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lundi 27 janvier 2014

Shakespeare : Le songe d'une nuit d'été


Titania, la reine des fées endormie :Arthur Rackam

La  pièce de Shakespeare Le songe d'une nuit d'été  était à l'origine intitulée Le songe de la nuit de la Saint Jean. Une bizarrerie puisque  Shakespeare place le déroulement de sa pièce au mois de Mai (mid summer).
 L'universitaire Ernest Schanzer donne une explication : il s'agit de la date de la première représentation du Songe donnée pour célébrer la nuit de la Saint-Jean. Ce qui reste étonnant, pourtant, c'est que le dramaturge ait tenu à placer l'action la veille du premier Mai. Certes ces deux nuits, dans les croyances élizabéthaines, étaient toutes deux considérées comme propices à la magie, à l'apparition des êtres surnaturels. Cependant c'est à la Saint Jean que les fleurs cueillies cette nuit-là ont un pouvoir magique capable de susciter des rêves amoureux et de frapper les gens de folie. Or, constate Ernest Schanzer  "la folie amoureuse n'est-elle pas, en effet, le thème essentiel du songe d'une nuit d'été?".
Quoi qu'il en soit, la pièce est bien nommée puisque toutes les scènes se déroulent la nuit sauf peut-être la première scène de l'acte 1 et encore est-elle placée aussi sous le signe de la lune..

L'intrigue 

La rencontre de Obéron et Titania Arthur Reckam
  La scène se passe à Athènes et dans un bois voisin.

Thésée, le duc d'Athènes et Hippolita vont fêter leur mariage dans quatre nuits, à la nouvelle lune.  Mais Egée, un vieux courtisan,  vient se plaindre de sa fille Hermia qui refuse d'épouser Démetrius, le prétendant qu'il lui a choisi. Hermia aime Lysandre et veut se marier selon son coeur.  Héléna, la fille de Nedar, elle, aime Démetrius qui lui préfère Hermia. Telle est la situation, inextricable, lorsque les deux amoureux, Hermia et Lysandre décident de fuir.  Ils seront suivis, contre leur gré, par Héléna et Démétrius. Les quatre jeunes gens se perdent dans la forêt pendant cette nuit de folie et vont être les jouets des fées.

Pendant ce temps, des gens du peuple, artisans de la ville, décident de monter une pièce sur la mort de Thisbée et de Pyrame pour la représenter au mariage de Thésée et Hippolita. Ils espèrent s'attirer les bonnes grâces du roi. Ils s'éloignent dans la forêt guidé par Lecoin, le charpentier qui s'est improvisé metteur en scène. La troupe à l'intention de répéter à l'abri des regards et il va leur arriver à eux aussi bien des mésaventures.

Dans la forêt vit le peuple des fées : La reine des fées Titania, entourée de ses elfes, est en rivalité avec Obéron, le roi des fées. Il lui réclame un enfant qu'elle lui a volé. Elle refuse et Obéron jure de se venger avec l'aide de Puck ; il demande à ce dernier d'aller cueillir une fleur magique dont le suc déposé sur la paupière d'une personne la rend amoureuse du premier visage aperçu lors de son réveil.
Avec cette fleur commence la folie amoureuse de cette nuit d'été : Titania tombera amoureuse de Bottom (Navette), le tisserand, affublé d'une tête d'âne; les quatre jeunes gens eux aussi vont changer de soupirants, voir se nouer et dénouer leurs amours, au gré des caprices des fées.

Une comédie tragique

Film de Reinhart :  Titania, la reine des fées et Bottom

Le songe d'une nuit d'été est une comédie. Elle présente effectivement des personnages franchement comiques, en particulier la troupe de théâtre des artisans, ridicules à souhait dans leurs prétentions. Les personnages vont jouer une tragédie en se prenant très au sérieux; c'est ce qui va provoquer le rire car nous assistons à une parodie sans que les acteurs en soient conscients. Ils craignent même de faire peur aux dames! Ce sont des personnages de farce et celle-ci est à son comble quand Bottom se retrouve avec une tête d'âne. Shakespeare a toujours aimé mener une réflexion sur le théâtre dans ses pièces, soit pour révéler la vérité comme dans Hamlet, soit pour rappeler que la vie, le monde entier est un théâtre comme dans Macbeth ou Le marchand de Venise.  Ici, le théâtre dans le théâtre permet de jouer sur le grotesque tout en dénonçant la sottise et la vanité humaines. Il est aussi frappant de constater que le thème de Pyrame et Thisbé répond à l'intrigue du Songe, une histoire d'amour contrarié et d'amants séparés. A l'astre de la lune qui veille sur la pièce, répond la lune factice, une lanterne, des comédiens amateurs.

Cependant la pièce a un fond tragique et même si le spectateur rit, il reste conscient de la cruauté des jeux amoureux qui se déroulent devant lui. Quand le suc de la fleur magique détourne l'amour de Lysandre et de Démétrius vers Héléna, Hermia devient pour eux un objet de mépris. Il n'y aucune compassion pour la jeune fille qui doit essuyer des insultes :
"Moi me contenter d'Hermia! Jamais! Comme je regrette les heures d'ennui passées auprès d'elle. C'est Héléna que j'aime, non Hermia!  Qui ne voudrait changer une corneille contre une colombe?(...)
Va-t-en tartare moricaude, va t'en! au diable médecine répugnante, au diable vomitif dégoûtant!"
Les rapports entre  hommes et femmes sont donc d'une grande violence  même si leur caractère excessif nous rappelle que nous sommes dans la farce. Il n'en reste pas moins que Hermia soudainement délaissée est désemparée, humiliée et malheureuse. Héléna qui ne peut croire au revirement des deux jeunes gens, est tout aussi blessée par ce qu'elle croit être une raillerie. La souffrance des deux femmes est bien réelle.
Hermia : Jamais si fatiguée, jamais si malheureuse, trempée par la rosée, déchirée par les ronces, je ne puis me traîner ni avancer d'un pas.
Mais les relations féminines ne sont pas meilleures même si elles sont parfois plus subtiles. Hermia se fâche lorsque Héléna  dit et répète qu'elle est "petite"! Est-elle trop susceptible?La "gentille" Héléna  a-t-elle  une intention blessante ou, au contraire, dit-elle cela innocemment?!  Nous restons ainsi dans la comédie mais Shakespeare nous montre une nature humaine bien noire. Il est vrai que les personnages magiques eux-mêmes ne sont pas plus sages, témoins la dispute entre Titania et Obéron, les facéties de Puck, et ils ont, comme jadis les dieux de l'Olympe, tous les défauts des humains, à moins que ce ne soit le contraire! Cependant leur guerre, leur colère ou leurs décisions ont un retentissement sur l'ordre du monde et sur la destinée des hommes.
Pâle de colère, la lune qui préside aux inondations, a noyé l'atmosphère; les rhumatismes pullulent. Tous ces troubles provoquent des changements de saison ; les gelées blanches s'abattent au tendre coeur des roses cramoisies… Cette cascade de malheurs provient de nos discordes et de nos querelles; nous en sommes l'auteur, la cause originelle.

L'homme est-il libre?

Le Songe à la Criée de Marseille : metteur en scèneEdward Hall *

La pièce, à mes yeux, est donc aussi une réflexion et pas des moindres sur la liberté de l'homme face aux Dieux. Ce sont les Fées qui tirent les ficelles et les êtres humains apparaissent bien vite comme des marionnettes soumises à leurs caprices. Obéron tout puissant et Puck, en commettant des erreurs, tiennent entre leurs mains la clef de leurs sentiments et décident de leur avenir. Doit-on penser que Shakespeare penche vers le déterminisme? Ce serait peut-être aller bien loin et encore une fois, comme il s'agit d'une comédie, Shakespeare nous invite à ne pas nous poser de question et à considérer tout cela comme un rêve! (même si celui-ci vire parfois au cauchemar!)

La folie amoureuse 

 La reine des fées Titania et Bottom (Navette)

 Car le pessimisme de Shakespeare s'exprime dans cette peinture de la folie amoureuse. Lysandre peut passer de l'amour d'Hermia à celui d'Hélène puis revenir à Hermia ; Titiana s'énamoure d'un monstre à tête d'âne et le tient pour le plus beau des êtres.  Si l'on peut changer ainsi de partenaire, si l'on peut s'aveugler sur les mérites de celui qu'on aime, si le caprice préside au choix, si les êtres sont interchangeables, alors l'amour réel existe-t-il?
Il faut remarquer que c'est au moment où Lysandre agit avec le plus d'inconséquence qu'il invoque la raison pour expliquer qu'il n'est plus amoureux d'Hermia mais de Héléna : :
C'est la raison qui gouverne la volonté de l'homme et la raison me dit que vous êtes la plus précieuse.
La conclusion paraît évidente. L'amour n'est qu'une création de l'esprit, il s'apparente à la folie et l'un ne va pas sans l'autre.
La féérie, la fantaisie, l'humour de la pièce 

Arthur Rackam : Puck "Je suis ce joyeux vagabond"

Enfin la pièce est magnifique par ce mélange de poésie et de beauté lyrique parfois mêlé au trivial. Elle peint les sortilèges de la nuit :

Il nous faut nous hâter, seigneur des elfes, car les rapides dragons de la nuit fendent les nuage sen plein vol et voyez briller là-bas la messagère de l'aurore. A son approche les fantômes qui errent cà et là s'assemblent pour regagner les cimetières..

Elle est éclairée dès le début par un clair-obscur onirique, celui de la lune et la nuit; des ombres s'agitent, éphémères, dans l'obscurité. Rien n'est solide, rien n'est vrai et les fées qui peuplent la forêt sont "des esprits" qui s'évanouiront à l'approche du jour à l'exception, peut-être, d'Obéron, le Seigneur des elfes qui peut braver les rayons de l'aurore..

La fantaisie de la pièce est remarquable dans la façon de traiter le thème féérique avec ses personnages majestueux comme Titania ou Obéron,
Je connais un tertre où fleurit le thym sauvage, où croissent les primevères et les tremblantes violettes, le foisonnant chèvrefeuille, l'églantine, les douces roses musquées le recouvrent d'un dais; C'est là, parmi ces fleurs, que Titania s'endort un moment la nuit bercée par les danses et les délices.
avec ses  elfes au nom délicieux, entités de la Nature et qui participent à son entretien et à sa survie: Toile d'araignée, Phalène, Graine de moutarde, Fleur de pois 
Puis vous partirez durant le tiers d'une minute, les uns pour aller tuer les vers dans les boutons des roses musquées; les autres pour guerroyer contre les chauves-souris ….
et avec  Puck, ce Robin le diable, malicieux, farceur et un rien méchant :
Tu dis vrai? Je suis ce joyeux vagabond nocturne. J'amuse Obéron et le fais sourire quand métamorphosé en jeune pouliche, je hennis pour tromper le gros cheval bourré de fèves…"
par son humour aussi lorsque, par exemple, Titania vante la beauté de son amoureux Bottom ..

Une pièce très riche que j'ai déjà vue plusieurs fois et qui permet des mises en scène très différentes. Elle fait parti de mes comédies shakespeariennes préférées avec La nuit des rois et Beaucoup de bruit pour rien.

*Je vais voir Le songe d'une nuit d'été au théâtre de La Criée de Marseille cette année, le 13 Mars, mise en scène de Edward Hall voir ici

 Challenge Shakespeare



Lecture commune avec Eimelle, Miriam, Shelbylee sur deux pièces de Shakespeare au choix : Richard III ou  Le Songe d'une nuit d'été.


Eimelle : Richard III

 Miriam : Le songe d'une nuit d'été

Shelbylee : Richard III

 Je vous renvoie aussi à ces participations plus anciennes au challenge Shakespeare pour :

 

 Le songe d'une nuit d'été.


 Droopy vert

Maggie 1001 classiques

Lou 

  

 Lire aussi  hors challenge : Liligalipette chez Babelio 

 

Pour Richard III


 Céline : Richard III  

Miriam :
Richard III : une mise en scène contemporaine 
 Richard III : retour au texte




22 commentaires:

  1. j'avais vu le songe sur scène il y a qqs années, j'en garde une image assez diffuse, mais agréable...
    Voici mon article pour Richard III
    http://lecture-spectacle.blogspot.fr/2014/01/richard-iii-shakespeare-dominique-pinon.html
    Bonne journée!

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    1. C'est une pièce à voir et à revoir! Je viens lire ton article.

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  2. comme d'habitude, un très beau billet et très bien illustré! La Comédie Française a aussi mis à l'affiche le songe pour bientôt. Je n'avais pas vu cet aspect de liberté de l'homme/manipulation des fées, je suis restée dans le registre léger.
    Mon billet, un peu plus tard dans la journée.

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    1. Au festival d'Avignon il y a beaucoup de compagnies qui n'ont pas le niveau et qui s'attaquent aux comédies de Shakespeare dans le registre léger! Ils ne peuvent pas en rendre les autres aspects! Et ça, ça m'énerve! Pourquoi jouer Shakespeare si l'on ne peut pas le faire! Et bien ils ont pas mal de succès mais comment s'étonner ensuite si les gens pensent que Shakespeare est un simple amuseur!

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  3. Souvenir très lointain d'une représentation en Angleterre (donc en VO)(argh!) mais j'ai beaucoup ri, à mon grand étonnement!

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    1. Celle que je vais voir à Marseille en Mars est en VO aussi. Ah! la langue de Shakespeare, que c'est beau! Bien sûr on rit beaucoup au Songe. Pourquoi en douter? Mais comme toute grande comédie, elle pose des problèmes sur l'homme qui sont très sérieux.

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  4. Ce n'est pas ce que je préfère chez l'auteur car je suis très peu sensible à l'aspect féérique, mais je trouve que tu en parles remarquablement bien

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    1. J'ai vu une mise en scène qui gommait cet aspect féérique pour mieux souligner la cruauté des rapports humains. Tu aimerais. Moi ce que je préfère c'est le mélange des genres!

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  5. http://miriampanigel.blog.lemonde.fr/2014/01/27/le-songe-dune-nuit-dete/
    voilà! l'article est sorti dans le délai fixé

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  6. Ca fait longtemps que je n'ai pas lu Shakespeare. Et je n'ai lu que 2 de ses œuvres. Voir sur scène une de ses pièces doit être grandiose !

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    1. Oui, encore faut-il que la mise en scène soit bonne! Et c'est évidemment beaucoup mieux que de les lire!

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    2. Preuve de ce que je dis : je viens de voir Macbeth sur scène et c'est tellement médiocre que je m'y suis parfaitement ennuyée.

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  7. Lire tes billets est un régal. J'ai vu cette pièce il y a très longtemps. Tu me donnes sacrément envie de la lire.

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    1. Merci! Une pièce que j'ai vue aussi plusieurs fois et que je ne me lasse pas de revoir!

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  8. Magnifique billet ! Je n'ai pas lu la pièce, je n'ai vu que son adaptation en film qui m'avait fait beaucoup rire. Je la lirai sans doute un jour.

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    1. Merci! Je n'ai pas vu le dernier film; je sais qu'il en existe un ancien mais dont je n'ai vu que des extraits.

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    2. C'est un film de 1935 de Max Reinhardt.

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  9. Lien récupéré pour le challenge théâtre! Bonne journée!

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  10. C'est une jolie pièce, elle se joue en ce moment à la Comédie Française, elle a ce côté romantico-comique que j'aime bien chez le grand William :)

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    1. Oui, romantico-comique et aussi beaucoup de cruauté! ce n'est pas étonnant que les romantiques, Victor Hugo en tête, aient admiré Shakespeare, le seul à avoir pu ainsi mélanger les genres contrairement aux classiques français!

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