Dans les trois nouvelles de ce recueil du livre de poche, Tolstoï explore le thème de l’homme face à la mort. Qu’il s’agisse de La mort d’Ivan Illitch, suivi de Maître et serviteur et de Trois morts, Tolstoï analyse les sentiments d’angoisse, de refus, de colère ou d’acceptation de l’individu saisi par le vertige de la mort annoncée, alternances de lucidité ou de déni, d’honnêteté ou de mensonge quant au bilan que le mourant fait de sa vie.
Tolstoï a été touché par la mort dans son plus jeune âge puisque, orphelin dès l’enfance, il n’a pu connaître sa mère et son père; puis en 1850 son frère Dimitri disparaît mais c’est la mort de son frère Nicolas dont il est très proche, atteint de tuberculose, qui le touche le plus. Pourtant il ne s’agit encore que d’une appréhension de la mort par l’extérieur, d’une donnée intellectuelle et non de vécu.
L’expérience par l’intérieur, dans sa chair, de la mort comme une « horreur blanche et rouge et carrée », il l’expérimente au cours d’un voyage et d’une nuit passée dans l’auberge Arzamas. Cette sensation de mort imminente, cette prise de conscience de sa vulnérabilité, sa révolte vécue comme un cri, son désir de vivre répondant à la terreur qui l’envahit et le possède entièrement, il ne l’oubliera jamais.
La Mort d’Ivan Illitch (1886)
Ivan Kramskoï : Les derniers chants de Nekrassov Galerie Tretiakov |
C’est ce qu’il transcrit dans La Mort d’Ivan Illitch, ce personnage à qui il ressemble et dont il raconte la mort avec une sensibilité d’écorché, un justesse à fleur de peau, une angoisse horrible qui se transmet au lecteur … La description réaliste de l’évolution de la maladie, de la déchéance du corps est terrifiante. L’analyse psychologique est d’une étonnante finesse jusque dans les plus petits détails. Et que dire de cette prose, dense, puissante qui vous happe, à laquelle vous ne pouvez plus échapper, qui vous retourne, vous bouleverse..
L’on peut ajouter à cette terrible expérience existentielle, la vision satirique d’une société uniquement guidée par l’attrait de l’argent, des honneurs et de la réussite, qui oublie les valeurs spirituelles, l’amitié, l’amour, une société en manque d’idéaux et où la mort d’un collègue est reçue avant tout comme une promesse de promotion à la place qu’il occupait.
Apparaît aussi à travers le portrait de Praskovia Federovna, l’épouse d’Ivan Illitch, la misogynie de Tolstoï et son horreur du mariage.
La Mort d’Ivan Ilitch est une nouvelle qui est à la fois un grand moment littéraire et un grand moment de vérité. Il vous oblige à regarder l'idée de la mort en face sans plus vous voiler la face. Je l’ai reçu comme un coup de poing. Rares sont les écrivains qui ont ce pouvoir d’impliquer si totalement le lecteur, de faire vivre avec autant d’acuité une expérience aussi universelle, la mort, que par définition l’on ne peut habituellement partager avec autrui. Quel écrivain! Pendant un certain temps, tout paraît fade à côté de lui!
Maître et serviteur(1895)
VG Pérov : la dernière Taverne avant la sortie du village Galerie Tetriakov |
Maître et serviteur raconte l’histoire de Brekhounov, un marchand, âpre au gain, qui n’hésite pas, pour acheter les forêts qu’il convoite, à se déplacer en traîneau en plein hiver, pendant une tempête de neige. Bloqués au fond d’un ornière, par un froid intense, les deux hommes voient arriver leur mort prochaine. Seul le serviteur, Nikita, un homme simple, proche de la nature, l’envisage avec sérénité. Tolstoï pense, en effet, que la civilisation entraînant la cupidité, l’égoïsme, la recherche des biens matériels, détourne des valeurs essentielles. Mais la mort permet au maître de se confronter à la vérité en faisant le bilan de sa vie et de se dépouiller de son égoïsme.
Trois Morts (1850)
Dans Trois Morts, une mourante part en voyage vers un pays chaud pour échapper à la mort. Si son entourage sait qu’elle va mourir, elle se ment à elle-même, à la recherche du moindre espoir qui la sauvera. La religion est inutile et ne lui procure aucun soulagement réel. La deuxième mort est celle du postillon, l’oncle Fédor, qui accepte sa mort, en homme simple et proche de la nature. Le troisième est un arbre qui meurt en « beauté parce qu’il ne joue pas la comédie, ne craint, ni ne regrette rien ». La nouvelle écrite en 1850, trente ans avant La mort d’Ivan Illitch, présente les mêmes thèmes mais d'une manière plus superficielle, moins aboutie et plus démonstrative; je me suis sentie moins concernée.
Terrible agonie d'Ivan Illitch.
RépondreSupprimerTolstoï et sa critique si actuelle, je vous cite : "une société uniquement guidée par l’attrait de l’argent, des honneurs et de la réussite, qui oublie les valeurs spirituelles, l’amitié, l’amour, une société en manque d’idéaux"...
C'est vrai que ces grands écrivains ont une telle lucidité qu'ils sont toujours proches de nous; c'est qu'ils peignent l'universel.
SupprimerJe crois me souvenir avoir lu Maitre et serviteur (et j'étais cuite, il me fallait lire tolstoi!)
RépondreSupprimerTu étais cuite! Cela a dû être un épreuve terrible!
SupprimerTu parles! Anna Karenine et Guerre et paix, pas moins! ^_^
SupprimerJ'étais jeune quand je les ai lus (pas relus depuis!); je me suis régalée! Mais j'ai toujours aimé les pavés!
Supprimerj'ai toujours eu du mal avec la Mort d'Ivan Illitch non pour la qualité du récit qui est extraordinaire mais le sujet me met mal à l'aise
RépondreSupprimerMaitre et Serviteur j'aime beaucoup et il est aussi très agréable en livre audio
le dernier est inconnu pour moi
Quel écrivain !
C'est certain, ce n'est pas un sujet que l'on aime affronter! J'ai bien aimé maitre et serviteur mais il est peut-être plus démonstratif; quant au dernier c'est une oeuvre antérieure aux autres, et c'est moins abouti.
SupprimerQuel écrivain! Tu as raison. C'est ce que je me dis à chaque fois que j'ouvre un livre de Tolstoï. Avant, je préférais Dostoïevski. Mais avec le temps, j'apprécie de plus en plus Tolstoï.
RépondreSupprimerDifficile de choisir, tellement différents tous les deux et pourtant tellement russes!
SupprimerCes grands écrivains russes ont un don certain et immense pour exprimer par les mots les sentiments d'une façon inégalable.
RépondreSupprimerEntièrement d'accord avec toi, un immense talent.
SupprimerJe dois lire guerre et paix avant !
RépondreSupprimerOUf! Y n'as pas encore fini! J'espère que tu vas aimer!
SupprimerBonjour Claudine je suis heureuse de retrouver tes beaux billets. Ces nouvelles sont dans ma p.a.l depuis longtemps ! Bisous
RépondreSupprimerContent de te revoir ici! Tu vas bien? Tu reprends ton blog?
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