J'ai un aveu à vous faire (que Eeguab et Wens et tous les autres admirateurs de Howard Hawks et de son film-culte me pardonnent ), chaque fois que je regarde Le grand sommeil … je m'endors! Certes, je connais par coeur les premières scènes que j'ai d'ailleurs retrouvées, très fidèles au roman de Chandler : celle, absolument étourdissante de la rencontre de Marlowe-Boggie avec Miss Carmen Sternwood, jeune nymphomane qui lui saute dessus et la célèbre réplique cynique: Vous devriez la sevrer. Elle doit avoir l'âge.
Le non moins célèbre passage où Boggie siffle le cognac du vieux général Sternwood dans une serre tropicale :
et le moment encore où Boggie affronte Bacall (Vivian Sternwood), dans un duel verbal au fleuret!
Enfin dans une librairie plus que douteuse, l'affrontement inénarrable entre la libraire de livres pornographiques et notre Marlowe…
et quand j'arrive là, plus rien; je dors! Sommeil... mais pas le Grand Sommeil, bien heureusement, celui dont parle Philippe Marlowe, personnage désabusé, revenu de tout :
Qu'est-ce que ça peut faire où on vous met quand vous êtes mort ? Dans un puisard dégueulasse ou dans un mausolée de marbre au sommet d'une grande colline ? Vous êtes mort, vous dormez du grand sommeil... vous vous en foutez de ces choses-là... le pétrole et l'eau, c'est de l'air et du vent pour vous. .. Vous dormez, vous dormez du grand sommeil, tant pis si vous avez eu une mort tellement moche... peu importe où vous êtes tombé... Moi, je faisais partie des choses moches, maintenant.
Mais grâce au roman de Chandler, paru en 1939, traduit par Boris Vian, j'ai pu enfin avoir une idée complète de l'histoire, moins complexe peut-être que celle du film. Le style qui a un charme fou fait revivre une époque bien particulière, celle des années trente, après la fin de la prohibition en Californie. L'ironie mordante et décalée de Chandler, sa critique sans concession des riches milliardaires et des hommes de pouvoir corrompus confèrent à ce roman policier une force qui a exercé une grande influence sur ce genre littéraire! C'est la première fois qu'apparaît le détective Philippe Marlowe, héros récurrent des romans de Chandler, qui va devenir un type. Beau gosse, grand et athlétique, intelligent, habile négociateur, intuitif et patient, alcoolo à ses heures, macho mais il faut dire que les femmes qu'il rencontre ne sont pas des modèles féminins très engageants malgré leur beauté, homophobe à une époque ou l'homosexualité est un délit puni de prison aux Etats-Unis, Philippe Marlowe est un "dur" qui évite pourtant la violence quand il le peut. Il porte un regard amer et dépourvu d'illusions sur ses contemporains. Il est avant tout honnête, refuse la corruption, ne triche pas sur son salaire (modeste), est fidèle à la mission qu'il doit accomplir, ne dévoile pas les secrets de ses employeurs.. des qualités qui le font paraître étranger à ce monde de corruption que dénonce Chandler. L'écrivain nous décrit une société où ceux qui ont l'argent possèdent le pouvoir car ils peuvent tout acheter, la police comme les hommes politiques. La corruption règne partout. Les maîtres du pays sont des hommes comme Eddie March, directeur du casino, qui a du sang sur les mains, un homme dangereux qui manipule tout ceux qui l'entourent.
-C'est illégal de boire de l'alcool ici, dit l'employé
-Je suis terrorisé à l'idée de faire ça dis-je et je dévissai la capsule de la bouteille de whisky pour en couper le café. Je continuai :
-La loi est terriblement respectée dans cette ville. Pendant toute la prohibition, la boîte d'Eddie March était un night club et tous les soirs il y avait deux hommes en uniforme dans le hall pour s'assurer que les clients n'amenaient pas leur alcool au lieu d'acheter celui de la maison.
-Je suis terrorisé à l'idée de faire ça dis-je et je dévissai la capsule de la bouteille de whisky pour en couper le café. Je continuai :
-La loi est terriblement respectée dans cette ville. Pendant toute la prohibition, la boîte d'Eddie March était un night club et tous les soirs il y avait deux hommes en uniforme dans le hall pour s'assurer que les clients n'amenaient pas leur alcool au lieu d'acheter celui de la maison.
Les petits malfrats sont les seuls qui risquent gros car dans ce pays civilisé où les criminels ont les mains libres grâce à leurs appuis, les autres risquent la peine de mort : dis-toi qu'il faut absolument que tu respires et que tu as la figure toute noire, que tes yeux vont te tomber des joues… et que tu vas respirer maintenant mais que tu es ficelé sur le fauteuil de la petite chambre à gaz de Saint-Quentin; et quand tu respireras cet air que tu luttais de toutes tes forces pour ne pas avaler, ce ne sera pas de l'air qui viendra mais du cyanogène… Et c'est ça qu'on appelle une exécution humanitaire dans notre pays maintenant.
On le voit, le pessimisme de Raymond Chandler sur la nature humaine semble total mais parce qu'il y a dans son personnage de Marlowe, malgré ses défauts et ses compromissions, quelque chose qui résiste au mal, parce que l'humour permet de faire face à la noirceur et au désespoir, le lecteur est prêt à suivre Philippe Marlowe dans ses nombreuses aventures.
Les vainqueurs du jour sont : Asphodèle, Aifelle, Dasola, Eeguab, Keisha, Pierrot Bâton.. Merci à tous!
Le roman :Le grand sommeil de Raymond Chandler
Les vainqueurs du jour sont : Asphodèle, Aifelle, Dasola, Eeguab, Keisha, Pierrot Bâton.. Merci à tous!
Le roman :Le grand sommeil de Raymond Chandler
Le film : Le grand sommeil de Howard Hawks avec Humphrey Boggart et Lauren Bacall
J'ai un autre aveu à faire ... je n'ai jamais lu Chandler. Bon, ça peut s'arranger, mais pour l'instant je préfèrerais revoir le film avec Humprey (et je ne m'endors pas moi !)
RépondreSupprimerEt voilà, on se moque de moi!
SupprimerRhôoô, s'endormir en regardant Humphrey ^^. Grande fan de Chandler, je suis ravie que tu sois parvenue au bout de l'histoire avec le roman. J'espère qu'il y a tentation de récidive. J'adore cette atmosphère noire, cynique et pourtant si humaine et comme tu le soulignes ce " quelque chose qui résiste ".
RépondreSupprimerUne honte! s'endormir devant Boggie! Moi aussi j'ai beaucoup aimé le roman,maintenant il va falloir que je me remette au film!
SupprimerComme je te l'ai dit, lu, mais pas vu...
RépondreSupprimerA voir donc! pour moi aussi!
Supprimerj'avais trouvé Marlowe figures toi !! un miracle mais je n'avais pas trouvé le titre du livre
RépondreSupprimerTu me donnes envie de revoir ce vieux film et puis Lauren Bacall est tellement belle
Magnifique Bacall! et Boggart aussi, bien sûr! Quant à Marlowe, il fait partie de notre "collection" de détectives ou commissaires devenus "plus vrais que la vie"!
SupprimerNon, mai c'est vrai, tu as raison, il ne faut pas que nos neurones s'engourdissent, surtout en ce printemps où on a plutôt tendance à rester sous la couette qu'à mettre le nez dehors.
RépondreSupprimerMes neurones s'engourdissent devant le Grand sommeil... peut-être à cause du titre! Qui sait?
SupprimerJ'ai vu le film et lu le livre mais il y a si longtemps que je ne me souviens pas de tout ! Avec Boggie, en principe je ne m'endors pas !!! :D
RépondreSupprimerMOi aussi , en principe, je ne m'endors pas! Il ne faut pas croire!
SupprimerLe film est superbe mais après on lit le livre avec les images des acteurs en tête ! Ceci dit j'aime beaucoup les romans noirs des années 30, toute une atmosphère...
RépondreSupprimerCe n'est pas gênant de lire avec l'image de Bacall-Boggart en tête! Oui, les romans noirs des années 30 ont une atmosphère incroyable et présentent une vision de la société pessimiste.
SupprimerJ'ai lu cette année "Le grand sommeil" mais j'avoue n'avoir pas encore vu le film même si je le connais de réputation. C'était donc une belle découverte sans être donc parasitée par les images du film (même si ce n'est pas toujours un mal, je trouve ^^). J'espère que je ne m'endormirai pas le jour où je le regarderai. Mais devant Boggart, ça m'étonnerait! xD
RépondreSupprimerC'est un très bon film, un chef d'oeuvre (va voir Wens qui l'admire) et j'adore les scènes dont je parle dans ce billet. Mais à l'époque, quand j'ai vu le film, j'avais trouvé l'histoire très embrouillée et la fatigue aidant...
SupprimerNi vu ni lu. pas de regrets de ne pas avoir participé!
RépondreSupprimerj'ai de grosses lacunes. vivement la retraite (ou les vacances) pour le rattrapage
On ne peut avoir tout lu et chacun accumule "ses" lacunes... même à la retraite!Impossible de tout rattraper "depuis qu'il y a des hommes et qui pensent."
SupprimerBonsoir Claudialucia, il faudrait peut-être que tu voies l'adaptation avec Mitchum et Rampling (je suis fan de Mitchum depuis toujours). Le film se laisse voir même si ce n'est pas le chef d'oeuvre du siècle. Bonne soirée.
RépondreSupprimerBonne idée! Il faudra que je découvre cette adaptation! Et j'adore Mitchum aussi! Et Boggart également même si le film n'a pas marché avec moi! Mais je n'ai pas dit mon dernier mot pour ce film et j'ai aimé le livre.
SupprimerSalut bonjour, j'ai bien aimé l'article.
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