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vendredi 5 août 2016

Festival OFF d'Avignon 2016 : Yvonne de Witold Gombrowicz par la Cie By Collectif



Curieuse pièce que Yvonne de Witold Gombrowicz et curieuse la mise en scène de Nicolas Dandine. Tout est fait pour déstabiliser le spectateur et j’ai même trouvé ce début un peu agressif. Rassurez-vous tout rentre ensuite dans l’ordre du moins apparemment. Vous pouvez vous carrer dans vos fauteuils dans une  sécurité … relative parce que les monstres, hum! je veux dire les comédiens sont parmi vous.
Difficile de ne pas se sentir concernés surtout quand ils exhibent Yvonne, une pauvre fille sans paroles (pas muette pourtant, elle sait dire « oui », le seul mot que la comédienne aura à prononcer pendant le spectacle). Tous la traitent comme un objet et aussi la considèrent comme un défi.  Comment la faire parler, comment obtenir d’elle une réaction, un soupir, une émotion? Le prince d’abord qui veut l’épouser pour la bonne raison qu'il n'est pas juste que les laides n'aient pas leur chance, la reine, le roi, le conseiller, l’amoureux, tous cherchent à l’atteindre sans y parvenir et Yvonne révèle en eux toutes les passions les plus mesquines et les pulsions les plus basses : moqueries, humiliations, torture morale ou physique, abus sexuel…

Plus la pièce est violente et cruelle, plus la mise en scène est légère et gaie. Les spectateurs sont conviés au bal de la cour ou a un festin et ainsi deviennent complices de ce qui se joue devant eux.
Les comédiens jouent cette comédie terrible avec beaucoup d’énergie et d’entrain. Quant au rôle le plus difficile, Yvonne, on peut dire que Delphine Bentolila, poupée de son entre les mains des hommes, excelle à nous faire voir la vacuité de son personnage, son absence au monde et, de ce fait, Yvonne reste pour nous une énigme.
Un très bon spectacle.
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"Comment éviter le scandale, quand le Prince décide d'épouser l'indéfinissable Yvonne ? D'elle, on ne peut rien dire. Yvonne est un défi au théâtre et à ses règles. Elle se contente d'être vivante et son existence est vécue par les autres comme une provocation insupportable, un vide à combler par un excès de théâtralité. Yvonne est une évidente négation de la forme, avec elle tout est permis !"

Compagnie By Collectif
auteur Witold Gombrowicz
Interprète(s) : Delphine Bentolila, Stéphane Brel, Nicolas Dandine, Magaly Godenaire, Lionel Latapie, Samuel Mathieu, Julien Sabatié-Ancora
Metteur en scène : Nicolas Dandine
Lumières : Philippe Ferreira
Son : Paul Monnier-Volume original
Scénographie : Nico D
Regard complice : Valérie Dubrana
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Witold Gombrowicz écrivain polonais. (1904_1969)

Issu d'une famille de la noblesse terrienne de la région de Varsovie, il étudie le droit à l'Université de Varsovie, puis la philosophie et l'économie à l'Institut des hautes études internationales de Paris.

La publication des "Mémoires du temps de l'Immaturité" en 1933 puis de "Ferdydurke" en 1937 l'impose comme l'enfant terrible de la littérature moderne polonaise. Il se lie avec les écrivains d'avant-garde Bruno Schulz et Stanislas Witkiewicz.

Arrivé en Argentine pour un court séjour en 1939, l'invasion de la Pologne par l'Allemagne nazie le dissuade de rentrer en Europe. Il finit par rester vingt-cinq ans en Argentine. Sa vie au milieu du peuple argentin ainsi que de l'intelligentsia de l'émigration polonaise est racontée dans son "Journal" ; on en trouve également des échos romancés dans son "Trans-Atlantique".

L'œuvre de Gombrowicz, interdite en Pologne par les nazis puis par les communistes, tomba dans un relatif oubli jusqu'en 1957 où la censure fut levée provisoirement.

Il revient en Europe en 1963, à Berlin d'abord grâce à une bourse de la fondation Ford. Son œuvre connaît alors un succès croissant en France et en Allemagne. En mai 1964, il s'installe en France à Royaumont, près de Paris. Il y emploie comme secrétaire Rita Labrosse, une canadienne de Montréal qui devient sa compagne. En septembre 1964, il déménage définitivement à Vence (près de Nice), petite ville où résident de nombreux artistes et écrivains.

En 1967, Cosmos reçoit le Prix International de Littérature. Gombrowicz épouse Rita Labrosse le 28 décembre 1968. Cette dernière, décide de publier, en 2013, le Journal intime de son époux. (Babelio)

Ce que Gombrowicz dit de  son personnage :  Yvonne, princesse de Bourgogne ( c’est le titre initial de sa pièce)
 Elle n’est pas idiote, c’est la situation où elle se trouve qui est idiote. »

"J’écrivis “Yvonne” avec peine et à contrecœur. J’avais décidé d’exploiter au théâtre la technique que j’avais mise au point dans mes nouvelles, et qui consistait à dévider un thème abstrait et parfois absurde un peu comme un thème musical. L’absurde naissait sous ma plume puis se développait, virulent, et le résultat ne ressemblait guère aux pièces qu’on écrivait à l’époque. Je m’acharnais à lutter avec la forme... Que d’heures affreuses je passai, immobile au-dessus de ma feuille de papier, la plume en suspens, mon imagination cherchant désespérément des solutions tandis que l’édifice que j’élevais se fissurait et menaçait de s’écrouler !"
Witold Gombrowicz, Souvenirs de Pologne

dimanche 20 juillet 2014

Henrik Sienkiewicz : Par le fer et par le feu




Par le fer et par le feu de Henrik Sienkiewicz qui paraît en 1884 est le premier roman d'une trilogie qui, avec Le déluge et Messire Wolodowsky, raconte l'histoire de la Pologne au XVII siècle dans une des périodes les plus troublées de son histoire. Quand il publie son roman, Henrik Sienkiewicz veut en faire le symbole de la lutte polonaise à une époque où la Pologne n'existe plus, la majorité de son territoire étant annexée par la Russie, l'autre partagée entre la Prusse et l'Autriche.
Le récit commence en 1647, lorsque la République polonaise dites des "deux Nations" comprenant la couronne polonaise et le grand-duché de Lituanie est un immense état qui englobe aussi l'Ukraine. Celle-ci voudrait se faire reconnaître comme troisième nation mais vainement. Les cosaques, peuple guerrier de semi-nomades vivant en Ukraine, menés par Bogdan Khmelnitsky,  vont alors se soulever contre la République en s'alliant aux Tatars de Crimée. Commence une guerre civile effroyable qui décimera les populations et au cours de laquelle s'affronteront les nobles chevaliers polonais et les rebelles.


Les Etats de la couronne de Pologne sous lesquels sont compris la grande et la petite Pologne, le grand duché de Lithuanie,
Henrik Sienkiewicz avec ce roman porté par un style flamboyant écrit l'épopée de la Pologne.  Il nous lance en chevauchées fantastiques dans les grandes espaces des steppes ukrainiennes, à la découverte de villes ou de bourgades dévastées, nous confronte au fleuve majestueux le Dniepr, nous fait vivre dans des villes assiégées, affronter des combats terrifiants, démesurés dont la grandeur n'a d'égale que la cruauté. Le sang coule à flots et teinte l'eau des rivières, les cadavres comblent les douves des châteaux, la torture, le pal, les trahisons se succèdent et quand ils ne sont pas au combat, les nobles chevaliers trouvent encore le moyen de se battre en duel pour leur honneur et pour leur Belle!  Le symbole du pouvoir polonais est incarné non par le roi nommé par la noblesse mais par le puissant seigneur que tous redoutent, le duc Yarema Wisniowiecki, dont le nom seul fait trembler des armées entières..
Un souffle épique anime les prouesses des chevaliers ou des cosaques, car les ennemis sont de force égale, semblables à des demi-dieux, accomplissant des actes hors du commun, géants que rien ne semble pouvoir abattre et dont l'auteur nous montre pourtant la fragilité.  Car au milieu de ce roman qui a choisi pour héros tout un peuple, Henryk Sienkiewicz s'intéresse aussi aux individus, à leur mentalité mais aussi à leur vie personnelle. Nous suivons avec empathie les aventures du vaillant  chevalier Jean Kretuski et  de son amour, la jeune et belle Hélène, enlevée par le cosaque Bohun; nous faisons connaissance de  ses amis  le vieux et rusé Zagloda, le frêle et redoutable Michel Wolodowski, et le lituanien Podbipieta, géant candide et naïf capable d'exploits hors du commun. Le roman raconte ainsi une histoire d'amour et d'amitié qui peut aller jusqu'au sacrifice. Cruauté et idéalisme vont de pair et l'Histoire et la fiction s'allient pour notre plus grand plaisir.

Un roman historique passionnant qui vous entraîne bien loin en imagination, dans des contrées  sauvages et des époques éloignées. Et pas d'inquiétude devant ce pavé, on ne fait qu'une bouchée des 700 pages du livre!





Merci à Babelio et  aux Editions Libretto

jeudi 10 juin 2010

Jerzy Kosinski : L’oiseau bariolé





Le roman de Jerzy Kosinski, écrivain polonais, né à Varsovie en 1933, installé aux Etat-unis depuis 1957, est écrit en anglais et a été traduit en français en 1966. Il fut, nous dit-on, l'évènement littéraire de cette année-là! Et on le comprend quand si longtemps après, sa lecture produit un tel choc que l'on en sort bouleversé.  Une grande oeuvre mais qui peut vous faire désespérer de la nature humaine!

Pendant la guerre, les parents d'un petit garçon de six ans éloignent leur fils de Varsovie car le père risque d'être emprisonné pour ses activités antinazies. Ils croient ainsi lui donner des chances de survivre à l'abri de la violence en le confiant à une vieille femme, Marta, qui vit dans une des régions la plus reculée de la Pologne de l'Est, la plus pauvre et la plus primitive d'Europe centrale. Mais Marta meurt deux mois après l'arrivée du petit garçon et celui-ci dépend désormais de la bonne volonté des villageois et des paysans. Oui, mais voilà, la population a le teint clair, les cheveux blonds et les yeux bleus. L'enfant, lui, avec ses cheveux et ses yeux noirs est pris pour un juif ou un bohémien, deux races particulièrement haïes par cette population catholique (les juifs ont persécuté le Christ et méritent leurs souffrances) et superstitieuse, arriérée, qui croit que les yeux noirs sont capables de transmettre les infirmités, la peste et la mort. D'autre part, les allemands punissent la population qui aurait l'audace d'abriter un juif. Le gamin va subir tous les sévices, les violences et perversions de ces brutes humaines. Il ne devra sa survie qu'à sa chance et à sa débrouillardise. Pendant quatre ans il ne reverra pas ses parents et ira, comme des milliers d'autres enfants dans son cas, jusqu'au bout de l'Enfer.

Le titre du roman fait référence à l'amour frustre d'un paysan du village pour une fille qui vit hors du village après avoir été violée et est considérée comme folle. Lorsque celle-ci n'apparaît pas et reste cachée dans les bois, l'homme capture un oiseau et badigeonne ses ailes avec des peintures de toutes les couleurs. Puis il libère l'oiseau bariolé espérant le retour de la femme. Celui-ci vole vers ses semblables. Mais ceux-ci ne le reconnaissent pas comme un des leurs et l'accueillent à coups de bec et de griffes, le lacèrent et le mettent à mort.
C'est la métaphore du livre, l'histoire de ce petit garçon toujours en quête de ses semblables dont il a besoin pour survivre mais qui est rejeté et persécuté parce qu'il a les cheveux noirs.

Le roman est écrit à la première personne et c'est donc à travers les yeux d'un enfant tout d'abord innocent et naïf que l'on découvre le monde. Avec Marta, malgré ses croyances d'un autre âge, le gamin découvre la nature, les animaux et les souvenirs de sa vie passée sont encore assez forts pour lui permettre de surmonter le chagrin de la séparation. Mais c'est surtout après la mort de sa protectrice, qu'il va être confronté à la cruauté. Et d'abord, avec Olga, la guérisseuse, le garçon comprend sa différence et le mal qu'il porte en lui

Elle m'appelait l'Enfant noir : c'est d'elle que j'appris pour la première fois que j'étais possédé par un esprit malin... Le signe infaillible de la présence du démon, c'étaient ses yeux noirs ensorcelés, capables de soutenir sans ciller le regard des yeux clairs et brillants. Olga me soupçonnait d'être un vampire et ne s'en cachait pas.

Pendant toutes ces années de guerre et d'errance, il passe de mains en mains, chez des personnes qui le font travailler, l'exploitent, le frappent, le torturent. Peu à peu, il perd le souvenir de ses parents; il n'est désormais préoccupé que de sa survie. Il voit l'être humain dans ce qu'il a de plus noir, de plus abject. A dix ans, il n'a plus rien d'un enfant.
Parallèlement à son destin individuel, le jeune garçon est aussi le témoin d'une Pologne dévastée par la guerre, par la violence protéiforme dans un pays tiraillé par des forces contraires. L'occupation allemande entraîne la misère car l'armée prélève la plus grande partie des récoltes pour ses soldats et élimine systématiquement juifs et bohémiens. L'enfant voit passer des convois, les fameux wagons plombés, en direction des camps de concentration. Et puis, il y a les partisans polonais, les Rouges et les Blancs qui, selon qu'ils veulent ou non installer le communisme après guerre, s'entretuent et exécutent ceux qui paraissent soutenir les uns plus que les autres. Enfin, comble de l'horreur, il y a les Kalmouks, cavaliers mongols qui haïssent le régime soviétique et ont rejoint l'armée allemande. Ils sont utilisés pour des expéditions punitives menées contre les villages. Enfin, vient la libération de la Pologne par l'Armée Rouge et la vision des survivants des camps, squelettes vivants dans leur pyjama rayé. Toute l'horreur et la détresse d'un pays sous la plume d'un écrivain qui écrit avec fièvre comme pour exorciser le Mal absolu...

Ce roman montre avec une force bouleversante toute la barbarie de la guerre et du racisme et la violence nous paraît d'autant plus grande qu'elle est exercée contre un enfant.