Paru aux Editions du Sonneur, le titre du roman L’insaisissable désigne le bacille du Choléra! Anne Roiphe s’empare d’un moment de l’histoire de la médecine, quand en 1883, Louis Pasteur envoie trois chercheurs à Alexandrie où sévit le choléra. Emile Roux, Louis Thuillier et Edmond Nocard ont pour mission de découvrir le germe responsable de cette affreuse maladie et si possible de réussir avant Robert Koch, le père de la bactériologie, lui aussi à Alexandrie, déjà célèbre pour avoir découvert le bacille de la tuberculose et celui du charbon.
Une émulation va alors se développer entre les médecins français et le médecin allemand et le lecteur suivra pas à pas les différente tentatives pour reconnaître au milieu d'autres cet être vivant invisible à l’oeil nu mais terriblement puissant et dévastateur. Nous découvrons les méthodes de recherche, les échecs, les découragements mais aussi les avancées de cette formidable enquête scientifique plus passionnante que n’importe quelle histoire policière et tout aussi meurtrière.
J'ai eu envie de lire ce roman pour prolonger l'intérêt que j'avais éprouvé en lisant Peste et Choléra de Patrick Deville a propos d'un brillant collaborateur de Pasteur, Alexandre Yersin, découvreur du bacille de la peste.
Et pour ceux que rebuterait un tel thème, sachez que, non, on ne s’ennuie jamais en lisant L'insaisissable malgré son aspect documentaire car il s'agit bien d'un roman dont la trame est intéressante et les personnages attachants.
Des personnages imaginaires dans un cadre historique
Alexandrie Fin du XIX siècle |
Autour des personnages historiques des trois savants et de Pasteur, Ann Roiphe crée des personnages imaginaires. Nous suivons, en particulier, Este, une jeune fille intelligente et volontaire, qui va bientôt s'intéresser aux recherches des savants. Elle est la fille de Lydia Malina et du docteur Malina, un juif d’Alexandrie, bien implanté dans sa ville, mais autour duquel se trame un complot politique dans un pays qui est alors sous le contrôle anglais.
Une histoire d’amour impossible mais intelligemment menée naît entre Este et Louis et vient pimenter le récit qui laisse une grande place à Alexandrie, mêlant habilement le passé antique de la cité et l’époque de cette fin du XIX siècle. L’animation du port, les marchandises qui y sont déchargées et répandent la maladie, les odeurs, les couleurs, la saleté sur lequel plane la peur de la mort, la pestilence, les cadavres qui jonchent le sol ou encombrent les hôpitaux donnent un cadre très impressionnant au récit.
Une fois dans la rade, le navire croisa les masses noires des cuirassés rouillés, le pavillon rouge orné de l’étoile et du croissant flottant à leur poupe. Des timoniers barbus, portant des tarbouches, avançaient à la rame entre les grands vaisseaux qui arboraient le drapeau des Etat-Unis d’Amérique ou l’Union Jack….. Quelques felouques appartenant au pacha allaient et venaient; une fioriture turque était peinte sur leur poupe et des caractères arabes dorés, aux hampes allongés, décoraient les casiers qui renfermaient leur roue à aubes.
Le bacille du choléra
Choléra, bacille virgule |
Anne Roiphe fait du bacille un personnage du roman et pas le moindre! Comme les gens qui y sont exposés, le lecteur ne peut l'oublier et sait qu'une négligence peut être fatale à ceux qui oublient les consignes d'hygiène rigoureuses prescrites par Pasteur. Grâce à l’écrivaine le lecteur est rendu omniscient, il sait ce qu'ignorent les personnages : où se cache le bacille, qui risque de tomber dans le piège ou au contraire en échapper, jeu de hasard où la Mort sort victorieuse. Le style brillant qui prend parfois des accents épiques fait apparaître les désastres de l’Histoire, les armées des grands empereurs, les massacres perpétrés au nom de la religion comme dérisoires par rapport à la bataille victorieuse de l’infiniment petit, de ce vibrio cholerae qui peut se répandre sur le monde entier et faire en un jour plus de morts que les batailles des siècles passés.
Anonyme, invisible, cet organisme minuscule recourbé et muni d’une queue mobile, flottait dans les fleuves où les grands dieux avaient plongé, dérivait près des rochers sur lesquels les femmes battaient leurs draps, effaçant les souillures laissées par l’amour et la procréation, par le sang et la salive, par les mucosités, le pus, les taches fécales, les caillots des bronches. Ces êtres n’avaient pas de poésie propre, aucun mythe ne les soutenait en chemin, et pourtant ils prospéraient…
une réflexion sur le processus de la vie
Louis Thuillier bactériologiste |
Ce livre est aussi une réflexion sur le processus de la vie, sur cette lutte indispensable et inévitable de tous les êtres pour manger et rester vivants. L’écrivain imagine le questionnement des scientifiques qui, parvenus aux limites de leur savoir, doutent et s’interrogent.
"Il pensait à tous les processus indispensables à la vie; croquer, mastiquer, mâcher, engloutir, siroter, broyer, griffer, saisir. Nous ne sommes rien de plus que des machines à digérer, se disait Louis, et cette idée le réconfortait. Le puma et la levure diffèrent par leur taille, non par leur comportement. Tous deux dévorent, ouvrent leurs gueules, absorbent, évacuent des déjections et continuent de vivre, car ils agissent de la sorte et mourraient s’ils s’en abstenaient. L’homme procédait de même. Pourquoi les choses étaient-elles ainsi? Louis l’ignorait. Peut-être était-ce Dieu qui avait créé tout ce qui existait et qui avait conçu les organismes vivants afin qu’ils se mangeassent les uns les autres en une ronde masticatoire sans fin. Les humains eux-mêmes n’étaient rien de plus qu’une ressource alimentaire pour les asticots et pour d’autres êtres plus petits encore. (…)
Quel organisme se repaissait, se sustentait du choléra? Et qu’en était-il du choléra lui-même qui refusait d’être noyé, qui refusait de périr par le feu? Le choléra était-il la seule créature immortelle qui fût sur Terre?"
Ce livre est aussi un bel hommage à tous les chercheurs du passé ou actuels qui risquent leur vie en se dévouant à la science.
Merci aux Editions du Sonneur ICI et à la librairie Dialogue
et voilà j'ai un préjugé favorable là, d'abord j'ai toujours aimé les histoires de chasse aux microbes ça remonte à une lecture du reader digest (pas tout jeune ça) et puis ensuite à ma profession de soignante mais voilà il me reste maintenant deux livres à lire le Deville et celui là
RépondreSupprimerEt moi aussi, comme toi, je suis attirée par les "chasses" aux microbes, mais je ne sais d'où me vient ce goût!
SupprimerTou comme Dominique ça m'intéresse et j'avais bien aimé Peste et choléra.
RépondreSupprimerCelui est tout aussi plaisant!
RépondreSupprimerJ'avais trouvé "Peste et Choléra" passionnant alors je note ce titre.
RépondreSupprimerJe me souviens de ma première 'rencontre' en littérature avec des microbes, c'était "Le hussard sur le toit" ... pas le même style de livre mais je me souviens de la lutte du 'petit' médecin de campagne qui luttait contre la maladie avec ses dernières forces, sous la chaleur d'un été italien. Bref ! depuis, c'est un thème qui me tente beaucoup dans les livres !
Je me souviens aussi de ma lecture du Hussard et de l'effet que ce livre m'avait fait! J'y ai pensé en lisant L'insaisissable!
SupprimerRaison de plus pour que je me laisse tenter ! Et ça me donne envie de relire le Hussard, tient !
SupprimerVoilà un sujet bien peu ragoutant au départ ! Mais il y a là comme un récit de guerre, à te lire. A noter, parce que je suis curieuse de voir ce que ça donne !
RépondreSupprimerEffectivement si tu le lis tu vas vivre avec le choléra et comme tu le dis ce n'est pas ragoûtant! Un récit de guerre où les héros sont des médecins.
SupprimerL'histoire des sciences me passionne, et en plus si cela se déroule en Egypte! Celui là va bientôt rejoindre mes rayons (façon de parler parce que maintenant la bibliothèque est pleine et que j'empile à côté du lit)
RépondreSupprimerOui, l'Egypte et Alexandrie font partie prenante du récit. Chez toi aussi les livres s'empilent à côté du lit!
RépondreSupprimerDans la série "roman avec microbes" il y a aussi Nemesis de Roth
RépondreSupprimerMerci Miriam. On va devenir les spécialistes des microbes en littérature!
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