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jeudi 19 octobre 2017

Thomas Vinau : Le camp des autres



Quand on ouvre le roman de Thomas Vinau, Le camp des autres, l’incipit suscite immédiatement une image forte et nous met aux aguets : « Le givre fait gueuler  la lumière. » On s'attendait à un roman, on lit un poème ? Ce qui saisit d’abord, donc, c’est le style, rocailleux, comme des pierres roulant sur le lit d’un torrent, un style à fleur de peau et de nature, aisé et pourtant très travaillé. Et l’on se laisse envahir par des images toujours surprenantes dont les métaphores empruntent au domaine réaliste pour créer la poésie :

"Lorsqu’il lève la tête, dos relâché contre le tronc pour reprendre son souffle, les immenses conifères taillent l’azur en pointes d’arbalètes noires. Leurs silhouettes solides bien plantées dans le gras blanc du ciel."

"Dans le ventre sauvage d’un forêt la nuit est un bordel sans nom. Une bataille veloutée, un vacarme qui n’en finit pas. Un capharnaüm de résine et de viande, de sang et de sexe, de terre et de mandibules. Là-haut la lune veille sur tout ça. Sa lumière morte ne perce pas partout mais donne aux yeux qui chassent des éclairs argentés."

Et il y a cette définition de la forêt qui explique le titre  :
"Elle est alors devenue le refuge de ceux qui se refusaient à l'homme et de tous ceux que l'homme refusait : Elle est l'autre camp. Le camp des autres."

On se dit que l’on entre dans un univers littéraire pas comme les autres  et l’on éprouve de la curiosité, de l’empathie pour ce petit garçon, Gaspard maltraité par son père qu’il a tué dans un geste d’autodéfense, obligé de partir pour ne plus jamais y revenir. L’enfant fuit avec son chien blessé. La forêt ne l’épargne pas, à la fois accueillante pour ceux qui cherchent un refuge mais inhospitalière et dangereuse pour les êtres faibles. Il devra la vie à un homme Jean-le-blanc, personnage assez étonnant, braconnier, sorcier-guérisseur, qui connaît tous les plantes mais aussi les pièges de la forêt et va les apprendre à l’enfant.

Toute cette première partie du roman et la poésie qui en découle m’ont beaucoup plu mais j’ai moins aimé le départ de Gaspard avec les gitans, une bande de détrousseurs appelée la Caravane à Pépère dirigée par Capello. Celle-ci a bien existé au début du XX siècle, défrayant la chronique, volant aux étals des marchés, pillant les fermes, et traquée par les bataillons du Tigre de Clémenceau. 
Si j’avais lu la quatrième de couverture et les interviews de Thomas Vinau avant de lire le livre, j’aurais su que là était justement le véritable sujet du roman, une histoire « qui grimpait en noeuds de ronces dans son (mon) ventre », qu’il gardait près de lui depuis longtemps : « alors j’ai voulu écrire la ruade, le refus, le recours à la forêt ».
 A travers cette bande de misérables, Thomas Vinau écrit la révolte contre les nantis, les bourgeois, il décrit les marginaux semblables aux oiseaux sauvages de Jean Richepin. Il les décrit, ivres d’air pur, face aux jeunes « oies édifiantes » de la Basse-cour, il décrit l’insolence des « gueux », leur soif de liberté.  Chaque portrait des membres de la troupe est d'ailleurs réussi, haut en couleur, hors du commun.

Alors pourquoi ai-je moins aimé cette deuxième partie ? 
J’ai eu l’impression que l’écrivain m’arrachait aux personnages que j’aimais et à cette vie en pleine forêt, à cet apprentissage de la nature qui réunissait Gaspard et Jean-le-blanc. En partant avec la Caravane, c’est le vol que l’enfant va apprendre, le refus du conformisme aussi, certes, et l’amour de la liberté, mais cela il y avait déjà goûté avec Jean-le-blanc et d'une toute autre manière par l’intermédiaire de la nature.
En fait, je suis tombée dans une autre histoire !  La seconde n’était pas la suite de la première, c’est autre chose même si Vinau dit les avoir reliées.
 
J'ajouterai que malgré cette image idéalisée du pauvre, du voleur révolté, développée dans ce livre, je n'ai pas pu oublier que ces bandes qui terrorisaient la population au début du XX siècle ne s'attaquaient pas aux nantis, égoïstes, dominateurs et exploiteurs, mais souvent à des gens qui n'étaient pas beaucoup plus riches qu'eux, paysans dans leurs fermes ou sur les marchés qui allaient vendre les produits d'un travail long et pénible. A la différence des Communards dont Victor Hugo prendra la défense, ils n'ont pas d'idéologie politique, ils n'essaient pas de changer la société ni même d'aider les autres. Ils achètent leur liberté aux dépens de ceux qui travaillent même s'ils ont des règles d'honneur comme l'écrivain prend soin de nous le montrer. Donc je n'ai pas pu être en empathie avec eux ni adhérer à leur mode de vie.

Les poètes qui ont inspiré Thomas Vinau

 

Les oiseaux de Matisse


 Au début de chaque grande partie, Thomas Vinau cite des écrivains ou poètes en exergue.

Jean Richepin : Les oiseaux de passage (extraits chantés par Brassens)





Georges Brassens chante Les oiseaux de passage


Oh ! vie heureuse des bourgeois ! Qu'avril bourgeonne

Ou que décembre gèle, ils sont fiers et contents.

Ce pigeon est aimé trois jours par sa pigeonne ;

Ca lui suffit, il sait que l'amour n'a qu'un temps.




Ce dindon a toujours béni sa destinée.

Et quand vient le moment de mourir il faut voir

Cette jeune oie en pleurs : " C'est là que je suis née ;

Je meurs près de ma mère et j'ai fait mon devoir.

"

Elle a fait son devoir ! C'est à dire que oncque 

Elle n'eut de souhait impossible, elle n'eut

Aucun rêve de lune, aucun désir de jonque

L'emportant sans rameurs sur un fleuve inconnu.



Elle ne sentit pas lui courir sous la plume

De ces grands souffles fous qu'on a dans le sommeil,

pour aller voir la nuit comment le ciel s'allume

Et mourir au matin sur le coeur du soleil.



Et tous sont ainsi faits ! Vivre la même vie

 Toujours pour ces gens-là cela n'est point hideux

Ce canard n'a qu'un bec, et n'eut jamais envie

Ou de n'en plus avoir ou bien d'en avoir deux.



Aussi, comme leur vie est douce, bonne et grasse !

Qu'ils sont patriarcaux, béats, vermillonnés,

Cinq pour cent ! Quel bonheur de dormir dans sa crasse,

De ne pas voir plus loin que le bout de son nez !

N'avoir aucun besoin de baiser sur les lèvres,

Et, loin des songes vains, loin des soucis cuisants,

Posséder pour tout cœur un viscère sans fièvres,

Un coucou régulier et garanti dix ans !



Oh ! les gens bienheureux !... Tout à coup, dans l'espace,

Si haut qu'il semble aller lentement, un grand vol

En forme de triangle arrive, plane et passe.

Où vont-ils ? Qui sont-ils ? Comme ils sont loin du sol !



Les pigeons, le bec droit, poussent un cri de flûte

Qui brise les soupirs de leur col redressé,
Et sautent dans le vide avec une culbute.

Les dindons d'une voix tremblotante ont gloussé.



Les poules picorant ont relevé la tête.

Le coq, droit sur l'ergot, les deux ailes pendant,

Clignant de l'œil en l'air et secouant la crête,

Vers les hauts pèlerins pousse un appel strident.



Qu'est-ce que vous avez, bourgeois ? soyez donc calmes.

Pourquoi les appeler, sot ? Ils n'entendront pas.

Et d'ailleurs, eux qui vont vers le pays des palmes,

Crois-tu que ton fumier ait pour eux des appas ?



Regardez-les passer ! Eux, ce sont les sauvages.

Ils vont où leur désir le veut, par-dessus monts,

Et bois, et mers, et vents, et loin des esclavages.

L'air qu'ils boivent ferait éclater vos poumons.



Regardez-les ! Avant d'atteindre sa chimère,

Plus d'un, l'aile rompue et du sang plein les yeux,

Mourra. Ces pauvres gens ont aussi femme et mère,

Et savent les aimer aussi bien que vous, mieux.



Pour choyer cette femme et nourrir cette mère,

Ils pouvaient devenir volaille comme vous.

Mais ils sont avant tout les fils de la chimère,

Des assoiffés d'azur, des poètes, des fous.



Ils sont maigres, meurtris, las, harassés. Qu'importe !

Là-haut chante pour eux un mystère profond.

A l'haleine du vent inconnu qui les porte

Ils ont ouvert sans peur leurs deux ailes. Ils vont.



La bise contre leur poitrail siffle avec rage.

L'averse les inonde et pèse sur leur dos.

Eux, dévorent l'abîme et chevauchent l'orage.

 Ils vont, loin de la terre, au dessus des badauds.



Ils vont, par l'étendue ample, rois de l'espace.

Là-bas, ils trouveront de l'amour, du nouveau.

Là-bas, un bon soleil chauffera leur carcasse

Et fera se gonfler leur cœur et leur cerveau.



Là-bas, c'est le pays de l'étrange et du rêve,

C'est l'horizon perdu par delà les sommets,

C'est le bleu paradis, c'est la lointaine grève

Où votre espoir banal n'abordera jamais.



Regardez-les, vieux coq, jeune oie édifiante !

Rien de vous ne pourra monter aussi haut qu'eux.

Et le peu qui viendra d'eux à vous, c'est leur fiente.

Les bourgeois sont troublés de voir passer les gueux.



Oiseaux deBraque

 Victor Hugo

En dehors de Richepin, Vinau cite aussi le Victor Hugo de Ceux qu'on foule aux pieds  paru dans le recueil L'année terrible et ce versIls sont votre épouvante et vous êtes  leur crainte, (qui servit de titre à un roman de Thierry Jonquet) est une défense des communards dont Victor Hugo réclame l'amnistie.



A ceux qu'on foule aux pieds (extrait)

 



Oh ! je suis avec vous ! j'ai cette sombre joie.
Ceux qu'on accable, ceux qu'on frappe et qu'on foudroie
M'attirent ; je me sens leur frère ; je défends
Terrassés ceux que j'ai combattus triomphants ;
Je veux, car ce qui fait la nuit sur tous m'éclaire,
Oublier leur injure, oublier leur colère,
Et de quels noms de haine ils m'appelaient entre eux.
Je n'ai plus d'ennemis quand ils sont malheureux.
Mais surtout c'est le peuple, attendant son salaire,
Le peuple, qui parfois devient impopulaire,
C'est lui, famille triste, hommes, femmes, enfants,
Droit, avenir, travaux, douleurs, que je défends ;
Je défends l'égaré, le faible, et cette foule
Qui, n'ayant jamais eu de point d'appui, s'écroule
Et tombe folle au fond des noirs événements ;
Etant les ignorants, ils sont les incléments ;
Hélas ! combien de temps faudra-t-il vous redire
À vous tous, que c'était à vous de les conduire,
Qu'il fallait leur donner leur part de la cité,
Que votre aveuglement produit leur cécité ;
D'une tutelle avare on recueille les suites,
Et le mal qu'ils vous font, c'est vous qui le leur fîtes.
Vous ne les avez pas guidés, pris par la main,
Et renseignés sur l'ombre et sur le vrai chemin ;
Vous les avez laissés en proie au labyrinthe.
Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte ;
C'est qu'ils n'ont pas senti votre fraternité.
Ils errent ; l'instinct bon se nourrit de clarté ;
Ils n'ont rien dont leur âme obscure se repaisse ;
Ils cherchent des lueurs dans la nuit, plus épaisse
Et plus morne là-haut que les branches des bois ;
Pas un phare. A tâtons, en détresse, aux abois,
Comment peut-il penser celui qui ne peut vivre ?
En tournant dans un cercle horrible, on devient ivre ;
La misère, âpre roue, étourdit Ixion.
Et c'est pourquoi j'ai pris la résolution
De demander pour tous le pain et la lumière.

Exécution des Communards par les Versaillais


Arthur Rimbaud



 Il y aussi le Rimbaud de la Faim dans Alchimie du verbe : Mangez les cailloux que l'on brise/ Pain semé dans les vallées grises."






Alchimie du Verbe

— 
Delaunay





Faim
 
Si j’ai du goût, ce n’est guère 
Que pour la terre et les pierres.Je déjeune toujours d’air,
De roc, de charbons, de fer.
Mes faims, tournez. Paissez, faims,
Le pré des sons.
Attirez le gai venin
Des liserons.
Mangez les cailloux qu’on brise,
Les vieilles pierres d’églises ;
Les galets des vieux déluges,
Pains semés dans les vallées grises.



Jules Vallès


et bien sûr l'Insurgé de Jules Vallès que je ne suis pas étonnée de trouver  dans les bagages de Thomas Vinau.

 La dédicace du livre est en soi un  programme:








Aux morts de 1871
À TOUS CEUX
qui, victimes de l’injustice sociale,
prirent les armes contre un monde mal fait
et formèrent,
sous le drapeau de la Commune,
la grande fédération des douleurs,
Je dédie ce livre.



Dans L'Insurgé, le troisième livre de la trilogie de Jules Vallès, Jacques Vingtras prend le parti de la commune de Paris en 1871. Vaincus  par les Versaillais, les communards sont massacrés, sommairement exécutés dans les rues de la capitale. Le héros de l'Insurgé parvient cependant à s'enfuir.
"C'est fini! Nous avons saigné et pleuré pour toi. Tu recueilleras notre héritage. Fils des désespérés, tu seras un homme libre !"


 

Et André Dhôtel ...

 "Ces lieux étaient  livrés à un désordre magnifique"

Dans Le pays où l'on n'arrive jamais, le personnage principal d'André Dhôtel est un Gaspard comme le jeune garçon de Le camp des autres et comme le fils de Thomas Vinau. Tiens, tiens !




La Marraine littéraire de ce roman est Moka blog Au milieu des livres ICI

 Merci à Price Minister et aux éditions Alma.

mercredi 18 octobre 2017

Colson Whitehead : Underground Railroad



Cora, seize ans, est esclave sur une plantation de coton dans la Géorgie d’avant la guerre de Sécession. Abandonnée par sa mère lorsqu’elle était enfant, elle survit tant bien que mal à la violence de sa condition. Lorsque Caesar, un esclave récemment arrivé de Virginie, lui propose de s’enfuir, elle accepte et tente, au péril de sa vie, de gagner avec lui les États libres du Nord.
De la Caroline du Sud à l’Indiana en passant par le Tennessee, Cora va vivre une incroyable odyssée. Traquée comme une bête par un impitoyable chasseur d’esclaves qui l’oblige à fuir, sans cesse, le « misérable cœur palpitant » des villes, elle fera tout pour conquérir sa liberté.
L’une des prouesses de Colson Whitehead est de matérialiser l’« Underground Railroad », le célèbre réseau clandestin d’aide aux esclaves en fuite qui devient ici une véritable voie ferrée souterraine, pour explorer, avec une originalité et une maîtrise époustouflantes, les fondements et la mécanique du racisme.
À la fois récit d’un combat poignant et réflexion saisissante sur la lecture de l’Histoire, ce roman, couronné par le prix Pulitzer, est une œuvre politique aujourd’hui plus que jamais nécessaire.  (Quatrième de couverture)

Colson Whitehead

Le roman de Colson Whitehead couronné par de nombreux prix a ceci de bon, à l’époque où  le racisme et les haines ancrées se réveillent aux Etats-Unis, libérées par un président irresponsable, de rappeler ce qu’était l’esclavage. L’horreur vécue par ces africains prisonniers, survivant avec peine  au fond des cales d’un négrier, puis, vendus, privés de liberté, traités comme du bétail, subissant des sévices, séparés de ceux qu’ils aiment, risquant leur vie s’ils apprenaient à lire, les femmes violées par les maîtres blancs et servant de reproductrices.  Je pensais tout savoir sur l’esclavage des noirs  pour avoir beaucoup lu à maintes reprises des oeuvres parlant de ce commerce abject d’êtres humains mais Colson Whitehaed m’en apprend encore. Par exemple les expériences médicales menées sur des esclaves servant de cobayes et le programme d’eugénisme mis en place par des hôpitaux dans certains états comme la Caroline du Sud. Il a aussi le courage de décrire comment les esclaves noirs ainsi maltraités finissent par perdre leur humanité et par instaurer la loi du plus fort dans les plantations, et ainsi ajouter à la violence de l’esclavage, une autre sorte de domination tout aussi brutale. Non seulement Cora doit défendre son petit bout de terre au péril de sa vie mais elle est violée par des hommes esclaves comme elle.
L’écrivain montre aussi le courage d’une minorité de blancs qui risque sa vie pour sauver les esclaves en les acheminant vers le Nord dans ce que l’on a appelé métaphoriquement le chemin de fer souterrain. Que Colson Whitehead matérialise le chemin de fer parce c’est l’image qu’il en avait enfant, n’apporte rien au roman, je trouve, même pas un peu de fantastique, car l’imaginaire ici cède le pas au réalisme. Le chemin ainsi concrétisée est seulement peu crédible.

Le roman est bon et présente de nombreuses péripéties intéressantes. Le récit est bien raconté et documenté mais je dois dire qu’il n’a pas l’envergure et l’originalité, la voix unique de Beloved de Toni Morrisson qui reste pour moi un chef d’oeuvre et que je vous conseille vivement de lire si ce n’est déjà fait.


mardi 10 octobre 2017

Jenni Fagan : Les buveurs de lumière



Merci à Aifelle pour la découverte de ce beau livre Les buveurs de lumière de Jenni Fagan paru aux éditions Métailié.

Il s’agit d’une dystopie et oui encore !  Cette rentrée littéraire en est prolixe, placée comme elle est sous le signe de la catastrophe écologique, du réchauffement, de la montée des eaux avec toutes les conséquences qui peuvent en découler. C'est la deuxième que je lis après Monde sans oiseaux.

Le lecteur est transporté au Nord de l’Ecosse, dans la ville de Clachan Fells, dans une région aux hivers déjà rigoureux en temps normal ! Mais il ne s’agit plus de normalité. Les glaces du pôle en fondant ont refroidi le gulf steam qui ne peut plus jouer son rôle régulateur. Un gigantesque iceberg aussi grand qu’un montagne s’est détaché et se dirige vers les côtes écossaises. Un épisode glaciaire qui touche le monde entier commence. Les températures ne cessent de descendre  !  Le froid, la pénurie alimentaire, l’obscurité d’une nuit démesurée…  La mort en perspective. C’est dans cette ambiance de fin de monde que vont se retrouver des personnages d’un milieu modeste, tous un peu marginaux, qui vont tenter de survivre, chacun dans leur caravane à peine mieux isolée qu’une boîte de conserve.

Et pourtant, curieusement, le livre est plein d’espoir. Il rayonne, en effet, de chaleur humaine et ceci sans jeu de mots car dans ce froid polaire ces personnages tenus à l’écart de la « bonne »  société, sont d’une grande humanité. Ainsi est Dylan, le géant déboussolé qui vient de perdre sa mère et sa grand mère et le cinéma  familial (en faillite) où s’est déroulé toute sa vie.  Tous s’acceptent malgré leur différence, leurs faiblesses, ils s’entraident, ils font front. Ils sont décidés à lutter. On  a l’impression en fréquentant cette petite poignée d’irréductibles que tout serait possible si les êtres humains le voulaient.  Pourtant vous ne trouverez aucune trace de sensiblerie ou d’utopie dans ce livre. Ce monde est dur, les gens « comme il faut »rejettent ce qui n’est pas conforme à la norme. La petite Stella l’apprend à ses dépens d’une manière bien cruelle.. Et l’on meurt de froid dans la neige.

Et puis, autre source de bonheur dans ce roman,  la beauté  incroyable de la nature. Au moment où elle tue, elle expose les merveilles de ses arbres gelés, encapuchonnés de neige, de ses pénitents de glace, sa forêt de stalactites rutilantes, ses aurores boréales, ses trois soleils brillant faiblement dans le ciel. Un monde de blancheur scintillant, une profusion de beautés que le style poétique de l’écrivaine nous met sous le nez comme pour nous dire que la Terre est si belle qu’elle ne doit pas disparaître.


lundi 25 septembre 2017

Emily Fridlund : Une histoire des loups


Madeline, adolescente un peu sauvage, observe à travers ses jumelles cette famille qui emménage sur la rive opposée du lac. Un couple et leur enfant dont la vie aisée semble si différente de la sienne. Bientôt, alors que le père travaille au loin, la jeune mère propose à Madeline de s’occuper du garçon, de passer avec lui ses après-midi, puis de partager leurs repas. L’adolescente entre petit à petit dans ce foyer qui la fascine, ne saisissant qu’à moitié ce qui se cache derrière la fragile gaieté de cette mère et la sourde autorité du père. Jusqu’à ce qu'il soit trop tard.(Quatrième de couverture)

Je le dis tout de suite, j’ai eu du mal à entrer dans le livre d' Emily Fridlund  Une histoire des loups. En effet, l’atmosphère  qui règne dans ce coin des Etats-Unis, cette région des Grands Lacs, paradis des pêcheurs, « capitale mondiale du doré jaune » est rien moins que plaisante. Paradoxalement, on  étouffe dans ces grands espaces naturels voués au froid et à la solitude dès novembre quand les lacs sont gelés. Les personnages et les rapports humains y sont pesants.
La structure du roman a compté, aussi, je pense, dans la difficulté que j'ai eue d’adhérer au récit. La composition est complexe avec des retours en arrière dans  l’enfance de Madeline et de la communauté religieuse  dans laquelle elle a vécu. Tous les moments du passé, du présent et du futur se chevauchent, l’école, sa vie d’adulte, ses moments avec les Gardner, ses études, son travail… C’est parfois un peu trop touffu et détourne de l’action mais l’écrivaine mène sur différents fronts toutes ces temporalités avec une grande maîtrise.

J'ai cependant fini par apprécier ce roman grâce à son écriture suggestive, jamais vraiment rationnelle, qui laisse deviner ce qu’il y a derrière les apparences. Tout au long du roman l'on sent en effet que des choses nous échappent comme ils  échappent à la narratrice, Madeline. On a l’impression parfois que les faits sont faussés, qu’il y a une sorte de distorsion entre la réalité et ce que voit ou comprend l’adolescente. Dans l’intrigue principale, les portraits des personnages de la maison du lac, le petit Paul Gardner, sa maman Patra et son père Léo, introduisent une sorte de malaise inexplicable au premier abord. Tout est un peu flou au début et ce n’est que peu à peu que la  mise au point se précise.
De même que se passe-t-il avec le professeur de Madeleine, Mr Grierson, et une élève de la classe, la jolie Lily, intrigue que l’on pourrait qualifier de secondaire, mais qui court en filigrane tout au long des pages ?
Cet art de la suggestion m’a rappelé - un peu- la manière de Laura Kashishke dans  Esprit de l’Hiver.  Mais la comparaison s’arrête là.

L’histoire est intéressante, les thèmes traités sont passionnants, qui mettent en cause la société américaine avec les superstitions, les obscurantismes liés à la religion. L’on peut y ajouter l’inégalité sociale, la pauvreté, la mise à l’écart de ceux qui ne sont pas conformes, la dureté des relations humaines. Et puis il y a, bien sûr,  -c’est un roman paru chez Gallmeister-, la présence de la nature, à la fois belle et rigoureuse, du canotage et de la pêche sur les grands lacs, et le passage des saisons.
Ce roman témoigne d’un réel talent et malgré les restrictions que j’ai évoquées, c’est une oeuvre qui mérite d’être lue. Quant aux loups, je vous laisse les découvrir !







jeudi 21 septembre 2017

Lola Lafon : Mercy Mary Patty



Dans les années 70, les Etats-Unis sont agités par des mouvements contestataires violents sur fond de guerre du Vietnam. Je me souviens, par exemple, des Panthères noires dont faisait partie Angela Davis. Dans Merci, Mary, Patty, Lola Lafon explore le cas de Patricia Hearst, fille d’un magnat de la presse américaine, qui fut enlevée en 1974 par les membres du ALS (symbiose Libération Army : Armée de libération symbionaise) mouvement armée de la gauche révolutionnaire. Toute la population s’émeut et Patricia, blanche et innocente jeune fille, devient le sujet préféré de la presse jusqu’au jour où elle passe du côté de ses kidnappeurs et braque une banque avec eux.

Patricia Hearst

A travers ce récit Lola Lafon s’interroge : qu’est-ce qui peut être à l’origine de ce revirement ? Comment expliquer qu’un jeune fille socialement privilégiée puisse rompre avec son milieu, son clan familial, ses valeurs, pour épouser la cause de ses ravisseurs ? Dans cette quête, l’auteure associe à Patricia les figures de deux autres « victimes »  :  Mercy Short en 1690, Mary Jamison en 1753 qui, comme Patricia, préfèreront leur société d’adoption (les indiens) et seront alors considérées comme des ennemies voire des malades.
Car le corollaire de leur choix est le suivant  : elles cessent d’être victimes et s’attirent la haine de des bien-pensants, de ceux qui détiennent le pouvoir et deviennent un scandale que l’on souhaiterait effacer de la surface de la terre. Patricia est vue comme une icône par la jeunesse qui l'admire. Elle est alors dangereuse pour l’ordre social et le pouvoir établi.
 Patricia Hearst à son père : "Dis leur papa, que les vulnérables et une grande partie de la classe moyenne, tous seront au chômage dans moins de trois ans et l’élimination des inutiles a déjà commencé. Dis la vérité au peuple. Que le maintien de l’ordre et des lois sont l’occasion de se débarrasser des éléments prétendument violents, moi, je préfère dire lucides, conscients. J’aurais dû me douter que toi comme les autres hommes d’affaires, vous êtes parfaitement capables de faire ça à des millions de personnes pour conserver le pouvoir, tu serais prêt à me tuer pour les mêmes raisons. Ca prendra combien de temps aux blancs de ce pays pour comprendre que ce qu’on fait aux enfants noirs arrive tôt ou tard aux enfants blancs."

Le roman de Lola Lafon soulève donc des thèmes passionnants traités avec subtilité, dans toute leur complexité.

Patricia Hearst : son nom de guerre Tania
Si Mercy et Mary ne sont que des traces dans le roman de Lola Lafon, le cas de Patty est longuement analysé. L'écrivaine fait entrer dans le récit un personnage imaginaire, Gene Neveva, professeur américain venue enseigner en France, dans les Landes. Chargée par l’avocat de la famille Hearst de témoigner au procès de Patricia pour innocenter la jeune fille, elle doit défendre la thèse du lavage de cerveau qu’aurait subi la prisonnière sous l’influence de ses ravisseurs.  Pour l’aider à éplucher les dossiers qui concernent l’affaire, elle engage une jeune française Violaine. Celle-ci en lisant les lettres de Patricia et en écoutant ses discours portera un regard neuf et dérangeant sur les raisons de la rupture de Patricia avec son milieu d’origine.
Car, bien sûr, dire que Patricia a opté pour la cause révolutionnaire de son plein gré est dérangeant; elle a eu le regard dessillé par la misère qui régnait autour d’elle et dont elle n’avait jamais eu conscience. Dire qu’elle a reconnu dans ses parents des personnes qui ne raisonnent que par et pour l’argent même lorsqu’il s’agit de leur fille est déplaisant. Dire qu’elle a pris le parti du pauvre, de l’opprimé est gênant aussi. Même de nos jours, à propos de Patricia, l’on opte pour une explication qui satisfait tout le monde en évoquant le syndrome de Stockholm !

"J’ai changé; j’ai grandi. J’ai pris conscience de pas mal de trucs et je ne pourrai jamais retourner à ma vie d’avant; ça a l’air dur, mais au contraire, j’ai appris ce qu’est l’amour inconditionnel pour ceux et celles qui m’entourent, l’amour qui vient de cette certitude que personne ne sera libre tant que nous ne serons pas tous libres."

J’ai beaucoup aimé cette analyse qui se présente comme une enquête où l’on avance à petits pas, en déchiffrant des archives, en lisant des lettres, en étudiant des photos, en recoupant les témoignages mais aussi en écoutant son intuition.
Les personnages de Gene Neveva et de Violaine sont complexes, bien campés, Lola Lafon a l’art du portrait et la structure du roman est basée sur cette transmission de personnage à personnage, de Gene à Violaine, de Violaine à la narratrice Lola. La multiplicité des points de vue évite une réponse trop simple à  une question qui ne l'est pas.
Pourtant, malgré ces qualités, j'ai trouvé que ces personnages fictifs, aussi crédibles soient-ils, faisaient tort au personnage central, Patricia. C'est le petit bémol de ma lecture, cette écriture en ricochets qui détourne du sujet, ce "vous" qui s'adresse à Gene et établit une distance. J'ai préféré le face à face direct et parfois conflictuel qui réunissait ou opposait Nadia Comencini et l'auteure dans La petite communiste qui ne souriait jamais.

Ceci dit,  il y a des moments puissants dans ce roman, celui par exemple où le FBI et les forces spéciales de police prennent d’assaut, avec une violence inouïe, la maison des révolutionnaires sans avoir évacué les habitants du quartier, exposant des enfants, des femmes et des hommes innocents. Mais peu importe, ils sont noirs et pauvres !
Ce qui me plaît dans les romans de Lola Lafon c’est qu’ils vont toujours plus loin que l’histoire qu’ils racontent, ils partent du fait divers pour dénoncer une époque, un milieu social, une idéologie, ils interrogent l’individu pour révéler le mal enfoui sous des dehors policés. Ici, dans Merci, Mary, Patty, la violence de la société américaine et du capitalisme laisse les exclus dans le dénuement.
C’était le cas avec La petite communiste... et cela s’avère aussi avec ce roman de la rentrée littéraire 2017 :  Mercy, Mary, Patty.


Voir les billets de Hélène qui a rencontré Lola Lafon ICI et ICI

mardi 19 septembre 2017

Karin Serres : Monde sans oiseaux



Il paraît qu’autrefois certains animaux traversaient le ciel grâce à leurs ailes, de fins bras couverts de plumes qui battaient comme des éventails. Ils glissaient dans l’air, à plat ventre, sans tomber, et leurs cris étaient très variés. Ils étaient ovipares, comme les poissons ou les lézards, et les humains mangeaient leurs oeufs. On les appelait les « oiseaux ».
Comment décririons-nous un oiseau si nous n’en avions jamais vus ? Si nous n’en avions entendu parler que par ouï-dire? C’est ainsi que commence par cet instant de poésie triste et d’étrangeté le livre de Karin Serres dont c'est le premier roman : Monde sans oiseaux aux éditions Stock.


Bien sûr, le lecteur comprend que cette dystopie présente un monde de l’Après, un Après à goût de catastrophe que l’homme n’a pas su éviter mais qui signe une disparition des espèces et du monde ancien. Mais rien n’est dit vraiment si ce n’est par petites touches, et nous restons dans un entre-deux, un univers dont l’étrangeté nous frappe malgré la familiarité que nous en avons. Le fantastique s'y introduit au milieu du quotidien même si celui-ci n’est que le résultat de mutations malencontreuses commises par les apprentis-sorciers que sont les hommes! Ainsi ces petit cochons fluorescents amphibies qui servent de nourriture mais peuvent devenir des animaux de compagnie. Et que dire de ces maisons sur roulettes que l’on hisse sur le flanc de la montagne à mesure que l’eau avance !
Dans ce roman, la mort et la vie sont étroitement mêlées. Les morts du village enfermés dans des cages sont engloutis au fond du lac. Ce lac d’où vient la vie (la nourriture) mais dont la montée semble inexorable. Ce lac où l’on se noie, où l’on devient statue de glace par les hivers de grand froid. La description du cimetière sous-marin est absolument hallucinante car le style de l'auteure à l'art de faire surgir des images.

Dans ce monde rude, figé dans le passé, vit une petite fille rêveuse qui écrit des poèmes et nous retrouvons en elle nos rêves d'enfants : être Jo dans Les Quatre filles du Docteur March, pleurer en lisant la Ballade du roi des Aulnes. Mais... la banalité de ce monde s'arrête là et d'abord avec le prénom de l’héroïne : Petite Boîte d’os. Ce prénom donné par son père témoigne à la fois de la petitesse de l’homme mais aussi de sa grandeur, du cerveau qui lui permet de penser : « Nous ne sommes qu’un sac de flan mou dans une petite boîte d’os ! » . Une petite boîte d'os qui n'a pu empêcher l'irréparable car pendant tout le roman l'on a conscience de l'impossible retour en arrière et l'on se sent ému par cet univers en disparition.

Petite Boîte aime le vieux Jeff qui a fui le « déluge » et puis est revenu chez lui. C’est l’amour qui la maintient en vie, un amour fort, puissant, entier pour Jeff, son fils Knut, et aussi pour la nature omniprésente. Car la ville existe de l’autre côté du lac mais elle est encore plus âpre et plus cruelle.

Ce roman qui reprend un thème de science-fiction rebattu à notre époque surprend par son regard neuf, l’originalité du traitement. Il touche et émeut par sa nostalgie, son goût doux-amer qui au moment où l’on découvre toute la beauté de la nature nous fait savoir qu’elle n’est plus. Le style de l’écrivaine suggestif, plein de finesse, est à la fois poétique et réaliste, doux et violent. Un beau roman. A découvrir !