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mercredi 30 septembre 2020

Jack London : Le fils du loup et autres nouvelles

Le fils du loup est un recueil de nouvelles de Jack London dont l’action se situe dans le Grand Nord canadien dans le milieu des chercheurs d’or.

Le fils du loup raconte comment Scruff Mackenzie, malade de solitude, abandonne ses terrains aurifères du cercle polaire, descend le Yukon pour s’établir au campement de Forty Mile. Il a décidé de prendre femme parmi la tribu des Sticks, des indiens réputés, aux yeux des blancs colonisateurs, comme les plus féroces et les plus avides des autochtones. Il veut épouser la fille du chef Thling Tinneh, Zarinska. Il s’empresse d’abord de conquérir le coeur de la belle, offre des cadeaux somptueux au père. Mais les jeunes gens du camp soutenus par le chaman ne le voient pas d’un bon oeil. Les fils du loup, autrement dit les blancs, leur enlèvent les jeunes filles les plus belles, en âge d’être mariées. Mackenzie va alors jouer avec eux une partie serrée au cours de laquelle il ne risque rien de moins que sa peau. Il doit faire preuve pour cela de beaucoup d’habileté, de sang froid et de courage. Il lui faut non seulement montrer qu’il est le meilleur fusil en abattant un moose, se battre en duel singulier avec un colosse, mais aussi être virtuose du langage pour lutter contre le chaman afin de prouver la supériorité des fils du Loup sur les fils du Corbeau. Un combat physique autant que spirituel ! Mais la loi du Loup ne peut que triompher ! London y affirme encore une fois la suprématie des hommes de sa « race » malgré leur fragilité.
Les étoiles dansaient sous la voûte bleu comme toujours en cette période de grands froids, et les esprits du pôle traînaient leurs robes resplendissantes à travers l’étendue céleste; Mackenzie fut, un bref instant impressionné par la sauvagerie de la scène, tandis que son regard parcourait rapidement les deux haies de sapins, pour évaluer le nombre des absents. Il s’attarda sur un nouveau-né tétant par un froid de -40°! Songeant aux délicates personnes de sa race, il ne put réprimer un sourire.

Le grand Silence blanc est un récit qui m’avait marquée quand j’étais enfant, de la même façon que Croc blanc et L’appel de la forêt. Ces moments où Jack London nous fait « entendre » le silence et nous transmet tout ce qu’il a d’angoissant sont des pages d’une force et d’une beauté qui nous laissent admiratifs, gagnés par l'angoisse.
Le grand silence oppressait les voyageurs. Tout au long de l’après midi, ils cheminèrent sans prononcer un mot.
La nature dispose de mille moyens pour rappeler à l’homme qu’il est mortel : le rythme incessant des marées, le déchaînement des tempêtes, les séismes, le roulement terrifiant de l’orage ont à ce titre une grande force de conviction. mais rien n’est plus prodigieux, rien n’est plus stupéfiant que la démonstration inerte du « Grand Silence Blanc ». Tout est immobile; le ciel s’éclaircit et revêt des tons cuivrés; le moindre murmure est ressenti comme une profanation. L’homme devient alors timide et s’effraie de sa propre voix. Il prend conscience qu’il est la seule étincelle de vie dans cette immensité morte; son audace le confond; il réalise qu’il n’est rien de plus qu’un ver de terre et que son existence n’a pas de prix.


L’histoire aussi est puissante et conte comment Mason accompagné de son épouse Ruth enceinte et de son ami Malemute Kid entreprend un voyage en traîneau à travers le désert blanc et comment il mourra écrasé par un sapin. La mort est ici présenté comme une fatalité, cet arbre attendait pour chuter, le passage de Mason. C’est aussi peut-être la volonté de Dieu (même si London est athée), - ou  appelons cela le destin- qui punit l’orgueil de Mason. Celui-ci, cruel envers les chiens de traîneau a un différend avec Malemute Kid qui ne supporte pas de voir maltraiter ces bêtes. Mais il est incapable de reconnaître ses torts et ne s’excusera qu’au moment de mourir.

Les gens de Forty Miles est un récit qui contraste avec les autres. Il met en scène une dispute mémorable entre Bettles et Lon Mac Fane. Ce dernier soutenant que la glace de fond existe et Bettles affirmant le contraire. Ce différend les conduirait à un duel à mort si Malemute Kid ne s’en mêlait pas ! Il  invente un stratagème qui est soutenu par toute la communauté, le père Roubaud en tête, véritable scène de comédie  provoquant rire. 

Magnifique description de cette glace de fond *qui remonte à la surface :
Nous avons donc laissé le canot glisser au ralenti et, penché chacun d’un bord; nous avons sondé les profondeurs de l’eau étincelante.(…)
La glace de fond se formait autour de chaque caillou, de chaque rocher, comme un corail blanc. Je n’étais pas à bout de la merveille. A peine avions-nous franchi les rapides que c’est le fleuve tout entier qui se mit à ressembler à du lait et qu’une multitude de petits cercles parsemèrent la surface, comme ces gouttes de brume qui tombent du ciel au crépuscule. C’est la glace de fond qui montait. Partout où on posait les yeux, à droite et à gauche, c’était le même spectacle. Une étendue de bouillie, couleur d’opale, s’agglutinait à l’écorce de la pirogue, collait aux avirons. Ce fut la première fois que je vis ce prodige. Et je ne le reverrai peut-être jamais plus.


 A la santé de l’homme sur la piste, rassemble tous ces hommes à Forty Miles pour la fête de Noël. Au centre du récit, un homme poursuivi par la police montée canadienne, et que Malemute Kid aide à s’enfuir parce qu’il sait que c’est un homme bien.
Enfin la dernière nouvelle de ce recueil intitulée Le privilège du prêtre montre comment le père Roubaud dissuade Grace Betham, une femme maltraitée par son mari, de fuir avec un autre homme qu’elle aime. Le prêtre a ensuite des problèmes de conscience d’avoir renvoyé Grace à cette brute qui la rend malheureuse. Jack London prend ici partie pour la femme et dénonce l’hypocrisie de la morale chrétienne et l’injustice d’une société qui ne permet pas à la femme d’avoir des possessions en main propre et l’attribue à son mari, la rendant pour toujours dépendante de celui-ci !
« A elle le travail ! A lui les honneurs et l’avantage ! La loi du Nord ne reconnaissait pas à une femme le droit de posséder un ruisseau, un banc de rocher ou de quartz et de l’entourer d’une clôture. »

Dans toutes ces nouvelles, London fait preuve d’une grande virtuosité :  en narrateur, il sait tenir en haleine ses lecteurs dans des récits terribles et palpitants ; en connaisseur de la nature humaine, il dresse des portraits saisissants de ces hommes rudes et connaît les rouages qui régissent l’âme humaine; en poète, il nous fait ressentir le froid, la solitude, le silence oppressant mais aussi la beauté de ces pays sauvages où la vie n’est qu’un combat incessant.

Des personnages récurrents : une comédie humaine à la London
A travers toutes ces nouvelles, le lecteur rencontre des personnages récurrents. Soit, ils font partie intégrante du récit, soit ils y tiennent un rôle secondaire ou ils ne sont présents que  par les renseignements que donnent d’eux les autres personnages. C’est ainsi que nous apprenons ce qu’ils deviennent. Mamelute Kid  occupe la première place parmi eux : Indien, amis des blancs, ayant pris beaucoup de leurs coutumes, c’est un homme fort, un géant honnête, sage et  bon.
Dans la nouvelle Le Grand Silence blanc, Mason meurt en demandant à  son ami, Malmlute Kid, de prendre soin de Ruth, sa femme enceinte,  et de l’envoyer, elle et son enfant, aux Etats-Unis avec l’or qu’il a récolté. Nous apprenons dans Le fils du loup que cette même Ruth qui est la soeur de Zarinska,  épouse de Mackenzie, a eu un fils comme le souhaitait Mason et que Malemute Kid a tenu sa parole.  Mais c’est dans un autre récit  A la santé de l’homme sur la piste, que les hommes rassemblés à Forty Miles pour la fête de  Noël, écoute  Malemute Kid raconter le mariage mouvementé de Mason et de Ruth, union célébrée par le père Roubaud.  Sitka Charley, un indien  que l’on voit dans Les gens de Forty Miles est aussi un personnage récurrent important. C’est lui qui raconte la mort de sa femme Passuk, dans la nouvelle  Une femme de cran et il joue un rôle principal dans le récit La sagesse de la piste. Mais il y aussi des personnages plus secondaires comme Bettles dit Boit sans soif  ou Jim Belden ou l’anglais Stanley Prince, Louis Savoy, canadien français, le père Roubaud, jésuite français …
Ainsi, ces personnages récurrents relient les récits entre eux et créent un riche tissu humain qui donne une vision globale de la vie et de la société cosmopolite de ce monde de chercheurs d’or, de trappeurs,  d'ingénieurs, d'aventuriers venus de tous les pays, de langues, de religions, de mentalités et d’éducations différentes. De plus, pour le lecteur, ils deviennent des connaissances voire des amis qu’il  est heureux de retrouver au cours de ces récits qui paraissent indépendants mais ne le sont pas  !
 

* Le terme de glace de fond désigne tout type de glace immergée, attachée ou ancrée au fond, quel que soit son mode de formation. La glace de fond peut se former en milieu océanique ou en eau douce. 

 



vendredi 18 septembre 2020

Jack London : Les contes des mers du sud

Le recueil Les contes de la mer du sud de Jack London, paru en 1911, regroupe huit nouvelles dont l’écrivain a trouvé les matériaux lors d’une croisière et un séjour de deux ans dans les archipels de l’océan pacifique en 1907 autour des îles Salomon, Fidji et de la Polynésie Française.
Les titres de ces nouvelles : La graine de MacCoy, Le païen, l’Inévitable Blanc,  les Salomon, îles de la terreur, Maouki, Yah! Yah! Yah !, La maison de Mapuhi, La dent du cachalot…

Aventures…
On y retrouve la force des récits d’aventures de Jack London, inégalable conteur, que ce soit dans le récit d’effroyables tempêtes, de naufrages, de Tsunami terrifiant, mais aussi d’absence de vent, calme plat qui réduit les voiliers à l’immobilisme avec le manque d’eau et de nourriture, que ce soit avec les épidémies qui ravagent l’équipage et les passagers ou les attaques meurtrières des blancs contre les indigènes et réciproquement. On se laisse ainsi entraîner fort loin de notre quotidien, en plein océan pacifique, chez les peuples de coupeurs de têtes !
Portraits
London présente aussi une galerie de portraits d’hommes rudes, aventuriers blancs parfois sans morale ou humanité, trafiquants surtout préoccupés des profits qu’ils font en exploitant les indigènes, iliens sauvages ou cannibales qui défendent leurs territoires … Parfois au-dessus de cette humanité moyenne, certains personnages sont moralement supérieurs : le canaque Otoo, natif de Bora Bora, une des îles tahitiennes, dans Le Païen est un de ces hommes, courageux, sincère, dévoué. Il se lie d’amitié avec le narrateur :
Otoo était la bonté personnifiée. Bien qu’il mesurât six pieds de haut et fût musclé comme un gladiateur romain, il était la gentillesse et la douceur même.
S’il est païen et tient à le rester, Otoo, non seulement n’a rien à envier aux chrétiens qui veulent le convertir mais il leur est souvent cent fois supérieur. Il en est de même de Mac Coy dans la nouvelle La graine de Mc Coy, gouverneur de Pitcairn, descendant d’un révolté du Bounty. Il provoque d’abord le mépris du capitaine et de ses officiers par sa tenue négligée. Mais il sauve le navire en feu au mépris du danger au cours d’un récit haletant où la course contre l’incendie qui risque de faire exploser le bateau est engagée ! Ce sont mes deux nouvelles préférées, certainement parce qu’elles nous redonnent confiance en la nature humaine. ce qui n’est pas le cas des autres nouvelles !

Colonialisme

Mais ce qui fait l’intérêt primordial de ces nouvelles, c’est la vision de la violence et de l’horreur du colonialisme. Les hommes blancs affirment leur suprématie à l’aide de canons, de fusils, de spoliations, d’exécutions répétées et toujours impunies.
 Ils réduisent les autotochtones à un esclavage qui ne porte pas son nom puisque les hommes ne sont pas « obligés » de s’enrôler (sauf la misère qui les y contraint), sont « payés » (un salaire dérisoire pour des heures non stop de travail pénible et dur ). Ils sont punis (fouets, coups, prison à la moindre négligence ou révolte) et écopent d’années supplémentaires s’ils cherchent à s’enfuir. C’est ce qui arrive à Maouki, fils du chef de Port-Adam.
L’esprit du colonialisme c’est bien sûr l’inévitable blanc dans la nouvelle éponyme :
- J’ai vu, reprit le capitaine Woodward, je ne sais combien de braves gens s’obstiner à traiter les noirs comme des égaux.
«  Mal leur en pris et ils ont tous fini dans l’estomac de leur nouveaux amis ».
« Non, non, mille fois non! Ne me parlez pas de comprendre les noirs. La mission du blanc est être fermier du monde et il n’a pas à s’attarder à des contingences aussi dangereuses qu’inutiles »

Dites à un blanc qu’il trouvera de la nacre dans un lagon infesté de cannibales. Il n’ira pas s’attarder à parlementer avec eux. Mais solidement armé, il arrivera sur un méchant cotre de cinq tonneaux (… )
Et vlan ! il commencera par une fusillade, voire une canonnade en règle. Après quoi, sa demi-douzaine de plongeurs canaques pourra, sans danger, entamer la besogne. (L’inévitable blanc)

On comprend pourquoi les têtes de blanc sont si prisées par les indigènes et sont un trophée dont ils sont fiers ! Ceux-ci sont cannibales et leurs ennemis finissent si possible dans leur marmite.
« Manger ou être mangé avait été, de tout temps, la loi du pays. Pour longtemps encore, elle semblait destinée à demeurer telle (La dent de cachalot)
Voilà donc une série de contes qui plaisent par les différentes approches qu'ils nous proposent. Une lecture intéressante mais qui nous secouent.

A propos du  cannibalisme


 
Je me suis demandée si Jack London faisait la part  belle à l'imaginaire en nous parlant du cannibalisme. existait-il encore des cannibales dans les îles du sud ?

 Montaigne parlait déjà de ceux du Nouveau Monde dans l'essai du même nom. Il note que ceux-ci mangent leurs ennemis morts en signe de vengeance alors que les Portugais les torturent longuement et avec raffinement avant de les pendre!

Je ne suis pas marri que nous remarquons l'horreur barbaresque qu'il y a en une telle action*, mais oui bien de quoi, jugeant bien de leurs fautes, nous soyons si aveugles aux nôtres. Je pense qu'il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu'à le manger mort, à déchirer par tourments et par gênes un corps encore plein de sentiment, le faire rôtir par le menu, le faire mordre et meurtrir aux chiens et aux pourceaux (comme nous l'avons non seulement lu, mais vu de fraîche mémoire, non entre des ennemis anciens, mais entre des voisins et concitoyens, et, qui pis est, sous prétexte de piété et de religion)**, que de le rôtir et manger après qu'il est trépassé.
Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie.


 *le cannibalisme
** Quand Montaigne écrit les Essais, la France est déchirée par les guerres de religion 

Le cannibalisme a duré jusqu’au XIX siècle comme en témoignent des récits de voyageurs. J’ai lu un article  et un essai sur la question auxquels je vous renvoie si cela vous intéresse.
https://journals.openedition.org/carnets/10176
https://www.lepoint.fr/culture/le-tour-du-monde-des-cannibales-4-les-gourmets-des-iles-marquises-et-salomon-02-08-2018-2240943_3.php

Lecture Commune avec  ?

 Voir Pralines, enthousiaste de sa relecture de Croc Blanc : ICI

Lu dans le cadre du challenge Jack London



vendredi 4 septembre 2020

Jack London : La Petite Dame de la Grande Maison



Après une jeunesse aventureuse qui lui apprend la vie  et forge son caractère, Dick Forrest, riche héritier, revient pour faire fructifier ses  immenses propriétés, ses riches cultures, ses élevages modèles, ses mines et entreprises diverses. S’il vit dans le luxe, reçoit beaucoup d’amis,  il a une vie de travail rigoureuse et réglée qui lui laisse peu de temps pour s’occuper de sa jeune, jolie et spirituelle épouse, « la Petite Dame de la Grande Maison », Paula Desten.

Paula est l’idéal féminin de Jack London, non seulement parce qu’elle est belle et gracieuse mais parce qu’elle est intrépide, aventureuse, et ne connaît pas la peur. Cavalière émérite, nageuse hors pair, c’est aussi une musicienne et une chanteuse pleine de sensibilité. Elle a beaucoup d’humour et le sens de la répartie, inspire l’amour à tous les hommes qui l’entourent mais s’attire aussi leur respect et leur dévotion.
Dick Forrest est présenté comme un homme hors du commun, non seulement par son intelligence, sa grandeur de vue, sa force de travail, son sens extraordinaire des affaires, mais aussi par sa virilité,  son courage, son caractère ferme et sa culture. C’est un meneur d’hommes. Bel homme, il séduit son entourage féminin. Comment dans ces conditions pourrait-il avoir un rival ?
Et pourtant, celui-ci existe en la personne d'Evan Graham, son ami, qui se révèle l’égal de Dick et tombe, bien sûr, amoureux de Paula. Homme supérieur, lui aussi ! Aventurier, il a perdu une partie de sa fortune et vit dans une aisance realtive. Musicien lui aussi, il est pourtant plus sensible que Dick et plus à l’écoute.
On comprend ce qui va se jouer entre ces trois personnages. Mais je vous le laisse découvrir.


Je dois dire que cette histoire d’amour à trois m’a très peu touchée.  Ces personnages trop parfaits, et leur trop nombreuses qualités, m’ennuient et par conséquent me laissent de marbre. Et non seulement, ils m’ennuient mais en plus, je ne les aime pas.
Paula et son côté mondain, sa façon de faire admirer ses prouesses, de se donner en spectacle à ses invités, me déplaît. Mais c’est surtout Dick, cet homme d’acier, qui m’est antipathique. Je ne comprends pas comment Jack London, le socialiste, peut donner à admirer ce capitaliste avide, ce faiseur d’argent, qui ne parle que chiffres et rendements. Son paternalisme m’irrite : il n’appelle pas  ses serviteurs chinois par leur nom mais leur donne des surnoms ridicules. Il a des préjugés de classe et préfère noyer ses mines mexicaines que de les laisser aux mains des péons de Villa, pourtant, ô combien, misérables !  Il pense appartenir à une race d’homme supérieur et le proclame. Comment ressentir alors une quelconque empathie pour eux et leur déchirement intérieur ? Mais… car il y a un mais !

Mais l’histoire est traitée avec originalité et une certaine audace puisque l’on y voit, une femme aimer deux hommes. Situation scandaleuse pour l’époque dans une Amérique puritaine.  London évite la banalité, laisse une grande place à la femme et à sa liberté. Les sentiments de Paula sont subtilement analysés et complexes. Pourquoi n’aurait-elle pas le droit de ne pas choisir ? Est-elle réellement libre si l’on considère le dénouement ?  Les discussions sur la femme que Dick partage avec ses invités dont d’ailleurs édifiantes sur ce thème, allant de la misogynie la plus pure à l’affirmation de l’amour libre. 

« Il ne saurait y avoir d’amour sans liberté.. »
« Les hommes, tous les hommes et les femmes, toutes les femmes, sont capables d’aimer plus d’une fois, de voir mourir le vieil amour et d’en sentir naître un nouveau. Pas plus que l’homme et la femme, l’Etat ne peut s’immiscer dans les affaires d’amour ... »

Il est vrai que Dick gâche un peu cette belle déclaration puisqu’il accorde cette liberté seulement aux hommes (et aux femmes ) « supérieurs ».
 N’oubliez pas que je me place au point de vue des natures supérieures. Et ce point de vue éclaire ma réponse à votre question. La grande majorité des individus doit être maintenue dans la légalité et au travail par l’institution de la monogamie ou tout autre espèce de mariage rigoureux. La plupart ne sont pas prêts pour l‘union libre.
Tous ces questionnements nourrissent le récit et l’étoffent, lui donnent de la consistance.  
 
D’autre part, l’attitude de Dick est équivoque. Pourquoi, voyant ce qui se passe, ne fait-il rien pour l’en empêcher? Est-ce l’orgueil qui dicte sa conduite ? Fait-il taire ses sentiments pour être à la hauteur de l’image qu’il veut donner de lui-même, sans faiblesse et sans mesquinerie ?  

Je ne puis concevoir ni la loyauté ni la satisfaction qu’il peut y avoir à retenir une femme qu’on aime dès le moment où elle n’aime plus.
Ou est-ce le goût du jeu qui le motive ? La devise qu’il partage avec Paula est : 

 Au diable la dépense quand il s’agit de s’amuser » !  Et peu importe s’il faut payer de nos dollars, de notre peau ou de notre vie!   
Un jeu dangereux !  Savoir qui va gagner de lui ou de son rival ? Découvre-il trop tard qu’il ne supportera pas la perte de Paula ?  Du coup, le personnage gagne en zones d’ombre, devient plus humain donc plus intéressant, et ouf! nous sauve du poncif  - trop cher au coeur de London et trop récurrent -  de l’homme supérieur, blanc et de « race » anglo-saxonne !

Il semble donc qu’il y ait une lecture au second degré beaucoup plus intéressante, celle qui dépasse les apparences lisses de ces héros au panache éblouissant et superficiel pour découvrir en profondeur leurs failles, leurs faiblesses, leurs peurs et apprendre que ce qu’ils jouent ensemble, c’est tout simplement leur vie !

C’est en ce sens que ce roman m’a intéressée. 

Lecture commune dans le cadre du Challenge Jack London avec Nathalie ICI

 


 

samedi 20 juin 2020

Jack London : Une femme de cran



Une femme de cran est le titre éponyme d’un recueil de nouvelles qui se déroule dans le grand nord canadien, le Konklide au temps de la ruée vers l’or. Dans une tente où ils sont réfugiés autour d’un poêle, unique moyen de survie, Sitka Charley, indien de naissance mais blanc de coeur, selon ses dires, raconte à ses compagnons l’histoire de Passuk, une femme exceptionnelle.

La femme était petite, mais son coeur était plus grand que le coeur de boeuf de l’homme, et elle avait un sacré cran !

Il l’a achetée à son père sans même la regarder parce qu’il lui fallait une femme pour faire la cuisine, s’occuper des chiens et partager son unique couverture. Mais il n’a jamais été question d’amour envers elle. Elle n’existait pas pour lui. C’est peu à peu qu’il a pu apprécier ses qualités, sa force morale. Mais c’est surtout au moment de la grande famine que Sitka Charley va découvrir la grandeur d’âme, le courage, l’abnégation de cette femme et qu’il prendra conscience de son amour pour elle.

Mon idée était de rester là et d’aller à la rencontre de la Mort main dans la main  avec Passuk, car j’avais vieilli et j’avais appris ce qu’est l’amour d’une femme.
Pendant une longue marche qu’ils entreprennent pour sauver leur village, Forty Mile, de la famine, Passuk se révèle, à la fois, impitoyable pour un de leur compagnon de route car c’est la loi du grand Nord qui élimine les faibles mais tout aussi exigeante envers elle-même. Elle ira même jusqu’à sacrifier à celui qu’elle aime un être qui compte énormément pour elle.

On a trimé sur une longue piste, jusqu’à l’Eau salée, le froid était terrible, la neige profonde et on crevait de faim. Et l’amour de la femme était un amour immense- on ne peut pas dire autre chose.

Au moment de mourir, elle lui découvre ses sentiments, le grand amour qu’elle a pour lui et combien elle a souffert de son indifférence. Il prend alors conscience du dévouement sans limite de sa femme et trouvera le courage pour poursuivre sa route et sauver les hommes de Forty Mile. Un très beau portrait de femme.

Cette nouvelle est une très belle et poignante histoire d’amour et il y a tant de pudeur et de dignité dans ces personnages que leurs sentiments ne peuvent s’exprimer qu’au seuil de la mort.
Jack London fait preuve d’une grande compréhension du coeur humain et en particulier des femmes et lorsqu’il laisse la parole à Passuk. Ce qu’elle dit est à la fois d’une grande tristesse et d’une grande beauté. L’écrivain analyse avec finesse et sensibilité les sentiments d’une jeune fille ainsi vendue, humiliée et rabaissée à un niveau inférieur.

Lorsqu’au début tu es venu à Chilkat et que, sans même me regarder, tu m’as acheté comme on achète un chien et emmenée mon coeur était dur envers toi et rempli de crainte et d’amertume. Mais c’était il y a longtemps. Car tu as été bon envers moi, Charles, comme un brave homme l’est pour son chien.Et il décrit aussi avec beaucoup de justesse comment les sentiments de Passuk ont pu évoluer.

J’ai pu te mesurer aux hommes des autres races et j’ai vu que tu occupais parmi eux une place pleine d’honneur et que ta parole était sage et vraie. Et je suis devenue fière de toi, au point que tu as empli mon coeur tout entier et occupé toutes mes pensées.
La réponse de Charley est aussi d’une grande beauté car l’amour qu’il éprouve se traduit en images et se mêle à la grande voix de la nature. Pour lui que l’hiver soumet à la loi rigoureuse de la vie et la mort, l’amour emprunte la voix du printemps et de la chaleur retrouvée. Il faudrait le citer tout entier pour rendre compte du style de  Jack London.

C’est vrai, il n’y avait pas de place pour toi dans la froideur de mon coeur. mais c’est du passé. Maintenant mon coeur est comme la neige au printemps quand reparaît le soleil. Le temps est venu du grand dégel, du murmure de l’eau qui coule, du bourgeonnement et de l’éclosion de la verdure. On entend le ramage des perdrix, le chant des merles et toute une immense musique, car l’hiver est vaincu, Passuk, et j’ai compris ce qu’est l’amour d’une femme.

La nature est toujours présente et London comme d’habitude excelle à en révéler la puissance et la cruauté mais aussi l’éblouissement que procure les grandes étendues givrées, le silence, la pureté de la neige comme une poussière de diamant qui palpitait et dansait sous nos yeux , l’étrange proximité des étoiles dans le ciel, l’air tout entier qui brillait et qui scintillait.
Et puis comme d’habitude dans ses livres de froid et de neige, ce récit d’aventures rapporté par un grand conteur est aussi celui de l’aventure intérieure, d’un cheminement personnel qui transforme l’individu et révèle en lui le pire ou le meilleur.

LC pour le challenge Jack London


samedi 30 mai 2020

Jack London : Deuxième bilan du Challenge



Deuxième bilan du challenge Jack London avec vos participations. Merci  à toutes !

Je rappelle en quoi consiste ce challenge  :  Il s'agit de découvrir et de commenter des romans, des nouvelles et des essais de Jack London. On peut aussi lire des BD, voir des films qui sont des adaptations de ses oeuvres, et s'intéresser à sa biographie.
 
On peut s'inscrire à tout moment à ce challenge qui durera un an, il suffit d'avoir envie de lire au moins UN livre de l'écrivain et pour les passionnés autant que vous le désirez. Je propose des Lectures Communes chaque mois que vous êtes libre de rejoindre ou pas car vous pouvoir choisir les oeuvres que vous préférez et les dates de publication.

  La seule contrainte est de venir mettre un lien dans mon blog pour que je puisse noter les oeuvres lues et venir vous lire. (Pour trouver la page ou déposer les liens, cliquez sur la vignette du challenge Jack London dans la colonne de droite de mon blog).

 Logos au choix à utiliser






Les lectures communes

 Je vous invite à des LC  pour le challenge Jack London

Je serai au mois de Juillet et d'août en Lozère sans internet donc je repousse les  dates possibles de publication au mois de septembre, les lectures pouvant avoir lieu en juillet et août.


Jack London dont nous découvrons la diversité des thèmes est souvent plein de contradictions. Il peut-être raciste, persuadé de la supériorité de la "race anglo-saxonne"sur les autres, et dénoncer le colonialisme féroce des blancs. En tant que socialiste il défend les exploités, les misérables, mais il cultive l'image de l'homme fort qui survit aux faibles selon les théories de Spencer.
A propos de L'appel de la forêt ICI  Nathalie dénonce ce qu'elle pense être la misogynie de London. Pour découvrir la femme vue par l'écrivain (lui qui a milité pour le vote des femmes dès le début du XX siècle) je vous propose de lire deux livres sur ce thème : L'aventureuse et La petite dame de la grande maison.

Ensuite pour changer un peu : un livre sur la mer / Un livre sur la neige

Pour le 20 Juin  : L'aventureuse  et /ou une femme de cran

Les lectures de l'été : rendez-vous au mois de Septembre

Pour le 4 Septembre : La petite dame de la grande maison

Pour le 18 Septembre : Contes des mers du sud

Pour le 30 septembre : Le fils du loup et autres nouvelles

Les participants au challenge



Aifelle   Le goût des livres   

 

  

 

 

 

   

Claudialucia : Ma librairie

 
 








Electra La plume d'Electra




Martin Eden




Ingammic Book'ing


Martin Eden


Kathel : Lettres express




Contruire un feu London/Chabouté

La peste écarlate



Lilly et ses livres :

La peste écarlate

Le vagabond des étoiles

Le peuple d'en bas ou le peuple de l'abîme

Le vagabond des rails




Maggie Mille et un classiques







Marylin Lire et merveilles

Le vagabond des étoiles

Adaptation BD Riff Reb  du Vagabond des étoiles





Miriam Carnet de voyages et notes de lectures

Une fille des neiges 

La peste écarlate

Martin Eden 

Le peuple de l'abîme

Le vagabond des étoiles


Construire un feu

L'amour de la vie

Le talon de fer

lundi 25 mai 2020

Jack London : L'amour de la vie


L’amour de la vie de Jack London est une nouvelle du Grand Nord telle que je les aime. Nul mieux que Jack London n’a su rendre la magnificence de cette nature hostile et sauvage mais aussi ramener l’homme à ce qu’il est, minuscule face à ces immensités, faible face à la force de la nature.
Pourtant, et c’est ce qui peut paraître paradoxal, l’être humain aussi dérisoire soit-il, confronté à la toute puissance de la nature lui oppose une résistance qui force l’admiration.

Il regarda les os nettoyés et polis, encore rosés de cellules de vie qui n’étaient pas encore mortes. Etait-ce possible qu’il subisse le même sort un jour ? C’était ça la vie? Une chose vaine et fugitive. Seule la vie fait souffrir, il n’y a pas de souffrance dans la mort. Mourir, c’était dormir, c’était la fin, le repos. Alors pourquoi n’était-il pas satisfait de mourir ?

L’amour de la vie pousse l’homme à se dépasser, à faire fi de la souffrance, à accomplir des exploits qui ne semblent pas réalisables.
C’est ce qui arrive à ce chercheur d’or lorsqu’il est abandonné par son compagnon de voyage, Bill, et laissé seul, sans munitions, sans provisions, blessé à la cheville en traversant une rivière, devant un immense parcours à accomplir.

Alors, il détourna son regard et lentement contempla le cercle du monde dans lequel il restait seul, maintenant que son compagnon était parti …Toujours debout dans l’eau laiteuse, il se sentit tout petit comme si l’immensité pesait sur lui avec une force écrasante, et le broyait brutalement de son calme terrifiant.

Parcourir ces étendues désertes de neige et d'eau, c’est d’abord prendre conscience de la solitude et du silence. Dans ce pays où règne le froid et les bêtes sauvages, des allumettes deviennent un trésor prodigieux que l’on compte comme un avare, quitte à se débarrasser de son or qui pèse trop lourd et ralentit la marche.
Et puis la faim, qui affaiblit, qui rend fou. Certains passages sont marquants comme celui de la rencontre de l’homme avec un loup malade, trop faible pour l’attaquer, tous deux misant sur la mort de l’autre pour pouvoir manger, face à face hallucinant où l’humain et la bête sont au même niveau dans une lutte pour survivre.

Alors commença une tragédie farouche comme jamais il n’y en eut : un homme malade qui rampait, un loup malade qui boitait. Deux créateurs traînant leurs carcasses mourantes à travers la désolation, l’une à la poursuite de la vie de l’autre.

Et pourtant personnage n’est pas présenté comme un héros et ses exploits ne sont ni glorifiés, ni exaltés. Jack London décrit cet amour de la vie comme un instinct de survie qui se met en place lorsque l'homme dépasse ses limites plutôt que comme une réflexion guidée par la volonté.

J’ai retrouvé ici le grand Jack London, celui qui m’a fait rêver au Canada pendant toute mon enfance et m’a donné le goût des pays nordiques, de la neige et du froid. On peut dire aux amateurs de nature writing que l’écrivain l’a été avant que le terme en soit inventé ! Avis aux amateurs !

Je me suis donc intéressée au périple que le personnage accomplit, ce qui n'a pas été facile avec les cartes que j'ai trouvées sur le net.

Le lac du Grand Ours  / La rivière Coppermine qui se jette près du Golfe du Couronnement

Avec son compagnon, il devait atteindre le fleuve Dease jusqu’au Lac du Grand Ours, traverser le lac pour gagner la rivière Mackenzie  où il pourrait se chauffer et se nourrir. En fait, il devait se diriger vers le sud-ouest et il s'égare en allant vers le nord-est.


Mais il était éloigné de la chaîne du Dease pour s’engager dans la vallée de Coppermine. Cette mer  éblouissante, c’était l’océan Arctique; ce bateau un baleinier égaré à l’est de l’embouchure du Mackenzie et ancré dans le Golfe du Couronnement. Nous sommes dans le Nunavut. Il se rappelait la carte de la Compagnie de la Baie d’Hudson, qu’il avait consultée il y a longtemps. 

L'Océan Arctique vu de l'embouchure du fleuve Coppermine, au milieu de la nuit, 20 juillet 1821

 Collection du Musée national des beaux-arts du Québec





Voir Nathalie : l'appel de la forêt

Miriam : L'amour de la vie

dimanche 10 mai 2020

Recueil de nouvelles : Construire un feu London/ BD Chabouté


Je publie pour la deuxième fois ce billet paru en 2011. Si vous avez aussi des billets sur Jack London publiés il y a quelques années, n'hésitez pas à nous en faire part  même s'ils n'ont pas été faits pour le challenge Jack London. L'important c'est la découverte de toutes les facettes de l'auteur.

Construire un feu de Jack London  réunit plusieurs récits de Jack London dont la nouvelle éponyme.

L'ensemble des sept nouvelles se situent dans un lieu géographique qui s'étend du Nord-Ouest du Canada jusqu'à la Colombie britannique et l'Alaska avec pour axe le Yukon. Ces paysages glacés, désertiques, qui mettent l'Homme à l'épreuve, le confrontent à la solitude et à la mort, sont les champs d'expérience d'hommes rudes, âpres, durs à la souffrance, à la nature fruste mais au courage souvent sans mesure. Ces individus sans foi ni loi, cruels et violents, trappeurs, chercheurs d'or, voyageurs, Jack London nous en brosse des portraits  forts et haut en couleurs. Ainsi dans Perdu-de-face, le personnage principal parti de Pologne, arrive en Alaska où il se joint à une bande de chasseurs de phoques barbares qui réduisent la population autochtone à l'esclavage. Mais les victimes prouveront bientôt qu'elles ne valent pas mieux que les bourreaux.
Dans toutes ces nouvelles, la nature sert de révélateur, elle confronte l'Homme à sa propre image, elle est aussi la métaphore de la Mort que chacun doit affronter.  Dans Construire un feu, un homme accompagné de son chien se sont engagés sur une piste qui longe le Yukon pris dans les glaces et  qui doit les conduire vers le refuge où l'attendent ses compagnons. Mais la route est longue, la température avoisine -75° et l'on ne s'engage jamais seul sur une piste avec un froid aussi intense.. Construire un feu devient alors un geste désespéré qui, si l'on échoue, vous condamne obligatoirement à la mort. L'homme apprendra à ses dépens que la nature ne permet pas la moindre erreur. C'est peut-être l'un des plus belles et des plus saisissantes nouvelles du recueil.
Sur un mode plus léger nous voyons dans Ce Sacré Spot, deux amis se fâcher car chacun veut refiler à l'autre le chien Spot, voleur, paresseux, batailleur qui ne pense qu'à manger!  Mais l'ironie devient cruelle avec Mission de confiance, récit dans lequel Fred Churchill est chargé de rapporter un sac à son ami Mc Donald. Il le fera  au prix d'énormes souffrances, au risque de sa vie, avant d'apprendre ce que contenait la sacoche.
Dérision ! Jack London dans ce recueil manie, en effet, toutes les facettes de l'humour.  L'humour noir  avec  la disparition de Marcus O Brien, récit dans lequel les personnages ont  des conceptions un peu particulières de la justice. Ils estiment légitime d'expédier dans l'au-delà leur camarade s'il chante faux et offense leurs oreilles! L'humour tourne à la farce grotesque mais sanguinolente dans Perdu-la-Face où le héros pour éviter d'être torturé par les indiens invente un stratagème qui ridiculise le chef. Quant à Braise d'or, l'un des personnages féminins du recueil, elle paiera le prix fort pour sa légèreté, le cadavre de son fiancé abandonné s'invitant à sa noce. Humour noir qui glisse  vers un  fantastique macabre, vision hallucinée de ce cadavre éjecté de son cercueil et qui conduit la fiancée infidèle à la folie. 
Ainsi l'humour semble souvent inséparable du pessimisme de Jack London souligne les thèmes de la Nature implacable et de la Mort, celui de la barbarie de l'Homme dans un pays qui semble échapper aux lois de la civilisation. Une barbarie qui n'a d'égale que le courage car l'Homme est capable du meilleur et du pire! Un très beau recueil de nouvelles.
Une Bande dessinée de Chabouté


Chabouté a adapté la nouvelle Construire un feu en Bande dessinée. C'est une réussite!


 Les dessins en noir et blanc correspondent à chaque phrase-clef de la nouvelle, décrivant le froid, la solitude de l'homme, les gestes minutieux rendus difficiles par le gel pour allumer le feu. Les plans d'ensemble qui peignent l'immensité déserte et donnent la mesure de  la petitesse de l'homme alternent avec des gros plans.




 Ceux-ci montrent dans le détail les souffrances endurées par le personnage, l'action terrible du froid. Les pensées sont traduites dans des bulles comme s'il s'agissait d'une voix off qui commente la situation. La beauté des dessins rend pleinement compte de cette confrontation tragique entre l'homme et la nature, de la disproportion entre l'être humain si frêle et la nature si puissante. Elle montre la démesure de cette lutte racontée par Jack London et comment l'homme paiera son orgueil de sa mort.



 Deux artistes de talent réunis pour une oeuvre sombre et forte.


Myriam : Construire un feu ICI



vendredi 8 mai 2020

Jack London : Le vagabond des étoiles


Le vagabond des étoiles de Jack London, d’abord publié en feuilleton, paraît en 1915. Il est le dernier roman mais aussi le dernier acte militant de l’écrivain socialiste qui dénonce l’horreur de la peine de mort et l’hypocrisie d’une société chrétienne qui bafoue l’un des premiers commandements : « tu ne tueras point ». L’écrivain connaît le milieu pénitentiaire américain, ayant lui-même été incarcéré pour vagabondage.

Non, je n’ai vraiment aucun respect pour la peine capitale. Et ce n’est pas seulement une mauvaise action pour les chiens penseurs qui l’exécutent, moyennant salaire. C’est une honte pour la société qui la tolère et paie pour elle des impôts.

Dans ce roman, en effet, Jack London s’insurge contre le système judiciaire et carcéral à la solde de la société capitaliste. Il dénonce les violences, les injustices, les maltraitances, humiliations, coups, privation de nourriture, isolement, qui sont monnaie courante dans les prisons, et, en particulier, l’usage de la camisole de force. Les représentants de la loi qui l’appliquent sont des tortionnaires qui ne valent pas mieux que les prisonniers qu’ils méprisent. Et que dire de ceux qui font les lois ?

La Californie est un pays civilisé, ou du moins qui s’en vante. La cellule d’isolement à perpétuité est une peine monstrueuse dont aucun état, semble-t-il n’a jamais osé prendre la responsabilité !

Le personnage fictif qui sert à Jack London pour rendre compte de cet univers des prisons est Darrell Standing, un éminent agronome, professeur d’université, incarcéré pour meurtre passionnel. Il purge une peine de trente ans d’emprisonnement mais va être victime d’un complot, mené contre lui par un détenu, qui lui attire la haine du directeur prison et l’amènera à être arbitrairement condamné à mort. Celui-ci, avec la complicité des gardiens mais aussi du médecin des prisons, livre Darrell à la camisole de force et l’amène ainsi aux antichambres de la mort. Le tortionnaire n’obtiendra aucun aveu puisque le professeur est innocent mais il permet au personnage de s’échapper par cet apprentissage de la mort, au-delà de la prison, dans les étoiles, en retournant dans ses vies antérieures. A côté de ce personnage fictif, Jack London, introduit des personnages ayant existé, comme Jack Oppenheim et Ed Morell, de son vrai nom Ed. Merrit, qui ont subi, dans la réalité, le destin de Darrell Standing.

Le roman bascule alors vers le fantastique avec l’évocation de toutes les vies de Darrell Standing au cours des siècles précédents.

« Ceux qui m’ont enfermé pendant quelques misérables années m’ont ouvert, sans le vouloir, l’immensité des siècles »

Il conte les aventures mouvementées du personnage à toutes les époques, que ce soit sous Louis XIII en France, dans une caravane de pionniers en plein désert américain, en Corée aimé par une princesse de haut rang, comme Viking et centurion romain chez Ponce Pilate au temps de Jésus Christ, en Robinson dans une île déserte, et en homme des cavernes dans la dernière réincarnation.
J’ai trouvé que le début du roman était répétitif, un peu long à se mettre en place. Peut-être est-ce l’effet feuilleton, (?), l’écrivain devant retourner un peu sur ses pas d’une semaine à l’autre pour rappeler à ses lecteurs ce qui précédait. C’est ma première impression. Ensuite nous partons avec lui dans les vies antérieures qui sont autant de récits vivants et imaginatifs. Selon mes goûts, je les aurais aimés plus développés, plus étoffés. C’est ce qui me laisse sur ma faim parfois. Mais London n’est pas le maître du roman fleuve, c’est un auteur de récits courts, la plupart du temps, et c’est là qu’il réussit.

Ces récits, outre amener les lecteurs dans les régions de l’imaginaire, ont un autre but. C’est la camisole de force qui permet à Darrell Standing de tenir tête à ses bourreaux et d’être spirituellement (tandis que son corps s’étiole), supérieur à eux, consacrant la victoire de l’esprit sur la matière. Il ne s’agit pas d’une conversion religieuse puisque en dédicace de son roman, Jack London écrit à sa mère qu’il ne croit pas que l’esprit survive à la matière : « Je crois que l’esprit et la matière sont si intimement liés qu’ils disparaissent ensemble quand la lumière s’éteint. ».
Il s’agit plutôt d’une affirmation philosophique qui correspond à l’homme et l’écrivain qui a toujours mis en valeur dans sa vie comme dans ses romans, la force de la volonté, donc de l’esprit, capable de surmonter les faiblesses physiques et les souffrances du corps.

« Plus je me remémore ces faits, plus j’estime qu’un être humain doit être doué d’une force d’âme sans égale, pour survivre sans devenir fou à la brutalité de pareils spectacles qui vous côtoient sans répit, à l’iniquité de semblables procédés dont on est soi-même et sans trêve la victime. »

Le roman a donc un double message : Tout en démontrant la supériorité de l’esprit sur le corps, il dénonce avec force les iniquités du système judiciaire et carcéral américain dont il souligne l’inhumanité et l’absurdité.
Parmi le public qui assiste à l’exécution note Jack London : « Quelques-uns avaient l’air d’avoir bu, et deux ou trois autres étaient déjà malades à l’idée de ce qu’ils allaient voir. Il semble plus facile d’être pendu que de regarder une pendaison.
Grâce à Jack London, nous dit-on dans la préface,« l’usage de la camisole de force et le droit de condamner à mort un détenu indiscipliné seront abolis. »

Rappel : LC Jack London

Pour le 25 Mai : L'amour de la vie

ou si vous l'avez déjà lu un autre, au choix


LC avec Marilyn 

Le vagabond des étoiles

Adaptation BD Riff Reb  du Vagabond des étoiles


LC avec Myriam ICI  Le vagabond des étoiles



jeudi 23 avril 2020

Jack London : le peuple de l'abîme


C’est dans l’été 1902 que Jack London décide de descendre dans les bas-fonds de Londres pour en rapporter un témoignage de la misère sociale qui règne dans la capitale anglaise. Dans la préface, il nous dit qu’on  lui a parfois reproché d’avoir noirci le tableau mais qu’il n’en est rien, bien au contraire. La préoccupation de Jack London, témoigner pour les pauvres, correspond  à son engagement social et politique. Cependant, il le précise, ce sont les individus qui l’intéressent, non les idées d’un parti. Les partis se désagrègent, cessent d’exister, la misère non.
Je me suis demandée pourquoi il avait choisi l’Angleterre et non les USA pour cette enquête dans l’abîme, la situation des ouvriers chez lui n'était pas toute rose et il la dénonce souvent! Il semble, - c’est ce qu’il dit, et on peut le croire puisqu’il l’a vécu-, que le dénuement en Angleterre est encore plus terrible que dans son pays, la législation anglaise concernant les sans-logis venant encore aggraver les conditions de vie des misérables en les privant de toute possibilité de s'en sortir.
Jack London en revêtant de vieux vêtements va se faire passer pour un marin américain sans ressources et vivre par l’intérieur, tout en nous le faisant partager,  la vie de ces pauvres gens. 

Une rue du quartier de Whitechapel en 1902
Le premier chapitre s’intitule La descente et rejoint le titre général de l’essai : le peuple de l’abîme qui désigne l’East End de Londres. C'est là que s’entassent des milliers de malheureux dans la promiscuité la plus totale, à plusieurs familles par chambre, dans un total manque d’hygiène et une saleté sordide. Et plus Jack London s’enfonce au coeur de l’abîme, plus il découvre, comme Dante, les différents cercles de l’Enfer, le chômage, la faim, la privation, la maladie, l’ivrognerie, la prostitution, la violence, le crime, bref!  la déchéance et surtout, plus que tout, la fin de l’espérance ! Ces pauvres gens sont nés dans la misère et leur vieillesse, en les privant de leurs forces, leur enlève la possibilité de travailler, leur ôte tout espoir de survie.

« Mais la région où s’engageait ma voiture n’était qu’une misère sans fin. Les rues grouillaient d’une race de gens complètement nouvelle et différente, de petite taille, d’aspect miteux, la plupart ivres de bière. Nous roulions devant des milliers de maisons de briques, d’une saleté repoussante, et à chaque rue transversale apparaissaient de longues perspectives de murs de misère. L’air était alourdi de mots obscènes et d’altercations.  Devant un marché, des vieillards des deux sexes, tout chancelants, fouillaient dans les ordures abandonnées dans la boue pour y trouver quelques pommes de terre moisies, des haricots et d’autres légumes, tandis que des enfants agglutinés comme des mouches autour d’un tas de fruits pourris, plongeaient leurs bras jusqu’aux épaules dans cette putréfaction liquide… »

Les autres chapitres alternent entre le récit de ses expériences vécues et des études plus synthétiques qui présentent les réflexions de sociologues, les statistiques établis sur la vie et la mort dans l’East End, sur la législation qui les dirige.
« Un quart des londoniens meurt dans des asiles publics, tandis que 939 habitants sur mille, dans le Royaume-Uni, meurt dans la misère. 8 000 000 d’individus se battent pour ne pas mourir de faim, et à ce chiffre, il faut ajouter 2 000 000 de pauvres bougres qui vivent sans confort, dans le sens le plus élémentaire et le plus strict du mot. »
Les textes généraux sont utiles car ils nous font prendre conscience de l’importance de ce phénomène à partir de chiffres d'abord. Ils soulignent ainsi cruellement  la férocité d'un capitalisme qui exploite et broie les individus et d’un gouvernement qui ne cherche pas à régler le problème mais à le masquer en le brimant et le contenant. 
En même temps, Jack London nous amène à découvrir l’absurdité ubuesque des lois anglaises qui interdisent aux  sans-abris de dormir dans les rues la nuit. La police les traque en les réveillant sans répit. S’ensuivent des nuits sans sommeil, par tous les temps et sans rien dans le ventre. Abrutis de fatigue, affaiblis par la faim, par le sommeil, les gens finissent par dormir le jour dès que les parcs sont ouverts, n’ayant plus la force de travailler. La seule solution est donc de chercher un asile de nuit pour y dormir. Mais si l’on veut avoir une possibilité d’y obtenir une place, il faut faire la queue dès le début de l’après midi. Il est donc impossible de chercher un emploi et ceci d’autant plus que les misérables, en échange des nuits d'asile et d’une nourriture mauvaise et insuffisante, doivent accomplir des journées de corvées. Ceux qui n’ont pas de toit peuvent donc difficilement accéder au travail. 
Mais ceux qui ont la « chance » de travailler ne sont pas beaucoup mieux lotis  : un salaire de misère, des horaires surchargés, une pollution au travail intense, hydrocarbones, suie, acide sulfurique, et aucune protection. Les maladies et accidents entraînant des incapacités de travail sont légion et les invalides ne peuvent espérer aucun secours.

« On est donc amené à conclure que l’Abîme n’est qu’une vaste machine à détruire les hommes.. » 

Enfant dans l' East End
Ce que j’ai préféré dans cet essai, c’est de pouvoir partager avec l’écrivain la vie de ces gens. Pouvoir mettre des visages, des histoires sur eux pour qu’ils ne soient pas seulement des chiffres mais des êtres vivants. Certaines scène sont très fortes, marquantes, comme celles où Jack London passe la nuit dans un de ces asiles, les vêtments grouillant de vermines, ou celle où il bénéficie de "la charité" de l'armée du Salut ! 
Avec ses talents de conteur, son sens du détail qui touche, Jack London dresse les portraits pleins d’humanité de ces misérables dont certains ressemblent fort à Jude L’Obscur, le personnage de Thomas Hardy. Sans pathos mais avec amour, il leur redonne ainsi la dignité qu’on leur a arrachée. Certes, London sait qu’il a devant lui l’illustration de la théorie darwiniste de la survie de l’espèce par la loi du plus fort. Mais il se révolte car dans un pays prospère cela n’a plus aucune raison d’être et il exprime son empathie pour les malheureux.

« Je ne voudrais pas être présent lorsque tous ces gueux crieront d’une seule voix à la face du monde leur profond dégoût. Mais je me demande parfois si Dieu les entendra. »

On retiendra donc en conclusion cette phase qui reflète son indignation  :  « Mais la plupart des gouvernements politiques qui gèrent si mal les destinées de ce pays sont -et, là aussi, c’est mon opinion-  destinés à la décharge publique. »

Lecture commune pour le challenge Jack London : 

Lilly
Miriam
Nathalie


Lectures communes Jack London, je vous propose  :

Pour le 8 mai : Le vagabond des étoiles

Pour le 25 Mai : L'amour de la vie

ou si vous préférez un autre au choix