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dimanche 2 février 2014

Heinrich Von Kleist : Mikhael Kohlhaas



Le roman de Heinrich Von Kleist,  Mikhael Kohlhaas, récemment adapté à l'écran par Arnaud des Pallières, est paru en 1810. L'écrivain s'est inspiré d'une vieille chronique évoquant l'histoire du véritable Kohlhaas .

La véritable histoire Kohlhaas au XVI° siècle

Jean-Frédéric, électeur de Saxe

Un riche marchand de chevaux prénommé Hans Kohlhaas vit à Cölln, en Brandebourg. Il mène ses chevaux à Dresde, en Saxe, pour les vendre et il est arrêté à la frontière par le nouveau Junker qui lui demande un droit de péage, ce que n'avait jamais fait l'ancien seigneur qui vient de mourir. Kohlhaas paie les droits mais le seigneur l'accuse d'avoir volé deux chevaux. Kohlhaas les lui laisse en gage, le temps d'apporter la preuve de l'achat. A son retour, le marchand constate que son valet a été molesté et ses chevaux sont en mauvais état. Il décide d'attaquer le seigneur en justice. Mais malgré ses démarches aux tribunaux de Saxe, il n'obtient jamais gain de cause, le junker étant protégé par ses pairs. Alors Kolhaas décide de se faire justice et avec l'aide d'un armée de malheureux et de soudards, il mène la révolte, tuant, brûlant des cités, tant et si bien que l'électeur de Saxe est obligé de composer avec lui et de lui promettre justice. Mais il ne tient pas sa promesse et Kohlhaas reprend son combat. Finalement le maquignon est arrêté et justice lui sera faite :  les chevaux lui sont rendus en bonne santé mais il est exécuté en 1540 pour les crimes qu'il a commis..

L'adaptation de Heinrich Von Kleist au début du XIX siècle

Heinrich Von Kleist

Heinrich Keist reprend la même histoire en s'inspirant de la chronique. Mais s'il  respecte les faits scrupuleusement malgré quelques libertés (l'épouse de Kohlhaas perd la vie en lui servant d'intermédiaire) il va leur donner un autre sens.
Au XVI siècle, à la Renaissance, la lutte pour la justice de Hans Khohlhaas montre l'ascension de la bourgeoisie qui ose se dresser face aux princes tout puissants qui gouvernent l'Allemagne divisé en duchés. Ce sont les premiers prémisses de l'ébranlement de la féodalité. Mais le combat de Mihkael Kohlhaas, le personnage de Kleist, une oeuvre qui paraît au début du XIX siècle, est celui du siècle des Lumières. Le personnage est un homme du peuple qui ne doit sa fortune qu'à lui-même, qu'à ses mérites. C'est un homme intelligent, qui sait lire, un protestant qui puise son savoir et sa sagesse dans la bible, un homme pieux, intègre et travailleur.
Il se heurte aux privilèges d'une classe sociale, d'un homme, le Junker, qui n'a aucun mérite, aucune qualité morale, dépravé, cupide, lâche et qui exerce un pouvoir arbitraire. Il ne s'est donné que " la peine de naître et c'est tout " pour reprendre les mots de Voltaire!  Mikhael Kohlhaas, épris d'un fort sentiment de justice, se sent donc investi d'une mission par rapport aux hommes victimes eux aussi de l'arbitraire.

Mais un sentiment opposé et d'aussi haute valeur parlait en lui, prenant des racines de plus en plus profondes, dans la mesure, où, poursuivant son voyage, il entendait parler, partout, où il entrait, des injustices journellement commises à l'égard des voyageurs (…)Dans le cas où, comme il semblait bien, tout cet évènement eut été une pure machination, il n'était plus qu'un homme voué au devoir d'employer ses forces, et toutes ces forces, à la réparation d'une telle offense et, pour l'avenir, à la sécurité de ses concitoyens.

 De là, à en faire un révolutionnaire, il n'y a qu'un pas qu'il ne faut surtout pas franchir! Car Kleist ne va pas jusque là !

Le sentiment de la Justice chez Kleist

Josse Lieferinxe: L'archange saint Michel terrassant le dragon (~1500)

Heinrich Von Kleist ne supportait pas l'injustice à un tel point qu'il a démissionné de l'armée parce qu'il se sentait incapable d'appliquer à ses hommes des punitions légales mais qu'il ne jugeait pas conformes à sa morale. Lui-même a été souvent confronté à l'injustice, empêché de publier par la censure, rejeté par certains contemporains comme Goethe qui a en horreur son oeuvre. Autrement dit, par ce trait de caractère, il crée dans son personnage un double de lui-même mais jusqu'à un certain point.. Il ne sera jamais un révolté et il se suicidera à l'âge de 34 ans.
Kohlhaas, loin de l'idéal du révolutionnaire, va s'incarner comme un justicier de Dieu, l'archange Saint Michel. D'où le changement de prénom par rapport au personnage historique Hans Kohlhaas. Mikhael a la pureté de l'archange, son intégrité, sa force morale; mais il en a aussi le bras vengeur, tenant le glaive de la justice, tel "un ange exterminateur". Cela signifie-t-il que Kleist pense que  l'homme à le droit de se faire justice lui-même?


La condamnation de l'auto-défense

Martin Luther

En se faisant justice lui-même, Kohlhaas commet des crimes innombrables, il met à mort des innocents, ruinent des villes en les assiégeant et en les brûlant. Il se met au ban de la société. Le fait de se considérer comme l'archange Saint Michel est un signe de démence. Le révolté incarne la démesure comme le font souvent les héros romantiques mais alors que Hugo ne dénonce pas Hernani devenu un réprouvé, un brigand pour mener un juste combat, Kleist condamne son héros sans appel. La rencontre de Kohlhaas et de Luther le montrent bien. Si Luther accepte d'intervenir pour le maquignon parce qu'il a le droit pour lui aux yeux des hommes, il a tort devant Dieu;  il lui demande en vain de renoncer à sa vengeance pour sauver son âme.

Kohlhaas, son chapeau entre les mains, dit avec émotion :
- Ainsi très révérend seigneur, je ne puis être admis au bienfait de cette réconciliation que j'ai sollicitée de vous? (l'absolution)
Luther répondit sèchement :
-avec ton sauveur, non! Avec ton souverain, tout reste suspendu à une tentative dont je t'ai fait la promesse.

Kohlhaas ne pardonnera jamais puisqu'on le voit, au moment où il va monter sur l'échafaud, exercer une ultime vengeance envers l'électeur de Saxe. Mais malgré son apparente défaite, la justice est rétablie puisque ses chevaux lui sont rendus intacts et que ses fils sont armés chevaliers. Kholhaas aurait-il donc eu raison, même s'il le paie de sa vie, d'avoir mené ce combat?


La transposition de Mikhael Kohlhaas par Arnaud des Paillères

 
De magnifiques paysages

Arnaud des Pallières transpose l'action qui se déroule au XVI siècle en pleine guerre de religion dans les Cévennes, dans des paysages somptueux et magnifiquement filmés qui donnent force au récit,  magnifique épopée rythmée par le changement des saisons, le passage du temps.
L'électeur de Saxe devient la princesse Marguerite de Navarre qui promet à Kohlhaas réparation des torts subis et qui tient parole, tout en le condamnant à mort pour ses exactions. 
Le rôle de Luther est dévolu à un ministre protestant, traducteur de la bible, qui, comme dans le roman, ne parvient pas à obtenir le repentir du marchand.


Mikhael Kohlhaas et sa fille

Une autre liberté prise par rapport au livre, c'est le personnage de la fille de Kohlhaas qui a ici une présence étonnante. Les enfants dans le livre existent (il y en cinq) mais n'ont pas un rôle déterminant. Si le réalisateur donne une telle importance à la fillette, on est en droit de se demander pourquoi. Peut-être symbolise-t-elle la dureté de cette époque ravagée par la violence de la guerre. Peut-être aussi, et c'est ce que je pense, juge-t-elle son père et le condamne-t-elle? Elle cherche, en effet, à comprendre pourquoi il agit ainsi et ne reçoit pas de réponse. Aussi à la fin, quand elle vient lui dire adieu, elle part sans verser une larme et sans se retourner comme si elle éprouvait de la colère et de la rancune envers lui.

Mikhael Kohlhaas, dans le film, est un maquignon allemand, protestant, installé dans le pays. Allemand, peut-être pour expliquer l'accent du remarquable acteur danois Mads Mikkelsen qui  interprète le personnage et a dû apprendre le français pour les besoins du film.  Il incarne à merveille la pureté, l'intégrité du personnage. Un homme qui paraît sans faille. On peut se demander si Arnaud des Pallières condamne son personnage, comme le fait Kleist, ou si, au contraire, il le justifie en le magnifiant!



Les valeureux combattants de l'énigme qui ont  découvert la vérité : Aifelle, Dasola, Dominique, Miriam, Pierrot Bâton, Syl..

Le roman : Mikhael Kohlhaas de Heinrich von Kleist

Le film : Mikhael Kohlhaas de Arnaud des Pallières







15 commentaires:

  1. J'ai bien fait de ne pas vraiment chercher, je n'aurais pas trouvé!
    Bon dimanche!

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  2. Je n'aurais trouvé qu'avec le film. Bon dimanche à vous deux.

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  3. j'ai raté la lecture commune, il faudrait que je me penche plus sur l'oeuvre de Kleist!

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    1. C'est un auteur assez surprenant; je comprends qu'il ait pu choquer à son époque!

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  4. Je n'aurais jamais trouvé car je n'en avais jamais entendu parler ! Merci pour la découverte ! Le film me tente beaucoup (le livre un peu moins, mais si j'ai l'occasion, je le lirai).

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    1. Le film est très beau. Les inconditionnels de Kleist disent parfois le contraire mais pas tous! Moi, je l'aime!

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  5. j'ai un peu cherché hier mais sans succès...je ne connaissais pas du tout (même juste de nom ;-)

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  6. Enfin la disponibilité de commenter ton article ( le mien publié en fin d'après-midi ). C'est un plaisir de lire ta triple approche de l’œuvre. Belle lecture que cette lecture commune avec des billets complémentaires :)

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    1. Oui, une belle lecture et je suis heureuse d'avoir enfin pu lire Kleist.

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  7. D'habitude, lorsque je vois un film, je suis très tentée de lire le roman dont il est tiré. Là, je suis tellement entrée dans le récit d'Arnaud des Pallières que j'ai seulement envie de rester dessus. Mads Mikelsen y est sûrement pour quelque chose !

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    1. Et oui le magnifique acteur! je dois dire que j'ai aimé les deux, le livre et le film.

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  8. Un livre qu'il me faut absolument decouvrir apres avoir autant aime le film.

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