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mercredi 24 mars 2021

Honoré de Balzac : Adieu

 

La nouvelle de Balzac, Adieu, publiée en 1830, intégrée aux Etudes philosophiques de la Comédie Humaine, nous ramène  en 1812 pendant la retraite de Russie, au passage de la Bérézina.
Le récit se déroule au moment où le major Philippe de Sucy, est rentré en France après avoir été fait prisonnier pendant cinq ans par les cosaques. Devenu colonel, Philippe semble assombri par un lourd passé.  Au cours d’une partie de chasse, il aperçoit à travers la grille d’une propriété, une jeune femme qui a un comportement étrange. Il reconnaît sa bien-aimée Stéphanie, comtesse de Vandières, qu’il avait perdue en lui faisant franchir la Bérézina. Recueillie par son oncle , à son retour de Russie, la jeune femme n’a plus toute sa raison et répète inlassablement un mot : « Adieu ».
Le récit effectue un retour en arrière qui nous ramène aux pires heures vécues par l’armée française lors de la retraite de Russie, lorsque la Grande Armée napoléonienne, décimée par le froid et la faim, poursuivie par les armées russes, se retrouve devant la Bérézina, affluent du Dniepr, sans pouvoir la franchir, le pont ayant été détruit par l’ennemi. Napoléon ordonne de construire des ponts provisoires pendant que les russes se rapprochent et que les canons tonnent de plus en plus près.
Philippe de Sucy s’emploie à assurer la survie de Stéphanie qui a suivi son époux, le comte de Vandières, un vieux général. Il parvient à la faire passer, elle et son mari, de l’autre côté de la rivière, sur un radeau construit à la hâte,  mais ne trouve pas de place pour lui. C’est alors qu’elle lui lance ce mot  ultime : « Adieu » et qu’il sera fait prisonnier par les cosaques.
"Stéphanie serra la main de son ami, se jeta sur lui et l’embrassa par une horrible étreinte. – Adieu ! dit-elle. Ils s’étaient compris. Le comte de Vandières retrouva ses forces et sa présence d’esprit pour sauter dans l’embarcation, où Stéphanie le suivit après avoir donné un dernier regard à Philippe.
 – Major, voulez-vous ma place ? Je me moque de la vie, s’écria le grenadier. Je n’ai ni femme, ni enfant, ni mère.
 – Je te les confie, cria le major en désignant le comte et sa femme.
– Soyez tranquille, j’en aurai soin comme de mon œil.
Le radeau fut lancé avec tant de violence vers la rive opposée à celle où Philippe restait immobile, qu’en touchant terre la secousse ébranla tout. Le comte, qui était au bord, roula dans la rivière. Au moment où il y tombait, un glaçon lui coupa la tête, et la lança au loin, comme un boulet. "

Le colonel va tout faire désormais pour aider la comtesse à  recouvrer la raison mais l’issue sera tragique. Comment survivre après une telle tragédie ?  La nouvelle traite donc de la folie et montre comment l’esprit, lorsqu'il qui ne peut en supporter davantage, s’évade dans un autre monde où rien ne peut l’atteindre.

Le passage de la Bérézina

Le maréchal Ney : passage de la Bérézina  Adolphe Yvon

Le grand morceau de bravoure de l’écrivain est la description de cette bataille. Après l’avoir lue nous comprenons d’autant plus le sens de l’expression employée devant un échec, une défaite : «  C’est la Bérézina ! »

L’apathie de ces pauvres soldats ne peut être comprise que par ceux qui se souviennent d’avoir traversé ces vastes déserts de neige, sans autre boisson que la neige, sans autre lit que la neige, sans autre perspective qu’un horizon de neige, sans autre aliment que la neige ou quelques betteraves gelées, quelques poignées de farine ou de la chair de cheval. Mourant de faim, de soif, de fatigue et de sommeil, ces infortunés arrivaient sur une plage où ils apercevaient du bois, des feux, des vivres, d’innombrables équipages abandonnés, des bivouacs, enfin toute une ville improvisée.
 

Lecture commune initié par Maggie

avec  : 

lundi 22 mars 2021

Ismail Kadaré : Le général de l'armée morte


Dans Le général de l'armée morte d'Ismail Kadaré, un général italien accompagné d'un prêtre est envoyé en Albanie, vingt ans après la fin de la seconde guerre mondiale, pour retrouver les restes des soldats italiens tombés pendant les combats afin de les ramener dans leur pays. Il rencontrera au cours de ses recherches un lieutenant-général allemand qui accomplit le même travail de mémoire que lui.
Le général, imbu de lui-même, se sent un héros, investi d’une grande mission, entouré du respect des familles des disparus et des espoirs qu’elles placent en lui.  Mais les deux années qui vont suivre, nécessaires pour mener à bien ces recherches vont se révéler une épreuve redoutable, tout aussi horrible que celle vécue par les soldats pendant le combat.

- … C’est un espèce de duplicata de la guerre que nous faisons.
-Peut-être même pire que l’original.


Cette macabre entreprise lui enlève toute sa superbe, la guerre n’a rien de glorieux. C’est une évidence qui s’impose à lui d’une manière triviale, tels ces ossements qu’il récolte, « enfermés dans des sacs de nylon ».

Peu à peu, la mort s’impose, précède le cortège formé par le général, le prêtre, l’interprète et  les ouvriers. « C’était une marche  dans les ténèbres de la mort » . Elle place l’officier italien, d’une manière  hallucinatoire, à la tête d’une armée morte.  Elle s’attache à ses pas, elle s’insinue jusque dans ses rêves. Elle va frapper encore, en tuant un ouvrier albanais infecté par le cadavre d’un soldat italien qu’il a déterré, comme si le disparu avait attendu vingt ans pour prendre sa revanche.
Des récits racontés par des témoins, des extraits de journaux écrits par les soldats fusillés ou les déserteurs, ressuscitent des personnages parmi ceux, anonymes, qui ont perdu la vie dans ces âpres montagnes.
 C’est sous la pluie, dans la boue, le froid et le vent que le général enlisé mène ses recherches morbides, recueillant les dépouilles des soldats, les identifiant à leur plaque, sous le regard plus ou moins hostile mais aussi, parfois, railleur et méprisant de la population qui n’a pas oublié les exactions commises par l’armée italienne, en particulier par le Bataillon bleu, une division punitive commandée par le colonel Z, criminel de guerre. Une scène très forte, peut-être la plus marquante du récit, est celle où le cadavre du Colonel Z est retrouvé, lors d’un repas de mariage pendant lequel le général force l’hospitalité des habitants ! C’est un grand moment du roman !

Kadaré peint son pays, l’Albanie sous des dehors farouches, inhospitaliers mais en même temps d’une grande beauté. Il montre un peuple fier que l’on « ne peut réduire par la force » comme le constate le général lui-même. Un pays « tragique », traversé par les envahisseurs, ravagé par les guerres, régi par des coutumes austères et sévères, par un climat rude et âpre. Même les chants qui ont une si grande importance dans la vie des habitants sont lugubres. Et pourtant c’est un peuple qui sait être magnanime en n’achevant pas les ennemis tombés à terre. Ainsi les Albanais n’ont pas massacré les soldats italiens vaincus et retenus dans leur pays sans possibilité de fuir. Il montre aussi que le côté belliqueux des Albanais n’est pas inné mais a été créé par des siècles d’occupation et de violence. On sent toute l’admiration de Kadaré pour son pays et le peuple auquel il appartient.

Dans Le général de l’armée morte éclate tout le talent de l’écrivain dont c’est le premier roman ! Kadaré fait de la mission du général, une véritable danse macabre dans la boue et la pluie, orchestrée par les chants du pays, lancinants, les voix des morts qui reprennent vie au cours du roman. Il montre aussi l’horreur de la guerre, et dresse une peinture satirique des officiers et, à travers le personnage du prêtre, de l’église. Le général de l'armée morte est aussi poésie de la terre, de ce pays grandiose et sauvage. Un grand livre !
 

 

Lire Miriam ICI

samedi 20 mars 2021

Olga Tokarczuk : Dieu, le temps, les hommes et les anges

 

Encore un très beau livre d’Olga Tokarczuk, Dieu, le temps, les hommes et les anges. L’écrivaine a ce talent inimitable de nous maintenir entre le réel souvent tragique dans cette tranche du XX siècle qui englobe deux guerres mondiales, et le surnaturel, Anges, Dieu, Ombres des morts, dans lequel il faut accepter de se perdre car il est poésie mais aussi prétexte à une réflexion philosophique. Olga Tokarczuk nous amène donc, comme souvent,  dans une frange indéfinie entre réalité et fantaisie où tout est transcendé par l’écriture :  la violence des combats et des rapports humains, la déportation et le massacre de la population juive dans un décor champêtre, les viols, la bestialité de l’homme (Le mauvais bougre, qui se transforme en animal) ; la grande Histoire se mêle à la petite, amour contrarié, sacrifié au devoir, (Geneviève), amour paternel (Michel et sa fille Misia), misère physique et morale (la Glaneuse), enfance saccagée (Isidor) et dominant le tout, le Temps, le temps qui passe et met à mal, celui contre lequel nul ne peut rien, même pas Dieu.

Le livre est divisé en chapitre, si l’on peut employer ce terme, comme autant de petits récits qui pourtant ne sont pas indépendants comme on pourrait le croire au début, mais se répondent, introduisant des personnages secondaires qui réapparaîtront par la suite, propulsés sur le devant de la scène, devenant à leur tour personnages principaux. Entrées, sorties, côté cour, côté jardin, arrière-scène, coulisses, comme dans un théâtre, celui du Monde tel que le voit Shakespeare.  
Intitulés Le Temps de Geneviève au début de la guerre de 1914, Le temps de la Glaneuse, Le temps des anges gardiens, Le temps d’Isidor…  tous ces récits sont ainsi placés sous le signe du Temps, qui est, fut et sera toujours le grand gagnant de l’histoire. A remarquer aussi que le village se nomme Antan et est situé «  au milieu de l’univers ».

Vierge noire Pologne
 
Dans cette galerie de personnages où se mêlent Dieu, les anges et les humains, les êtres surnaturels ne sont dotés d’aucun pouvoir. Au contraire, Dieu comme les anges assistent, impuissants, à la sauvagerie humaine

Qui suis-je se demande Dieu. Dieu ou homme ? Peut-être l’un et l’autre à la fois ? Peut-être aucun des deux. Ai-je créé les hommes ou les hommes m’ont-ils créé ?  

L’unique instinct conféré aux anges, c’est l’instinct de compassion. Une compassion infinie, lourde comme le firmament.


S’en retournant vers le château Mr Popielski passa devant l’église, se décida à y entrer, aperçut l’icône de la Vierge de Jezkotle, mais aucun Dieu capable de rendre l’espoir au châtelain n’était présent.

Quant à la Vierge de Jeszkotle, elle s’efforce d’exaucer les prières de tous ceux qui s’adressent à elle mais elle a beau ressentir une miséricorde infinie envers l’humanité, elle ne peut rien si celle-ci a cessé de croire au miracle.

Au fond, ce que nous dit ce roman, c’est que les dieux sont morts et que les humains sont abandonnés à eux-mêmes, dans une déréliction absolue. Et si certains êtres humains ont un pouvoir tout en conservant leur humanité, ce sont souvent ceux qui sont mis au ban de la société. Ainsi, la Glaneuse qui accouche toute seule d’un enfant mort, dans la forêt,au cours d'une scène hallucinante, est celle qui soigne, celle qui fait corps avec la nature et en tire sa force. Elle devient capable de voir au-delà de la réalité. Capable de concevoir Dieu non comme immuable mais comme celui « qui se manifeste dans le flux du temps ».

Il faut rouler son regard vers tout ce qui se modifie et se meut, vers ce qui déborde des formes, ce qui ondoie et disparaît : la surface de la mer, les danses du disque solaire, les tremblements de terre, la dérive des continents, la fonte des neiges, et les pérégrinations des icebergs, les fleuves qui coulent vers l’océan, la germination des semences, le vent qui sculpte les montagnes, la maturation du foetus dans le ventre maternel, la décomposition des cadavres dans les tombeaux, le vieillissement des vins, les champignons qui poussent après la pluie.
 

Isidor considéré comme un idiot malgré un esprit toujours en alerte, une conscience tourmentée, représente l’enfance naïve, pure et innocente. C’est le russe Ivan Moukta, matérialiste, qui lui retire ses illusions et lui fait voir un monde sans Dieu, et l’animalité dans la sexualité. Il tue ainsi l’enfance en lui, le laissant désespérément chercher un sens à la vie. Isidor finit par remplacer Dieux par des chiffres : Le temps des quadruplets. Tout est quatre dans la Nature.

Le châtelain Popielski, oscille entre trouver un sens à la vie et se laisser submerger par son non-sens mais c’est le temps qui provoque cette remise en question chez lui, le passage à l’homme mûr, autrement dit l'usure de la jeunesse.

A force de manifester sa puissance, la jeunesse se fatigue. Une nuit, un matin, l’homme franchit la ligne de démarcation, atteint son sommet, esquisse le premier pas de la descente. Survient la question : faut-il descendre fièrement, défier le crépuscule, ou bien tourner son visage vers le passé, s’efforçant de sauver les apparences, prétendre que cette pénombre résulte simplement du fait qu’on a provisoirement éteint la lumière dans la chambre?

Si je devais définir ce roman en quelques mots, je dirai qu’il est très riche (je ne vous ai rendu compte que d’une petite partie de l’oeuvre), douloureux et profondément humain. C’est aussi une réflexion philosophique sur le Temps, la vie et la mort et il nous donne à ressentir une gamme infinie d’émotions. Il correspond aussi à beaucoup de questionnements que l’on se fait quand on atteint un certain âge ou plutôt un âge certain ! Un coup de coeur.

Le temps du moulin à café : de la supériorité des choses

Et si la matière était la seule à pouvoir tenir tête au Temps ? Michel ramène de la guerre un moulin à café qui devient celui de sa fille Misia.

Les gens croient vivre plus intensément que les animaux, les plantes et - à plus forte raison - les choses. Les animaux pressentent que leur vie est plus intense que celle des plantes et des choses. Les plantes rêvent qu’elles vivent plus intensément que les choses. Les choses cependant durent; et cette durée relève plus de la vie que qui que soit d’autre.

A la fin du roman la fille de Misia, Adelka, longtemps après la disparition de son grand père, emporte le moulin avec elle en quittant définitivement la maison familiale. Elle s’installe dans le car :

Elle ouvrit la valise et sortit le moulin à café. Lentement, elle se mit à tourner la manivelle. Dans son rétroviseur, le chauffeur lui jeta un regard étonné.

Peut-être, s’interroge Olga Tokarczuk, nul ne connaît la signification générale d’un moulin. Ils sont là pour moudre. Mais seulement ?
Peut-être le moulin est-il un débris de quelque loi fondamentale de la transformation, une loi dont ce monde-ci ne pourrait se passer sans être tout à fait différent ? Peut-être les moulins à café sont-ils l’axe de la réalité, le pilier autour duquel tout gravite et se développe? Peut-être sont-ils plus importants que le monde des humains ? Peut-être le moulin à café de Misia constitue le pilier central de ce qui se nomme Antan.

 


jeudi 18 mars 2021

Esther Hautzig : La steppe infinie

 

Esther Hautzig (son nom de jeune fille est Esther Rudomin) est une écrivaine polonaise, née à Vilnius, l’actuelle Lituanie, et qui écrit en anglais (américain) après avoir émigré d’abord à Stockholm à la fin de la guerre puis aux Etats-Unis.
Dans La steppe infinie elle raconte l’histoire de sa déportation en Sibérie.

Esther appartient à une riche famille juive et a vécu une enfance  privilégiée, protégée et choyée par ses parents, ses grands-parents et toute sa grande famille. A l’abri de tout souci matériel, elle aime le jardin de son grand-père qui lui apprend à soigner les fleurs, est heureuse d’aller à l’école, adore sa gouvernante. Rien ne vient troubler ce bonheur, même pas les échos de la guerre qui lui paraissent lointains.  Aussi l’arrivée des Russes en Pologne en Juin 1941 retentit-il dans sa vie comme un coup de tonnerre ! Parce qu’ils représentent la classe bourgeoise et capitaliste, ses parents, grands-parents et elle-même, sont en effet envoyés en Sibérie, déportés dans des wagons à bestiaux. Son grand-père est séparé de son épouse et meurt loin d’eux. Esther Hautzig raconte la lutte pour la survie dans ce pays où règne  une chaleur torride l’été et un froid insurmontable, sans chauffage, l’hiver. Mais plus que tout, peut-être, c’est la faim qui la tenaille et elle essaie de venir en aide à ses parents qui travaillent tour à tour dans une mine de gypse, puis dans une boulangerie, son père étant ensuite envoyé au front. Elle y apprend le courage et la dignité. Elle dresse des portraits attachants de son père, sa mère et sa grand mère. Sa mère n’accepte jamais la charité, considérant que la pitié est voisine du mépris.
Mais ce qui est le plus intéressant dans ce livre, c’est qu’elle nous livre un point de vue rare de la  guerre et de la déportation en Sibérie : celui d’une fillette dans l’adolescence, de dix ans à quatorze ans. Et comme tous les enfants, il est important pour elle de se faire accepter par les autres, d’avoir des amis, de tomber amoureuse. Elle nous parle de l’école, de ses professeurs, ceux qui ne l’aiment pas comme ceux qui lui ouvrent l’accès à la littérature. Elle se prend d’amour pour la beauté de la steppe infinie. Elle aura donc beaucoup de mal à quitter ce pays, à dire adieu à ceux qu’elle aime et ceci d’autant plus que le retour dans le pays natal ruiné par la guerre sera douloureux, toute sa famille restée en Pologne ayant disparu pendant l’Holocauste. Son séjour en Sibérie l’aura donc sauvée, paradoxalement, elle, ses parents et sa grand-mère, d’une mort horrible dans les camps de concentration. Ce livre autobiographique s’achève à ce moment-là mais l’on comprend bien qu’il n’y a plus rien qui les retiennent dans ce pays où les juifs survivants sont accueillis par des messages haineux !

Le récit est un document émouvant sur les épreuves subies par l’enfant et sa famille. C’est aussi une bonne lecture pour les adolescents à partir de la sixième, selon leur niveau de lecture, qui découvriront un aspect de l’Histoire de la deuxième guerre mondiale racontée par une enfant de leur âge. 



Esther Hautzig est née à Wilno, en Pologne (aujourd’hui Vilnius en Lituanie), en 1930, dans une famille de notables juifs, elle est envoyée dans un camp, en Sibérie, avec ses parents et sa grand-mère.  À la fin de la guerre, Esther Esther apprend qu’elle a perdu tous les membres de sa famille dans l’Holocauste. Elle émigre avec ses parents aux États-Unis, où elle se mariera avec un pianiste Walter Hautzig, aura deux enfants et fera carrière dans l’édition.
Elle est décédée en 2009 à l'âge de 79 ans



Avignon : promenade sur l'île de la Barthelasse

 

 Quelques photos d'une promenade sur la Barthelasse, juste en face du rocher des Doms, en attendant un autre billet sur la littérature des Pays de l'Est dont la lecture a été interrompue quelques jours par mes occupations de grand-mère.

L'île de la Barthelasse s'étend en face du Pont d'Avignon et sépare les deux bras du Rhône. Elle a été formée au cours des siècles par des dépots d'alluvions.

L'île de la Barthelasse en formation au XVIII siècle

Les promeneurs peuvent prendre une navette près du pont d'Avignon et effectuer la traversée en bateau jusqu'à l'île. Cela ne dure que deux ou trois  minutes mais c'est un plaisir toujours renouvelé pour les enfants.

Le paysage semble toujours le même et pourtant il est toujours différent, selon les saisons et les jeux de lumière. 

Avignon : le pont Saint Bénézet et le rocher des Doms Mars 2021


Promenade de la Barthelasse



dimanche 14 mars 2021

Hervé Le Tellier : L' anomalie

  

Voilà un moment maintenant que j'ai lu  le roman de Hervé Le Tellier L'anomalie mais avec mes rendez-vous en Amérique Latine ou dans les pays d'Europe de l'Est, je n'ai pas eu le temps de le commenter !  Et c'est dommage car s'il n'est pas un coup de coeur, il s'agit pourtant d'une lecture agréable, intéressante, qui pique la curiosité.

Il vaut mieux ne pas trop en dire sur l'intrigue sous peine de gâcher le plaisir du lecteur. Disons seulement que, à quelques mois d'intervalle, le même avion, le Boeing 787, contenant les mêmes passagers, après avoir subi des turbulences, se pose au même endroit lors d'un vol Paris-New-York.

Vous ne comprenez pas ? C'est bien ! car sachez-le : "Il est une chose admirable qui surpasse toujours la connaissance, l'intelligence, et même le génie, c'est l'incompréhension"

Hervé Le Tellier présente d'abord les personnages. Ils sont très différents les uns des autres, par le milieu social, le métier, le caractère, l'âge, l'histoire personnelle. C'est avec intérêt que le lecteur fait connaissance de chacun d'entre eux. C'est ce qui rend le récit agréable.

Ensuite survient l'évènement ou, pour être plus précise, l'anomalie ! Comment l'expliquer ? Un grand moment de curiosité ! Oui, l'incompréhension est bien une chose admirable qui donne envie de savoir! Vous vous demandez comment l'auteur va pouvoir se sortir de cette situation inextricable ! Mais si vous connaissez tant soit peu l'Oulipo dont Hervé Le Tellier est le président,vous vous doutez de l'orientation que prendra le récit ! "Si je n'étais pas membre de l'Oulipo*, j'aurais écrit un roman très différent- a dit Hervé Le Tellier. Et c'est bien vrai ! On imagine ce même roman écrit par un théologien, ou par un auteur de Fantasy. Quoiqu'il en soit, cette explication amène le lecteur à réfléchir sur le sens de la vie, sur la liberté humaine.

Une fois votre curiosité satisfaite (trop vite à mon gré, j'aurais aimé faire durer le plaisir !), il va falloir résoudre l'imbroglio que cause l'anomalie car, c'est peu de le dire, l'écrivain a mis ses personnages "dans le pétrin". On pourrait penser que pour l'un d'eux, David, malade, l'anomalie serait providentielle. Et bien non, car il n'y a pas de Providence, on n'échappe pas à son destin. Quant à celui qui s'en tire bien, Blake, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il n'est pas des plus gentils ! Et tout finit par une explosion et un  dernier jeu littéraire,  un calligramme,  pour dire le mot FIN!


*Oulipo :  Voir France-culture


jeudi 11 mars 2021

Ismail Kadaré : L'entravée, Requiem pour Linda B.

 

Je suis en train de lire le grand roman d’Ismael Kadaré, écrivain albanais, Le général de l’armée morte mais je présente d’abord un autre de ses livres que je viens de terminer L’entravée. Et j’avoue tout de suite que ce dernier ne m’a pas convaincue !

Linda B. que l’on ne verra jamais en personne dans le récit a deux rêves, voir la capitale de son pays, Tirana, et rencontrer l’écrivain dramaturge qu’elle admire et dont elle est amoureuse Rudian Stefa. Ce qui est irréalisable car Linda B.. est une reléguée. Dans l’Albanie communiste, c’est ainsi que l’on appelle les personnes qui sont assignées à domicile. Ils ne peuvent quitter leur lieu de résidence, doivent pointer au commissariat chaque soir à la même heure. Les torts de ses parents ? Etre des ci-devants, autrement dit des nobles, des nantis.
Un soir, la meilleure amie de Linda, Migena, qui est à Tirana, demande à Rudian de dédicacer un livre pour Linda. De plus, très attirée par l’écrivain, elle devient sa maîtresse. Elle  déclenche ainsi deux drames.
Rudian Stefa est déjà en mauvaise posture car sa nouvelle pièce provoque des remous dans le comité de censure du parti. N’a-t-il pas introduit un fantôme dans l’histoire ? C’est aller contre le réalisme socialiste ! Et de plus, ce fantôme prend la défense du maquisard condamné à mort pendant la résistance par le comité du parti ! Voilà maintenant qu’il est soupçonné d’entretenir des relations avec une reléguée. Quant à Linda B... comment a-t-elle obtenu cette dédicace ?  S’est-elle rendue à Tirana. La suspecte est interrogée ! Pourra-t-elle résister à la violence de l’interrogatoire, à la privation de liberté, à l’impossibilité de continuer ses études à l’université (il faudrait aller à Tirana), à l’absence d’une libération, à la trahison de son amie ?

Dans ce roman L'entravée les procédés de la dictature pour maintenir sa domination sur les esprits sont superbement analysés. On voit comment celui qui est seulement suspecté, finit par se censurer lui-même, n’osant plus entrer, par exemple, dans le café où se réunissent les membres du parti, on y voit comment ses amis, ses connaissances se détournent de lui, font semblant de ne pas le voir. Cette violence intérieure qui sape la confiance en soi et culpabilise l’individu est peut-être encore plus terrible, bien que plus subtile, que l’autre, la violence physique. Et puis règnent la méfiance qui corrompt toute relation, chacun pensant avoir affaire à un espion, et les tables d’écoute, les dénonciations.
 L’horreur de la relégation est aussi très bien rendue. Tous les cinq ans, les parents de Linda B.. reçoivent une lettre qui pourrait leur permettre d’être libérés, l’attente pleine d’espoir, puis le couperet qui renouvelle pour cinq ans encore la privation de liberté. Le climat d’angoisse, la lourdeur de cette vie soumise à un diktat venu d’en haut sont très bien rendus.
Il n’y manque même pas l’humour noir lorsque Rudian, imagine le jour où il tiendrait en son pouvoir le juge tout puissant qui est en face de lui : oui, c’était bel et bien menotté qu’il l’interrogerait. A grand renfort de café vietnamien qu’il siroterait interminablement non par petites tasses, mais en énormes bolées, sous un haut-parleur vomissant six cents heures de discours de Fidel Castro  !  Pour mieux comprendre le propos, le café vietnamien est exécrable mais c’est le seul que l’on sert à Tirana, et tous les édifices publics, au moment du récit, diffuse les six heures du discours de Fidel Castro sur sa conception du théâtre !

Par contre, là où je n’ai pas adhéré c’est dans la tentative de tirer à lui, le mythe d’Orphée, Linda B… étant Eurydice entravée, prisonnière en Enfer. Migena joue le rôle de la passeuse, Linda vivant à travers l’enveloppe corporelle de Migena sa relation amoureuse avec l’écrivain.
D’habitude c’était l’âme qui se débarrassait des entraves, tandis que le corps demeurait cloué là où il était retenu en otage. Cette fois survenait quelque chose d’inouï : le corps tendait à se parer des facultés de l’âme… Ou a défaut de lui, sa réplique, son suppléant… Le corps de sa plus proche amie.
Je suppose qu’il faut interpréter cela au second degré comme une image, un symbole ? A vrai dire, je n’en sais rien du tout ! Mais cela m’a paru bien alambiqué et m’a laissée perplexe! C’est bien dommage, à mes yeux, que le roman ne soit pas resté dans la veine réaliste avec des personnages moins stéréotypés ou moins représentatifs d’un mythe, brefs des personnages « vrais »,  auxquels on aurait pu s’attacher.  




mardi 9 mars 2021

Ivan Tourgueniev : Mémoires d’un chasseur

 

Mémoires d’un chasseur  (1852): Oui, Tourgueniev est chasseur et il aime la chasse avec passion. C’est avec humour, qu’il raconte ses mésaventures au cours de ces parties de chasse, en compagnie de son chien et du fidèle Iermolia, la nourriture sommaire dont il doit se contenter, les longues attentes sous la pluie glaciale, la voiture embourbée dans des ornières profondes, l’essieu cassé, la recherche d’un abri pour se mettre au chaud, les nuits passées dans des auberges sordides ou des isbas délabrées, ou à l’inverse l’accablement ressenti lors des lourdes après-midi du mois d’août à la chaleur torride.
Sans doute, surtout quand il pleut, il n’est pas très agréable d’errer par les chemins, d’aller au hasard et d’arrêter chaque moujik qui passe pour lui demander le chemin de Mordovka, puis, à Mordovka, de s’enquérir auprès d’une stupide baba (les hommes sont aux champs) quelle est la plus prochaine auberge, et enfin, après avoir parcouru dix verstes encore, d’arriver, non pas dans une auberge, mais dans quelque très pauvre village nommé Khoudoboubnovo, au grand étonnement d’un troupeau de porcs pataugeant dans l’ornière et plongés jusqu’aux oreilles dans une boue noirâtre. Il n’est pas amusant non plus d’être cahoté sur des ponts branlants, de descendre dans des ravins, et de passer à gué des ruisseaux marécageux. (Lébédiane)

Mais, comme il le reconnaît, il y a des multiples plaisirs dans la chasse qui contrebalancent aisément les désagréments. Car Tourgueniev a une relation privilégiée avec la nature et il a une plume pareille à nul autre pour nous la décrire et transmettre ses sensations et ses émotions. C’est avec un lyrisme simple, sincère, naturel, qu’il raconte le bonheur des petits matins à l’aube, au moment où s’éveille la nature, ou au contraire le soir quand les oiseaux se couchent et que le chasseur à l’affût, le coeur battant, attend la bécasse qui va sortir d’un bois de bouleaux, la beauté des nuits étoilées couchées dans la paille et le foin.

La communion avec la nature

Ivan Torugueniev par Nicolaï  Dmitriev -Orenbourski

Tous les courts récits qui composent Mémoires d’un chasseur sont imprégnés de cette communion avec la nature. Ainsi le récit Le pré Béjine, mon préféré, est un de ceux qui transmet au lecteur un pur moment de bonheur et de beauté. Tourgueniev explique qu’il se perd dans les bois si bien qu’il ne sait plus où il est. Après avoir longuement marché, il se retrouve de nuit dans un endroit qu’il reconnaît, le pré Bejine. Il y rencontre des enfants de moujiks qui gardent les chevaux mis à paître pendant la nuit. Le chasseur s’allonge sur l’herbe et écoute la conversation des jeunes garçons qui parlent des vieilles légendes, des créatures inquiétantes de la terre russe comme la Roussalka, le Vodianoï, le Tichka… Leurs récits créent une atmosphère particulière en cette nuit de juillet pleine de pureté et d’étrangeté :

Tous les gamins rirent, puis restèrent un moment tout à fait silencieux, comme il arrive toujours entre gens qui causent en plein air. Je regardai de tous côtés, la nuit régnait solennelle ; à la fraîcheur humide du soir avait succédé la tiédeur sèche de la nuit, et longtemps encore elle devait rester étendue comme un doux voile sur les champs endormis, longtemps encore jusqu’aux premiers rayons de l’aurore. La lune n’était pas encore levée, les innombrables étoiles d’or semblaient flotter moelleusement en rivalisant de scintillements dans la direction de la voie lactée. Et en les regardant fixement, il semble qu’on ait un vague sentiment de l’incessante et rapide marche de la terre. Tout à coup, un cri bizarre, aigu, maladif, retentit deux fois au-dessus de la rivière, puis, quelques instants après, se répéta, mais plus loin. Kostia tressaillit.
– Qu’est-ce ?
– C’est le cri du héron, répondit tranquillement Pavel.

Les portraits

Portrait d'un paysan russe en 1878, par Viktor Vasnetsov
 

Mais les parties de chasse sont aussi l’occasion de rencontre avec des gens de toutes les classes de la société. Lorsqu’il est trop éloigné de chez lui,  Tourguéniev va demander asile chez ses pairs, les barines, gentilhommes comme lui,  ou chez les moujiks, partout où l’on peut l’accueillir, où qu’il se trouve.

 L’intérêt que Ivan Tourguéniev porte à ses semblables, du bas en haut de l’échelle sociale, fait de Mémoires d’un chasseur une splendide peinture de la société de son temps, toute une galerie de portraits, croqués par le crayon vif de l’écrivain, parfois à la limite de la caricature, mais souvent attestant de la sympathie de Tourguéniev pour les humbles et de compassion pour leur sort. Mais jamais Ivan Tourguéniev ne tombe dans le manichéisme en mettant en opposition les bons et les méchants. Il sait saisir les faiblesses et les défauts de chacun tout autant que les qualités, l’intelligence aiguë d’un paysan madré, l’avarice ou la dureté d’un pomiestchik (propriétaire terrien) ou au contraire sa bonhommie souriante, il sait aussi montrer les gens dans leur cadre de vie, avec leurs coutumes, leurs croyances, leurs préoccupations. De ces portraits, surtout lorsqu’il s’agit des paysans russes, naît un poésie du quotidien que j’aime énormément. C’est pour des pages comme celles-là que j’admire tant Tourguéniev.
Ainsi le moujik enrichi : Khor, surnom donné par les autres paysans et qui signifie en russe: le Putois dans le récit : Khor et Kalinytch.
Je chassai seul ce jour-là. Vers le soir, je me rendis chez Khor. Je rencontrai sur le seuil de l’isba un vieillard chauve, petit de taille, mais large d’épaules et bien bâti, c’était Khor lui-même. Je l’examinai curieusement. Son visage rappelle celui de Socrate : front très haut et bosselé, yeux petits, nez épaté. Il m’introduisit chez lui. Fédia m’apporta du lait et du pain bis, Khor s’assit sur un banc et, tout en caressant doucement sa barbe, entama la conversation avec moi. Il paraissait pénétré de sa propre dignité, parlait et se mouvait avec lenteur ; un rare mouvement de sa lèvre et de sa longue moustache trahissait un sourire. Nous causâmes des semailles, des bonnes années, de la condition du moujik… Il fut de mon avis sur tous les points. À la longue, cela me parut fastidieux. Je sentais que je me déconsidérais aux yeux du moujik par ce partage sans but. Parfois, Khor parlait d’une manière obscure, probablement par prudence… Voici un échantillon de notre conversation.
– Eh bien, Khor, lui dis-je, pourquoi rester serf ? Pourquoi ne pas te racheter ?
– Pourquoi me racheter ? Je connais maintenant mon barine, je sais combien j’ai à lui payer et c’est un bon barine.
– La liberté vaut toujours mieux que tout, repris-je.
Il me regarda un peu de travers.
– Sans doute, fit-il.
– Pourquoi donc ne pas te racheter ?
Khor secoua la tête.
– Et avec quel argent me rachèterais-je, mon petit père ?
– Allons donc, vieux !…
– Voilà Khor affranchi, poursuivit-il à mi-voix, comme s’il n’eût parlé que pour lui-même. Bon ! quiconque se rase le menton se croira le droit de commander à Khor*.

*quiconque se rase le menton : les fonctionnaires. L’administration lève les d’impôts sur les serfs affranchis et les paupérise. (Les moujiks, eux, portent la barbe.)

La dénonciation du servage

Alexandre II : abolition du servage le 3 mars 1861
 

Mémoires d’un chasseur a eu un grande influence sur la libération des serfs et a pesé dans la réforme agraire entreprise par le tsar Alexandre II et l’abolition du servage en 1861. Pourtant, comme le constate Georges Haldas dans la préface de mon édition, il n’y a que onze récits qui parlent du servage sur les vingt-quatre qu’en comporte le livre. Et encore trois ou quatre seulement critiquent ouvertement l’esclavage et en montrent la cruauté. L’écrivain n’essaie pas de dresser une classe contre l’autre. Certes la brutalité du servage peut apparaître autour d’une conversation avec un moujik. Ainsi dans le récit intitulé L’odnovorets* Ovsianikov :

Eh bien, Louka Petrovich, je croyais que vous alliez faire l’éloge de votre bon vieux temps.
– Non pas, je n’ai guère eu à m’en louer. Voilà, par exemple : vous êtes un pomiéstchik, comme votre feu grand-père, eh bien, vous ne feriez pas ce qu’il faisait, vous n’êtes pas le même homme. Sans doute, nous sommes encore opprimés, mais peut-être le faut-il : on tasse la recoupe sous la meule pour avoir le regain. À coup sûr, je ne reverrai pas, Dieu soit béni, ce que j’ai vu quand j’étais jeune.
– Quoi donc, par exemple ?
– J’ai nommé votre grand-père. C’était un petit potentat. Il nous opprimait. Vous connaissez, sans doute…, comment ne connaîtriez-vous pas votre terre ?… vous connaissez la portion de terrain qui s’étend du champ de Tcheplighine à celui de Malinine. Vous y faites vos avoines. Eh bien, il nous appartient, il est à nous. C’est votre grand-père qui nous l’a pris. Il est allé se promener à cheval de ce côté, a dépassé sa limite, étendu la main et dit : « Ce terrain est à moi. » Et il l’a pris. Feu mon père, homme droit, juste, mais violent, ne pouvant supporter cela sans colère – qui voudrait perdre son bien ? – porta plainte. Il n’avait pas été seul dépouillé ; mais les autres, plus timides, s’étaient tenus tranquilles. On annonce à votre grand-père que Piotr Ovsianikov vient de réclamer son champ devant les magistrats. Votre grand-père envoie aussitôt chez nous son veneur Bauch avec sa bande, et mon père fut traîné chez le pomiéstchik. J’étais alors tout petit. Je suivis pieds nus. Eh bien, on conduisit mon père devant le perron, sous vos fenêtres, et on le battit de verges. Votre grand-père était là ; au balcon, votre grand-mère aussi à une fenêtre ; tous deux regardaient : « Maria Vassilievna, intercédez pour moi, je vous en conjure ; vous, du moins, ayez pitié ! » criait mon père. Votre grand-mère se souleva et regarda plus attentivement. Enfin, mon père dut donner sa parole qu’il renonçait à son champ et remercier l’assistance d’être relâché vivant. Et c’est ainsi que la terre vous est restée. Demandez à vos vieux moujiks le nom de ce champ-là, ils vous répondront tous : « Le champ de la bastonnade », car on l’a baptisé du prix qu’il a coûté. Cela vous laisse entendre combien peu les petites gens ont à regretter le passé.

* l’odnovorets est un paysan libre à la différence du moujik qui est un serf.
 

Mais souvent, et l'écrivain me rappelle en cela Georges Sand qu’il admirait beaucoup, ce que fait Tourguéniev en faveur des paysans est plus subtil, plus profond, puisqu’il contribue à changer la mentalité et la vision des classes sociales supérieures sur les moujiks. Dans ses conversations d’égal à égal avec le paysan, dans la description poétique de son environnement, à travers le portrait plein d'humanité qu'il donne de lui, il lui confère une grandeur (que la classe noble ne pouvait qu’ignorer) qui en fait un véritable héros de la terre russe. 

Cette promotion à la dignité humaine des paysans prenait dans le contexte de la société russe de Nicolas 1er une allure sinon révolutionnaire, du moins presque de défi écrit Georges Haldas.

On a reproché aussi à Tourgueniev de ne pas avoir libéré ses serfs mais il savait très bien qu'il ne le pouvait pas; L'abolition du servage ne pouvait avoir lieu sans une réforme agraire qui donnerait des  terres aux paysans; sinon ceux-ci seraient  condamnés à mourir de faim. Quand Tolstoï en 1856 essaya de libérer ses serfs, ces derniers refusèrent ce qu'ils croyaient être un piège !

 Mémoires d'un chasseur est souvent considéré comme le chef d'oeuvre de Ivan Tourgueniev. Si j'aime beaucoup ces récits, je garde toujours une petite préférence pour Père et fils.

 



lundi 8 mars 2021

Olga Tokarczuk : Les enfants verts



Au XVIIe siècle, William Davisson, un botaniste écossais, devenu médecin particulier du roi polonais Jean II Casimir, suit le monarque dans un long voyage entre la Lituanie et l'Ukraine. Esprit scientifique et  observateur, il étudie les rudesses climatiques des con ns polonais et les coutumes locales.
Un jour, lors d'une halte, les soldats du roi capturent deux enfants. Les deux petits ont un physique inhabituel : Outre leur aspect chétif, leur peau et leurs cheveux sont légèrement verts. (quatrième de couverture)

En cherchent un roman d’Olga Tokarsucz à la médiathèque pour le mois de littérature des pays de l’Europe de l’Est, j’ai trouvé un tout petit livre intitulé Les enfants verts paru aux éditions de La Contre Allée, collection fictions d’Europe.
Drôle de petit bouquin ! Il tient à la fois d’un récit de voyage ancré dans le passé aussi bien par le style lorsqu’il s’adresse à nous : « Sache, cher lecteur, que les hivers en Pologne sont rudes, si rudes que l’on prend un chemin de traverse sur la Baltique gelée pour aller en Suède… » que par l’Histoire : nous sommes au XVII siècle sous le règne de Jean Casimir II (1609_1679) qui est monté sur le trône à partir de 1648. C’est une période de guerre qui oppose la Pologne aux cosaques d’Ukraine alliés aux Russes qui menacent la frontière à l'est mais aussi aux Suédois qui envahissent une partie du pays à la frontière ouest.
Mais la guerre n’est pas le sujet du roman. Elle sert seulement de décor dans le voyage du botaniste écossais William Davisson qui suit le roi dans ses déplacements à travers la Pologne en tant que médecin. Le thème central est la découverte des enfants verts et et s'apparente alors à un conte traditionnel : Qui sont ces enfants étranges ? Pourquoi leurs cheveux et même leur peau sont-ils verts ? Appartiennent-ils à un peuple des bois, elfes, esprits des arbres ?

 Pendant l'hiver, ils perdent du poids, mais dès que la première lune de printemps se lève, ils montent tous sur les sommets des arbres, et, durant des journées entières exposent leur corps à la lumière afin qu'ils reverdissent.

 Bien sûr, notre narrateur, scientifique, ne peut croire à ces balivernes, lui, qui observe ces enfants sauvages et les étudie de très près. La maladie qui les touche La plica polonaise*, détail réaliste, est d’ailleurs un sujet d’étude pour lui.  Pourtant le « conte » finit comme celui du Joueur de flûte de Hamelin : tous les enfants disparaissent !

C’est aussi vers le conte philosophique que s’oriente le livre. Ces êtres différents, non seulement à cause de leur couleur paraissent impossibles à comprendre pour "les gens normaux", ceux qui habitent le centre du monde "là où tout prend immédiatement du sens et s’organise en un ensemble cohérent et facile à interpréter. ". On s’aperçoit ensuite que ces enfants ne sont pas de sauvages, qu'ils ont un langage, des qualités, (ils savent soulager la douleur) et que leurs coutumes expliquent leurs différences. Il est donc possible de saisir et de comprendre l'altérité. D'ailleurs, si  tous les enfants du village disparaissent, c'est que cette civilisation, celle qui est « périphérique », selon les termes d’Olga Tokarczuk, leur paraît plus attirante que la nôtre. D’où la  mélancolie  qui s’empare du narrateur quand lui-même retourne au centre  !
Et je compte maintenant sur le lecteur pour m’aider à comprendre ce qui s’est réellement passé, car les périphéries du monde nous marquent à jamais d’une mystérieuse langueur. 

La plique polonaise

 *La plique polonaise : maladie des cheveux ou/et manque d’hygiène ?
Je n’avais jamais entendu parler de la plique polonaise, affection qui sévissait en particulier en Pologne jusqu'à la fin du XIX siècle et semble rare de nos jours. J’en ai cherché explication dans Wikipédia : « Dans toutes ces descriptions, on voit que la plique était caractérisée principalement par l'abondance, la longueur et l'enchevêtrement des cheveux, devenus gras, inextricables, rassemblés en nattes, en touffes, en chignons, peuplés de poux et de lentes, et exhalant une odeur infecte; quelquefois même on a noté la même altération des poils des aisselles et du pubis. On a décrit également chez les malades atteints de ces lésions pileuses un malaise général, des douleurs et de l'engourdissement dans les membres, un sentiment d'abattement et même quelquefois du délire et de la fièvre, phénomènes qui semblaient accuser l'influence de la maladie capillaire sur la santé générale »  Alfred Hardy

 

 Olga Tokarczuk


Née en 1962 à Sulechow à l’ouest de la Pologne dans une famille d’enseignants, Olga Tokarczuk a fait des études de psychologie à l’université de Varsovie, couronnées par une thèse de doctorat sur Carl Gustav Jung. L’écrivaine reconnaît explicitement sa fascination pour les idées de ce psychiatre suisse dont son œuvre se fera l’écho. Une fois diplômée elle a exercé pendant quelques années en tant que psychothérapeute avant de se consacrer entièrement à l’écriture. Voir  la suite : BNF ici


 


samedi 6 mars 2021

Carbone : Complots à Versailles Tome 1


 Ma petite-fille (11 ans)  est venue passer ses vacances chez moi cette semaine. Elle a vraiment énormément aimé cette BD aux Editions Jungle. Je la laisse vous en parler.

La BD Complots à Versailles est inspirée du roman d'Annie Jay. La première édition est parue en 2019.

 Ce livre parle d'une petite fille qui s'est mystérieusement retrouvée dans l'eau. Heureusement pour elle, elle est tombée dans le fleuve près d'une petite maison ou habite Guillaume et Pauline de Saint-Béryl, leur grand père et une autre dame, Catherine Drouet qui vit chez eux.  💙 Guillaume sauve la jeune fille qui est recueillie dans la maison de Guillaume et Pauline. Elle est blessée à la tête et a perdu la mémoire.                                                                                                                                                                        

Ils décident de l'appeler Cécile. Pauline, Guillaume et Cécile vont se lier d'amitié 💙. Catherine Drouet, la guérisseuse adopte Cécile et lui apprend son métier.

Les années passent. Pauline est appelée à la cour de Versailles pour servir la Reine. Cécile se fait passer pour sa servante pour pouvoir la suivre. Pauline est mal accueillie par la favorite du roi, Madame de Montespan, qui est jalouse et a peur que le roi Louis XIV tombe amoureux d'elle mais la reine, par contre, l'aime beaucoup.  Les jeunes filles vont surprendre un complot mené par madame de Montespan qui vise à tuer le bébé de la dauphine. Elles vont tout faire pour l'en empêcher. Il y a aussi une histoire d'amour que j'ai adorée entre Guillaume et Cécile et pourtant ils se se disputent tout le temps mais...  et à la fin, Cécile retrouve son identité ???? Je ne vous en dis pas plus !

J'ai tout aimé dans cette BD, les personnages, l'histoire et les illustrations qui sont très belles !

Il y a deux autres tomes et je suis déjà en train de les lire !



  

Fiche de lecture d'Apolline


mercredi 3 mars 2021

Tourgueniev Ivan : Premier amour

  

Premier amour, c’est aussi le premier roman que j’ai lu de Tourguéniev, pas relu depuis ! Ce qui m’avait particulièrement marquée, c’est la scène où l’on voit le jeune homme de seize ans, pour la première fois amoureux, obéir à sa jolie voisine, la coquette Zinaïda, vingt et un ans, qui lui ordonne, par dérision, en pensant, bien sûr, qu’il ne va pas le faire, de sauter d’un mur de sept mètres pour lui prouver qu’il l’aime !  Et bien oui, je l’ai retrouvée, cette scène, et elle est toujours aussi puissante.
Ce récit est autobiographie. Tourguéniev y analyse avec finesse l’éveil du sentiment amoureux d’un tout jeune homme, une passion entière, sans limites, touchante et naïve.

 "En réalité, je m’assis sur une chaise et restai longtemps immobile, comme sous l’effet d’un charme. Ce que j’éprouvais était si neuf, si doux... Je ne bougeais pas, regardant à peine autour de moi, la respiration lente. Tantôt, je riais tout bas en évoquant un souvenir récent, tantôt je frémissais en songeant que j’étais amoureux et que c’était bien cela, l’amour. Le beau visage de Zinaïda surgissait devant mes yeux, dans l’obscurité, flottait doucement, se déplaçait, mais sans disparaître. Ses lèvres ébauchaient le même sourire énigmatique, ses yeux me regardaient, légèrement à la dérobée, interrogateurs, pensifs, et câlins... comme à l’instant des adieux. En fin de compte, je me levai, marchai jusqu’à mon lit, sur la pointe des pieds, en évitant tout mouvement brusqué, comme pour ne pas brouiller l’image, et posai ma tête sur l’oreiller, sans me dévêtir..."

 Le jeune homme est déchiré par des sentiments contradictoires entre admiration et colère, pour et contre le jeune fille qui s’amuse à tenir en laisse ses nombreux amoureux, entre émerveillement et reconnaissance pour un mot doux, un geste tendre, entre désespoir et désir de mourir quand la jalousie le taraude, quand la jeune fille semble s’éloigner de lui et de tous les autres jeunes gens qui la courtisent.

Le narrateur qui n’est autre que Tourguéniev lui-même à l’âge de quarante ans, s’étonne parfois lui-même de sa candeur, de son manque de compréhension du monde des adultes, de son aveuglement. Car Zinaïda va aimer et en femme passionnée va abandonner toute prudence pour celui qu’elle aime, un homme beau, altier, et mûr. Sous des apparences frivoles, la jeune fille va révéler une profondeur et une sincérité insoupçonnées, bien loin de la superficialité dont elle paraît faire preuve.. Mais qui est ce rival bienheureux ? C’est ce que se demande l’innocent jeune homme.
 A côté des jeunes gens, Tourguenéiev dresse des portraits de personnages qui ont aussi beaucoup d’intérêt. Celui de sa mère, de dix ans plus âgée que son mari, épousée par intérêt, en femme mal aimée et pourtant amoureuse, qui souffre et s’aigrit sans rencontrer beaucoup de sympathie autour d’elle. Celui de son père qu’il admire mais qui fait preuve pourtant de beaucoup de lâcheté et manque de caractère et d'empathie pour les autres. Celle aussi de la princesse, mère de Zinaïda, femme du peuple qui a épousé un prince, vulgaire et inintelligente, qui indispose ses voisins par ses jérémiades.
Ce court roman, récit d’une initiation amoureuse, pourrait être un histoire légère. Mais il n’en est rien. Elle est traversée de drames qui parfois passe au-dessus de la tête du jeune garçon et elle s’achève en tragédie. C’est une initiation cruelle dont l’écrivain d’aujourd’hui ne peut se souvenir qu’avec douleur.
 

Lu dans le cadre du mois de la littérature européenne des Pays de l'Est  : 

 



 

dimanche 28 février 2021

La littérature latino-américaine

 

Le mois de la littérature Latino-américaine d'Ingammic et Goran vient de se terminer. Je suis loin d'avoir lu tous les livres que j'avais mis de côté mais déjà commence le mois de la littérature des pays de l'Est de Goran, Eve et Patrice. Alors il me faut arrêter pour aller vers d'autres horizons, non sans remercier les initiateurs de cette incursion vers l'Amérique latine, des belles et fortes découvertes que j'ai pu faire au cours de ce mois de Février !

 Je fais ici le bilan des livres lus non seulement pendant ce mois mais aussi avant, dans le passé. C'est une littérature que je connais mal mais, bien sûr, j'y retournerai ! Je note en vert les livres que j'ai lus ce mois-ci,  mes deux coups de coeurs, plus les trois livres que je préfère à côté de ces deux coups de coeur. Ce qui n'empêche pas que les autres soient intéressants.


Argentine

 


Salva Almeda : Les jeunes mortes

Hernan Diaz : Au loin

César Aira : Le testament du magicien Ténor

 Alberto Manguel : dans la forêt du miroir (citation)

 Silvia Baron-Supervielle : Lectures du vent

 Brésil


 

 

 

 

 

 


Paulo Coelho : Le pèlerin de Compostelle (2)

Paulo Coelho : le pèlerin de Compostelle (1)

Betty Mindlin : Carnets sauvages chez les Surui du Rondônia



Chili


Pablo Neruda (avec Rimbaud et Gamboa) Nous entrerons aux splendides villes

Pablo Neruda : Oh ! longs trains de nuit

Francis Coloane : Le dernier mousse

 

Colombie



 

 

 

 

 

 

Santiago Gamboa : retourner dans l’obscure vallée (4)

William Ospina : Le pays de la cannelle

Cuba

Alejo Carpentier : Le siècle des lumières (coup de coeur 2)

Leonardo Padura : Les brumes du Passé (Citation)

Leonardo Padura : Les brumes du passé


Guatemala



 

 

 

 

Eduardo Halfon : Deuils

Haïti 





Mexique

 

Carlos Fuentes :  En inquiétante compagnie

Guillermo Arriaga  : Le sauvage (5)

Guillermo Arriaga : Mexico quartier sud 

Homero Arejdis :  Le temps des anges

Pérou



 

 

 

 

 

 

 

Mario Vargas Llosa : la fête au bouc (3)
 

Jose Maria Arguerdas : Diamants et silex (coup de coeur 1)