Pages

jeudi 21 septembre 2023

Sorj Chalandon : L 'Enragé

 

Dans l’Enragé, Sorj Chalandon  raconte la mutinerie des enfants de la colonie pénitentiaire de Belle-île sur Mer, Haute-Boulogne, en août 1934.
Il s’agissait d’un véritable bagne pour mineurs, petits délinquants rejetés par leur famille, ou tout simplement, orphelins abandonnés sur le seuil d’une église. Les conditions de vie, les sanctions disciplinaires y sont d’une dureté incroyable : violences physiques et morales, humiliations, privation de liberté et de nourriture. De plus, ils sont traités comme des esclaves et fournissent une main d’oeuvre bon marché aux habitants de l’île. Un jour, la brutalité gratuite d’un chef met le feu au poutres. Les détenus se révoltent, frappent, pillent, détruisent puis s’enfuient.

C’est à travers le regard d’un personnage fictif, Jules Bonneau, dit la Teigne, que Sorj Chalandon nous fait vivre ces ignominies. Ce surnom, Jules l’a gagné auprès de ses co-détenus et des surveillants de la colonie tant sa rage est grande contre ce système qui broie l’individu. Pour survivre, il faut savoir se faire respecter et ne jamais faire preuve de faiblesse. Ce n’est pas le cas de Camille Loiseau, un enfant de 13 ans, trop fragile pour se défendre et qui subit, de plus, les sévices sexuels des « caïds », ceux qui, parmi les plus âgés des détenus, ont perdu tout humanité. Car, bien sûr, loin d’être éducatif, cet univers carcéral pervertit les esprits, émousse les consciences et entretient la violence.

Dans la réalité tous les détenus ont été repris. Dans son roman, Sorj Chalandon imagine que Jules s’en sort grâce à l’aide de braves gens, Sophie, l’infirmière du bagne, Ronan, son mari, patron d’un bateau de pêche et son équipage. Ronan, le socialiste, Alain le communiste, Pantxo, le basque, anarchiste, qui ne sont peut-être pas toujours d’accord mais qui s’unissent tous contre la même injustice, celle que l’on inflige aux plus faibles.
Ce drame se déroule dans un contexte historique nocif, avec la montée de l’extrême-droite en France, (les Croix de Feu) comme en Allemagne, le renforcement des idées réactionnaires, contre l’émancipation des femmes, leur droit de vote, (avec une page terrible sur l’avortement), mais aussi l’antisémitisme de plus en plus virulent, tout ceci sur fond de guerre d’Espagne avec le carnage de Guernica !

Ce qui m’a intéressée, c’est que Sorj Chalandon ne tombe pas dans l’angélisme. Les enfants deviennent pour certains des bêtes sauvages et Jules, lui-même, qui a pourtant des éclairs de conscience et d’humanité, se rêve criminel avant de le devenir.

« J’allais te voler Ronan ! J’étais à deux doigts. (…)  Tu sais Ronan, je suis un bandit. C’est une canaille de Haute-Boulogne que tu as accueillie dans ta chaloupe et sous ton toit. Pas un orphelin pitoyable, qui sanglote avec un caïd entre les reins, mais une Teigne. Une vraie. Un chacal pelé, sans père ni mère, sans rien de ce qui fait votre humanité. »

« Tu espérais quoi, le communiste ? Que j’allais défiler avec toi contre la vie chère ? Je m’en fous de tes combats. Quand je lève le poing, c’est pour ma gueule. Et toi le basque, tu attendais quoi ? Que je te rende la chemise et le pantalon que tu m’avais prêtés pour enterrer la vieille ? Jamais, tu m’entends ! Il resteront au fond de mon sac. (…) C’est ça que vous voulez sauver ? Ce chien enragé? »

 L’écriture est belle, énergique, vent debout contre l’injustice et la barbarie. Je l’ai lu sans pouvoir m’arrêter tant j’ai épousé la révolte du jeune homme, tant j’ai vécu les dangers de l’évasion, les mutins n’ayant d’autres ressources que de se jeter à l’eau ou de braver la mer sur un esquif volé au péril de leur vie. Cette chasse à l’enfant comme l’a écrit Jacques Prévert alors présent sur l’île, jette les Bélillois à la poursuite des fugitifs, chaque capture apportant 20 francs au chasseur d’enfants.


Un roman passionnant et addictif.


 

11 commentaires:

  1. Il est sur ma liste de rentrée, je le prendrai à la bibliothèque.

    RépondreSupprimer
  2. Un auteur que je vois souvent passer sur les blogs, mais que je n'ai pas encore pris le temps de découvrir...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est le premier que je lis de cet auteur et j'ai vraiment aimé.

      Supprimer
  3. Peut être l'occasion de lire enfin l'auteur ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne connais pas les autres mais, oui, celui-ci est vraiment intéressant.

      Supprimer
  4. J'ai hésité à me joindre à toi pour cette lecture. J'ai lu beaucoup d'avis positifs sur ce roman mais le sujet me rebutait un peu. Maintenant, j'ai l'impression d'avoir raté un bon livre.

    RépondreSupprimer
  5. J'ai beaucoup aimé le 4ème Mur, mise en scène d'Antigone dans Beyrouth en guerre, aussi ses romans sur fond de conflit irlandais.

    RépondreSupprimer
  6. c'est un de ceux qui je le pense me laissera le plus de souvenirs de cette rentrée littéraire!

    RépondreSupprimer
  7. Il me semble t'avoir laissé un commentaire (à moins que ce soit sur un autre blog) où je reliais ce sujet à "Crions, c’est le jour du fracas !" : Héloïse Guay de Bellissen y raconte notamment le drame de 1866 dans un pénitencier pour mineurs de l’île du Levant, en face d’Hyères. La mutinerie dont parle Chalandon date de 1934 - comme quoi, les drames et les tragédies sont trop vite oubliés.

    RépondreSupprimer

Merci pour votre visite. Votre message apparaîtra après validation.