière, la soeur et diabolique, maître Cornelius. Notons qu’il porte le nom d’un personnage des Contes d’Hoffmann. Cet homme avare, usurier machiavélique et trésorier du roi, fin politique, est responsable de la mort de six de ses apprentis convaincus de vol dans un maison pratiquement murée sur elle-même ! Comment expliquer des faits aussi inexplicables ? Comment expliquer que tous ceux qui approchent maître Cornélius meurent sur le gibet ?  Mais Balzac coupe court à la veine fantastique en donnant une explication des plus réalistes et des plus terre à terre.  Le mystère ne fait pas long feu ! et c’est dommage !
Comme d’habitude les personnages de Balzac donnent lieu à des portraits hauts en couleur mais le récit est décevant.


LC initiée par Maggie
  
 avec Miriam 

vendredi 8 mai 2020

Jack London : Le vagabond des étoiles


Le vagabond des étoiles de Jack London, d’abord publié en feuilleton, paraît en 1915. Il est le dernier roman mais aussi le dernier acte militant de l’écrivain socialiste qui dénonce l’horreur de la peine de mort et l’hypocrisie d’une société chrétienne qui bafoue l’un des premiers commandements : « tu ne tueras point ». L’écrivain connaît le milieu pénitentiaire américain, ayant lui-même été incarcéré pour vagabondage.

Non, je n’ai vraiment aucun respect pour la peine capitale. Et ce n’est pas seulement une mauvaise action pour les chiens penseurs qui l’exécutent, moyennant salaire. C’est une honte pour la société qui la tolère et paie pour elle des impôts.

Dans ce roman, en effet, Jack London s’insurge contre le système judiciaire et carcéral à la solde de la société capitaliste. Il dénonce les violences, les injustices, les maltraitances, humiliations, coups, privation de nourriture, isolement, qui sont monnaie courante dans les prisons, et, en particulier, l’usage de la camisole de force. Les représentants de la loi qui l’appliquent sont des tortionnaires qui ne valent pas mieux que les prisonniers qu’ils méprisent. Et que dire de ceux qui font les lois ?

La Californie est un pays civilisé, ou du moins qui s’en vante. La cellule d’isolement à perpétuité est une peine monstrueuse dont aucun état, semble-t-il n’a jamais osé prendre la responsabilité !

Le personnage fictif qui sert à Jack London pour rendre compte de cet univers des prisons est Darrell Standing, un éminent agronome, professeur d’université, incarcéré pour meurtre passionnel. Il purge une peine de trente ans d’emprisonnement mais va être victime d’un complot, mené contre lui par un détenu, qui lui attire la haine du directeur prison et l’amènera à être arbitrairement condamné à mort. Celui-ci, avec la complicité des gardiens mais aussi du médecin des prisons, livre Darrell à la camisole de force et l’amène ainsi aux antichambres de la mort. Le tortionnaire n’obtiendra aucun aveu puisque le professeur est innocent mais il permet au personnage de s’échapper par cet apprentissage de la mort, au-delà de la prison, dans les étoiles, en retournant dans ses vies antérieures. A côté de ce personnage fictif, Jack London, introduit des personnages ayant existé, comme Jack Oppenheim et Ed Morell, de son vrai nom Ed. Merrit, qui ont subi, dans la réalité, le destin de Darrell Standing.

Le roman bascule alors vers le fantastique avec l’évocation de toutes les vies de Darrell Standing au cours des siècles précédents.

« Ceux qui m’ont enfermé pendant quelques misérables années m’ont ouvert, sans le vouloir, l’immensité des siècles »

Il conte les aventures mouvementées du personnage à toutes les époques, que ce soit sous Louis XIII en France, dans une caravane de pionniers en plein désert américain, en Corée aimé par une princesse de haut rang, comme Viking et centurion romain chez Ponce Pilate au temps de Jésus Christ, en Robinson dans une île déserte, et en homme des cavernes dans la dernière réincarnation.
J’ai trouvé que le début du roman était répétitif, un peu long à se mettre en place. Peut-être est-ce l’effet feuilleton, (?), l’écrivain devant retourner un peu sur ses pas d’une semaine à l’autre pour rappeler à ses lecteurs ce qui précédait. C’est ma première impression. Ensuite nous partons avec lui dans les vies antérieures qui sont autant de récits vivants et imaginatifs. Selon mes goûts, je les aurais aimés plus développés, plus étoffés. C’est ce qui me laisse sur ma faim parfois. Mais London n’est pas le maître du roman fleuve, c’est un auteur de récits courts, la plupart du temps, et c’est là qu’il réussit.

Ces récits, outre amener les lecteurs dans les régions de l’imaginaire, ont un autre but. C’est la camisole de force qui permet à Darrell Standing de tenir tête à ses bourreaux et d’être spirituellement (tandis que son corps s’étiole), supérieur à eux, consacrant la victoire de l’esprit sur la matière. Il ne s’agit pas d’une conversion religieuse puisque en dédicace de son roman, Jack London écrit à sa mère qu’il ne croit pas que l’esprit survive à la matière : « Je crois que l’esprit et la matière sont si intimement liés qu’ils disparaissent ensemble quand la lumière s’éteint. ».
Il s’agit plutôt d’une affirmation philosophique qui correspond à l’homme et l’écrivain qui a toujours mis en valeur dans sa vie comme dans ses romans, la force de la volonté, donc de l’esprit, capable de surmonter les faiblesses physiques et les souffrances du corps.

« Plus je me remémore ces faits, plus j’estime qu’un être humain doit être doué d’une force d’âme sans égale, pour survivre sans devenir fou à la brutalité de pareils spectacles qui vous côtoient sans répit, à l’iniquité de semblables procédés dont on est soi-même et sans trêve la victime. »

Le roman a donc un double message : Tout en démontrant la supériorité de l’esprit sur le corps, il dénonce avec force les iniquités du système judiciaire et carcéral américain dont il souligne l’inhumanité et l’absurdité.
Parmi le public qui assiste à l’exécution note Jack London : « Quelques-uns avaient l’air d’avoir bu, et deux ou trois autres étaient déjà malades à l’idée de ce qu’ils allaient voir. Il semble plus facile d’être pendu que de regarder une pendaison.
Grâce à Jack London, nous dit-on dans la préface,« l’usage de la camisole de force et le droit de condamner à mort un détenu indiscipliné seront abolis. »

Rappel : LC Jack London

Pour le 25 Mai : L'amour de la vie

ou si vous l'avez déjà lu un autre, au choix


LC avec Marilyn 

Le vagabond des étoiles

Adaptation BD Riff Reb  du Vagabond des étoiles


LC avec Myriam ICI  Le vagabond des étoiles



jeudi 30 avril 2020

Philippe Lançon : Le lambeau


Survivant de l’attentat terroriste de Charlie Hebdo, Philippe Lançon raconte dans Le Lambeau sa lente reconstruction physique à l’hôpital. Il a eu la mâchoire emportée et a dû subir pas moins de dix-sept opérations. Parallèlement, il décrit aussi sa reconstruction sur le plan psychique car un survivant n’est pas un vivant et doit le redevenir. Il y aura toujours, désormais, un avant et un après pour cet homme qui revient à la vie mais qui n’est plus ni tout à fait lui-même, ni tout à fait un autre.


Le lambeau

Charlie Hebdo : les disparus  Charb, Cabu, Bernard Maris, Tignous, Wolinsky
Le titre du livre présente donc un double sens : le terme lambeau fait référence à une partie de lui-même qui a définitivement disparu : “Il reste des parties de ce que j’étais, mais elles sont en lambeaux”.
"Eux (ses parents) souffraient, je le voyais, mais moi je ne souffrais pas, j’étais la souffrance. Vivre à l’intérieur de la souffrance, entièrement, ne plus être déterminé que par elle, ce n’est pas souffrir; c’est autre chose, une modification complète de l’être."
Mais le lambeau, c’est aussi, comme il nous l’explique en parlant de ses opérations, une technique chirurgicale qui permet de remplacer le manque de substance par de la matière et des tissus vascularisés. C’est un morceau de son péroné qui va lui servir de menton.


L'Avant, l'Après, Pendant

Philippe Lançon Prix feminan et prix spécial Renaudot 2018

Le livre est construit sur cet « avant » et cet « après » dont il a une conscience aiguë, avec un arrêt sur image, temps suspendu, sur « pendant » : l’attentat !
L’avant, c’est La nuit des rois au théâtre avec son amie Nina, les articles à écrire pour Charlie et Libération, les deux journaux pour lesquels il travaille, son amour, Gabriella, son prochain départ pour l’université de Princeton pour y enseigner la littérature. C'est la lecture de Houellebecq et les discussions houleuses à Charlie Hebdo.
Pendant : l’attentat ! Moment bouleversant, d’une grande intensité, et dont la scène apparaît comme dédoublée : Elle est décrite par la victime sous un angle flou, brouillé, incomplet, partiel, ce qu’il voit, ce qu’il entend sans voir, ce qu’il comprend ou non, dans une sorte de stupéfaction et d’anesthésie ( il ne prend pas conscience de sa blessure) et pourtant, contradictoirement, tous les sens en alerte  : le crépitement des armes, les cris des terroristes et des victimes, les odeurs, celle du sang en particulier. Elle se déroule comme un film, d’abord accéléré avec l’irruption des tueurs, puis au ralenti  : Franck, le policier qui assura la sécurité de Charb, sort son arme mais trop lentement et s’écroule et puis il y a les gros plans sur les victimes proches de lui, ceux qui n’arrêteront pas de hanter sa mémoire et qu’il  passe et repasse sans cesse dans sa mémoire comme un film que l’on peut dérouler et rembobiner. Le premier visage qui lui apparaît, la prise de conscience de ses blessures dont celle de la mâchoire. Il est défiguré.
L’Après : Philippe Lançon raconte, de souffrances en souffrances, d’opération en opération, d’espoir en désespoir et vice versa, une descente aux enfers non pas sous le signe de Dante mais plutôt sous celui de Kafka :
«  La plupart des réveils ont été soit difficiles, soit épouvantables.(…) De nouveau j’étais chez moi et une journée ordinaire allait commencer, de nouveau les lumières blafardes et les voix des infirmières chassaient le bien-être éprouvé, cette queue de coma, pour me replonger dans l’une des marmites kafkaïennes; mais l’enfer, n’était-ce pas toujours ça : l’éternel retour d’une sensation fictive, créée par la mémoire et la brutale expulsion du paradis ordinaire qu’elle rappelait »
L’absurdité du monde, de ce qui est arrivé, de ce qui lui arrive, est une sensation qui revient à maintes reprises dans ce récit, comme cette impression de culpabilité alors qu’il est victime :
« J’étais le compagnon des pauvres K de Kafka. Cette tendance allait vite s’accentuer. Je voulais bien faire pour qu’on ne puisse rien me reprocher. Je voulais être en règle avec les autorités. Plus la situation devenait extraordinaire, plus je voulais être conforme. Plus je comprenais que j’étais victime, plus je me sentais coupable. Mais de qui étais-je coupable si ce n’est d’avoir été au mauvais endroit, au mauvais moment ?.»

Ce qu’il nous décrit est un parcours très intime puisque l’on pénètre dans la conscience même de l’écrivain, de ses peurs, ses doutes, mais aussi des souffrances du corps, de ses blessures, de ses trahisons intimes, de ses exigences matérielles. On y parle du quotidien du blessé, de la bave qui coule par les trous des tissus lésés, des intestins qui refusent de fonctionner, de la virilité défaillante, bref ! de tout ce qui assure normalement le bon fonctionnement de la machine, de tout ce qui nous rappelle et, ici, intolérablement, notre condition humaine.
 Il rend compte de l’amitié et de l’amour, de tous ces sentiments, ces émotions qui permettent de ne pas céder au désespoir, qui obligent à la lutte, à être à la hauteur, ce qu’il nomme « un dandysme » de l'esprit, de l’attitude. Il ne faut pas céder parce que l’on risque de décevoir ceux qui vous aiment et aussi ceux qui vous soignent. Mais cela aussi, est une douleur ! Il rend un bel hommage aux médecins et en particulier à sa chirurgienne Chloé, il dresse de beaux portraits, humains, vivants, de ses infirmières, sa kinésithérapeute, de tout le personnel soignant mais aussi de ces policiers qui ont assuré sa sécurité et l’ont accompagné pendant si longtemps.

Le trait d’union
 

Et parce que c’est un intellectuel, il est accompagné par les grandes figures de la littérature et de l’art, ceux qui sont essentiels pour lui, Thomas Mann, Proust, Kafka, Supervielle, Bach… C’est par la littérature qu’il est rappelé à la vie. Ainsi  lorsque par un matin de réveil brumeux, il est capable de se souvenir du prénom de madame Bovary, il remercie Flaubert de cette renaissance.
Peu à peu il va devoir quitter l’hôpital, métaphore du berceau, réapprendre à vivre comme un bébé apprend à marcher. Cette image de l’enfant dépendant est plusieurs fois évoquée dans le livre.
« Elle (l’infirmière) a posé un masque sur mon visage, elle me parlait, je ne la comprenais plus, j’ai senti que j’étouffais et tandis que la panique me saisissait, je me suis mis à pleurer, j’avais de nouveau cinq ou sept ans, je les aurais toujours… »
Peu à peu, il se remet à écrire des articles sur des expositions, des spectacles et il écrit ce livre catharsis : Le lambeau.
Ainsi, c’est certainement la littérature dans ce qu'elle a d'universel mais aussi l’écriture qui assureront le trait d’union entre l’avant et l’après, entre lui et lui-même. Une forme d'unité. Une constante !
Le livre se clôt sur l’attentat du Bataclan. Philippe Lançon l'apprend aux Etats-Unis. Il est avec Gabriella :  « Je suis heureuse de vous savoir loin. Ne rentrez pas trop vite » lui écrit Chloé, sa chirurgienne.
Conclusion 

Ceux qui s’attendent de la part de Philippe Lançon, comme je l’ai lu dans les critiques, à une analyse de l'islamisme, à une remise en cause des injustices sociales, à la dénonciation des ghettos que sont devenus nos cités, en seront pour leur frais. Il s'y refuse catégoriquement.
" Voilà trente ans, peut-être un siècle, que ces discours humanistes n'aboutissent à rien."
Il ne s’agit donc pas d’un texte social ou politique même si l'écrivain appelle au respect de la liberté de pensée, à la tolérance, à la suspension du jugement afin de mieux comprendre les idées des autres.
"J'avais passé une partie exagérée de ma vie à juger les autres. C'était une manière efficace de ne pas les comprendre, de ne pas m'oublier en m'échauffant... "
 Il déplore l’évolution de notre société vers l'obscurantisme, le puritanisme, le fanatisme, ce qu’il dénonce comme « la grande peur des bien-pensants »  et qui est à la source de la violence, de la haine, de l'extrêmisme.
«  Nous avions senti monter cette rage étroite qui transformait le combat social en esprit de bigoterie.. La haine était une ivresse; les menaces de mort, habituelles; les mails orduriers nombreux… »
Mais plus que tout Le lambeau est un cri douloureux, un cheminement intime et philosophique vers une forme de compréhension et de sagesse qui permet à l'écrivain d'être laissé "à la liberté et au silence du récit".



jeudi 23 avril 2020

Jack London : le peuple de l'abîme


C’est dans l’été 1902 que Jack London décide de descendre dans les bas-fonds de Londres pour en rapporter un témoignage de la misère sociale qui règne dans la capitale anglaise. Dans la préface, il nous dit qu’on  lui a parfois reproché d’avoir noirci le tableau mais qu’il n’en est rien, bien au contraire. La préoccupation de Jack London, témoigner pour les pauvres, correspond  à son engagement social et politique. Cependant, il le précise, ce sont les individus qui l’intéressent, non les idées d’un parti. Les partis se désagrègent, cessent d’exister, la misère non.
Je me suis demandée pourquoi il avait choisi l’Angleterre et non les USA pour cette enquête dans l’abîme, la situation des ouvriers chez lui n'était pas toute rose et il la dénonce souvent! Il semble, - c’est ce qu’il dit, et on peut le croire puisqu’il l’a vécu-, que le dénuement en Angleterre est encore plus terrible que dans son pays, la législation anglaise concernant les sans-logis venant encore aggraver les conditions de vie des misérables en les privant de toute possibilité de s'en sortir.
Jack London en revêtant de vieux vêtements va se faire passer pour un marin américain sans ressources et vivre par l’intérieur, tout en nous le faisant partager,  la vie de ces pauvres gens. 

Une rue du quartier de Whitechapel en 1902
Le premier chapitre s’intitule La descente et rejoint le titre général de l’essai : le peuple de l’abîme qui désigne l’East End de Londres. C'est là que s’entassent des milliers de malheureux dans la promiscuité la plus totale, à plusieurs familles par chambre, dans un total manque d’hygiène et une saleté sordide. Et plus Jack London s’enfonce au coeur de l’abîme, plus il découvre, comme Dante, les différents cercles de l’Enfer, le chômage, la faim, la privation, la maladie, l’ivrognerie, la prostitution, la violence, le crime, bref!  la déchéance et surtout, plus que tout, la fin de l’espérance ! Ces pauvres gens sont nés dans la misère et leur vieillesse, en les privant de leurs forces, leur enlève la possibilité de travailler, leur ôte tout espoir de survie.

« Mais la région où s’engageait ma voiture n’était qu’une misère sans fin. Les rues grouillaient d’une race de gens complètement nouvelle et différente, de petite taille, d’aspect miteux, la plupart ivres de bière. Nous roulions devant des milliers de maisons de briques, d’une saleté repoussante, et à chaque rue transversale apparaissaient de longues perspectives de murs de misère. L’air était alourdi de mots obscènes et d’altercations.  Devant un marché, des vieillards des deux sexes, tout chancelants, fouillaient dans les ordures abandonnées dans la boue pour y trouver quelques pommes de terre moisies, des haricots et d’autres légumes, tandis que des enfants agglutinés comme des mouches autour d’un tas de fruits pourris, plongeaient leurs bras jusqu’aux épaules dans cette putréfaction liquide… »

Les autres chapitres alternent entre le récit de ses expériences vécues et des études plus synthétiques qui présentent les réflexions de sociologues, les statistiques établis sur la vie et la mort dans l’East End, sur la législation qui les dirige.
« Un quart des londoniens meurt dans des asiles publics, tandis que 939 habitants sur mille, dans le Royaume-Uni, meurt dans la misère. 8 000 000 d’individus se battent pour ne pas mourir de faim, et à ce chiffre, il faut ajouter 2 000 000 de pauvres bougres qui vivent sans confort, dans le sens le plus élémentaire et le plus strict du mot. »
Les textes généraux sont utiles car ils nous font prendre conscience de l’importance de ce phénomène à partir de chiffres d'abord. Ils soulignent ainsi cruellement  la férocité d'un capitalisme qui exploite et broie les individus et d’un gouvernement qui ne cherche pas à régler le problème mais à le masquer en le brimant et le contenant. 
En même temps, Jack London nous amène à découvrir l’absurdité ubuesque des lois anglaises qui interdisent aux  sans-abris de dormir dans les rues la nuit. La police les traque en les réveillant sans répit. S’ensuivent des nuits sans sommeil, par tous les temps et sans rien dans le ventre. Abrutis de fatigue, affaiblis par la faim, par le sommeil, les gens finissent par dormir le jour dès que les parcs sont ouverts, n’ayant plus la force de travailler. La seule solution est donc de chercher un asile de nuit pour y dormir. Mais si l’on veut avoir une possibilité d’y obtenir une place, il faut faire la queue dès le début de l’après midi. Il est donc impossible de chercher un emploi et ceci d’autant plus que les misérables, en échange des nuits d'asile et d’une nourriture mauvaise et insuffisante, doivent accomplir des journées de corvées. Ceux qui n’ont pas de toit peuvent donc difficilement accéder au travail. 
Mais ceux qui ont la « chance » de travailler ne sont pas beaucoup mieux lotis  : un salaire de misère, des horaires surchargés, une pollution au travail intense, hydrocarbones, suie, acide sulfurique, et aucune protection. Les maladies et accidents entraînant des incapacités de travail sont légion et les invalides ne peuvent espérer aucun secours.

« On est donc amené à conclure que l’Abîme n’est qu’une vaste machine à détruire les hommes.. » 

Enfant dans l' East End
Ce que j’ai préféré dans cet essai, c’est de pouvoir partager avec l’écrivain la vie de ces gens. Pouvoir mettre des visages, des histoires sur eux pour qu’ils ne soient pas seulement des chiffres mais des êtres vivants. Certaines scène sont très fortes, marquantes, comme celles où Jack London passe la nuit dans un de ces asiles, les vêtments grouillant de vermines, ou celle où il bénéficie de "la charité" de l'armée du Salut ! 
Avec ses talents de conteur, son sens du détail qui touche, Jack London dresse les portraits pleins d’humanité de ces misérables dont certains ressemblent fort à Jude L’Obscur, le personnage de Thomas Hardy. Sans pathos mais avec amour, il leur redonne ainsi la dignité qu’on leur a arrachée. Certes, London sait qu’il a devant lui l’illustration de la théorie darwiniste de la survie de l’espèce par la loi du plus fort. Mais il se révolte car dans un pays prospère cela n’a plus aucune raison d’être et il exprime son empathie pour les malheureux.

« Je ne voudrais pas être présent lorsque tous ces gueux crieront d’une seule voix à la face du monde leur profond dégoût. Mais je me demande parfois si Dieu les entendra. »

On retiendra donc en conclusion cette phase qui reflète son indignation  :  « Mais la plupart des gouvernements politiques qui gèrent si mal les destinées de ce pays sont -et, là aussi, c’est mon opinion-  destinés à la décharge publique. »

Lecture commune pour le challenge Jack London : 

Lilly
Miriam
Nathalie


Lectures communes Jack London, je vous propose  :

Pour le 8 mai : Le vagabond des étoiles

Pour le 25 Mai : L'amour de la vie

ou si vous préférez un autre au choix



mercredi 22 avril 2020

Honoré de Balzac : Pierrette

Guido Reni : portrait de Beatrix Cenci
Pierrette, roman qu'il place dans Scènes de la vie de province, fait partie de la série que Honoré de Balzac consacre aux Célibataires, êtres inutiles, vides, sans valeur, qu’il écrase de son mépris. Nous avions commenté précédemment Le Curé de Tours au cours des lectures communes balzaciennes initiées par Maggie.

« Aussi était-ce une fille, et une vieille fille. Quand elle eut déployé ses persiennes par un geste de chauve-souris, elle regarda dans toutes les directions (…) Y a-t-il rien de plus horrible que la matinale apparition d’une vieille fille laide à sa fenêtre ? De tous les spectacles grotesques qui font la joie des voyageurs quand il traversent les petites villes, n’est-ce pas le plus déplaisant ? Il est trop triste et éprouvant pour qu’on en rie? »

Le récit 
Pierrette
Nous sommes à Provins. Les célibataires sont un couple de vieillards, frère et soeur, les Rogron, secs et durs de coeur et avares, qui se sont enrichis et affichent dans leur maison tout le mauvais goût de parvenus. Ils accueillent chez eux une jeune cousine Pierrette, une petite bretonne,  que leur confie sa grand-mère, une parente désargentée. Ils n’auront de cesse de tourmenter la jeune fille qui tombe malade à force de tortures physiques et morales. Sa personne devient alors l’enjeu d’une lutte sournoise et acharnée entre les deux factions qui se disputent le pouvoir dans la ville. Son aïeule bien-aimée et Jacques Brigaud, son amoureux, venus à son secours, pourront-ils la sauver ?

Une critique sociale virulente
Sylvie Rogron frappe Pierrette
Comme dans Le curé de Tours, Balzac peint avec Pierrette une scène de la vie de province particulièrement cruelle et pessimiste. Toutes les classes sociales y sont représentées mais aucune n’est épargnée sauf les humbles, ouvriers, menuisiers comme Brigaud et son patron, la servante des Rogron, et Pierrette et sa grand-mère.  Toutes les autres sacrifient l’innocence à leur intérêt personnel, à leur ambition sociale et politique surtout en cette période pré-électorale où tous les coups sont permis.

Les Rogron représentent la petite bourgeoisie commerçante arriviste qui veut être reçue dans le monde et pense y parvenir grâce à son argent. Pour cela, ils n’hésitent pas à spolier leur famille, à chercher des appuis dans des mariages d’intérêt, à jouer sur les dissensions politiques.
Mais leur vulgarité et leur sottise leur ferment la porte de la haute bourgeoisie légitimiste, les Julliard, les Guépin, les Guénée, les trois grandes familles de Provins et leurs alliés. Les Rogron se tourneront alors vers la bourgeoise libérale représentée par le colonel Gouraud, le médecin Neraud,  et surtout l’avocat Vinet, adversaires politiques de ceux qui les ont rejetés
Si les grands bourgeois prennent le parti de Pierrette, c’est surtout pour s’opposer à leurs adversaires politiques pour emporter les élections. Quant aux libéraux, ils soutiennent les Rogron alors même qu’ils les savent coupables de sévices envers Pierrette pour les mêmes raisons.
Mais ce sont toute de même les libéraux qui détiennent la palme de l’hypocrisie et de la bassesse  ! 
Il charge ainsi l’avocat Vinet :  

« Accoutumé à tout concevoir par son désir de parvenir, il pouvait devenir un homme politique. Un homme qui ne recule devant rien, pourvu que tout soit légal, est bien fort : la force de Vinet venait de là. Ce futur athlète des débats parlementaires, un de ceux qui devait proclamer la royauté de la maison d’Orléans, eut une horrible influence sur le sort de Pierrette. »

Le colonel Gouraud, lui aussi, est un opportuniste, prêt à épouser la riche Sylvie Rogron malgré sa laideur, ou mieux encore - en vieux filou dépravé-  la petite Pierrette si elle est héritière !
Cependant, personne ou presque ne sort indemne de la peinture au vitriol faite par Balzac. Chacun fait sienne les maximes de Vinet :

« Nous serons de l’opposition si elle triomphe, mais si les Bourbons perdent, ah! Comme nous nous inclinerons tout doucement vers le centre ! »
Et les femmes ne sont pas les dernières. Dans les deux partis, deux grandes dames mènent le jeu. Elle sont égales par la beauté, le bon goût, l’éducation et l’intelligence mais non par la fortune : Madame Tiphaine et Batilde de Chargeboeuf, la dernière sans dot, qui épousera le vieux Rogron. Mais elles portent bien chacune les ambitions, les intrigues, les compromissions et les hypocrisies de leur rang. Ce sont elles qui font ou défont la carrière politique des hommes.
Batilde de Chargeboeuf «  ne se mariait pas pour être mère mais pour avoir un mari, elle se mariait pour être libre,(..) pour s’appeler madame et pouvoir agir comme agissent les hommes. Rogron était un nom pour elle, elle comptait faire quelque chose de cet imbécile, un Député votant dont elle serait l’âme.»
Le roman est une démonstration de la faiblesse des humbles lorsqu’ils deviennent le jouet des puissants. Pierrette en fait les frais et c’est encore Vinet qui résume la philosophie de ces gens-là quelque soit le parti où il se range  :

« Votre misère comme la mienne vous aura donné sans doute la mesure de ce que valent les hommes : il faut se servir d’eux comme on se sert des chevaux de poste. Un homme ou un femme nous amène de telle à telle étape. »

                                               Entre le conte et le réel : Des archétypes

Kay, Gerda dans le conte d'Andersen : La reine des neiges
Le roman a une particularité qui lui donne un dimension plus profonde. Il présente deux facettes, la réalité, d’une part, qui puise dans tous les aspects le plus sombres de l’être humain et de la société et de l’autre, le conte de fées. Ce dernier peut présenter des noirceurs mais il met à part les personnages en leur conférant un autre statut, en en faisant des archétypes.
Pierrette s’apparente à la petite fille des contes, elle affronte tous les êtres maléfiques qui dressent des pièges sur son chemin. La grand-mère n’est-elle pas celle du Petit Chaperon rouge ou de La petite fille aux allumettes? Les deux enfants pourraient être Gerda et Kay de La Reine des neiges, Hans et Gretel. Balzac en est conscient qui compare lui-même leur histoire d’amour à celle de Paul et Virginie.  

La sorcière du conte : Sylvie Rogron
 Balzac joue ainsi sur les deux tableaux entre réel et l’irréel : il dresse des portraits de méchants totalement effrayants et aboutis comme Melle Rogron, image de la sorcière et de la marâtre du conte traditionnel; et il hisse le portrait de Vinet, l’ogre, au niveau de l’archétype en faisant de lui un homme politique amoral et cynique, pour qui le pouvoir justifie tout et qui piétine ses semblables sans remords.

Le curé de Tours raconte aussi la même histoire et nous laisse sur un sentiment de tristesse et d’amertume  quant à la nature humaine mais avec Pierrette, Balzac frappe encore plus fort. Le curé Biroteau est un personnage réaliste avec des appétits et des faiblesses d’homme, gourmandise, jalousie, envie, ambition, le personnage de Pierrette est celui d’une enfant totalement innocente, douce et sans défense, une Cosette livrée aux Thénardier.  C’est pourquoi son sort nous touche plus profondément encore que celui de Biroteau. D’autre part, Honoré de Balzac est encore plus virulent dans la satire sociale. Il décrit la société comme une machine à broyer les plus faibles, d’où le sentiment de révolte, d’indignation qu’il fait naître en nous. Il englobe dans le même mépris tous les acteurs de la vie sociale et politique de son époque en France mais il étend, en conclusion, cette peinture sans illusion de la nature humaine à l'universel en terminant son récit par une allusion à Béatrix Cenci sacrifiée, elle aussi, à l'ambition d'un pape.

Lecture commune initiée par Maggie ICI

dimanche 22 mars 2020

La citation du dimanche : Balzac et les vieilles filles, Le curé de Tours

Voilà une LC avec Maggie sur le roman de Balzac : Le curé de Tours pour le 22 Mars. C'est pourquoi je présente à la fois mon billet sur le livre et la citation de Balzac sur ... les vieilles filles !

Le curé de Tours de Balzac est François Birotteau, frère de César, personnage récurrent de la comédie humaine. Il apparaît dans ce court roman comme un personnage malheureux conduit par ses ennemis à la dernière extrémité. Quoi de plus cruel que la tragédie vécue par ce pauvre homme, par ailleurs bon et naïf mais aussi peu intelligent et balourd ? Certes, le complot qui le terrasse n'est pas lié à quelque grande  cause mais à des problèmes prosaïques qui peuvent sembler dérisoires à d’autres yeux que ceux de l’intéressé!   Et pourtant quand la méchanceté humaine alimentée par la haine et le dépit s’exerce sur la victime, celle-ci peut-être touchée autant que s’il s’agissait d’un combat glorieux. Surtout quand on est un pauvre curé de campagne, dont la seule joie, faute de passion amoureuse ou intellectuelle, réside dans un fauteuil confortable au coin du feu, de bons petits plats mitonnés avec amour et des pantoufles à portée de main.

« Etre le pensionnaire de mademoiselle Gamard, et devenir chanoine, furent les deux grandes affaires de sa vie; et peut-être résument-elles exactement l’ambition d’un prêtre, qui, se considérant comme en voyage vers l’éternité, ne peut souhaiter en ce monde qu’un bon gîte, une bonne table, des vêtements propres, des souliers à agrafe d’argent, choses suffisantes pour les besoins de la bête, et un canonicat pour satisfaire l’amour propre…. »
 
Pauvre Birotteau, il ne savait pas qu’en offensant sa logeuse, Mademoiselle Gamard, une vieille fille aigrie, et en occupant le confortable logement loué par son ami, le chanoine Chapeloup, - qui lui a légué ses meubles en mourant - , il allait déchaîner contre lui non seulement l’ire de la vieille bigote mais aussi la haine de L’abbé Troubert. Ce dernier, jaloux de Chapeloup, voulait cet appartement pour lui. Birotteau sera donc dépouillé de tout ce à quoi il tenait et même abandonné par ses amis.

Le Curé de Tours, récit inséré dans Les scènes de la vie de province, a pour sous-titre  : Les célibataires. Balzac, moraliste, y excelle à peindre les mesquineries, les ridicules, la méchanceté et l’égoïsme des provinciaux, sans épargner personne :  nobles, bourgeois ou religieux. Nul échappe à son oeil acéré et son croc vindicatif ! Ici, comme le sous-titre l’indique, ce sont les célibataires qui sont visés.

Les célibataires

MIchel Bouquet : le perfide abbé Troubert
Les célibataires sont les religieux, Chapeloup, Birotteau et Troubert et  l’on ne peut dire qu’ils sortent grandis par la satire. Manquant de spiritualité et d’élévation, ils possèdent, « l’égoïsme naturel à toutes les créatures humaines, renforcé par l’égoïsme particulier du prêtre… », préoccupés surtout par les satisfactions de leurs appétits et de leurs ambitions, ils sont prêts à tout sacrifier pour parvenir à leur fin. Chapeloup y parvient par l’intelligence, une fine connaissance des autres; Birotteau, dans son égoïsme gentil et imbécile, est trop sot pour s’en sortir, et Troubert, le plus redoutable utilise les coups bas, l’intrigue, n’hésitant pas à spolier son voisin. A travers ce personnage, Balzac décrit la toute puissance des congrégations capables de faire et défaire les fortunes y compris celles des nobles.

Mais la pire des célibataires, croyez-le, c’est la femme, bien sûr ! dont l’exemple est ici l’antipathique Mademoiselle Gamard.  

Une vieille fille !

Suzanne Flon : mademoiselle Gamard

 "Les vieilles filles n’ayant pas fait plier leur caractère et leur vie à une autre vie ni d’autres caractères, comme l’exige la destinée de la femme, ont pour la plupart la manie de vouloir tout faire plier autour d’elle."
 
Et là vous pouvez compter sur Balzac le réactionnaire, le rétrograde, pour en rajouter !

" Si tout dans la société comme dans le monde, doit avoir une fin, il y a certes ici bas quelques existences dont le but et l’inutilité sont inexplicables. La morale et l’économie politique repoussent également l’individu qui consomme sans produire (..) Il est rare que les vieilles filles ne se rangent pas d’elles-mêmes dans la classe de ces êtres improductifs"

Ne pensez pas, en effet, que Balzac critique cette manière de considérer "la vieille fille", au contraire , et, là, je m’énerve mais c’est aussi cela la littérature ! Vivre et réagir ! Et même si je m’efforce toujours de me replacer dans le siècle d’un écrivain pour pouvoir le juger, de ne jamais faire d’anachronisme dans ma façon d’aborder la littérature, je ne peux supporter les idées étroites de Balzac, méprisant les femmes, du moins celles qui n’entrent pas dans un moule, il a le don de me faire sortir de mes gonds !  Même à son époque, il y avait des hommes plus ouverts  !
Mademoiselle Gamard détient donc la palme non du martyre mais du mépris, de l’exécration !  Pourquoi est-elle devenue aigrie et méchante ? parce qu’en restant célibataire, elle est un poids inutile dans la société

 
"En restant fille, une créature du sexe féminin n’est plus qu’un non-sens : égoïste et froide, elle fait horreur. Cet arrêt implacable est malheureusement trop juste pour que les vieilles filles en ignorent les motifs."

"Ces êtres ne pardonnent pas à la société leur position fausse, parce qu’ils ne se la pardonnent pas à eux-mêmes."

"Puis elles deviennent âpres et chagrines, parce qu’un être qui a manqué à sa vocation est malheureux ; il souffre , et la souffrance engendre la méchanceté."

Bon, voilà, j’ai maintenant terminé ma petite colère littéraire et féministe, donc j’en reviens à l’ouvrage lui-même. Comme d’habitude Balzac exerce son talent à cette peinture acerbe de la société provinciale et il y réussit.  Le personnage de César Birotteau me rappelle le colonel Chabert, non pour la similitude des personnages, bien au contraire, mais parce que tous deux sont victimes de la société qui les spolie et les rejette. On éprouve pour lui de la compassion et l’on referme le livre en se disant que l’on a assisté à une petite scène désolante de la cruauté habituelle à la comédie humaine.

Lecture commune avec Maggie : Voir le Curé de Tours ici