Dans Les enfants de la Volga, Gouzel Iakhina raconte l’histoire des Allemands de la Volga, près de Saratov, une communauté attirée en Russie par la tsarine Catherine II dans la seconde moitié du XVIII siècle et qui a conservé sa langue, ses traditions et sa culture. En 1918, Lénine reconnait leur autonomie. Dans les années 1921-1922, les Allemands connaissent la famine, ce qui en décide certains à retourner dans leur pays d’origine. Les autres ont eu à subir les vicissitudes de l’histoire, réquisitions, collectivisation, déportation en Sibérie pendant la guerre de 1940-45; après la guerre, la communauté ne s’est jamais reformée et a disparu.
C’est dans ce cadre que s’inscrit l’histoire du schulmeister (maître d’école) Jakob Ivanovitch Bach, un être laid, falot, effacé et solitaire, à la parole difficile, qui mène une vie monotone, réglée par la cloche de l’école dans un petit village allemand au bord de la Volga. Le cours de cette terne existence va être rompu lorsqu’un riche fermier, habitant l’autre rive de la Volga gardée par de hautes falaises, le fait venir pour donner des leçons à sa fille Klara. La jeune fille doit apprendre l’allemand car son père a décidé de repartir en Allemagne. Comment le destin va réunir les jeunes gens, comment la mort de Klara à la naissance de sa fille va les séparer, comment l’existence de Bach va se dérouler à l’écart du Monde, des révolutions, de la guerre, un monde tourmenté qui ne fait irruption que de temps à autre pour bouleverser la vie de Bach, à l’abri de la haute rive du fleuve, c’est ce que je vous laisse découvrir…
Il y a comme d’habitude chez Gouzel Iakhina une puissance d’écriture assez fulgurante qui font de la Volga un personnage à part entière, une frontière qui retranche du cours de la vie, force protéïforme selon les saisons, prise dans la glace en hiver ou déchaînée au moment de la débâcle.
Ils voguaient dans la nuit : la Volga était comme une mer d'encre. L'encre clapotait contre la coque, l'encre noyait l'horizon - on ne comprenait pas où s'arrêtait le fleuve, où commençait la steppe, où arrivait la steppe et où commençait le ciel. Les étoiles se reflétaient sur les flots d'encre, les feux de Gnadenthal y tremblotaient, et personne n'aurait pu dire, à cette heure, quelles lumières venaient des maisons, et quelles lumières venaient du ciel.
La nature tient une place prépondérante dans le roman avec des descriptions somptueuses qui font appel à tous les sens.
Ces images figées -la ferme de Grimm, les forêts sur la rive droite de la Volga, les steppes sur la rive gauche, la Volga elle-même, et la chouette chassant le mulot -, tout avait été pétrifiéen un instant par la puissance du froid et recouverte du cristal glacé le plus pur, comme une fourmi peut-être enfermée dans un morceau d’ambre transparent.
Les mélodies à peine audibles de ce monde engourdi - le crépitement des glaçons entre les rondins de l’isba, le grincement des troncs des chênes dans la forêt - disparaissaient peu à peu, se transformaient en silence. L’ouïe de Bach se dissolvait dans ce merveilleux silence, tout comme ses sensations et ses pensées venaient de se dissoudre dans la glace. »
De beaux passages, prenants, témoignent du talent de narratrice de l’écrivaine, comme lorsque Jakob Bach donne des leçons à Klara Grimm qu’il ne peut voir, séparé d’elle par un paravent dressé par la méfiance d’un père, lorsque la littérature tient lieu de trait d’union entre les deux personnages. On a parfois l’impression d’être dans un conte traditionnel comme ceux que Bach aime tant, où une belle jeune fille retenue prisonnière par un méchant génie devra sa liberté à l’amour. Et Bach est souvent semblable à un personnage de conte :
« Une nuit, il se fit soudain réflexion qu’il était devenu comme un nain avide tremblant pour son or. Comme Udo Grimm, qui avait essayé de séparer sa fille du monde avec un paravent. »
Mais comme nous ne sommes pas réellement dans un conte, la réalité sera tout autre ! Moments d’une grande beauté morbide, le corps de Klara conservé dans la remise-glacière pendant l’hiver, princesse morte se parant des joyaux scintillants du gel comme une Blanche Neige dans son cercueil de verre.
« Elle était couchée, plus froide et plus blanche que la neige, dans un coffre en bois où ils conservaient les oiseaux abattus, les poissons morts, ses cils -couverts de givre. Il pleurait parceque Klara était morte. »
« Le corps de la femme étendue sur la glace -pâle, avec le dessin capricieux de ses veines bleues. »
Et puis il y a l’amour du maître d’école pour les mots, le folklore allemand, les légendes et les traditions qu’il nous raconte ou plutôt qu’il écrit, lui qui bégaie et finit pas ne plus parler.
Mais d’où vient alors que j’ai moins aimé ce livre que Zouleika ou Convoi pour Sarmacande ! Je me le suis demandé à plusieurs reprises quand je sentais mon intérêt faiblir.
Ma réponse est la suivante : les personnages, Bach surtout, s’abîment tous deux dans le silence, sont dans l’impossibilité de partager leurs sentiments, de communiquer entre eux. Il m’a donc été difficile de m’intéresser à eux tout le temps ! Bach paraît souvent immobilisé, prisonnier de son absence de paroles, comme de son impuissance à exprimer ses émotions. Evidemment, c’est ce que veut montrer l’écrivaine mais j’ai éprouvé de la frustration de ne pas en savoir plus. Ce n’est pas toujours facile de retenir le lecteur avec un antihéros ! D’autre part, j’ai trouvé que le roman avait des longueurs. Je n’ai pas été intéressée, par exemple, par tout ce qui concerne le personnage de Staline, jamais nommé, mais mis en scène d’un manière un peu trop démonstrative. Bref ! j’ai trouvé que l’intérêt du livre n’était pas constant. Et c’est dommage car Gouzel Iakhine est une grande écrivaine au style évocateur, puissant, poétique et original !
vendredi 12 janvier 2024
Gouzel Iakhina : Les enfants de la Volga
Labels:
Histoire,
Littérature russe,
romans
Claudialucia est le pseudonyme que nous avions choisi, ma fille et moi, pour écrire sur notre séjour en Italie et plus particulièrement en Ombrie. Le voyage n'est plus qu'un beau souvenir mais le pseudo est resté!
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J'ai déjà repéré ce livre ou au moins cette autrice sur les blogs que je fréquente assidument. ça doit être le tiens et celui de Keisha. Je note, du coup, si je la lis un jour, de commencer par un des deux autres de ses romans.
RépondreSupprimerIl va falloir que je découvre l'auteure, c'est noté... Par lequel commencer?
RépondreSupprimerC'est le moins bien des trois, mais comme je l'ai lu en premier, je n'ai pas eu le même sentiment de déception, au contraire il m'a donné envie de lire les autres, et de me plonger dans son univers.
RépondreSupprimerNathalie
Tiens c'est drôle, Nathalie avait au contraire préféré celui-ci à Les enfants de la Volga (mais avait préféré Zouleikha, il me semble, aux 2!). Du coup, j'hésite dans le choix du titre avec lequel je poursuivrai la découverte de cette auteure...
RépondreSupprimerC'est avec ce livre que j'ai découvert l'autrice. Beaucoup aimé!
RépondreSupprimerJ'aime ces romans historiques qui nous font découvrir une Histoire si méconnue et éloignée. Je note la romancière, peut-être avec un autre titre.
RépondreSupprimerun grand auteure que je ne connais pas j'aimerais commencer par un qui fait plus l'unanimité
RépondreSupprimerJe n'ai lu que Zouleika, donc je peux continuer avec "Convoi pour Samarcande" et voir ensuite ..
RépondreSupprimerGouzel Iakhina, je ne connais pas du tout, je commencerai par Zouleika ou Convoi pour Sarmacande alors, merci!
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