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lundi 30 septembre 2019

Andrea Wulf : L’invention de la nature (2) Les aventures d’Alexander Humboldt


Naturaliste, géographe, explorateur, Alexander von Humboldt (1769-1859) est le grand scientifique des Lumières. Il a donné son nom à des villes, des rivières, des chaînes de montagnes, à un courant océanique d’Amérique du Sud, à un manchot, à un calmar géant – il existe même une Mare Humboldtianum sur la Lune. (quatrième de couverture)

Alexander Von Humblodt

Il semble que, lorsqu’on lit la présentation de la quatrième de couverture du livre de Andrea Wulf sur Alexander Von Humboldt, l’on n’ait plus qu'à s’étonner qu’un savant aussi célèbre et qui a eu une influence aussi décisive sur nos connaissances, ne soit pas plus connu du grand public de nos jours. Mais c’est que, explique Andrea Wulf : « Humboldt … nous a apporté le concept même de la nature. Ironie du sort, ses réflexions sont devenues si évidentes que nous avons pratiquement oublié l’homme qui en est à l’origine. ».

Le livre passionnant d’Andréa Wulf a le mérite de nous le rappeler et de nous faire découvrir l’homme avec ses forces et ses contradictions. Au cours de ses voyages, il n’a cessé de s’élever contre le colonialisme, l’esclavage, ou de critiquer les mauvais traitements infligés par les missionnaires catholiques aux indigènes. Il soutient la révolution de Simon Bolivar et veut la liberté des peuples;  et pourtant, il reste au service du roi de Prusse pendant des années pour des raisons financières et peut-être aussi parce qu’il a l’espoir de voir naître une monarchie constitutionnelle. C’est un savant qui aime partager ses découvertes et non les garder jalousement, toujours prêt à aider et à financer un jeune collègue. Ceci dit, il était tellement adulé et couvert de gloire qu’il semble être assez infatué de lui-même. Il parle tout le temps, à tout allure, et n’écoute jamais les autres.


C’est aussi un grand scientifique, dont la mémoire et l’intelligence sont phénoménales et dont l’esprit est ouvert à toute nouveauté, un touche à tout de génie qui s’intéresse à toutes les formes de la science, géographie, botanique, vulcanologie, ethnographie, zoologie… Toutes les branches de la science le passionne. Il vibre devant la course des étoiles, expérimente à son détriment l’électricité des anguilles, corrige les erreurs de cartographie, fait appel à son imagination pour mettre en relation tous les éléments de la nature et concevoir qu’elle forme un « tissu, le grand tissu du vivant », un tout dont les éléments sont reliés les uns aux autres.. C’est au sommet du volcan Chimborazo qu’il a cette révélation, la hauteur de vue, explique-t-il, lui permettant d’embrasser l’ensemble. A la différence des scientifiques systématiciens qui étudiaient la nature, les plantes et les animaux, comme des unités séparées pour les classifier et les hiérarchiser, Humboldt est frappé par les liens qui unissent tous les faits isolés. 
Natugemälde
En redescendant des sommets, il dessine son « naturgemälde », son « tableau » ou « peinture » de la Nature : il y représente la montagne et montre que les espèces végétales se répartissent selon des zones étagées liées à l’altitude, à la température, à l’humidité  et que c’est ainsi partout dans le monde… « Les plantes alpines de Suisse poussaient aussi bien en Laponie que dans les Andes. » 

« La variété des informations scientifiques était ainsi représenté avec une richesse et une simplicité sans précédent. Avant Humboldt, personne n’avait traité de genre de données de façon aussi visuelle. Son tableau physique montrait comme personne ne l’avait fait avant lui que la flore se répartissait selon les zones climatiques à travers tous les continents. Humboldt voyait de l’unité dans l’immense variété de phénomènes. Au lieu d’enfermer les plantes dans d’innombrables catégories taxinomiques, il les répartissait selon le climat et leur environnement : une idée révolutionnaire que l’on retrouve encore aujourd’hui dans notre conception des écosystèmes. »

Henry David Thoreau
 Humboldt au cours de ses investigations s’oppose aussi aux philosophes (comme Descartes, Buffon) qui pensaient que la nature avait été créée pour les hommes et était là pour le servir.  Il remet l’humain à sa place parmi les autres animaux dans le grand réseau du vivant. Après Carl Linné qui avait défini le principe de la chaîne alimentaire, il réfléchit à cette loi de la nature qui assure la survie du plus fort, amorçant la théorie de l’évolution des espèces qui influencera Darwin. C’est lui aussi qui, le premier, attira l’attention sur l’action de l’homme sur la nature et les risques qui en découlaient, devenant ainsi le premier écologiste du monde. A  la fois scientifique et poète, ami de Goethe, il met à l’honneur l’importance de  la poésie, de l’art et de l’imagination dans la démarche scientifique. C’est pourquoi il eut aussi une influence fondamentale sur Henry David Thoreau, George Perkins Marsh, Ernst Haeckel et John Muir....

Le livre se lit comme un roman d’aventures, agréable et facile à lire, qui nous entraîne dans des territoires peu connus avec ces grands voyages au Vénézuela puis en Russie, à une époque où l’exploration du continent est loin d’être terminée, où les découvertes scientifiques fleurissent dans tous les domaines, dans ce siècle des Lumières qui voit la remise en question de l’obscurantisme religieux et des préjugés scientifiques.
Ce que j’ai vraiment apprécié aussi ce sont les chapitres consacrés à tous ceux -cités plus haut- qui l’ont fréquenté, qui ont lu ses ouvrages, à qui il a servi de mentor, de professeur, de phare. J’ai été heureuse d’être en si bonne compagnie. C’est un des grands plaisirs du livre qui m’a apporté beaucoup de connaissances, notamment sur l’influence d’Humboldt sur l’art. Je vous en parlerai dans un troisième billet consacré à ce livre. Oui, il en mérite bien trois !

lundi 23 septembre 2019

Andrea Wulf : L'invention de la nature (1) Citation


Je suis en train de lire L'invention de la nature d'Andrea Wulf et je vous en parlerai dès que je l'aurai terminé..
L'auteure raconte la vie, les voyages et les recherches d'Alexander von Humboldt, scientifique renommé des Lumières qui inventa le concept de Nature tel que nous la percevons maintenant "comme un grand organisme vivant dont tous les éléments sont reliés les uns aux autres"  et qui  fonctionne comme un Tout cohérent.

Aujourd' hui, c'est juste un passage que je veux citer car il est tellement d'actualité.  

Alexander Von Humboldt
 Quand Humboldt explore le Vénézuela, il arrive dans une région agricole fertile, la riante vallée d'Aragua, la plus riche du pays. Pourtant les habitants de la région s'inquiètent car le niveau du lac Valencia  ne cesse de baisser. Nous sommes le 7 Février 1800.

"Lorsqu'on détruit les forêts comme les colons européens le font partout en Amérique avec une imprudente précipitation, les sources tarissent entièrement ou deviennent moins abondantes. Les lits des rivières restant à sec pendant une partie de l'année, se convertissent en torrents chaque fois que de grandes averses tombent sur les hauteurs. Comme avec les broussailles, on voit disparaître le gazon et la mousse sur la croupe des montagnes, les eaux pluviales ne sont plus retenues dans leur cours : au lieu d'augmenter lentement le niveau des rivières par des filtrations progressives, elles sillonnent, à l'époque des grandes ondées, le flanc des collines, entraînent les terres éboulées, et forment ces crues subites qui dévastent les campagnes."

"Humboldt avertissait les hommes qu'il leur fallait comprendre le fonctionnement des forces de la nature et voir que tout était lié. On ne pouvait pas agir impunément sur le milieu naturel pour satisfaire son bon vouloir et ses intérêts. " L'homme n'a d'action sur la nature, il ne peut s'approprier aucune de ses forces, qu'autant qu'il apprend à connaître le monde physique". L'humanité avait le pouvoir de détruire l'environnement et les conséquences pourraient être catastrophiques."

Si Humboldt fut le premier  à expliquer la fonction fondamentale de la forêt dans l'écosystème et son rôle dans la régulation du climat grâce à sa capacité à emmagasiner l'eau et à renvoyer de l'humidité et de l'oxygène dans l'atmosphère tout en protégeant les sols, d'autres grands personnages avant lui s'étaient déjà inquiétés de la déforestation. En 1669, Colbert restreignait les droits d'exploitation des forêts communales et fit planter des arbres pour la construction navale : "La France périra faute de bois". En 1749, le fermier et naturaliste américain John Batram avertissait  : le bois des forêts sera bientôt détruit" et son ami Benjamin Franklin, inquiet, inventa un poêle à combustion lente pour économiser le bois.

Et depuis ? Et de nos jours ?

Août 2019 : feux de forêt en Amazonie image satellite

mardi 14 mai 2019

Norman Doidge : Les étonnants pouvoirs de transformation du cerveau


J’ai d’abord été un peu inquiète en recevant le livre de Norman Doidge, psychanalyste, chercheur et professeur à l’université de Toronto et de Columbia à New York,  « Les étonnants pouvoirs de transformation du cerveau :   guérir grâce à la neuroplasticité »  car je me suis demandée si je n’allais pas caler ,- moi qui ne suis pas scientifique -, devant ce pavé de 400 pages! Mais non, le livre est à la portée de tous avec des explications scientifiques claires et précises, toujours illustrées par des expériences passionnantes. La rencontre de personnes malades qui ont été transformées par les pouvoirs de la neuroplasticité du cerveau  donne une dimension humaine à cet essai.

La découverte de la neuroplasticité du cerveau est encore bien récente et s’est heurté pendant des années au cours de la deuxième moitié du XX siècle au scepticisme des chercheurs tenants de la localisation.
Pour les localisationnistes, certaines zones du cerveau sont spécialisées  et correspondent selon leur localisation à des fonctions précises et non modifiables. Pour eux,  si  l’une des zones est lésée, une autre ne peut pas prendre sa place. Les scientifiques, qui ont découvert la plasticité du cerveau comme le professeur Paul Bach-y-Rita ou le professeur Michael Merzenich affirment, au contraire, que si certaines parties du cerveau sont abimées, d’autres peuvent prendre le relais. Ils ont nommé cette propriété du cerveau, la neuroplasticité, de « neuro » pour « neurones » et de « plasticité » pour exprimer ce qui est malléable, transformable. Cette découverte est révolutionnaire car elle implique qu’un cerveau lésé peut se remodeler de façon à ce que la partie endommagée soit remplacée par une autre. Ainsi par des exercices physiques et mentaux, soutenus, répétés pendant des heures et programmés sur des mois, certains patients, victimes d’un accident cérébral, peuvent se remettre à marcher ou à parler. Le champ d’application de cette découverte est large et infinie, elle concerne la formation professionnelle, l’éducation comme celle des enfants qui ont des troubles du langage ou d’apprentissage, des personnes âgées dont la mémoire est défaillante, des victimes des TOCS… Mais elle peut avoir aussi des résultats nocifs, de mauvaises habitudes,  des pensées constamment négatives, des comportements sociaux, en transformant notre cerveau, nous ancrent dans une rigidité qui peut nous porter préjudice.

Si j’ai choisi de lire Les étonnants pouvoirs de la transformation du cerveau à l’opération Masse critique Babelio, c’est, bien sûr, que le sujet m’interpellait de prime abord car le cerveau est à lui seul un monde surprenant, extraordinaire, que les chercheurs, de l’antiquité à nos jours, sont loin d’avoir exploré complètement et qui a encore beaucoup de secrets à nous révéler. Lire ce livre m’a permis une plus grande compréhension du fonctionnement de notre cerveau et de nos comportements. Je l’ai trouvé passionnant. Il m’a apporté une grande bouffée d’optimisme et d’espoir.  Et je dois l’avouer je me suis même inscrite à l’entraînement Dynamic Brain sur des entraînements conçus par le docteur Michael Merzenich et d’autres scientifiques pour améliorer la mémoire ! https://dynamicbrain-fr.brainhq.com/default/start#




 Le professeur Paul Bach-y-Rita, chercheur à l'université du Wisconsin  dont les recherches ont révolutionné les domaines de la neurobiologie et de la rééducation, est l’ inventeur de la vision tactile. C'est en 1969 qu'il a mis au point un système de suppléance visuelle à destination des non-voyants. Il est décédé en 2006. 









Michael Merzenich, née en 1942, est un neuroscientifique et professeur émérite américain. Il enseigne à l'Université de Californie à San Francisco depuis 1980. Il est connu pour ses recherches sur la plasticité cérébrale.







Merci à Babelio Masse critique et aux Editions Belfond

jeudi 6 décembre 2018

Malte : Promenade avec Daniel Rondeau, auteur de Malta Hanina,

Les falaises de Dingli

Il est agréable de quitter la ville et les routes à la circulation intense et folle pour aller vers le sud de l'île, au bord de la mer, des falaises de Dingli, en passant par la grotte bleue jusqu'à Marsaxlokk, petit port de pêcheur.  La promenade se fait avec le livre de Daniel Rondeau, Malta Hanina, (Malte l'Aimée, la Généreuse)

 Malte est cette île mystérieuse, habitée et bâtie depuis le printemps de l'humanité, posée sur la route du milieu  (celle des audacieux, les prudents préféraient le cabotage), à égale distance de Tanger et de Beyrouth, entre la Sicile et le rivage Libyen. Il ne faut jamais sous-estimer la géographie. Elle assigne souvent notre rôle dans l'histoire. Bouton de la rose des vents méditerranéens, nombril de la mer, l'île s'est toujours montrée à la fois fermée et ouverte, avec ses remparts de falaise battus par les flots, ses à-pic taillés dans le vif d'une roche d'un seul tenant, et sa dentelle de criques et de baies d'eau profonde, faites pour le mouillage et les aiguades, où viennent mourir des cultures en terrasses, entourées de bas murs de pierres sèches, de haies de lauriers ou de figuiers de barbarie.

Les figuiers de barbarie débordent des murets le long des petites routes


 Je laisse donc à Daniel Rondeau,  le soin de décrire ces murs de pierre si typiques du pays et ces champs dont certains plein de pierres ne sont pas encore gagnés à la culture.

Des deux côtés de la route, des murs de pierre, parfois solidement assis sur la roche structurent le paysage. Tous signes d'une vieille ordonnance humaine, protection des jardins et retenues de soutien pour les maigres parcelles cultivées, ils ont été arrachés à la roche, comme l'humus des terrasses, mélange de pierres concassées, de sable et de terre, parfois importée de Sicile. En contrebas, la mer éblouissante, déroule son immense nappe de lumière.



Au pied des falaises de Dingli,  les petits jardins entretenus.


au pied des falaises de Dingli
Falaise de Wield Babu en face de la Grotte bleue de Wied Iz-Zurrieq
Agave : ils sont très nombreux à Malte
Falaise de Wield Babu
La grotte bleue
La grotte bleue
 La grotte bleue avec son va-et-vient de bateaux emplis de touristes. Je ne l'ai pas visitée, j'ai préféré aller voir les sites mégalithiques de Hagar Qim et de Mnajdra Temples dont je vous parlerai longuement plus tard.

Le site de Mnajdra Temples
Végétation typique de l'île
La tour de guet
Au loin la petite île de Fifla


 Béni Catana, retraité du Corinthia Hotel, vient quotidiennement de Siggiewi, pour pêcher ou pour regarder la mer. Il parle de l'île de Fifla, au large de la côte, aujourd'hui réserve naturelle dont l'accès est interdit, et où les pêcheurs allaient autrefois suivre la messe le dimanche, avant que les artilleurs britanniques ne la prennent comme cible pour leurs entraînements et la réduisent de moitié.
Une centaine d'hommes continue de pêcher dans cette échancrure de la côte. Béni me fait les honneurs de sa cave à bateaux. Vus de l'extérieur, ces trous dans la roche sont de proportions insoupçonnables. Son hangar abrite deux grosses barques et du matériel de pêche, mais aussi une table et des chaises. Et peut servir de dortoir pendant les nuits d'été.

La petite île de Fifla

Fifla et ses variations incessantes de lumière

 En l'espace de quelques minutes la mer et le ciel varient de couleurs, les jeux de lumière sont intenses et changent  sans cesse. C' est ce que remarque Daniel Rondeau.

 Cet automne, lumineux et doux dure longtemps. Nous allons parfois marcher sur la côte à la nuit tombante. Les eaux paraissent jaunes, violettes, puis virent au bleu sombre. La route suit le lit d'un oued toujours à sec et longe une succession d'échancrures, serties dans les falaises bleues, grises, noires, parfois ceinturées par de modestes baraquements qui servent de garages aux bateaux et de maisons aux pêcheurs.... Pendant quelques jours , le ciel reste sans nuage, la mer sans ride, claire et transparente. Il arrive que quelques tempêtes passent. Embruns, gerbes d'eau, couleurs vives, ciel breton où filent les nuages. Tout s'apaise toujours très vite. Grand soleil et nuits étoilées, parfums de campagne chaude, l'automne n'existe pas.

Le port de Marsaxlokk est toujours un port de pêche traditionnel. On y pêche le thon, la dorade et l'espadon.

Des palmes fraîchement coupées sont rangées dans le bas de d'une étagère. Béni va les tresser pour en faire une sorte de radeau (appelé cima) qui sert de piège aux lampukas (dorades coryphènes) le poisson favori des Maltais. Les pêcheurs posent ces radeaux sur l'eau. Les premières dorades de Septembre se rassemblent sous leur ombre, et les patrons de barques n'ont plus qu'à jeter leurs filets. La saisons des lampukas dure plusieurs semaines, puis les cimas finissent par sombrer. Leurs palmes imputrescibles tapissent les fonds des bords de l'île.





Le port de Marsaxlokk




Marsaxlokk est célèbre pour la beauté des barques vivement colorées. Certaines sont décorées d'un oeil, l'oculus, héritage des dieux Horus ou Osiris, et sont censés éloigner le mauvais sort.

 Malte a tenu tous les rôles du théâtre méditerranéen. Sous son masque pierre, dans ses robes de soleil et de mer, elle fut la convoitée, l'oubliée, la disputée, la cruelle, la fervente, la débauchée, l'île refuge, l'île citadelle, l'île prison, plateforme pour tous les commerces (le blé, les oranges, le vin, les esclaves) et pour la guerre, base navale depuis les Phéniciens, grande infirmerie de la première grande guerre mondiale, bunker essentiel des Alliés pendant la seconde, toujours grenier à rêves variés et contradictoires. Les chevaliers de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem ont fait la gloire de son nom.


mercredi 21 novembre 2018

Carl Safina : Qu'est-ce qui fait sourire les animaux ?


Qu’est-ce qui fait sourire les animaux? Enquête sur leurs émotions et leurs sentiments. C’est ainsi que l’on a choisi de traduire le titre de l’essai de Carl Safina :  Beyond words,  What animals think and feel : Au-delà des mots, ce que les animaux pensent et sentent. Et je préfère de loin le titre anglais car c’est bien de cela que Carl Safina va nous entretenir. Les animaux ne parlent pas, du moins comme nous, mais au delà des mots, quelles émotions ressentent-ils, comment communiquent-ils entre eux, que pensent-ils ?  En un mot, sont-ils intelligents? Oui, répond Carl Safina, mais pas comme nous pour la bonne raison … qu’ils ne sont pas nous ! 

« Mais une fois encore, peu importe que les chiens soient ou ne soient pas exactement comme nous. Ce qui importe, c’est qu’ils soient comme eux.  La question intéressante est comment sont-ils?»

Carl Safina enfonce-t-il des portes ouvertes en parlant ainsi de l’intelligence des animaux ? Et bien non, bien au contraire ! Il y a quelques années, nous explique-t-il, cette affirmation signait la fin de la carrière d’un chercheur, et de nos jours encore elle peut provoquer le mépris de ses pairs. Dans les années 60, je me souviens d’un devoir du bac en philosophie qui nous demandait de réfléchir sur ce sujet mais où nous savions pertinemment qu’il fallait répondre par la négative.  Et cela n’avait pas l’air d’avoir évolué dans les classes de philo quand mes filles étaient en terminale malgré toutes les recherches réalisées depuis par les chercheurs auprès des animaux. 
C’est que reconnaître à un animal une pensée, une conscience ou même des émotions, c’est remettre en cause non seulement le statut de l’homme et sa place dans l’univers mais aussi son confort moral. Peut-on manger des animaux ? interroge dans un autre essai Jonathan Safran Foer ICI, peut-on les transformer en esclave ?  Peut-on les maltraiter, les prendre pour cobayes?

« Quand nous recherchons l’intelligence d’autres espèces, nous commettons souvent l’erreur de Protagoras qui considérait l’homme comme « la mesure de toute chose ». Parce que nous sommes des humains, nous avons tendance à étudier l’intelligence humaine des non-humains. Sont-ils intelligents comme nous ? Non.  Donc nous avons gagné ! Sommes-nous intelligents comme eux? Ça nous est bien égal. Nous exigeons qu’ils jouent notre jeu; nous refusons de jouer le leur. »

C’est ainsi que Carl Safina, spécialiste de la vie marine, professeur d’université, va étudier différentes espèces en se moquant des scientifiques enfermés dans des laboratoires qui refusent de voir ce qui est évident « parce qu’il n’y a pas de preuve ». Il privilégie ainsi ceux qui étudient pendant des années les animaux en liberté, dans leur milieu naturel, d’une manière sérieuse et rigoureuse.  « Observation + Logique », dit-il, est science ». Finalement c’est une réhabilitation de l’anthropomorphisme mais bien sûr à manier avec prudence et  seulement lorsqu’il s’agit d’une évidence !.

«  Nous ne doutons  apparemment jamais qu’un animal qui se comporte comme s’il avait faim éprouve de la faim. Pourquoi ne pas admettre qu’un éléphant qui paraît heureux est heureux ? Nous identifions la faim et la soif lorsque les animaux mangent et boivent, l’épuisement lorsqu’ils sont fatigués mais nous refusons de parler de joie et de bonheur quand ils jouent avec leurs enfants et leurs familles. La science du comportement s’est longtemps appuyé sur ce préjugé -ce qui est antiscientifique. »

Il est donc tout à fait légitime pense Carl Safina de se fier à l’observation de spécialistes, surtout quand elle se poursuit pendant de nombreuses années en milieu naturel, ce qui n’exclut pas le recours à la  preuve scientifique quand elle est possible. Ainsi l’on s’aperçoit que le cerveau d’un animal en train de jouer produit les mêmes hormones qui, chez les hommes, inhibent le stress et provoquent la détente et la joie. Les mêmes processus chimiques sont sollicités quand il s’agit de l’amour pour un bébé chez les humains comme chez les animaux. De même, d’après les chercheurs, les cétacés possèdent peut-être « notre type d’intelligence » car l’on a découvert dans leur cerveau des neurones en fuseau « les TGV du système nerveux » que l’on a cru longtemps être l’apanage de l’homme .
Dans cet essai divisé en trois parties, Carl Safina, étudie les éléphants, les loups et les dauphins en allant  mener des observations sur place. 

Je ne peux vous parler de toute la richesse de cet essai soutenu par une réflexion sur ce qu’est l’intelligence, la conscience, la pensée chez les êtres vivants (et même chez les végétaux). Mais rien d’ardu ou de rébarbatif. Au contraire ! Ce que je peux dire, c’est que le livre est agréable à lire, plein d’humour mais aussi d’amour et de compréhension pour les animaux, rempli d’anecdotes sur leur vie, leur comportement, de découvertes extraordinaires sur leurs émotions, leurs jeux, leur rapport à la mort, leurs relations avec les hommes. A peine ai-je trouvé des longueurs dans la deuxième partie sur les loups où sont repris des observations déjà notées dans la première partie et donc redondants mais je suis bien repartie avec les dauphins et les baleines. De plus, quand Carl Safina se laisse aller à sa passion, c’est bien écrit !

« Les éléphants nouent des liens sociaux profonds qui se sont mis en place depuis la nuit des temps. Les comportement parentaux, la satisfaction, l’amitié, la compassion et le chagrin n’ont pas fait leur apparition du jour au lendemain avec l’émergence de l’humain moderne. Dans l’immense chaudron du temps du vivant, l’origine de notre cerveau est indissociable des cerveaux d’autres espèces. De même que notre esprit. »

 

 De quelques anecdotes


Humour  à l’intention des scientifiques trop fermés, trop rigides  : Nier l’évidence

Carl Safina avec Jude et Chula
« Quand un chien gratte à la porte, certains humains affirmeront mordicus que nous ne pouvons pas savoir si le chien « veut » sortir. (Pendant ce temps, évidemment, votre chien pense : «  Hé! Tu vas m’ouvrir où quoi? Je vais finir par pisser à l’intérieur ») Manifestement, le chien veut sortir. Et si vous vous obstinez à nier l’évidence, vous ferez bien d’avoir une serpillère sous la main. »

Un portrait attendrissant

Carl Safina

« La trompe du nouveau-né est son principal intermédiaire avec le monde… elle remue, renifle, palpe constamment. Mais elle constitue aussi pour lui un dilemme troublant. Ces petites trompes sont des appendices caoutchouteux difficiles à contrôler. Les bébés doivent apprendre à s’en servir. Ils multiplient les expériences, les balançant, les relevant ou les faisant tournoyer pour voir à quoi peut bien servir ce machin bizarre. Il arrive de marcher sur leur propre trompe et de trébucher. Certains la sucent pour se réconforter, comme un enfant humain suce son pouce. »

Le langage des signes : Les singes ne peuvent pas parler avec des sons humains

Washoe,

Le Bonobo Kanzi comprend plus de mille mots anglais, y compris des phrases dotées d’une syntaxe. Washoe, une femelle chimpanzée, a appris le langage de signes et l’a transmis à d’autres. 

Anecdote : Kat, l’assistante de recherche auprès de Washoe attendait un bébé mais fit une fausse couche.

« Sachant que Washoe avait perdu deux de ses propres enfants, Kat a décidé de lui dire la vérité. Elle lui a transmis par signes : MON BEBE EST MORT ». Washoe a regardé par terre. Puis elle a fixé Kat droit dans les yeux et a fait le signe PLEURE, en touchant sa joue juste au-dessous de l’oeil… Ce jour là, quand Kat a voulu s’en aller, Washoe n’a pas voulu la laisser partir. S’IL TE PLAÎT PERSONNE CÂLIN » , a-t-elle dit par signes.

Les orques et les humains : 

L86 avec sa fille Victoria tuée par des explosions de l'US Navy
"Il semble que les orques nous posent des questions si déroutantes qu’elles en sont gênantes. Pourquoi ces créatures déclareraient-elles unilatéralement la paix avec les humains, et non avec des dauphins plus petits et avec les phoques qu’elles attaquent et dévorent? Pourquoi choisiraient-elles de nous prêter assistance, à nous ? Et pourquoi ne nous gardent-elles pas rancune? Pourquoi après tous les harcèlements, captures et perturbations chroniques que nous leur avons infligés, ne manifestent-elles pas au contact des hommes de crainte acquise et transmise, à l’image de celle que les loups, les corvidés et même certains dauphins paraissent enseigner à leurs jeunes?"

lundi 3 septembre 2018

Retour ...


Coucher de soleil en montagne : Lozère

 Au revoir les vacances !

Après deux mois de silence, me revoilà. J'ai dit au revoir au coucher de soleil du mois d'août derrière les montagnes de Lozère, sur le chemin de l'Arbre foudroyé, au revoir aux petits êtres magiques de la maison aux pierres de granit :


Au revoir au village : La nuit tombe, quelques lampes s'allument :

Le village de Grizac


Bonjour la rentrée !


la veille la rentrée : admirer son cartable de grand garçon

La rentrée : En cette occasion, j'ai bien sûr craqué pour quelques livres et je vous présente ma  cueillette :

 un classique jamais lu Sous la verte feuillée d'un de mes auteurs favoris, Thomas Hardy, 

un policier (?) ou plutôt un roman historique Deux homme de bien d'Arturo Pérez-Reverte (Mars 2018);  

un essai Qu'est-ce qui fait sourire les animaux ? (Mars 2018) critique lue dans le Monde alors j'ai re-craqué ! 

Hildegarde de Léo Henry (Avril 2018) prêté (ouf! Merci mon frère, un de moins à acheter !) 

et puis les deux  plus récents Camarade papa de Gauz (Juin 2018) que Keisha dit avoir aimé ICI  
et George Sand à Nohant (août 2018) en espérant que Michelle Perrot saura me surprendre  : j'ai tellement lu sur Sand !

Et puis pour le rentrée littéraire, je sais que l'envie viendra en vous lisant, camarades blogueuses !



PS :

Massif Central : montagnes de Lozère

Etes-vous comme moi ? Les voyez-vous ces îles et cette ville sur la mer dans le  lointain ?



mardi 24 juillet 2018

Roger D. Masters : La fortune est un fleuve, Léonard de Vinci / Machiavel




La fortune est un fleuve  s’intéresse à un fait peu connu de l’Histoire, la tentative de détournement de l’Arno pour faire de Florence un port maritime, projet qui réunit deux célèbres figures de la Renaissance Italienne, Léonard de Vinci et  Nicolas Machiavel.

Ces deux grands hommes se sont connus à la Cour de César Borgia en 1502. Machiavel qui occupait alors le poste de deuxième conseiller à la Signoria de Florence y était envoyé en mission pour négocier avec César Borgia, fils du pape Alexandre VI. Léonard de Vinci y était  employé comme ingénieur et architecte notamment dans la conception des fortifications, l’architecture urbaine et les techniques militaires.
Tous deux rentrent ensuite à Florence en 1503 et leur collaboration pour la réalisation de ce projet surprenant, détourner l’Arno de Pise, commence.
 Le premier but de ce projet est militaire. Florence vient de subir deux défaites dans la guerre qui l’oppose à Pise. En détournant l’Arno de cette ville et en privant les Pisans d’eau, les florentins s’assurent de la reddition de la cité ennemie. Mais le but ultime poursuivie par Vinci est de fournir  un port à sa ville en rendant le fleuve navigable de Florence à la mer. D’autre part, il prévoit des travaux d’irrigation d’envergure permettant aussi de rendre fertile et productive la nouvelle vallée ainsi créée.

Vinci a conçu trois projets différents mais celui qui est retenu  est d’amener L’Arno directement de Florence au Stagno de Livourne. p 142
Si les travaux commencés en 1504  échouèrent, l’on sait que les plans de Léonard de Vinci n’en sont pas la cause. L’ingénieur hydraulicien, Colombino, choisi pour diriger le projet n’était pas à la hauteur et ne respecta pas le plan initial de Vinci qu’il jugeait trop difficile à réaliser. Le manque d’argent, l’insuffisance du nombre d’ouvriers, et peut-être aussi le manque de volonté, l’indécision de Pier Soderini, gonfalonier de Florence, expliquent aussi que le projet fut un échec et eut des répercussions fâcheuses sur leur vie à tous deux.

En dehors de la description très documentée, cartes à l’appui, de ce projet pharaonique, le livre de Roger D. Masters dresse un portrait de ces deux grands personnages et les accompagne tout au long de leur vie, de l’enfance à la mort, une vie mouvementée faite de hauts et de bas, de brillantes réussites et d’échecs qui les laissent démunis. Il présente au lecteur leur oeuvre respective, peinture, recherches scientifiques, militaires, pour Vinci, poésie, ouvrages historiques et politiques pour Machiavel. Il décrit leur philosophie respective, leur humanisme dans le  tourbillon intellectuel de cette période tourmentée et florissante, leurs différences aussi et ce qui les unit. Et puis, c'est la partie que j'ai préférée,  bien sûr, leurs héritages, tout ce que nous devons à ces esprits supérieurs.
Un livre qui présente donc des qualités et de l’érudition mais j’avoue avoir été désagréablement surprise, surtout de la part d’un historien qui se doit d’être objectif, des parallèles établis à deux reprises entre le passé et l’histoire des Etats-Unis pour justifier l’utilisation de la bombe atomique (p 149 et p181) sur Nagasaki et Hiroshima. Choquant !

"L'échec du projet de l'Arno fut une catastrophe pour Léonard de Vinci et Machiavel, comme pour Soderini et le gouvernement de Florence. Buonaccorsi conclut avec tristesse, "cette entreprise coûta sept mille ducats ou plus, parce que, outre les salaires des ouvriers et d'autres choses, il fallut garder sur place un millier de soldats pour protéger les ouvriers des attaques des Pisans." Pour comprendre les implications, il suffit d'imaginer que les bombes atomiques larguées sur Hiroshima et Nagasaki n'aient pas explosé, menant à une invasion longue et onéreuse du Japon par les troupes américaines et à l'abandon de la technologie nucléaire."


Merci à Babelio Masse critique et aux éditions Omblage

mercredi 24 janvier 2018

Daniel Mendelsohn : Une odyssée, un père, un fils, une épopée (suite et fin)


Lorsque Jay Mendelsohn, âgé de quatre-vingt-un ans, décide de suivre le séminaire que son fils Daniel consacre à l'Odyssée d'Homère, père et fils commencent un périple de grande ampleur. Ils s'affrontent dans la salle de classe, puis se découvrent pendant les dix jours d'une croisière thématique sur les traces d'Ulysse.
À la fascinante exploration de l'Odyssée d'Homère fait écho le récit merveilleux de la redécouverte mutuelle d'un fils et d'un père. (résumé de l'éditeur Flammarion)

Je vous ai présenté deux passages du livre de Daniel Mendelsohn au fur et à mesure que je le lisais tant ce livre soulevait mon enthousiasme et me donnait envie de tout partager avec vous ! voir Texte 1 ICI et Texte 2 ICI

Laerte de Jean Styka (source)

L’Odyssée d’Homère est l’histoire du retour d’Ulysse à la fin de la guerre de Troie et de son long et douloureux voyage à travers la Méditerranée pour rejoindre son royaume, Ithaque, et sa famille. Mais, nous dit Daniel Mendelsohn, c’est aussi et avant tout l’histoire d’un père et d’un fils, d’Ulysse et de son fils Télémaque, d’Ulysse et de son père Laerte. Le poème antique commence d’ailleurs par la recherche de son père par Télémaque (La Télémachie) et finit par les retrouvailles d’Ulysse avec son père Laerte .

C’est ce qu’explique le sous-titre de ce livre : Une odyssée, un père, un fils, une épopée.
Dans ce titre, on le voit, le déterminant défini est remplacé par l’indéfini « une ». Il nous avertit que l’auteur va nous donner son interprétation de L’Odyssée (telle qu’il l’a reçue lui-même de ses mentors; il pourrait y en avoir d’autres) mais aussi qu’il va nous en conter une autre : celle d’un fils Daniel et de son père Jay.

Et ce sont bien là les trois fils conducteurs du récit, ceux que j’ai suivis avec passion : 

L’analyse de l’Odyssée  m’a appris tant de choses que je ne savais pas sur cette oeuvre qui m’a pourtant accompagnée depuis l’enfance, des récits mythologiques à la lecture renouvelée de l’Odyssé.  En français. C’est pourquoi le cours du professeur helléniste qui nous fait entrer dans le récit par le biais de la langue grecque est si enrichissant.

L’enseignement, est le thème en filigrane, toujours présent du présent au passé, celui de la transmission des savoirs mais aussi des valeurs quand il s’agit du père et du fils. Nous assistons donc au cours du professeur Mendelsohn, à la maïeutique qu’il met en place auprès de ses étudiants, à leurs réactions judicieuses et à celles du père qui introduisent l’humour dans le récit. Interventions toujours parfaitement intelligentes et qui révèlent son caractère et ses principes moraux.  Et là, on s’aperçoit que le fils malgré les reproches qu’il fait à son père, n’est pas si éloigné de lui et a intégré certains de ses principes et de ses craintes : l’amour d’un travail rigoureux et la recherche de la difficulté, par exemple, ou la peur de l'échec.

Les relations père / fils, le présent et le passé se mêlent, les souvenirs remontent à la mémoire, souvent grinçants, voire douloureux, mais finalement pleins d’humanité entre le fils et le père.

J’ai aussi admiré comment tout en nous expliquant la composition circulaire de L’Odyssée, Daniel Mendelsohn appliquait à son propre texte les mêmes principes. Cette construction laisse le récit en suspens pour des rétrospectives qui après bien des détours dans les strates plus ou moins éloignées du passé, nous ramènent au moment présent.

« Si, à première vue, elle peut s’apparenter à une digression, la composition circulaire constitue en fait une technique efficace pour intégrer à une même histoire le passé, les présent, et parfois même l’avenir, puisque certaines « spirales » se déroulent vers l’avant, anticipant des évènements qui se produiront après la conclusion du récit principal. De cette manière, un seul récit, voir un seul moment, peut contenir toute la biographie d’un personnage ».

Ulysse rencontre sa mère  Anticlée aux Enfers

Voici un livre coup de coeur, un livre tout à la fois savant et proche de nous. On y glane une foule de connaissances qui nous amène à une relecture différente de l’Odyssée mais aussi nous pousse à réfléchir sur les relations parents et enfants.
Au-delà de l’histoire de Jay et Daniel, nous nous interrogeons :  Avons-nous, nous-mêmes, compris qui étaient vraiment nos parents ?  Avons-nous même fait l’effort d’essayer ? Et quelle est l’image que nous laisserons à nos enfants ? Ce n’est qu’après la mort de Jay que Daniel mène une enquête pour éclairer certains moments de sa vie ! On pense alors à la scène où Ulysse retrouve aux Enfers Anticlée, sa mère morte, elle qui était encore vivante au moment de son départ et qu’il cherche par trois fois à l’étreindre. Mais en vain. Il est trop tard, il ne s’agit plus que d’une ombre.
 Je vous l’ai dit, ce livre est très riche et nous parle de beaucoup de choses et en particulier d’amour.


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mardi 23 janvier 2018

Daniel Mendelsohn : Une odyssée, un père, un fils, un épopée (citation 2)

Sir William Russell Flint (1880-1969)

Ulysse et Calypso (source)

Lorsque Jay Mendelsohn, âgé de quatre-vingt-un ans, décide de suivre le séminaire que son fils Daniel consacre à l'Odyssée d'Homère, père et fils commencent un périple de grande ampleur. Ils s'affrontent dans la salle de classe, puis se découvrent pendant les dix jours d'une croisière thématique sur les traces d'Ulysse. (Voir Citation 1)

À la fascinante exploration de l'Odyssée d'Homère fait écho le récit merveilleux de la redécouverte mutuelle d'un fils et d'un père. (résumé de l'éditeur Flammarion)

Dans le billet précédent consacré à un passage du texte (citation 1) où le père de Daniel Mendelsohn contestait à Ulysse son titre de héros en s'opposant à son fils, professeur d'université, je vous ai dit que l'essai Une odyssée, un père, un fils, un épopée, était passionnant, érudit et touchant. J'entendais par ce dernier qualificatif qu'il passait beaucoup d'émotion dans ce texte. Car le livre à travers cette analyse savante et si agréable de l'oeuvre d'Homère, est aussi un moyen de parler des rapports que nous avons avec nos parents.
Ici un père intransigeant, sévère, plein de principes, et un enfant en révolte, deux êtres que ne se sont jamais sentis proches. Ils vont finalement se retrouver et même plus, se découvrir, à l'âge adulte, au cours d'une croisière qu'ils feront sur les traces de l'Odyssée à la fin du séminaire.
Une telle expérience n'est pas donnée à tout le monde. Nos parents disparaissent parfois sans que nous ayons eu ce moment privilégié où le masque de l'adulte tombe, où les reproches voire les rancoeurs liées à l'enfance disparaissent et où il ne reste plus que l'amour.

Voici un extrait de ce beau texte p 235

La croisière entreprise par nos deux personnages les amènent jusqu'à l'île de Gozo qui appartient à l'archipel maltais. C'est là que se situe la grotte de Calypso. Daniel, claustrophobe, a une crise de panique et refuse de s'enfoncer dans la cavité malgré les exhortations de son père .

"Alors mon père a fait une chose qui m'a sidéré. Il a tendu le bras et m'a pris par la main. Je l'ai regardé faire et j'ai éclaté de rire. Papa, voyons!
Tout ira bien, me rassura-t-il en me serrant légèrement la main, chose que, autant que je me souvienne, il n'avait plus faite depuis l'époque où j'étais petit garçon. Sa main à lui était légère, sèche et fine. Je la fixai, gêné.
Je serai là avec toi, à chaque pas, promit mon père. Et si tu ne supportes pas, nous sortirons.
J'observai nos mains liées l'une à l'autre et, contre tout attente, je dus avouer que cela me faisait du bien. Je m'assurai que personne alentour ne nous regardait mais je compris alors, avec un sentiment confus de soulagement, que si jamais quelqu'un nous voyait, il s'imaginerait que c'était moi qui guidais mon père en le tenant par la main. C'était pour lui, après tout, qu'il existait un un risque réel; c'est lui qui avait la hantise de tomber.
C'est ainsi que j'ai visité la grotte de Calypso avec mon père qui me tenait la main."

 A demain pour le dernier billet sur ce livre !

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mercredi 17 janvier 2018

Daniel Mendhelsohn : Une Odyssée, Un père, un fils, une épopée (citation 1)

Mosaïque : Ulysse et les sirènes (musée de Tunis)
Lorsque Jay Mendelsohn, âgé de quatre-vingt-un ans, décide de suivre le séminaire que son fils Daniel consacre à l'Odyssée d'Homère, père et fils commencent un périple de grande ampleur. Ils s'affrontent dans la salle de classe, puis se découvrent pendant les dix jours d'une croisière thématique sur les traces d'Ulysse.
À la fascinante exploration de l'Odyssée d'Homère fait écho le récit merveilleux de la redécouverte mutuelle d'un fils et d'un père. (résumé de l'éditeur Flammarion)
 


Je suis en train de lire  Une Odyssée, Un père, un fils, une épopée de Daniel Mendhelsohn.  Pendant ma lecture et avant de rédiger un billet sur ce livre passionnant, érudit, et touchant, je vous inviterai à lire quelques extraits du livre, ceci afin de vous mettre un peu l'eau à la bouche.
J'ai choisi aujourd'hui un passage plein d'humour qui éclaire les relations du père et du fils et qui apporte aussi une réflexion intéressante sur l'oeuvre d'Homère.

Le père, Jay Mendhelsohn assiste donc au premier cours de son  fils qui porte sur le chant I et sur le proème de l'Odyssée, le proème c'est à dire "les vers liminaires qui annoncent au lecteur le sujet de l'oeuvre - le cadre de l'action, l'identité des personnages, la nature des thèmes."

Voilà comment réagit le père quand son fils qualifie Ulysse de héros.

Buste grec ancien d'Odysseus, Ulysse

"Ce fut à ce moment-là que mon père leva la tête et dit, "Un Héros? Moi je trouve qu'il n'a rien d'un héros.
 (...)
Très bien répondis-je à mon père.  Et qu'est-ce qui te fait dire qu'il n'a rien d'un héros?

Eh bien reprit-il. Vingt ans plus tôt il est parti combattre à la guerre de Troie, non ? Et à ce que l'on sache il dirigeait l'armée du royaume...

En effet... Le chant II de l'Iliade énumère toutes les armées grecques qui ont convergé vers Troie. Et il est dit qu'Ulysse a levé l'ancre avec un contingent de douze navires.

Justement, répliqua triomphalement mon père. Cela représente plusieurs centaines de soldats. Et donc ma question est : où sont passés ces douze navires et leurs hommes de bord ? Comment se fait-il qu'il soit le seul à rentrer chez lui vivant ?

En fait c'est une bonne question, dis-je (...) Si vous avez lu le proème, vous vous souviendrez qu'il qualifie les marins d'"insensés" qui ont péri "par leur folle témérité". A mesure que nous avancerons dans le poème, nous en apprendrons davantage sur les évènements qui ont causé la mort de ces hommes, des groupes différents, à différents moments. Et alors vous me direz si vous pensez que c'est vraiment par leur folle témérité qu'ils sont morts.

Mon père grimaça, l'air de dire qu'il se serait mieux débrouillé qu'Ulysse et que lui aurait ramené sans encombre ses douze navires et leur équipage. Donc, tu admets qu'il a perdu tous ses hommes ?

Oui, répondis-je sur la défensive. J'avais l'impression d'avoir onze ans, qu'Ulysse était un camarade de classe qui avait fait une bêtise et que j'avais décidé de le défendre, quitte à être puni avec lui. (...)
Il n'était visiblement pas convaincu.

Les boeufs du Soleil
Le professeur continue son explication :

"Si on y réfléchit bien, il doit absolument être le seul à rentrer.
Je mesurai mon petit effet, laissai planer un instant de suspens, et repris : Si Ulysse est le seul à être toujours debout, alors?...

Trisha (une étudiante) leva le nez de son cahier. Alors il devient le héros de l'histoire.

Exactement. Elle est vive cette petite, me dis-je.
Imaginez... A quoi ressemblerait l'Odyssée s'il était rentré avec une douzaine d'hommes, ou cinq, ou même un seul ? ça ne marcherait pas. Pour être le héros d'une épopée, il faut se débarrasser de la concurrence, pour ainsi dire !

Mon père revint à la charge. Et bien moi, je ne trouve pas qu'il ait grand chose d'un héros. Il prit à témoins les étudiants. Un chef qui perd tous ses hommes ? Vous parlez d'un héros!

Les étudiants éclatèrent de rire (...) Pour leur montrer que j'étais bon joueur, je fis un grand sourire.

Mais intérieurement, je bouillonnais. Ca va être l'horreur ce cours ! "

 


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