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lundi 15 octobre 2018

Hernan Diaz : Au loin


Le trou, une étoile brisée sur la glace, était la seule interruption sur la plaine blanche qui se fondait sur le ciel blanc. Il n’y avait pas un souffle de vent, pas un souffle de vie, pas le moindre son.

Cet incipit ouvre le roman de Harnan Diaz, Au Loin, et permet à Hakan, le personnage principal, de se libérer du récit de sa vie auprès de ses compagnons de voyage, à bord de L’Impeccable  pris dans les glaces, sur la route vers l’Alaska.  Et l’on ne peut s’empêcher de penser, après avoir lu le roman, que ces quelques lignes sont le reflet de la vie de cet homme, cette immensité vide de sens, ce désert, qu’il soit blanc comme celui du Grand Nord, ou rouge ou brun comme celui de l’ouest américain…
Oui, ce roman est celui de l’absence, du vide, de la solitude ! C’est un sentiment d’abandon voire de déréliction qui étreint le jeune suédois Hakan (que les américains appellent Hawk faute de comprendre son nom), presque un enfant, lorsqu’il débarque à San Francisco, en Californie, après avoir quitté son pays, ses parents et perdu son grand frère Linus, parti dans un autre bateau pour New York. D’où son fol espoir de le retrouver en parcourant à l’envers la piste des migrants en direction de New York.


Ce qui pourrait être une épopée si l’on en juge par l’énormité du chemin à accomplir,  refuse d’en être une. Il s’agit d’un chemin douloureux vécu à hauteur d’homme et non de héros, un chemin de croix, jonché des ossements de ceux qui n’ont pas survécu, des meubles qu’ils abandonnent en route. Le jeune homme connaît d'atroces souffrances morales et physiques. Et ce ne sont pas ses rencontres qui vont lui redonner confiance en l’humanité. Les hommes (et les femmes !) sont des loups pour l’homme plutôt que des amis !
Pourtant, il y a le naturaliste, Lorimer, un homme de science qui s’interroge comme Darwin sur l’évolution de l’humanité et apprend à Hakan à disséquer les animaux pour comprendre le fonctionnement du corps humain  et réaliser des opérations. Il y a son ami Jarvis qui lui permet d’échapper aux religieux fanatiques qui veulent sa peau; Jarvis qui partage sa vie d’errance et de privation, et aussi Lucy son premier amour dont il n’ose effleurer la main… Mais tous vont disparaître ou mourir de manière tragique.

Peu à peu la légende de Hawk, le géant, à la réputation sanguinaire, s’étend. Alors  qu’il a défendu à lui seul des migrants contre la secte religieuse qui les attaquait, cette dernière répand des rumeurs mensongères sur lui. Les humains deviennent un danger pour lui, ce qui ajoute encore à sa solitude.

Durant ses tempêtes dont les hurlements oblitéraient tout autour de lui, Hakan puisait son seul soulagement dans la quasi-certitude de ne croiser âme qui vive sa solitude était totale et pour la première fois depuis des mois, en dépit des grondements et des lacérations, il trouva la paix.
Albert Bierstadt
Hernan Diaz décrit un monde dur, où les hommes sont souvent sans pitié, où le danger est permanent qu’il  vienne de la nature hostile ou des humains, un monde où règne le fanatisme religieux, l’avidité, la loi du plus fort, et où la vie de l’autre n’est aucunement respectée, sacrifiée à la survie et au profit. Hakan vit loin de tous, dans des cavernes, des trous creusés dans la terre, vêtu de peaux mais alors qu’il paraît réduit à l’état de bête, que sa vie ne diffère en rien de celle d’un animal sauvage, le personnage est d’une grande beauté car mieux que ceux qui le poursuivent et l’agressent, il sait rester un homme.
Au loin est un très beau roman, humaniste, plein de nostalgie et tristesse, de non-dits et de silence. Le temps s’écoule sans repère, les années passent, douloureuses, emportant les illusions, les projets… Et  pourtant alors que ce roman pourrait être désespérant, j’ai aimé qu’il ne se termine pas par un point final mais par une interrogation  :  Venu dans le Grand Nord, Hakan finira-t-il par boucler la boucle en retournant à pied, sur la banquise, dans son pays natal ?  Un retour au source pour ce petit émigré qui a toujours vécu en exclu.
 Merci aux éditions Delcourt et à Price Minister  : les matchs de la rentrée littéraire 2018

19 commentaires:

  1. celui-là est pour moi! voyageur et naturaliste. mais je suis encore au milieu de la Méditerranée. Il est peut être temps de m'évader ailleurs

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    1. Après un voyage, c'est agréable de prolonger par la lecture. je l'ai éprouvé aussi !

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  2. Je suis contente que tu l'aies aimé, c'est un de mes favoris de ces derniers mois !

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    1. Oui, c'est vraiment un très bon roman et je l'aime beaucoup aussi.

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  3. Un roman qui semble très riche, je note ce titre, merci Claudialucia.
    Un critique de La Libre Belgique en fait aussi l'éloge, voici sa conclusion :
    "à travers ce jeune Ulysse a priori rustre et inculte, Hernán Díaz signe une réflexion sur la nature humaine, sa pulsion nomade, la colonisation, l’immigration, la civilisation et la diversité. Roman historique sans date ni célébrité, Au loin n’en reflète pas moins une époque charnière, qui éclaire encore la nôtre."

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    1. Oui, très juste ... un Ulysse mais humain, qui n'a rien d'un héros mais qui peut représenter notre présent à travers l'immigration.

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  4. peut être bien à noter pour le voyage au nord

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    1. Non, le voyage au nord n'est pas le sujet du livre, c'est juste le dénouement. Le voyage se fait en partant de la Californie en direction de New York.

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  5. J'ai vu l'auteur au festival America et j'ai bien failli craquer (il a eu le prix du festival), mais j'avais déjà assez dépensé. Je l'attends de pied ferme à la bibliothèque.

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    1. Merci, mais il vient d'arriver à la bibliothèque ! Ça évitera des frais de port qui deviennent indécents :-(

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  6. C'est un roman que je pourrais aimer car j'ai toujours été interrogée par la capacité de certains de quitter non pas leur confort mais le monde qu'ils connaissent et partir loin, loin. Cela était valable surtout du temps où les communications étaient longues et hasardeuses, lorsque l'on quittait sa famille cela pouvait être pour toujours. Cela nous renvoie à la situation actuelle des migrants poussés à l'exil courageux pour tenter de survivre

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    1. Tout à fait, le roman est d'actualité sur le thème des migrants.

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  7. j'avais hésité dans ma sélection pour ces matches, il a l'air très intéressant!

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  8. Comme vous parlez bien de ce livre, je trouve. Avec toujours un oeil très aiguisé et en même temps comme une sorte de sollicitude. Hélas, j'ai plusieurs lectures en cours et je ne peux pas lire ce livre pour l'instant, mais j'y penserai à l'occasion.
    Merci.

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  9. Ça a l'air très très sombre comme lecture, mais à part ça il me tenterait bien et puis le grand Nord quoi, ça m'attire toujours ^_~ Bises et bel automne à toi Claudia Lucia

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  10. On en a peu entendu parler mais ça a l'air bien...

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  11. Je suis heureuse que tu aies aimé ce livre autant que moi.
    Beau billet!

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