Humus de Gaspard Koenig est un roman écologique où deux étudiants en agronomie prennent la mesure du défi qui les attend et du sort qui menace le genre humain face à l’appauvrissement des sols ruinés par les pesticides, dépourvus d'humus. C’est une évidence qui nous mène tout droit à la famine alimentaire et à la fin de l’humanité. Car, il faut savoir que Humus, en latin signifie Homme et que sans humus, la vie n’est plus possible ! Mais il semble qu’il y ait une solution, apprennent les deux amis, Kevin et Arthur, au cours d’une conférence sur les vers de terre, c’est le vermicompostage. Et oui, le lombric comme sauveur de l’humanité ! Il faut dire que ces adorables petites bêtes travaillent pour nous, aèrent la terre, transforment les déchets en matière organique et enrichissent nos sous-sols ! Au lieu de les empoisonner, il faut, au contraire, les protéger et et les réintroduire par inoculation dans les sols épuisés. Et voilà nos deux agronomes partis en croisade ! Les Rastignac du ver de terre !
Le lombric : 7000 espèces différentes |
Les espaces infinis qui fascinent les philosophes ne se trouvent pas au-dessus de nos têtes mais sous nos pieds. Les vers de terre transforment le sol en un dédale de chemins, de croisements, de puits, de cachettes. Chaque mètre carré dissimule cinq mètres de galeries, un réseau encore plus dense que celui des pyramides. Ce sont elles qui permettent de remonter depuis les entrailles de la Terre, les éléments nutritifs à la vie et, inversement, qui drainent l’eau de la pluie pour la garder en réserve. Sans cette architecture complexe, les sols se tassent, l’eau ruisselle en surface et les plantes restent affamées.
Ironie et dérision
C'est la faux qui doit travailler... |
Arthur le bourgeois, fils d’avocat, choisit d’aller cultiver ( c’est logique ! Lui, ne sait pas ce que c’est !) la terre familiale « pesticidée », si j’ose dire, au dernier degré.
Kevin, fils d’ouvriers agricoles, se gardent bien de suivre l’exemple de ses parents (pas bête ! Lui, sait !)
« Malgré tout le prix qu'il accordait à leur amitié, Kevin ne s'imaginait pas un instant vivre en Basse-Normandie avec deux néo-ruraux émerveillés par les papillons. »
Il se lance dans la création d’une start-up de vermicompostage à grande échelle, qui, grâce aux lombrics de tout acabit et par un procédé naturel, sans engrais et sans pesticides, va fournir une terre noire, grasse et riche qui sera vendue partout dans le monde. Certes, il ne connaît rien à la gestion de l’entreprise et à la recherche des financements mais il est aidé par la cupide Philippine, qui incarne le capitalisme sans scrupules, dans toute son horreur et sa malhonnêteté.
Et bien, sachez-le, nos deux agronomes échoueront ! C’était couru d’avance mais il faut lire le roman pour comprendre pourquoi et comment. Humus est une charge contre notre monde actuel qui ne sait pas s’arrêter dans cette course vers la mort et est déjà, comme le champ d’Arthur, à un point de non retour. Il est une critique du capitalisme qui n’hésite pas à vendre son âme (c’est ce que finit par faire Kevin) lorsqu’il s’agit d'argent.
Si c’est un constat assez amer, c’est avec ironie et dérision que Gaspard Koenig nous raconte cette histoire qui ne laisse pas cependant d’être angoissante. Il y a des moments d’humour que j’aime beaucoup quand Arthur, par exemple, défrichant son champ à la faux et refusant vertueusement l’utilisation du tracteur, est obligé - couvert de pansements - de lire le mode d’emploi de cet outil qu’il est bien incapable de manier !
« C’est la faux qui doit travailler et non vous. » Il était bien d’accord.
Votre faux étant à plat sur le sol, posez un point de repère quelconque au point A au ras de la lame. Tout en maintenant la pointe du manche contre votre botte, saisissez la poignée du milieu et faites pivoter la faux au ras du sol jusqu’à ce que la pointe p vienne jusqu’au repère A. » etc…
ou quand désireux de se suicider, il calcule quel genre de mort aura le moins d’impact sur l’environnement!
Ce n’est pas pour rien que Arthur se trouve vers l’éco- terrorisme, lui aussi, voué à l’échec.
Campus Agro Paris tech |
Le roman est aussi une satire des milieux bourgeois comme des milieux financiers qui, lorsqu’ils apprennent que Kevin est issu d’un milieu modeste et fait ses études dans cette grande école d’agronomie, l’Agro Paris Tech, se réjouissent, confortés dans leur bonne conscience, que « l’ascenseur social » fonctionne en France (même si Kevin est le seul avoir atteint ce niveau !).
« Kevin resta muet. Il ne comprenait pas cette histoire d’ascenseur. Il avait plutôt l’impression de marcher d’une aventure à l’autre sans monter ni descendre. »
Ironie aussi envers le parisianisme de la directrice RSE (de l’Oréal) qui rencontre Kevin :
« Madame RSE le regarda avec étonnement. Si l’idée qu’on puisse naître et grandir dans le Limousin était une vérité théorique incontestable, elle n’avait encore jamais rencontré de cas pratique. »
L’Agro Paris Tech, d’ailleurs, n’échappe pas à l’ironie de Koenig, cette grande école qui oeuvre pour booster le déploiement de la bioéconomie mais qui forment surtout des jeunes loups soucieux de faire une carrière lucrative. L’hypocrisie consiste à la fin de l’année d’étude à laisser parler pendant quelques minutes « les bifurqueurs » « pour dénoncer l’agribusiness et présenter leurs projets alternatifs en ferme autogérée ou à la Confédération paysanne, sous les applaudissements de leurs camarades qui, eux, auraient déjà signé leurs contrats chez Danone. »
Sous la forme d’un roman présentant des personnages que l’on suit avec plaisir, Gaspard Koenig dresse, avec un humour grinçant, un constat pessimiste de l’état de la planète mais la fin présente pourtant une note d’espoir.
LC avec Keisha ICI et Je lis je blogue ICI
Pour ma part, c'est non seulement une belle découverte (je ne connaissais pas Gaspard Koenig) mais un vrai coup de cœur. En lisant ta chronique et celle de Keisha, j'ai constaté que le plaisir a été partagé. Contrairement à vous deux, je n'avais pas pensé à Rastignac mais la référence est tout à fait juste. En dépit du sujet abordé, le roman n'est pas pesant du tout. On se régale même de l'humour de l'auteur. C'est parfois cynique mais tellement vrai aussi.
RépondreSupprimerC'est Gaspard Koenig qui fait cette comparaison avec Rastignac. Oui, c'est un plaisir partagé ! Un roman original et qui évite, même si le sujet est sérieux, d'être pesant. De plus l'écrivain a l'air de régler ses comptes ! Qu'est-ce qu'il balance contre Agro Paris Tech, en particulier.
SupprimerIl semble que cette lecture soit aussi par le ton et l'ironie.
RépondreSupprimerOui, tout à fait, ironie critique ! L'auteur a même la dent dure parfois !
SupprimerLe capitalisme vert, la croissance verte : toujours faire de l'argent, même avec les vers de terre. Ça n'est pas parce qu'un défaut ou un vice devient vert qu'il devient bon. Ceci dit, je retourne à mon potager, j'ai des choux fleurs à semer pour le printemps prochain !
RépondreSupprimerLà, en plus, il y a tromperie sur la marchandise puisque le produit n'est pas vert du tout !
SupprimerTu as osé proposer une illustration desdites bestioles! Bien utiles, pas présentes dans mon jardin, même côté compost. Faut agir!
RépondreSupprimerMarrant, on évoque Rastignac.
Chouette roman, n'est ce pas?
Mais qu'est-ce que tu as contre ces mignonnes petites bestioles ? N'oublie pas que tu leur dois la vie !
SupprimerRastignac, oui, c'est à ce personnage que G. Koenig compare les deux amis.
Même remarque pour toi que pour Keisha j’ai très envie de le lire mais je peine à accélérer mes lecture. Ce livre le fait penser à JH Fabre et ses insectes j’aime les histoires de bestioles
RépondreSupprimerBien sûr, Fabre et Koenig parlent de bestioles mais la comparaison s'arrête là, l'un est un scientifique, l'autre un romancier.
RépondreSupprimerJe vois que les vers de terre ont de plus en plus d'adeptes, enfin, ce roman, en tout cas. Il est sur la liste de pas mal de prix, ce qui est assez amusant, quand on voit la composition très parisienne des jurys, qui ne doivent pas souvent mettre les mains dans l'humus ! (moi, j'avoue me débarasser souvent de mes gants de jardinage pour tripatouiller !)
RépondreSupprimerVivent les vers de terre ! Une note d'espoir... Un mot à bannir selon Jean-Marc Gancille interrogé dans La Libre Belgique sur son livre "Ne plus se mentir" (Petit exercice de lucidité par temps d'effondrement écologique), l'espoir entretient selon lui l'illusion d'un progrès en douceur alors que la fuite en avant du capitalisme et de la consommation nécessite un combat plus radical. Cela rejoint "Humus", dirait-on.
RépondreSupprimerJ'étais absente fin septembre et n'ai pas lu ces commentaires. J'y réponds maintenant avec un décalage. Je me demande ce que veut dire "un combat plus radical" ? De l'éco-terrorisme comme Arthur le fait ? Aller abimer les oeuvres d'art comme le font les imbéciles ? Comme c'est le capitalisme et le libéralisme qui sont les responsables, et que nos gouvernements ne sont que des pions, des valets, entre leurs mains, je ne vois pas trop où est la solution...radicale !
SupprimerOublié de signer mon commentaire, voici.
RépondreSupprimerJ'ai de plus en plus envie de le lire ce roman, même si je ne raffole pas des petites bestioles en question. Mais la bibli n'est pas pressée, pas encore commandé.
RépondreSupprimerJe ne partagerai pas mon appartement avec les petites bestioles, mais il faut reconnaître qu'elles ont du bon.
SupprimerUne note d'espoir... je prends. Je lirai ce livre.
RépondreSupprimerUne note d'espoir mais à c double tranchant : avec le temps, quand on lui flanque la paix, la terre finit pas réagir, les vers de terre par revenir ! Youpi! En fait si l'espèce humaine cessait d'exister, la planète finirait par bien se porter !
SupprimerJe ne fais pas toujours la distinction des commentaires qui apparaîtront "anonymes" ou pas.
RépondreSupprimeril va falloir que je me décide à tenter cette lecture!
RépondreSupprimerEn retard pour mes réponses, je viens de lire ton billet et y répondre !
SupprimerJ'aime beaucoup la tonalité de ce livre, ironique, et le propos de ce livre. Tu confirmes les bons échos que j'ai entendus jusque là !
RépondreSupprimerUn livre intéressant ! Après avoir figuré dans plusieurs premières listes de prix littéraires, j'ai vu qu'il avait eu le prix Interallié.
SupprimerMe voilà très tentée, d'autant plus que j'ai depuis toujours une véritable passion pour les vers de terre ! Aurai-je la patience d'attendre sa sortie poche ? Là est la question...
RépondreSupprimerUne passion pour les vers de terre ? Comme les héros du roman !
SupprimerJe ne suis plus trop l'agro de Paris ! Mon père est un ancien élève mais cela remonte à bientôt un siècle (1930) et une ancienne petite copine de mon plus jeune fils y est entrée en passant par la fac. Mon fils lui a fait l'agro Montpellier et il n'a pas les mains dans la terre, il est devenu chargé de diffusion de groupes musicaux (manager quoi)
RépondreSupprimerCe livre ne me tente guère. Je suis tombée sur le début d'une émission animée par Claire Servajean dont je ne supporte pas le débit de voix mitraillette avec comme invité G Koenig à propos d'Humus
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/une-semaine-en-france/le-18-20-une-semaine-en-france-du-vendredi-22-septembre-2023-6785452
Ce n'est pas une découverte que les vers sont vitaux...
Une de mes relation de blog française mariée à un américain a enterré son mari dans une forêt prévue à cet effet aux Etats Unis. Un retour à la nature qui personnellement me conviendrait tout à fait !
C'est sûr qu'en 1930, le problème ne se posait pas...encore !
SupprimerCelui-ci il me le faut. Pour les lombrics et pour le reste! Sais-tu que j'avais un élevage de lombrics dans ma classe?
RépondreSupprimerCe devait être intéressant pour tes élèves. Ma fille, instit, fait des expériences similaires avec ses élèves.
Supprimerah je viens juste de lire l'avis de Keisha , ce livre me tente mais j'ai un peu ralenti mon rythme de lecture
RépondreSupprimerIl y a en a tant à lire ! Depuis j'ai en ai lu qui m'ont beaucoup plu !
SupprimerBonjour Claudialucia, décidément, ce livre est énormément chroniqué en bien sur les blogs. Et j'ai vu qu'il était dans la première liste du Goncourt. Je l'ai noté. Bon après-midi.
RépondreSupprimerOui, il fait parler de lui. C'est son sujet, bien sûr, qui intéresse !
SupprimerSatire, charge ironique?
RépondreSupprimerOn peut voir cela comme cela.
j'ai trouvé beaucoup de complaisance surtout quand il met en scène un certain Gaspard.
Ce qui signifie que tu ne trouves pas qu'il s'agit d'une satire ? Deux mois après ma lecture, je ne me souviens pas vraiment du personnage de Gaspard ! Dis moi tout !
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