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mardi 13 mars 2018

Nicolas Leskov : Lady Mabecth au village


De Nicolas Semionovitch Leskov, écrivain russe (1831-1895), j’ai lu un roman, Le Vagabond ensorcelé et une nouvelle Lady Macbeth au village.
C’est par cette dernière que je commencerai. Le titre parle de lui-même. Nous sommes bien dans une tragédie et Catherine Lvovna  Ismaïlov, le personnage de Leskov,  emprunte à l’héroïne shakespearienne, l’âpreté,  la violence d’une âme criminelle. Mais alors que Shakespeare plaçait la scène dans  la plus haute noblesse écossaise et que l’enjeu n’était autre que la couronne, Nicolas Leskov, lui, situe l’action au village, chez un commerçant aisé, vendeur de farine. Et au lieu d’être guidée comme lady Macbeth par l’orgueil et la soif du pouvoir, c’est par la passion amoureuse que Catherine Lvovna sera conduite. Et qui aimera-t-elle ? Non un être noble et désintéressé mais un petit dom Juan de campagne, Sergueï, « un beau gars », assez vulgaire, coureur de filles, et qui, de plus, se révèle lâche, cupide et infidèle.
On peut donc, à priori, voir dans le titre de cette nouvelle et dans cette comparaison décalée, une intention ironique de la part de l’auteur.  Ne va-t-il pas tourner en dérision cette tragédie en la transposant ainsi dans la campagne russe ?

Mais le lecteur est bien vite détrompé ! Mariée à un homme qu’elle n’aime pas,  sans enfants, en proie à l’ennui, Catherine va s’éprendre de Sergueï d’une passion ardente, obsessionnelle, folle, qui l’amènera au crime. Tous ceux qui font obstacle à son amour périront ! Elle a un caractère entier, sombre et vindicatif et le remords, la crainte de Dieu, rien ne la touche.  Elle n’a donc rien à envier à une Lady Macbeth, et, si leur naissance ne fait pas d’elles des égales, leurs actes  horribles, le sang dont elles sont couvertes,  les mettent au même niveau. Ainsi, nous dit Nicolas Leskov, quelle que soit la condition sociale, toutes les passions humaines sont semblables. Et même si l'ironie de Leskov affleure par moments, Amour et Thanatos restent étroitement liés.

Le style de Nicolas Leskov est à la hauteur de cette tragédie et donne des scènes angoissantes et terrifiantes comme celle où Catherine, avec l’aide de son amant, tue l’enfant héritier de son mari, et sent pour la première fois le sien bouger dans son ventre. Ce qui n’empêche pas Leskov d’exercer son ironie sur le personnage de Sergueï, veule et superstitieux, qui s’effondre dans l’escalier en proie à la terreur et que sa maîtresse admoneste ainsi : «  Lève-toi imbécile! ». Un mélange de style très efficace. De même celle, sinistre, grandiose, où elle tue sa rivale en se précipitant avec elle dans le fleuve mais qui finit par cette comparaison un peu triviale pour une scène de tragédie : "elle se jeta sur sa victime, tel un brochet sur une truite.".

Je ne connaissais pas Nicolas Leskov mais il a de grandes qualités d’écrivain. Je lis dans l’encyclopédie Universalis qu’il a longtemps été méconnu dans son pays pour des raisons politiques :

« Leskov n'a pas encore la place qu'il mérite dans la littérature universelle. Par suite d'un malentendu, il fut mis en quarantaine et persécuté par les intellectuels progressistes, et les critiques de son temps firent le silence sur lui. Malgré les efforts de Gorki, qui le considérait comme un de ses maîtres et qui montra son importance, cet interdit pesa longtemps, et l'on parla rarement de Leskov en Union soviétique. Pourtant, par sa connaissance exceptionnelle de la vie russe, par la variété de ses sujets, par la richesse de sa langue, c'est un des conteurs russes les plus féconds et les plus originaux. » Ici

Chostakovitch, compositeur russe, a repris la nouvelle de Leskov pour écrire un opéra : Lady Macbeth of Mtsensk. 





Nicolas Leskov
"Nicolas Sémionovitch Leskov est né à Gorokhovo, dans la province d'Orel, pays natal de Tourguéniev en 1831. Son père, fils et petit-fils de prêtre, avait acquis la noblesse personnelle dans le service civil, sa mère était de petite noblesse héréditaire, sa grand-mère d'une famille de marchands. Il porte ainsi en lui l'héritage de trois castes : clergé, noblesse, négoce et sa vie commence sous le signe de la diversité. Plus que par ses parents, il fut formé par sa grand-mère maternelle qui l'emmenait en pèlerinage dans les monastères de sa province, lui contant en route les légendes et l'histoire des pays traversés. Aux relais ou dans les couvents, il écoute d'autres récits faits par les voyageurs ou les novices. La tradition orale était toujours vivace en Russie, et l'enfant fut marqué de manière ineffaçable par cet atmosphère poétique et religieuse, par cette parole, porteuse à la fois de tradition et d'invention. Il est mêlé ainsi au peuple russe, peuple courageux, généreux, très doué, étouffé par un régime trop sévère, par le servage (c'était encore le règne de Nicolas Ier), et Leskov se prend d'un grand amour pour ces humbles aux multiples visages."  source Ici


20 commentaires:

  1. Bonjour Claudia. Je l'ai lu l'an dernier après avoir vu le film The young lady. Assez cruel. J'avais lu bien avant Le vagabond ensorcelé. Bonne journée.

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    1. Je ne connais pas le film mais la nouvelle est vraiment très bien écrite ! Quant au vagabond ensorcelé, je vais bientôt en parler.

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  2. je n'en avais jamais entendu parler, à découvrir donc!

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    1. Oui à découvrir et j'aimerais bien voir le film The young lady.

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  3. Je ne connaissais pas Leskov mais l'opéra de Chostakovitch oui, toute le matinée je me suis demandée ce que cela me disait : c'est le film The Young Lady (comme eeguab) mais je n'avais pas poussé la curiosité jusqu'à lire le livre. Je le note pour y penser.

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    1. C'est une découverte pour moi aussi; Un écrivain qui est peu connu en France pour les raisons expliquées dans sa biographie. Anti- révolutionnaire, il fut considéré par les progressistes comme réactionnaire et plus tard son oeuvre fut interdite en Union soviétique, alors qu'il était très du peuple et le connaissait bien.

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  4. Je suis curieuse donc je l'inscrit dans mes tablettes.

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    1. C'est intéressant de découvrir des auteurs injustement méconnus.

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  5. Je ne connais pas la littérature russe, j'ai simplement lu "le testament français" d'Andreï Makine, c'est dire ! Par contre j'aime beaucoup le format de la nouvelle pour peu que ce ne soit pas pour flatter la paresse du lecteur. Une bonne nouvelle ouvre des horizons. Hitchcock a bien tiré "les oiseaux" d'une nouvelle de Daphné du Maurier.

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    1. Tu as raison, la nouvelle peut être une eouvre à part entière et l'égale d'un roman.

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  6. Je ne connaissais pas, merci pour cette découverte... (Goran : https://deslivresetdesfilms.com)

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    1. Heureuse de te le faire découvrir. J'ai encore un autre Leskov à présenter.

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  7. Et bien, moi non plus je ne connaissais pas cet auteur, que je note. Je vais attendre ta seconde chronique, pour choisir le livre que je lirai en premier. Merci.

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    1. La seconde par pour tout de suite mais cela ne saurait tarder !

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  8. je n'ai lu qu'un récit de lui du genre fantastique, il est effectivement assez peu connu

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    1. On comprend pourquoi en lisant sa biographie. Avoir été interdit si longtemps ne l'a pas aidé à être connu.

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  9. Auteur complètement inconnu de mon côté, je le note avec intérêt ! Merci beaucoup ! Patrice

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  10. Je ne vais pas être originale en disant que moi non plus je ne connaissais pas cet auteur. Merci de nous permettre de faire sa connaissance !

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  11. Inconnu au bataillon, mais je connais la pièce de Shakespeare donc ça m'intrigue. Je le rajoute à ma liste d'auteurs russes à découvrir, je compte bien continuer à défricher le sujet.

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