Gérard, nous ne savons pourquoi, a toujours passé pour être paresseux comme une couleuvre. C'est une réputation qu'on a faite à bien d'autres qui ont travaillé toute leur vie et à qui on pourrait faire un bûcher de leurs oeuvres. Ce bayeur aux corneilles, ce chasseur de papillons, ce souffleur de bulles, ce faiseur de ronds dans l'eau menaient au contraire l'existence intellectuelle la plus active.
Théophile Gautier
Théophile Gautier par Célestin Nanteuil
Dans ce billet N° 3 sur Histoire du Romantisme par Théophile Gautier (voir les billets 1 La bataille d'Hernani et 2) Le Petit cénacle )l'écrivain brosse avec un mélange de tendresse, de légèreté et de gravité le portrait de son ami, membre du Petit Cénacle comme lui, Gérard de Nerval.Il faut saluer l'art de Théophile Gautier qui sait saisir les traits caractéristiques de son personnage avec un don de l'observation, une précision et un talent qui rappellent sa vocation et ses études de peintre, antérieures à son choix d'une carrière littéraire. Voilà comment le jeune Gérard se présentait aux yeux de ses amis du Petit Cénacle dans les années 1830 qui marquent le triomphe du Romantisme avec la bataille d'Hernani.
Quelquefois on l'apercevait au coin d'une rue, le chapeau à la main, dans une sorte d'extase, absent évidemment du lieu où il se trouvait, ses yeux étoilés de lueurs bleues, ses légers cheveux blonds déjà un peu éclaircis faisant comme une fumée d'or sur son crâne de porcelaine, la coupe parfaite qui ait jamais enfermé une cervelle humaine gravissant les spirales d'une Babel Intérieure.
Théophile Gautier a connu Gérard de Nerval sur les bancs du collège Charlemagne où il avait noué avec lui "une de ces amitiés d'enfance que seule la mort dénoue".
Gérard, de son vrai nom Gérard Labrunie, était un de ces jeunes prodigues, poète doué, qui a dix sept ans s'était déjà fait connaître par un coup d'éclat : la traduction du Faust de Goethe si brillante que le "l'olympien de Weimar avait daigné dire qu'il ne s'était jamais si bien compris." Cette réussite lui avait valu de connaître Victor Hugo et d'être reçu chez lui, honneur qui le parait aux yeux de ses amis d'un grand prestige.
Gautier le décrit en 1830 comme un jeune homme toujours en train de rendre service, toujours en mouvement, qui travaillait en marchant, prenait des notes dans un petit carnet puis repartait ensuite au pas de course.
Cet esprit était une hirondelle apode. Il était tout ailes et n'avait pas de pieds, tout au plus une imperceptible griffe pour se suspendre un moment aux choses et reprendre haleine. Il allait, venait, faisait de brusques zigzags aux angles imprévus, montait, descendait, montait plutôt, planait et se mouvait dans un milieu fluide avec la joie et la liberté d'un être qui est dans son élément.
Gérard de Nerval est alors un rêveur qui aime la discrétion, qui se cache sous des pseudonymes et qui, contrairement à son ami au gilet rouge, s'habille de façon modeste pour passer inaperçu! A cette époque "sa destinée s'annonçait souriante" nous dit Gautier et il y a en lui un rayonnement tel que tous ses amis l'appellent le "bon Gérard".
"Cette bonté rayonnait de lui comme d'un corps naturellement lumineux, on la voyait partout et elle l'enveloppait d'une atmosphère spéciale"
Ce n'est plus que tard que la vie de Gérard de Nerval en proie à la folie s'assombrit :
Rue de la Vieille-Lanterne
Lithographie de Célestin Nanteuil publiée dans L'Artiste du 18 Février 1855.
Il n'avait encore rencontré ni l'escarbot roulant sa boule sur la route de Syrie qui lui parut d'un si mauvais augure, ni le hideux corbeau privé, commensal d'un pauvre ménage dont il accepta une tasse de vin dans la traversée de Beyrouth à Saint-Jean d'Acre, et qu'il regarda comme un message du malheur direct envoyé par le Sort*. Un corbeau familier croassait et battait des ailes aussi rue de la Vieille-Lanterne sur le palier de la rampe fangeuse, maculée de neige près des affreux bareaux, et peut-être à son heure suprême, le pauvre Gérard de Nerval, par un de ces sauts de pensée si fréquents aux moments solennels, se souvint-il du corbeau rencontré sur le pont du navire qui le fascinait de ses yeux fixes et fatidiques.**
*Dans Voyages en Orient
**A l'aube du 26 Janvier 1855, Nerval fut trouvé pendu aux barreaux d'une fenêtre, rue de la Vieille-Lanterne (disparue depuis) dans le quartier du Châtelet. Dans la description qu'il donna des lieux, dans Le Mousquetaire du 28 Janvier, Dumas mentionna la présence d'un corbeau. Ce corbeau allait se trouver présent dans plusieurs représentations figurées du matin tragique.
Les oeuvres principales de Gérard de Nerval
Quel talent ce gautier pour peindre des portrait ! Malheureusement, j'ai lu une peinture du cénacle de Nodier juste avant sa mort par Dumas et c'est moins réussi (dans les 1001 fantômes, du coup, je l'ai mis de côté).
RépondreSupprimerMerci pour Gérard?de tout coeur.
RépondreSupprimerQuel joli billet! Nerval une hirondelle? merveilleux! Le voyage en orient en poche : il me le faut!
RépondreSupprimerGautier avait bien du talent mais surtout celui de l'amitié, ce n'est pas si fréquent les amitiés artistiques ou littéraires où l'envie et la jalousie n'ont pas de place
RépondreSupprimerintéressant billet comme d'habitude
@ maggie : ce que j'aime dans cette histoire du romantisme chez Gautier c'est qu'il évoque ses amis avec beaucoup de sincérité et en même temps il parle de leur jeunesse un peu folle avec un humour plein de tendresse.
RépondreSupprimer@ EEguab; Ah! Il est beau ce portrait de TON Gérard!
RépondreSupprimer@ Miriam : Je sens que nous allons avoir bientôt un billet sur le Voyage en Orient! Mais où trouver le temps?
RépondreSupprimer@ Dominique : Oui, on sent bien qu'il n'y a aucune jalousie dans ces portraits, il aime ses amis et quand il s'amuse et nous fait rire d'eux (comme de lui-même), c'est avec beaucoup de sympathie.
RépondreSupprimerje viens de croiser Nerval (ou son souvenir) de façon fortuite via Bucarest. Demain je sors le billet en PARIS/BUCAREST. Si cela te convient on le met au challenge romantique. Je te demande d'abord parce que c'est un billet écrit à 4 mains. Une surprise que George m'a envoyée de Roumanie
RépondreSupprimer@ miriam : oui, bien sûr, ce serait génial pour le challenge romantique. Et tu piques ma curiosité! Je viendrai lire ce billet rédigé avec George.
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