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vendredi 4 septembre 2020

Jack London : La Petite Dame de la Grande Maison



Après une jeunesse aventureuse qui lui apprend la vie  et forge son caractère, Dick Forrest, riche héritier, revient pour faire fructifier ses  immenses propriétés, ses riches cultures, ses élevages modèles, ses mines et entreprises diverses. S’il vit dans le luxe, reçoit beaucoup d’amis,  il a une vie de travail rigoureuse et réglée qui lui laisse peu de temps pour s’occuper de sa jeune, jolie et spirituelle épouse, « la Petite Dame de la Grande Maison », Paula Desten.

Paula est l’idéal féminin de Jack London, non seulement parce qu’elle est belle et gracieuse mais parce qu’elle est intrépide, aventureuse, et ne connaît pas la peur. Cavalière émérite, nageuse hors pair, c’est aussi une musicienne et une chanteuse pleine de sensibilité. Elle a beaucoup d’humour et le sens de la répartie, inspire l’amour à tous les hommes qui l’entourent mais s’attire aussi leur respect et leur dévotion.
Dick Forrest est présenté comme un homme hors du commun, non seulement par son intelligence, sa grandeur de vue, sa force de travail, son sens extraordinaire des affaires, mais aussi par sa virilité,  son courage, son caractère ferme et sa culture. C’est un meneur d’hommes. Bel homme, il séduit son entourage féminin. Comment dans ces conditions pourrait-il avoir un rival ?
Et pourtant, celui-ci existe en la personne d'Evan Graham, son ami, qui se révèle l’égal de Dick et tombe, bien sûr, amoureux de Paula. Homme supérieur, lui aussi ! Aventurier, il a perdu une partie de sa fortune et vit dans une aisance realtive. Musicien lui aussi, il est pourtant plus sensible que Dick et plus à l’écoute.
On comprend ce qui va se jouer entre ces trois personnages. Mais je vous le laisse découvrir.


Je dois dire que cette histoire d’amour à trois m’a très peu touchée.  Ces personnages trop parfaits, et leur trop nombreuses qualités, m’ennuient et par conséquent me laissent de marbre. Et non seulement, ils m’ennuient mais en plus, je ne les aime pas.
Paula et son côté mondain, sa façon de faire admirer ses prouesses, de se donner en spectacle à ses invités, me déplaît. Mais c’est surtout Dick, cet homme d’acier, qui m’est antipathique. Je ne comprends pas comment Jack London, le socialiste, peut donner à admirer ce capitaliste avide, ce faiseur d’argent, qui ne parle que chiffres et rendements. Son paternalisme m’irrite : il n’appelle pas  ses serviteurs chinois par leur nom mais leur donne des surnoms ridicules. Il a des préjugés de classe et préfère noyer ses mines mexicaines que de les laisser aux mains des péons de Villa, pourtant, ô combien, misérables !  Il pense appartenir à une race d’homme supérieur et le proclame. Comment ressentir alors une quelconque empathie pour eux et leur déchirement intérieur ? Mais… car il y a un mais !

Mais l’histoire est traitée avec originalité et une certaine audace puisque l’on y voit, une femme aimer deux hommes. Situation scandaleuse pour l’époque dans une Amérique puritaine.  London évite la banalité, laisse une grande place à la femme et à sa liberté. Les sentiments de Paula sont subtilement analysés et complexes. Pourquoi n’aurait-elle pas le droit de ne pas choisir ? Est-elle réellement libre si l’on considère le dénouement ?  Les discussions sur la femme que Dick partage avec ses invités dont d’ailleurs édifiantes sur ce thème, allant de la misogynie la plus pure à l’affirmation de l’amour libre. 

« Il ne saurait y avoir d’amour sans liberté.. »
« Les hommes, tous les hommes et les femmes, toutes les femmes, sont capables d’aimer plus d’une fois, de voir mourir le vieil amour et d’en sentir naître un nouveau. Pas plus que l’homme et la femme, l’Etat ne peut s’immiscer dans les affaires d’amour ... »

Il est vrai que Dick gâche un peu cette belle déclaration puisqu’il accorde cette liberté seulement aux hommes (et aux femmes ) « supérieurs ».
 N’oubliez pas que je me place au point de vue des natures supérieures. Et ce point de vue éclaire ma réponse à votre question. La grande majorité des individus doit être maintenue dans la légalité et au travail par l’institution de la monogamie ou tout autre espèce de mariage rigoureux. La plupart ne sont pas prêts pour l‘union libre.
Tous ces questionnements nourrissent le récit et l’étoffent, lui donnent de la consistance.  
 
D’autre part, l’attitude de Dick est équivoque. Pourquoi, voyant ce qui se passe, ne fait-il rien pour l’en empêcher? Est-ce l’orgueil qui dicte sa conduite ? Fait-il taire ses sentiments pour être à la hauteur de l’image qu’il veut donner de lui-même, sans faiblesse et sans mesquinerie ?  

Je ne puis concevoir ni la loyauté ni la satisfaction qu’il peut y avoir à retenir une femme qu’on aime dès le moment où elle n’aime plus.
Ou est-ce le goût du jeu qui le motive ? La devise qu’il partage avec Paula est : 

 Au diable la dépense quand il s’agit de s’amuser » !  Et peu importe s’il faut payer de nos dollars, de notre peau ou de notre vie!   
Un jeu dangereux !  Savoir qui va gagner de lui ou de son rival ? Découvre-il trop tard qu’il ne supportera pas la perte de Paula ?  Du coup, le personnage gagne en zones d’ombre, devient plus humain donc plus intéressant, et ouf! nous sauve du poncif  - trop cher au coeur de London et trop récurrent -  de l’homme supérieur, blanc et de « race » anglo-saxonne !

Il semble donc qu’il y ait une lecture au second degré beaucoup plus intéressante, celle qui dépasse les apparences lisses de ces héros au panache éblouissant et superficiel pour découvrir en profondeur leurs failles, leurs faiblesses, leurs peurs et apprendre que ce qu’ils jouent ensemble, c’est tout simplement leur vie !

C’est en ce sens que ce roman m’a intéressée. 

Lecture commune dans le cadre du Challenge Jack London avec Nathalie ICI

 


 

14 commentaires:

  1. Je l'ai lu mais mon billet ne paraîtra que la semaine prochaine. Je suis plus dure que toi, mais en gros c'est la même ligne.
    Il y a 30 pages réussies et touchantes, mais qui sont immédiatement reprises en main par Dick/London qui impose son point de vue au lecteur (il prétend qu'Evans croit ceci ou cela, mais qu'en sait-il ?). C'est assez énervant.

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    1. Je ne suis pas indulgente non plus car je dis bien que je n'ai pas aimé de roman et qu'il m'a irritée. C'est la seule émotion que j'ai ressentie, l'irritation ! Et ces personnages sont d'autant plus imbuvables que l'on comprend qu'ils ont l'admiration de Jack London ! Dans une certaine mesure Dick ressemble à l'écrivain, tu as raison. Par contre, ce qui m'a empêchée de le classer comme roman à "l'eau de rose", c'est la complexité du personnage de Dick, de ses sentiments amoureux mais aussi en tant que homme d'affaires, capitaliste, patron paternaliste. La société dans laquelle il vit est bien décrite même si je ne l'aime pas. Et puis toujours cette théorie de l'homme supérieur an glo-saxon !

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  2. Je l’ai lu, mais je n’en garde pas un grand souvenir (Goran : http://deslivresetdesfilms.com)

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    1. Personnellement, je pense que j'en garderai un souvenir parce qu'il ne m'a pas plu.

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  3. Contente de vous retrouver. Bon week end.

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  4. Ce titre ne figurera pas parmi mes lectures prioritaires de London... Je pense que ma prochaine lecture sera celle du Peuple de l'abîme.

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  5. On dirait bien que ce livre et ces personnages reflètent les paradoxes de Jack London. Ton avis et celui de Goran ne me donnent cependant pas très envie d'en faire une priorité.

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    1. Tu as raison, n'en fais pas une priorité ! je commenterai bientôt L'aventureuse qui n'est pas mal, aussi, quant aux paradoxes de J London!

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  6. Je ne connaissais aps du tout mais il faut que je me lande dans le challenge. Je n'ai lu que construire un feu :-(... Et j'ai des lectures en cours. J. London va devoir attendre.

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    1. Quand tu auras le temps, il y a d'autres titres que celui-ci.

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    2. Je passe mon tour pour la Petite Dame. En revanche j ai les Contes des mers du sud dans ma liseuse

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  7. Et voici mon billet ! https://chezmarketmarcel.blogspot.com/2020/09/il-avait-conscience-davoir-parle-point.html
    Je lirai bien Martin Eden. Il est assez long, donc il faut un peu de temps. Que dirais-tu de décembre ? Ou plus tard si tu as déjà un calendrier établi.

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