Pages

dimanche 2 octobre 2011

Un livre, un film: Réponse à l'énigme (4) Maupassant, Une partie de campagne


Les réponses à l'énigme n°4 :
La nouvelle :  Guy de Maupassant  Une partie de campagne
Le film : Jean Renoir, Partie de campagne ; actrice Sylvia Bataille épouse de l'écrivain Georges Bataille.
Merci à tous d'avoir participé et félicitations à tous les lecteurs et cinéphiles perspicaces :  Aifelle, Maggie, Keisha,  Eeguab, Miriam, Dominique, Jeneen, Cagire,  Gwenaelle,  Mireille, Nanou.




La nouvelle intitulée Une partie de Campagne de Maupassant est parue dans le recueil La Maison Tellier  en 1881. Avant cette date, Maupassant s'était déjà fait connaître  par  Boule de Suif paru dans un recueil collectif Les Soirées de Médan réunissant les nouvelles de plusieurs jeunes écrivains regroupés autour d'Emile Zola, chef de file du Naturalisme. Ce mouvement littéraire qui est une évolution du Réalisme dont Flaubert, ami et Maître vénéré de Maupassant, est le plus illustre représentant, tend à appliquer à la littérature, à l'étude des moeurs, à l'analyse psychologique, les méthodes des sciences expérimentales et humaines dans un siècle qui exalte les progrès de la science. D'après Zola, en effet, "le romancier est fait d'un d'observateur et d'un expérimentateur".  Ainsi avec les Rougon Macquart, il choisit d'étudier à travers les grandeurs et les vicissitudes d'un famille les effets de l'hérédité, ici  l'alcoolisme, sur les différents membres de la famille. Quant à Maupassant,  il ne va pas aussi loin que Zola dans cette application des lois de la nature au roman. Pour lui, le romancier doit proposer une vision personnelle de la réalité choisie selon son tempérament : «Les grands artistes sont ceux qui imposent à l’humanité leur illusion particulière.» (Préface de Pierre et Jean)

Dans, Une partie de campagne, une modeste famille de commerçants parisiens va passer une journée à la campagne pour la fête de Pétronille Dufour. Outre madame Dufour, les membres de la famille sont Monsieur Dufour et son employé, la grand mère et la jeune fille Henriette. A l'auberge où ils vont déjeuner, ils font la connaissance de deux jeunes gens de bonne famille, canotiers, qui invitent les dames à une promenade sur l'eau, en se débarrassant habilement des deux hommes. Si l'un d'entre eux se dévoue et prend la mère, l'autre, Henri, parvient à ses fins avec Henriette. Mais cet acte de séduction commencé comme un jeu de la part d'Henri les marquera toute leur vie.

 La nature chez  Guy de Maupassant et Jean  Renoir

Auguste Renoir

Chez Jean Renoir le sentiment de la nature poétique, exaltante, sensuelle, vécue comme un renouveau est partout, dans les images de l'eau, les jeux de lumière, les bêtes les plus humbles, le chant du rossignol.  Les images qui rappellent chacune un tableau d'Auguste Renoir magnifient le paysage.  En est-il de même dans le livre?
La nature joue, bien sûr, un grand rôle dans la nouvelle mais très différent de celui du film. Certes la nature s'oppose à la ville comme nous le voyons dans le passage que j'ai choisi pour présenter l'énigme et qui est un point de départ pour comprendre ce qu'est la Nature pour Maupassant.
Cette opposition, on le voit, porte sur tous les sens. Aux odeurs de schiste et de pétrole, aux miasmes, renforcé par les adjectifs putride, puante, répond l'air pur de la campagne qui est un rafraîchissement bienfaisant, à la fumée noire des cheminées d'usine s'oppose la buée pompée par le soleil, l'éclat de la lumière, aux squelettes des bâtiments, correspond le ravissement, à la lèpre, la santé  : respirer enfin un air pur. Bref! A la mort répond la vie!
C'est ainsi que Maupassant voit la nature et lui-même profitait pleinement de ses bienfaits puisqu'il venait canoter chaque semaine, prenait alors une chambre à la campagne pour fuir Paris et son travail de bureau au Ministère. Il était rompu aux exercices physiques, très fier de ses exploits sportifs et sexuels car ses parties de canotage en joyeuse compagnie allaient de pair avec ses conquêtes féminines.  Nul doute qu'il est l'un des deux canotiers de la nouvelle! 
Par contre l'écrivain a horreur du sentiment romantique de la Nature et il  se moque volontiers de cet amour bête de la nature qui les (les bourgeois) hante toute l'année derrière le comptoir de leur boutique.  Dans la nature, les hommes,  Mr Dufour et son apprenti ne pensent qu'à manger et boire; ce sont tous les deux des pochards; quand ils s'essaient aux anneaux, ils sont lourds et flasques et n'arrivent pas à s'enlever.  Ce sont là leurs seules activités physiques. Quant à leurs prouesses sexuelles,  il suffit de leur donner des cannes pour pêcher du goujon, cet idéal de boutiquier, pour qu'ils laissent partir l'un son épouse, l'autre sa promise, sans même se douter qu'ils vont se faire cocufier.
 Pour les femmes, la nature est  un piège car elle les invite à la sensualité et réveille leurs sens : 
Un besoin de vague jouissance, de fermentation du sang parcourait sa chair excitée par les ardeurs du jour.Le rossignol, par exemple, est là pour faire tomber Henriette dans les filets du jeune homme car elle est trop sotte pour se rendre compte que celui-ci profite de l'attendrissement de la jeune fille pour parvenir à ses fins.
Un rossignol, elle n'en avait jamais entendu, et l'idée d'en écouter un fit lever dans son coeur la vision des poétiques tendresses.
 Cette fausse sentimentalité et les idées convenues qu'elle génère, ce romantisme mal digéré lié à l'éducation des jeunes filles,  Maupassant les déplore mais ne peut se défendre d'un certains mépris. Henriette est bien la soeur d'Emma Bovary nourrie de romans à deux sous entre les murs de son couvent. Le rossignol! (...) cet éternel inspirateur de toutes les romances langoureuses qui ouvrent un idéal bleu aux pauvres petits coeurs des fillettes attendries"
Mais les femmes mûres n'en sont pas exemptes :  Monsieur Dufour avait dit : " Voilà la campagne enfin!" et sa femme, à ce signal s'était attendrie sur la nature. 
Maupassant va plus loin encore dans l'ironie puis qu'il utilise le chant du rossignol comme métaphore des ébats amoureux qui se déroulent sous l'arbre.

Un ivresse envahissait l'oiseau et sa voix s'accélérant peu à peu comme un incendie qui  s'allume en une passion qui grandit, semblait accompagner sous l'arbre un crépitement de baisers. Puis le délire de son gosier se déchaînait éperdument. Il avait des pâmoisons prolongés sous un trait, de grands spasmes mélodieux.

Parfois l'on sent que la beauté de la nature est bien là, présente, et que Henri y est sensible, en particulier lorqu'il présente la chambre de verdure où il amène Henriette comme son cabinet personnel. On peut imaginer qu'il vient ici pour méditer séduit par le calme et la beauté du lieu. A moins que ce soit là qu'il ait l'habitude de venir en galante compagnie?

Les personnages du Livre et du film

Auguste Renoir

Guy de Maupassant avait un mépris total du bourgeois, de sa sottise, de ses moeurs étriquées, associées à une hypocrisie sociale, à un respect excessif la bienséance. Il partageait ce sentiment avec bien d'autres écrivains du XIXème et en particulier avec le Flaubert de Bouvard et Pécuchet. Dans la nouvelle La partie de campagne, les personnages n'échappent pas à la férocité et la virulence. Dans le film de Renoir, les bourgeois (et les parisiens, en particulier!) sont ridicules mais ils sont  vus, surtout les femmes,  d'une manière plus douce, plus tendre.
 Les hommes
MR Dufour et son apprenti
Dans le livre comme dans le film Mr Dufour représente le bourgeois ridicule, donneur de leçon, pédant et lourd aussi bien physiquement qu'intellectuellement.
L'apprenti de Mr Dufour n'a pas de nom dans Maupassant : on le désigne par l'homme aux cheveux jaunes", il est immonde dans sa conduite, repoussant, c'est une brute. Dans le film, il n'est pas mieux traité! Il acquiert un prénom Anatole. Il est cinsidéré comme un domestique par la famille, puis, lorsqu'il devient le mari de la fille du patron, il traite son épouse avec dureté. C'est le personnage que Renoir n'aime pas et il ne le ménage pas.

Les deux canotiers
Dans le livre, l'un des canotiers n'a pas de nom et se dévoue pour prendre la mère. Il n'a pas de personnalité. Dans le film, il s'appelle Rodolphe et son personnage est plus élaboré;  c'est le séducteur sans scrupules qui n'a aucun été d'âme. C'est lui qui pousse Henri à la conquête. A l'origine, il veut la jeune fille  mais le couple Henriette et Henri se forment malgré lui. Il est représenté dans la scène de séduction de la mère comme un faune lubrique.
Le deuxième canotier est Henri dans le livre comme dans le film. La similitude des prénoms  de Henri et Henriette semblent les désigner l'un à l'autre. Henri dans le film de Renoir a un rôle plus développé que dans la nouvelle, il a des scrupules à séduire une jeune fille, ne voulant pas lui causer du tort en lui faisant un bébé ou en lui  brisant le coeur.  Dans le film comme dans le livre, ils sont tous deux meurtris par la rencontre et ne peuvent oublier ce bref moment  de bonheur.

 Madame Renoir par  Auguste Renoir

Les femmes
Henriette et madame Dufour
Dans le livre comme dans le film, Henriette est une belle jeune fille et son corps inspire le désir. Mais si dans le livre, elle paraît sotte comme nous l'avons vu, il n'en est rien dans le film. La beauté de la nature éveille sa sensualité mais ces émotions sont belles. Elle s'ouvre à l'amour. Le jeune fille, loin d'être sotte, est pleine de sensibilité. Le temps d'une partie de campagne, elle se libère, laisse parler son coeur et son corps. L'acte d'amour qu'elle va vivre avec Henri sera son seul moment de bonheur. Son milieu social, son mariage de convention avec un homme horrible, ne lui permettent pas d'espérer autre chose.  Renoir est plein de tendresse et d'indulgence pour la jeune fille et même pour sa mère, Juliette (et non Pétronille comme dans la nouvelle). Celle-ci n'est pas la grosse femme débordante de graisse, d'un laideur repoussante de Maupassant. C'est une femme ronde, bien en chair mais appétissante comme le dit le tavernier. Certes, elle est ridicule, minaude, se trémousse, pique des crises de nerf, veut paraître grande dame aux yeux des "messieurs" et obéit aux conventions sociales mais son attendrissement devant la beauté la nature, l'émotion qui l'étreint, qui éveille ses sens, la rend sympathique.
 Renoir célèbre la libération amoureuse liée au printemps, à la beauté de la  nature.  Maupassant, au contraire, qui juge que l'acte sexuel est "ordurier et ridicule" et révolte "les âmes délicates" montre les jeunes gens fuyant leur refuge comme Adam et Eve chassés du Paradis après la faute :

Ils étaient bien pâles tous les deux. Ils marchaient rapidement l'un près de l'autre, sans se parler, sans se toucher, car ils semblaient devenus ennemis inconciliables, comme si un dégoût se fût élevé entre leurs corps, une haine entre leurs esprits.

On pourrait donc penser qu'en cédant à Henri, Henriette déchoît. Mais pourtant la conclusion vient démentir cette idée lorsque l'écrivain dépeint la nostalgie de chacun. Le souvenir de ce qu'ils ont vécu ensemble est inoubliable. L'amour aurait pu être possible.

Mon avis :
Avec Une partie de campagne Maupassant maîtrise parfaitement l'art de la nouvelle et l'on peut dire que les deux créateurs, l'écrivain et le réalisateur, sont de la même trempe. Jean Renoir respecte la nouvelle, malgré quelques modifications, mais il crée un oeuvre personnelle qui n'appartient qu'à lui. 
Je préfère de très loin le film. Peut-être parce que Jean Renoir est plus optimiste, plus chaleureux. Même s'il se plaît à montrer le ridicule des gens, on ne sent pas le mépris qui est celui de Maupassant. Il y a une certaine bonhomie dans la critique sociale. Et puis il y a les magnifiques images, les jeux de lumière et de l'eau  et l'influence toute visuelle du père de Jean, Auguste Renoir.

Chez Wens ICI vous pouvez lire un billet sur le film et le visionner entièrement.

13 commentaires:

  1. Tu me donnes envie de relire la nouvelle. J'aimais beaucoup entendre Jean Renoir, sa voix chaleureuse et sa manière de s'exprimer.

    RépondreSupprimer
  2. L'énigme fut facile à trouver, ton billet m'en apprend bien plus et donne envie de retourner aux nouvelles de Maupassant que j'ai lues il y a bien trop longtemps.
    vivent l'énigme et l'explication!!!

    RépondreSupprimer
  3. C'est un souvenir qui date : les deux étaient au programme de lettres en TL l'année où j'ai passé le bac...

    RépondreSupprimer
  4. Maupassant est un nouvelliste fabuleux.La Cinémathèque avait par ailleurs il y a quelques années organisé une expo Renoir père et fils.

    RépondreSupprimer
  5. A chaque fois, tu m'incites à (re)voir et (re)lire les oeuvres présentées ! J'ai gardé de bons souvenirs de Maupassant au lycée (ça date !), ça me semblait plus ais&é que Flaubert.
    Bon dimanche

    RépondreSupprimer
  6. @ Aifelle : Oui Jean Renoir est "rond" jusque dans sa voix. A priori je dirais que c'est un homme jovial.

    RépondreSupprimer
  7. @miriam : Pour le moment, on s'en tient aux classiques du cinéma et de la littérature. Peut-être qu'on ira faire quelques incursions bientôt dans le polar.

    RépondreSupprimer
  8. @ Irrégulière : C'est vrai, je m'en souviens. J'espère que ces oeuvres t'avaient inspirée

    RépondreSupprimer
  9. @ Eeguab : Je me souviens de l'expo. je l'avais vue lors d'un séjour à Paris.

    RépondreSupprimer
  10. @ Jeneen : On finit toujours par relire les classiques ... sauf si, je le vois dans les blogs, on l'assimile à un mauvais souvenir scolaire. Ce qui est bien dommage.

    RépondreSupprimer
  11. Des souvenirs qui se reveillent bien agreablement. Une magnifique presentation si complete! Bravo.

    RépondreSupprimer
  12. @ Thérèse: Merci pour ce commentaire!

    RépondreSupprimer
  13. Avez vous eu la chance de voir ce film? C'est un ra-vi-sse-ment!
    Hélàs il n'a jamais été terminé et ne fait que 41 mn, ce qui le situe entre deux catégories: les courts-métrages et les longs-métrages. Impossible à caser dans une salle, fut-elle d'art et d'essai.
    D'où la rareté de l'objet.
    J'ai personnellement eu la chance de le voir en octobre dernier au festival d'Argenteuil et je ne le regrette pas. Je connaissais la nouvelle par coeur, la considérant comme l'une des plus belles (la plus belle??) de Maupassant. Renoir y ajoute toute la poésie héritée de son père, comme sa vision de la nature. Sa façon de filmer des personnages assez quelconques et de les transformer en héros n'appartient qu'à lui. Il leur ajoute des sentiments, une densité, qui les rendent touchants. On a envie de partager la détresse d'Henriette, promise à un avenir morose aux côtés d'un boutiquier dépourvu de charme, jolie branche printanière qui n'aura jamais le temps de fleurir. A travers les images de Renoir, on comprend mieux Maupassant et l'on a envie de maudire avec lui cette morale bourgeoise étriquée, ignorante de la beauté et des sentiments purs, trop occupée qu'elle est à amasser des biens matériels et qui sacrifiera Henriette sur l'autel des convenances.
    S'il y avait eu une deuxième projection, je serais volontiers restée !

    Quelqu'un sait-il où le film repasse? Ou bien où l'on peut se le procurer en DVD???

    RépondreSupprimer

Merci pour votre visite. Votre message apparaîtra après validation.