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lundi 2 novembre 2015

Une autre Venise : Acqua alta et brouillard

Venise : le palais des Doges dans le brouillard bleuté
Visiter Venise en décembre est une autre expérience, celle du brouillard qui enferme tout dans son sac  de coton bleuté et qui nous transporte dans un rêve éveillé; celle de l'acqua alta et de la place San Marco inondée, spectacle féérique de ses dentelles et de ses palais reflétées par l'eau, spectacle amusant de la foule des touristes vêtues de bottes vertes et roses, brandissant leur parapluie, tout en  marchant sur les passerelles que les agents municipaux installent sur  la place San Marco et le long du  Quai des Esclaves, riva degli Schiavoni. Et puis toutes sortes de petits détails : les portes des hôtels béantes sur des halls submergés où tous s'affairent pour évacuer l'eau afin de libérer leurs clients prisonniers. Moi, je n'ai pas eu la patience d'attendre! Puis cette odeur fraîche comme après l'orage, cette haleine de fond marin, et cette exaltation heureuse qui vous prend devant cette ville assaillie par les flots, qui semble faire le gros dos, en habituée; le claquement des gondoles tossées les unes contre les autres par l'agitation de la lagune; les pigeons aux plumes mouillées, piteux et déconfits, qui se massent sur les seuils du palais pour échapper à la pluie; et ce petit chaperon rouge, qui échappe à ses parents et qui marche dans l'eau en levant très haut les pieds... pour mieux se mouiller! Enfin l'eau se retire, le pavement de la place luit et joue avec les couleurs, bientôt, la cité s'ébroue et sèche et, en quelques instants, plus rien!

Acqua Alta

Venise  Acqua Alta  reflets

Venise acqua alta


Venise  Acqua Alta  Le palais des Doges

Venise  Acqua Alta : livraison
Venise acqua alta : reflets

Venise  Acqua Alta : pigeons piteux déconfits
Venise acqua alta : reflets

Brouillard

Venise : Riva degli Schiavoni

Venise palais des Doges en arrière plan


Venise : Punto della Dogano

Venise : Eglise de la Salute


Venise : Le pont de l'Académie

Venise : Le palais Barbarigo et ses mosaïques

Chez Eimelle, pendant le mois de Novembre, le challenge italien Il Viaggio se poursuit sur le thème de Venise.

Chez Eimelle

vendredi 30 octobre 2015

Andrea Camilleri : La couleur du soleil

Le Caravage : la nativité avec Saint François et Saint Laurent
"En revanche, il me dit que la nativité palermitaine du Caravage avait été volée en 1969..."


J’ai voulu découvrir Camilleri puisque le mois italien d’Eimelle m’a permis de lire de nombreux billets sur cet auteur italien.
La couleur du soleil commence comme un livre policier, genre auquel Camilleri s’est intéressé.  Lors d’un voyage en Sicile, il accepte un rendez-vous avec un inconnu et est amené dans le plus grand secret, les yeux bandés, sur les pentes de l’Etna. Là, dans une grande villa, un homme de belle prestance, Carlo, lui fait découvrir des documents appartenant à sa femme décédée. Pour le remercier d’avoir apporté du réconfort à son épouse pendant sa maladie, Carlo laisse Camilleri libre, pendant quelques heures, de lire et de recopier des fragments de ces textes précieux car il ne s’agit de rien d’autre que du journal authentique du Caravage. L’écrivain est ensuite reconduit sans avoir connaissance ni de l’endroit où il est allé, ni de la véritable identité de son interlocuteur que l’on nous laissera deviner par la suite..
La couleur du soleil sont les notes forcément fragmentaires des derniers jours du Michelangelo Merisi da Caravaggio ou Le Caravage, de ses pérégrinations à travers la Sicile. Le récit commence à Malte où il a été fait chevalier de Grâce, titre honorifique qui lui permet d’échapper à sa condamnation à mort à la suite d’un meurtre au cours d’une rixe; puis de nouveaux esclandres l’obligent à fuir en direction de Syracuse, puis de Girgenti (Agrigente) et Licati, Messine et Palerme, poursuivi par la justice.
Pendant les séjours dans ces villes, il reçoit maintes commandes qu’il exécute avant d’être à nouveau obligé de partir et c’est ainsi que nous découvrons les oeuvres de cette période tourmentée et les pensées que lui prête Camilleri sur ces peintures qu’un court livret, à la fin du livre, nous permet de découvrir. Mais Camilleri s’intéresse aussi à ce qui peut expliquer ses oeuvres, au glissement vers la folie du personnage, à ce soleil noir qui l’aveugle et envahit ses jours comme ses nuits, à ces visions terrifiantes qu’il ne distingue pas de la réalité, cette souffrance, ces tourments incessants suivis par des crises de violence.

" J’ai commencé à travailler  à la Décollation  de Saint-Jean Baptiste et la lumière noire du soleil noir ne me quitte plus. Je ne vois pas un tantin de différence entre le jour et la nuit."

Michelangelo Caravaggio : La décollation de Saint-jean Baptiste

"Il lui semblait que Lazare se prêtait assez mal à la résurrection et à la vie nouvelle qui l’attendait. Comme il m’en demandait la raison, je lui répondis que la mort avait peut-être été pour Lazare un affranchissement des maux de cette terre. Et que, de ce fait, recouvrer la vie ne lui serait peut-être pas agréable."
 
Italie : Le Caravage : La résurrection de Saint Lazare Musée antional de Messine
Le Caravage : La résurrection de Saint Lazare


J'ai aimé en apprendre un peu plus sur la vie du Caravage dont je savais bien peu de choses, en somme, sinon qu'il avait eu une vie agitée. J’ai aimé le style de ce texte écrit dans un vieil italien « rocailleux » censé représenter la langue du Caravage, que le traducteur, Dominique Vittoz, a su préserver dans la traduction en moyen-français, pittoresque et goûteuse, surtout dans le vocabulaire 
Ainsi nous voyons le peintre se « belutant le cerveau », en proie à la « mésaise ». Et nous l’abandonnons quand il s’embarque à Naples déguisée en moine, « pour enquinauder la mort, un court instant »
Par contre, j’ai été déçue par l’aspect fragmentaire du récit. Par moments, il ne s’agit que de bribes disparates comme si le copiste, pressé par le temps, n’avait pu tout recopier si bien que lorsque je commençais à m'intéresser, le fragment s'interrompait. Je sais bien que c’est un choix voulu par l’auteur et que cela donne au récit un certain réalisme comme si Le Caravage s'adressait vraiment à nous, mais ... cela m’a laissée sur ma faim.

Quatrième de couverture
Et si le Caravage, grand peintre italien à l’existence tumultueuse, avait laissé un journal? Et si Camilleri, écrivain brillant et érudit, avait été mystérieusement guidé vers la découverte de ce précieux manuscrit? Et si ces pages, qui nous replongent dans un seizième siècle finissant, nous donnaient de nouvelles clés pour comprendre les foucades de l’homme et les prouesses de l’artiste?
 Andrea Camilleri nous offre ici de vivre de l’intérieur le dernier voyage aventureux du Caravage fuyant la justice des Chevaliers de Malte. Avec le brio de l’écrivain rompu au genre historique comme au policier, il sait imaginer pour ce génie du clair-obscur une voix d’une authenticité confondante.


Andrea Camilleri
Né en 1925 près d'Agrigente, en Sicile, metteur en scène de théâtre, réalisateur de télévision, scénariste, Andrea Camilleri s'est fait connaître tardivement comme romancier, mais avec un succès foudroyant. Auteur culte de la série des enquêtes du commissaire Montalbano, il écrit parallèlement des romans inspirés par des documents d'archives. Chez Fayard sont parus : La Concession du téléphone, La Saison de la chasse (Prix de traduction Amédée Pichot), Un filet de fumée, Le Roi Zosimo, Le Cours des choses, Privé de titre, Les Enquêtes du commissaire Collura et Petits Récits au jour le jour.





lundi 26 octobre 2015

Léon Tolstoï : La mort d’Ivan Illitch, suivi de Maître et serviteur et de Trois morts



Dans les trois nouvelles de ce recueil du livre de poche, Tolstoï explore le thème de l’homme face à la mort. Qu’il s’agisse de La mort d’Ivan Illitch, suivi de Maître et serviteur et de Trois morts, Tolstoï analyse les sentiments d’angoisse, de refus, de colère ou d’acceptation de l’individu saisi par le vertige de la mort annoncée,  alternances de lucidité ou de déni, d’honnêteté ou de mensonge quant  au bilan que le mourant fait de sa vie.
Tolstoï a été touché par la mort dans son plus jeune âge puisque, orphelin dès l’enfance, il n’a pu connaître sa mère et son père; puis en 1850 son frère Dimitri disparaît mais c’est la mort de son frère Nicolas dont il est très proche, atteint de tuberculose, qui le touche le plus. Pourtant il ne s’agit encore que d’une appréhension de la mort par l’extérieur, d’une donnée intellectuelle et non de vécu.
L’expérience par l’intérieur, dans sa chair, de la mort comme une « horreur blanche et rouge et carrée »,  il l’expérimente au cours d’un voyage et d’une nuit passée dans l’auberge Arzamas. Cette sensation de mort imminente, cette prise de conscience de sa vulnérabilité, sa révolte vécue comme un cri, son désir de vivre répondant à la terreur qui l’envahit et le possède entièrement, il ne l’oubliera jamais.

La Mort d’Ivan Illitch (1886)

Ivan Kramskoï : Les derniers chants de Nekrassov Galerie Tretiakov
C’est ce qu’il transcrit dans La Mort d’Ivan Illitch, ce personnage à qui il ressemble et dont il raconte la mort avec une sensibilité d’écorché, un justesse à fleur de peau, une angoisse horrible qui se transmet au lecteur … La description réaliste de l’évolution de la maladie, de la déchéance du corps est terrifiante. L’analyse psychologique est d’une étonnante finesse jusque dans les plus petits détails. Et que dire de cette prose, dense, puissante qui vous happe, à laquelle vous ne pouvez plus échapper, qui vous retourne, vous bouleverse..
L’on peut ajouter à cette terrible expérience existentielle, la vision satirique d’une société uniquement guidée par l’attrait de l’argent, des honneurs et de la réussite, qui oublie les valeurs spirituelles, l’amitié, l’amour, une société en manque d’idéaux et où la mort d’un collègue est reçue avant tout comme une promesse de promotion à la place qu’il occupait.
Apparaît aussi à travers le portrait de Praskovia Federovna, l’épouse d’Ivan Illitch, la misogynie de Tolstoï et son horreur du mariage.
La Mort d’Ivan Ilitch est une nouvelle qui est à la fois un grand moment littéraire et un grand moment de vérité. Il vous oblige à regarder l'idée de la mort en face sans plus vous voiler la face. Je l’ai reçu comme un coup de poing. Rares sont les écrivains qui ont ce pouvoir d’impliquer si totalement le lecteur, de faire vivre avec autant d’acuité une expérience aussi universelle, la mort, que par définition l’on ne peut habituellement partager avec autrui. Quel écrivain! Pendant un certain temps, tout paraît fade à côté de lui!

Maître et serviteur(1895)

VG Perov : la denrière taverne avec la sortie du village Galerie Titrakov Moscou
VG Pérov : la dernière Taverne avant la sortie du village  Galerie Tetriakov

Maître et serviteur raconte l’histoire de Brekhounov, un marchand, âpre au gain, qui n’hésite pas, pour acheter les forêts qu’il convoite, à se déplacer en traîneau en plein hiver, pendant une tempête de neige. Bloqués au fond d’un ornière, par un froid intense, les deux hommes voient arriver leur mort prochaine. Seul le serviteur, Nikita, un homme simple, proche de la nature, l’envisage avec sérénité. Tolstoï pense, en effet, que la civilisation entraînant la cupidité, l’égoïsme, la recherche des biens matériels, détourne des valeurs essentielles. Mais la mort permet au maître de se confronter à la vérité en faisant le bilan de sa vie et de se dépouiller de son égoïsme.

Trois Morts (1850)

Dans Trois Morts, une mourante part en voyage vers un pays chaud pour échapper à la mort. Si son entourage sait qu’elle va mourir, elle se ment à elle-même, à la recherche du moindre espoir qui la sauvera. La religion est inutile et ne lui procure aucun soulagement réel. La deuxième mort est celle du postillon, l’oncle Fédor, qui accepte sa mort, en homme simple et proche de la nature. Le troisième est un arbre qui meurt en « beauté parce qu’il ne joue pas la comédie, ne craint, ni ne regrette rien ».  La nouvelle écrite en 1850, trente ans avant La mort d’Ivan Illitch, présente les mêmes thèmes mais d'une manière plus superficielle, moins aboutie et plus démonstrative; je me suis sentie moins concernée.

dimanche 25 octobre 2015

Carlo Goldoni : L'éventail


Carlo Goldoni
Contrairement à La Locandiera, Les Rustres, Il Campielo ou La trilogie de la Villégiature, je n’avais jamais lu et je n’ai jamais vu sur scène la pièce de Goldoni intitulée : L’éventail.
Comme le titre l’indique, c’est un éventail qui est le prétexte à l’intrigue; il suscite toutes sortes de quiproquos retentissants et en passant de main en main relance sans cesse l’action d'où toute une série de rebondissements. Un éventail donc qui va attiser la suspicion, les commérages, la jalousie, les ruptures, les scènes de ménage, les bagarres,  les crises de désespoir et …

Au départ, la pièce n’est qu’un simple canevas de Commedia dell’arte, sans dialogue écrit, que Goldoni avait proposé aux comédiens italiens. La pièce obtint peu de succès et Goldoni à qui elle était chère décida de la réécrire entièrement. De Paris où il résidait alors, il envoya le texte aux comédiens vénitiens qui la représentèrent avec succès  au Théâtre San Luca de Venise en 1765.

Le ressort comique est bien rôdé et le rythme rapide et enlevé, la critique sociale même si elle n’est pas nouvelle, est réussie et l’on retrouve ici les thèmes chers à Goldoni.

Dans un lieu unique, fermé, une place comme dans Il Campielo, (mais nous sommes dans un village du Milanais pas à Venise) se retrouve tout un échantillon de la société, du haut en bas de l’échelle :  les nobles, -  un comte de vieille noblesse mais désargenté et un baron, moins titré mais riche comme dans La Locandiera-, les commerçants ayant pignon sur rue, -l’apothicaire et l’hôtelier- , les petits commerces -mercerie, cordonnerie-, (là encore toute une hiérarchie apparaît au sein de la même classe sociale, les uns méprisant les autres et affirmant leur supériorité) et puis les serviteurs, et encore plus bas, les paysans comme la jolie Jeannine et son rustre de frère, Noiraud.
Et chacun joue son rôle social, le comte de Rocca-Marina, ruiné, offrant sa protection pour soutirer des faveurs aux uns et aux autres, est un personnage caricatural mais finaud, tirant toujours son épingle du jeu, bernant ses amis comme ses ennemis. Evariste, l’amoureux de Candide,  Couronné, l’aubergiste, Crépin, le cordonnier et le  baron del Cedro en feront les frais!
Chacun joue son rôle ou le refuse comme Jeannine qui est sous la coupe de son frère depuis que ses parents sont morts mais revendique (thème féministe que l’on retrouve souvent dans Goldoni) sa liberté et surtout celle de choisir elle-même son mari. Et comme c’est une fille de caractère, elle obtiendra ce qu’elle voudra!

Ces personnages avec leurs travers, leurs faiblesses et leurs qualités représentent donc la condition humaine et Goldoni, s’il fait rire parfois à leur dépens, ne les juge ni ne les condamne. Ce sont eux qui présentent l’intérêt de la pièce et si l’intrigue paraît légère, ne vous y fiez pas! elle est toujours nourrie chez Goldoni par la vérité des caractères et par une peinture des moeurs qui pour être malicieuse n’en est pas moins réaliste et vraie!

Dans la version Commedia dell’arte, le cordonnier Crépin était probablement Arlequin ou Carlin et  l’aubergiste Couronné, Brighella ou Scapin.

Carlin ou Arlequin
Brighella


Critique d’une représentation de L’Eventail dans Libé

« L’intrigue est aussi mince qu'implacable : la belle Candida laisse choir de son balcon un éventail qui se brise. Evaristo, son amoureux, lui en rachète un. Et imagine, plutôt que de le lui offrir en mains propres, de le confier à Giannina, la paysanne forte tête. Trois heures plus tard, l'objet aura volé de main en main et, tel un talisman malin, déclenché une suite de mini catastrophes.
De bagarres en quiproquos, de ruptures en ratages, l'éventail fonctionne comme le révélateur d'un monde qui se ment à lui-même. Lorsqu'il revient enfin entre les mains de Candida et que tout est bien qui finit bien, reste un fond de mélancolie, comme si, au jeu de la vérité, la communauté avait vacillé sur ses bases. »
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vendredi 23 octobre 2015

Moscou : Zenaïda Serebriakova : peintre franco-russe Galerie Tretiakov

Zenaida Serebriakova – Le déjeuner des enfants – 1914 – Galerie Tretiakov, Moscou

En rendant visite à l’Or, dans son blog, quand je suis revenue de Russie, je suis tombée nez à nez avec le tableau de Zenaïda Serebriakova : Le déjeuner des enfants que je venais juste de découvrir la galerie Tetriakov à Moscou.
Voilà le  texte qu’il a inspiré à L’Or :
Rien ne symbolise plus l’automne que ce tableau là. Dès que je l’ai vu, pour moi, il était l’image même de septembre et de la rentrée scolaire. Les repas se prennent à nouveau à l’intérieur, les enfants sont à table, ils dégustent une chaleureuse soupe d’automne, chaude et bienfaisante pour les petits bidons. Demain ils reprendront l’habitude de se lever plus tôt, d’enfiler leurs chaussures et de mettre leurs lourds cartables sur le dos. » lire la suite ICI  

Moscou Galerie Tetriakov : musée d'art russe détail du fronton
Galerie Tetriakov : détail
Moscou : La place des trois tableaux de Zinaïde Serebriakova  sur le mur de la galerie Tetraikov
La place des trois tableaux de Srebriakova sur le mur de la galerie Tetriakov

Quant à moi, ce qui m’a touchée dans cette oeuvre comme dans les deux autres tableaux qui sont exposés à Tetriakov, c’est la beauté des personnages et la force qui émane d’eux, une quiétude, une plénitude qui renvoient à une image du bonheur, de la joie de vivre. Ainsi, ces deux enfants aux yeux noirs qui  fixent le peintre -leur mère- avec sérieux, tandis que l’aîné plus rêveur contemple son verre comme s’il contenait un secret, ainsi ce cadre rassurant, paisible, celui de la table familiale, autour de la soupe du soir servie par une main que j’imagine être celle de la grand mère; ce décor délicat, cette vaisselle à la fois raffinée et simple, ces couleurs pastels rehaussés par le jaune plus vif du broc à eau; tout concourt à nous donner une image de sérénité.


Zenaïda Serebriakova : autoportrait  Galerie Tretiakov, Moscou
Et il en est de même de son autoportrait, cette jeune femme à sa toilette, si gracieuse avec sa longue chevelure et ses yeux noirs, les mêmes que que l’on retrouve chez les deux enfants tournés vers nous dans Le déjeuner, avec cette lueur malicieuse qui luit dans ses yeux, ce léger sourire mutin,  image de la beauté et de la séduction mais naturelle et saine.

peintre franco-russe Zenaïda Serebriakova :  Les lavandières tableau exposé à la Galerie Tretiakov, Moscou
Zenaïda Serebriakova :  Les lavandières Galerie Tretiakov, Moscou
Quant à Les lavandières, Serebriakova ne cherche pas à montrer un métier pénible et des femmes du peuple pauvres, usées par le travail. Au contraire, elles peint des jeunes femmes robustes, aux vêtements vivement colorés et elle les magnifie en les prenant en contre-plongée de manière à ce qu’elles apparaissent, souveraines, se détachant sur le ciel bleu. C’est une peinture résolument optimiste,  qui charme et procure du bonheur. On parle à son propos de peinture réaliste romantique!

Peintre franco-russe Zenaïda Serebriakova : autoportrait exposé à la Galerie Tretiakov, Moscou (détail)
Zenaïda Serebriakova : autoportrait  Galerie Tretiakov, Moscou (détail)

Zinaïda Ievguenina Serebriokov est une peintre franco-russe; elle est née en Ukraine en 1884 ; sa mère était d’origine française, et sa famille les Lanseray compte des artistes connus en France comme en Russie. Nicolas Lanceray, son grand père, est un des architectes de Saint Péterbourg, son père Ievgueni Serebriakova est un sculpteur célèbre.
 Elle perd toute sa fortune avec la révolution de 1917 et sa propriété Neskoutchnié (Sans Soucis) lui est confisquée. Son mari Boris est emprisonné par les Bolchéviques et meurt du typhus en 1919. Elle  doit élever toute seule ses quatre enfants. En 1924, elle se rend à Paris pour une commande de peintures murales mais elle ne peut rentrer en Russie et est séparée de ses enfants et de sa mère. Plus tard, elle parviendra à faire venir deux de ses enfants dont sa fille cadette Ekaterina et son fils aîné, Alexandre, peintre reconnu et décorateur d'intérieur qui l’aidera à subvenir au besoin de la famille restée en Russie ; elle  ne reverra plus les autres Tatiana et Evguiéni pendant 36 ans, ce qui sera pour elle un tourment constant. Le temps du bonheur est passé. Sa peinture deviendra plus grave mais c'est toujours avec respect qu'elle peint ses modèles et les met en valeur.
A Paris, Zinaïda Serebriokova refuse l’influence de l’avant-garde française et continue à peindre d’une manière classique comme le feront les peintres soviétiques à la même époque. Aussi, même si beaucoup admire ses oeuvres, ses tableaux ne se vendent pas très bien. Pourtant la période française de Zinaïda Serebriakova est très riche. Elle voyage au Maroc et en Afrique, est inspirée par les femmes et des hommes de l’Atlas, par les paysages aux couleurs ardentes; elle peindra aussi un cycle de tableaux consacrés à la Bretagne et aux marins. La France influence donc son oeuvre. Elle obtient la nationalité française en 1947. Elle meurt  Paris en 1967. 

Zenaïda Serebriakova Marocain en bleu Marrakech 1932 (collection privée?)
Une rétrospective de ses oeuvres a lieu en 1960 à Moscou, Léningrad et Kiev. Elle y est reconnue comme un grand peintre. À partir de 1966, ses tableaux sont de plus en plus exposés en Union Soviétique, surtout dans les grandes villes russes. Mais en France où elle a passé tant d’années et exercé son art si longtemps, on la connaît fort peu alors qu’elle appartient à la fois au patrimoine russe et français. Beaucoup de ses tableaux sont dans des collections privées semble-t-il. Je ne crois pas qu’il y en ait dans les musées français. Pas de rétrospective en vue et l’on ne peut que le regretter!

mercredi 21 octobre 2015

Olivier Barde-Cabuçon : Humeur noire à Venise


Humeur noire à Venise de Olivier Barde-Cabuçon est le troisième livre des aventures plombières du chevalier de Volnay, commissaire aux morts étranges à Paris. C’est le titre que Louis XV a accordé au jeune homme pour le remercier de lui avoir sauvé la vie en 1757.Volnay se rend à Venise avec le moine ( je ne sais pourquoi ce personnage s’habille en moine puisque c’est un mécréant, il faut lire les livres précédents pour le comprendre, je suppose), un moine qui n’est autre que le père du jeune homme, en proie à une dépression après le départ de la femme qu’il aime. Volnay espère ainsi chasser l’humeur noire de son compagnon et il répond aussi à l’appel au secours de Chiara son ex-amoureuse dont le cousin, le comte de Trissano, issu d’une grande famille vénitienne, est menacé de mort. 

Les mystères de Venise

Venise, une ville de roman noir
Nous voilà donc à Venise et sachez que l’intrigue comme la ville va nous entraîner dans un tourbillon d’aventures dont on n’a pas besoin de savoir si nous y croyons ou non!   Si bien que la jeune Violetta qui se rend dans la ville travestie en garçon (pour remplacer son frère afin d’éponger une dette d’honneur en se mettant au service d’une grande famille patricienne) nous paraît tout à fait naturelle. D’autant plus que, comédienne, elle cite Shakespeare (de quoi bien s’entendre avec le moine) et que nous voilà plongés en même temps dans une comédie Shakespearienne et pas n’importe laquelle, « La nuit des rois »! Après tout, nous sommes à Venise, ville des mystères, du complot, des apparences, des reflets et des masques.

Venise, la ville des reflets
Ceci dit, dans Humeur noire, ce n’est pas l’intrigue policière même si elle est passablement compliquée, qui nous mène par le bout du nez mais..  Venise! J’ai même parfois l’impression que l’écrivain passionné par son sujet ( c’est un spécialiste du XVIII siècle et manifestement il connaît la Serinissime comme sa poche) n’hésite pas à ralentir l’action pour expliquer la ville : sa naissance qui l’extrait des eaux en l’asseyant sur des millions de pieux de bois, arbres innombrables arrachés aux forêts; son histoire, son fonctionnement politique, ses intrigues, ses palais luxueux rongés par l’humidité mais aussi par le manque d’argent des nobles et leur goût du paraître. Nous apprenons aussi l’opposition entre la mer et les Terres fermes, entre le commerce maritime et l’agriculture, et le combat incessant que mène la ville pour sa survie. 
Un belle promenade dans Venise : nous glissons en gondole dans les rios; nous pénétrons dans de somptueux palaispar l'entrée des maîtres bien différente de celle des domestiques et assistons à l'envers du décor,  nous y rencontrons Goldoni et les petites orphelines! visitons l'arsenal, avec ses hangars, ses ateliers, ses bassins d'amarrage et où tous les corps de métiers sont représentés, sommes reçus au palais des Doges

 Et peut-être irai-je lire les débuts des aventures de Volnay qui se passent en France et où le jeune homme se bat en duel avec Casanova; Rien de moins!

Ils s'enfoncèrent dans les canaux intérieurs au milieu des chants  et des accents de guitare. De petits plongeons signalaient des rats se jetant à l'eau pour traverser le rio. Les vielles maisons aux murs humides et aux pieds crevassés par l'eau saumâtre se succédaient, leurs façades lépreuses parfois illuminées par un rai de lumière. Au-dessus, le linge séchait et les chats s'assoupissaient sur les balcons ou les bords des fenêtres.
Venise : un rio
Les rayons du soleil précédant le coucher avaient laissé place au bleu le plus pur avant de se dissoudre dans le noir de la nuit. Le moine se glissa dans la rue, échappant un peu plus loin au contenu des restes d'un pot de nuit qu'une perfide petite vieille jetait par la  fenêtre sans souci du passant qu'il était. Cela le fit rire.
Venise bruissait de vie, de mouvements, de plaisirs et de lumières. (...)
Soudain le moine retrouva tout ce qu'il avait oublié, quelques-uns des mille trésors de la vie qui font chanter le coeur : la lumière du soir, le rire d'un enfant qui efface soudain les peines, la beauté d'une âme, le regard perçant d'une femme, une mélodie, un air d'opéra, la grâce d'uneballerine, l'esprit de fête.

Venise : coucher de soleil sur la lagune
Venise : San Marco, la nuit

mardi 20 octobre 2015

Venise, le chapiteau sculpté du palais des Doges : Promenade avec Tiziano Scarpa

Venise Le palais des Doges acque alta
Septième colonne : le chapiteau raconté par Tiziano Scarpa (le second sur la photo)

La septième colonne du Palais des Doges

J'avais écrit en 2010, à la suite d'un voyage à Venise en Décembre qui m'avait permis de voir pour la première fois l'acqua alta, un billet que je devais à Tiziano Scarpa et à son petit livre Venise est un poisson. L'écrivain y parle du chapiteau sculpté de la septième colonne du palais des Doges. Et voilà que je reviens à ce billet dans mon blog et que je constate que toutes mes photos ont disparu. C'est pourquoi je le publie à nouveau aujourd'hui.
C'est le livre en main, ouvert à la page 36, sur le beau texte de Tiziano Scarpa,  que je me suis placée face au Palais des Doges sur la piazzetta dei Leoncini qui prolonge la place Saint Marc, avec dans mon dos, la bibliothèque Marciana.

Venise Palais des Doges : chapiteau sculpté septième colonne en partant du coin du palais
Palais des Doges : chapiteau sculpté
A la septième colonne en partant du coin du palais, j'ai trouvé le chapiteau orné de bas-relief  dont parle Scarpa. Il faut le lire dans le sens contraire des aiguilles d'une montre comme un dessin animé muet, qui raconte la plus triste et désolante histoire d'amour qui ait jamais été racontée.

1 : un jeune homme voit une jeune fille à la fenêtre.

2 :  Le premier rendez-vous

Venise Palais des Doges : Le premier rendez vous chapiteau de la septième colonne du palais des Doges
Palais des Doges : Le premier rendez-vous

3 : La jeune fille lui caresse le front

Plais des Doges la jeune fille lui caresse le front chapiteau sculpté septième colonne a partir du coin du palais
Palais des Doges la jeune fille prend l'initiative : elle  lui caresse le front

4 : ils s'embrassent

Venuse Palais des Doges Le premier baiser chapiteau sculpté de la septième colonne en partant du coin du palais
Palais des Doges Le premier baiser

5 : Ils font l'amour

Venise Le Palais des Doges  Ils font l'amour  chapiteau sculpté Septième colonne à partir du coin du palais
Le Palais des Doges  Ils font l'amour

6 : Naissance d'un bébé

Vensie septième colonne du  palais des Doges  chapiteau sculpté la naissance du bébé
Le palais des Doges  chapiteau sculpté la naissance du bébé

7 : l'enfant a grandi

VeniseLe palais des Doges  chapiteau sculpté l'enfant a grandi le bonheur familial
Le palais des Doges  chapiteau sculpté l'enfant grandit image du bonheur familial

8 : L' enfant est mort

Vensie Le palais des Doges  chapiteau sculpté l'enfant est mort Le malheur
Le palais des Doges  chapiteau sculpté l'enfant est mort Tragédie, douleur des parents

Il y a trois choses que je voudrais te signaler dans cette pitoyable histoire. la première, c'est que même au Moyen-Age, les jeunes filles prenaient l'initiative et draguaient. La deuxième, c'est qu'au Moyen-âge on faisait l'amour avant de se marier. La troisième, c'est que tout se passe dans une posture contrite et verticale. Les personnages sont toujours placés de façon symétrique, les gestes se répondent en parallèle, ils sont fagotés dans des robes et tuniques qui tombent à la verticale. Sauf dans le cinquième panneau. Sous les draps de lit froncés par des vagues de tissus, dans un plissement d'ondes marines, emportés par une tempête d'étoffe, les deux amoureux sont couchés sur une espèce de losange, un rectangle posé de travers  :  c'est un lit qui s'est déplacé de biais, le matelas est rhomboïdal.  C'est la passion qui a baladé le lit dans la chambre à coucher, qui l'a fait rouler en sautillant petit à petit sur le sol. L'amour est diagonal : il bouleverse les canons esthétiques, il met en déroute les rigides chorégraphies d'un bas-relief gothique.  (Tiziano Scarpa)





Republier dans le cadre du mois italien d'Eimelle

lundi 19 octobre 2015

Antonio Tabucchi : Les oiseaux de Fra Angelico , Le couvent San Marco à Florence

Fra Angelico  :Archange Gabriel de l'Annonciation

Fra Giovanni dit Fra Angelico


couvent San marco  Autoportrait supposé de Fra Angelico dans la déposition de croix
Autoportrait supposé de Fra Angelico dans La déposition du Christ
Guidolino di Pietro rentre chez les dominicains au couvent de Fiesole, situé sur les hauteurs de Florence, en 1408. Il a alors 21 ans. Selon l'usage de l'ordre, il change de patronyme pour un nom religieux : Fra Giovanni. Ses contemporains, en raison de la haute spiritualité de sa peinture ainsi que de la profusion d'anges dont il aime parer ses oeuvres, le surnommeront Fra Angelico.
Les règles strictes et la vie de pénitence de l'ordre religieux resteront profondément ancrées chez le peintre pour qui le renoncement au monde et à soi-même permettent d'atteindre la pureté, tant d'un point de vue spirituel que dans l'expression de son travail.
Encouragé par ses supérieurs, Fra Angelico abrège ses études théologiques pour se consacrer exclusivement à la peinture, les dominicains considérant l'art comme un moyen efficace de transmettre la foi et la vérité
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 Les oiseaux de Fra Angelico d'Antonio Tabucchi

 


Dans la nouvelle de Tabucchi Les oiseaux de Fra Angelico, Fra Giovanni da Fiesole, qui se nomme toujours dans son for intérieur Guidilino, son prénom de baptême, s’affaire à son jardin, dans le clos du couvent San Marco. C’est occupé à une humble tâche de jardinage comme le veut la règle de l’ordre des dominicains,  qu’il voit apparaître un oiseau pour le moins étrange :
C’était une créature rose et menue, délicate avec de petits bras osseux d’un jaune pareil à des coqs plumés, deux pattes très maigres elles aussi, aux jointures proéminentes et aux phalanges calleuses comme chez les poules d’Inde.
Et pourtant les ailes de cette créature sont extraordinaires :
Incroyables voiles en forme de triangle, deux ailes gigantesques partaient de ses omoplates (…) faites de plumes couleur ocre, jaune et turquoise, mais aussi d’un vert émeraude pareil à celui du marin pêcheur, elles s’ouvraient en éventail jusqu’au ras de la terre.
Deux autres oiseaux arrivent le lendemain, l’un « pareil à une grand libellule, » l’autre "en forme de balle" " c'était un être tout en rondeur auquel manquait la base du corps"
Leur laideur n’égale que leur fragilité et leur immense fatigue après le long voyage qu’ils ont entrepris.  Fra Giovanni comprend que Dieu les lui a envoyés pour figurer dans ses tableaux et il s'empresse d'obéir. Il les peint  et « les frères tous en choeur s’exclamaient « oh! »
Car ce que peint Fra Angelico dépasse l’imagination. Regardez !

Fra Angelico : L'annonciation

Puis, en dernier, il peignit l’oiseau qui était arrivé le premier.. Il peignit d’abord un portique avec des colonnes et des chapiteaux corinthiens, puis le raccourci d’un jardin derrière une palissade. Enfin il fit poser l’oiseau, et comme il lui demandait une génuflexion, la créature prit appui sur un siège pour ne pas tomber; il lui demanda aussi de croiser les mains sur la poitrine en signe de révérence et lui dit : Je te couvrirai d’une tunique rose car ton corps est trop ingrat. Je ne  dessinerai pas la Vierge avant demain (…) Je vais faire une Annonciation.

Voilà ce qu'est devenu l'oiseau qui ressemble à un coq déplumé!

Et le deuxième oiseau, celui pareil à une grande libellule?

Couvent San Marco Florence Fra Angelico : Le jardin de Gethsémani (cellule 34)
Fra Angelico : Le jardin de Gethsémani (cellule 34)
Il ajouta une figure supplémentaire à une fresque pourtant achevée, celle de la trente-quatrième cellule où il avait peint le Christ au jardin de Gethsémani. L’oeuvre semblait déjà finie, comme s’il ne restait plus d’espace disponible; mais il trouva une surface vacante au-dessus des arbre de droite et c’est là qu’il peignit la grande libellule qui avait le visage de Nerina, avec ses ailes translucide et dorées; dans sa main il mit un calice, dont elle ferait offrande au Christ.

 Et le troisième, celui qui ressemble à une boule? Je ne peux vous le montrer mais si vous allez un jour au couvent San Marco vous le retrouverez dans la celulle 23; c'est l'ange qui rive les clous qui transpercent les mains et les pieds du Christ  "pour soulager la douleur de la Vierge et pour lui faire comprendre que la souffrance de son fils est la volonté de Dieu.."

Quel sens donner à cette nouvelle? 

Je propose une interprétation qui est la mienne, donc celle d'une athée  :  l'écrivain signifie que l'artiste transcende la réalité et qu'il peut créer le Beau même à partir de choses et d'êtres qui ne le sont pas et inspirer ainsi la spiritualité et la paix.
Un croyant pourrait interpréter autrement : l'artiste tient son art de Dieu, il utilise ce don qui lui est accordé pour créer la beauté, inspirer la spiritualité et la paix.