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dimanche 27 mars 2016

Henrik Ibsen : La dame de la mer

Chagall : La Baie des Anges  NIce sirène
Chagall : La Baie des Anges

La dame de la mer est une des pièces d’Ibsen paru en 1888 qui est de loin l'une des plus optimistes  des pièces de Henrik Ibsen.

L'intrigue 

Jean-Francis Auburtin : Sirènes peintre breton 1920
Jean-Francis Auburtin : Sirènes
Le docteur Wangel, un homme bon et sincère, a deux filles, Bolette et Hilde, de sa première épouse. Veuf, il se remarie avec Ellida, une jeune femme étrange qui vit mal son implantation au bord d'un Fjord, trop loin de la mer dont elle n’a jamais été éloignée jusqu’alors. Elle a besoin de cet  élément  pour vivre d’où son surnom La dame de la mer. La pièce commence avec l’arrivée d’Arnholm, ancien professeur de Bolette qui revient la voir, elle et sa famille, après des années d’absence. Il y a aussi la présence d’un jeune artiste malade, Lyngstrand, dont les bavardages parfois importuns vont apporter des éléments nouveaux à l’action.
  Ellida se confie d’abord à Arnholm qui est son ami, puis à son mari. Peu à peu l’on apprend que la dame de la mer est marquée par le souvenir du passé et d’un homme à qui elle a été promise. Il l’a quittée, après avoir commis un crime, en s’embarquant sur un navire non sans lui avoir fait  jurer de l’attendre. Il a scellé ce serment en jetant leurs bagues à la mer. Cet homme a appris son mariage et Ellida sait qu’il reviendra la chercher pour l’amener. L’aime-t-elle? Non, semble-t-il, car elle  se sent très attachée à son mari Wangel malgré la différence d’âge. Pourquoi cet aventurier de la mer exerce-t-il alors sur elle une telle fascination? S’agit-il d’une fatalité à laquelle elle ne pourrait échapper? Est-elle vraiment libre?

Une femme venue de la mer : le Folklore scandinave

Mairmaid : Waterhouse
 Cette femme venue de la mer et ce mariage symbolique qui placent la nature au centre la pièce nous plongent au coeur des vieilles légendes nordiques. Telle une banshee des légendes celtiques ou une sirène  à queue de poisson du folklore scandinave, Ellida semble sortie de la mer pour épouser un homme de la Terre. La mer possède une telle une attraction qu’il semble inutile de vouloir lui résister. Ellida se sent marquée par la fatalité et quand elle se confie à son mari c’est pour recevoir son aide. Mais elle reste persuadée qu’elle ne saura pas résister à l’homme qui va venir l’enlever à son mari.  C’est ce qui a permis d’interpréter la pièce d’Ibsen comme une exploration de la folie; de quelle maladie mentale souffre cette femme affligée, quelle névrose la ronge? Les critiques de l’époque, rejetant l'interprétation issue de la légende, ont pensé qu’elle était sous influence hypnotique (l’hypnose est très à la mode à cette époque), comme envoûtée par cet homme qui possède une pouvoir anormal sur elle.

Une femme privée de liberté

La dame de la mer entre son mari Wangel et le marin mise en scène Claude Baqué (Paris Les bouffes du Nord 2012)

Mais une autre explication psychologique me paraît très intéressante. Ellida n’a jamais été libre de penser et d’agir par elle-même, il y a d’abord eu son père, gardien de phare, puis ce marin auréolé de mystère qu’elle a cru aimer, puis son mari. Quand elle a épousé le docteur Wangel à la mort de son père, elle était seule, sans ressources, elle n’avait pas d’autre choix. L’attachement est venu après, grâce à la bonté et l’amour de son mari. Pour moi, Ellida est une soeur de la Nora de La maison de poupées. C’est le sort des femmes, en général, au XIX siècle. La loi les maintient sous tutelle, elles restent d’éternelles mineures, doivent obéissance à leur mari. La fatalité qui pèse sur Ellida n’en est pas une, c’est surtout l’incapacité de choisir, l’impossibilité de dire non, l’ignorance de son moi profond. Il n’est pas étonnant donc que les mots d’amour de Wangel la libèrent quand il lui donne le choix, lui dit qu’elle est libre, qu’elle seule peut décider. Une interprétation réaliste, donc, d'un thème cher à Ibsen, une revendication en faveur des femmes que l’on retrouve aussi avec le personnage de Bolette.

Un relatif optimisme 

Bolette et le professeur Arnholm :  Source
C’est la première fois que je rencontre chez Ibsen autant de personnages positifs, sincères et désintéressés. Ellida est une victime et une femme attachante, intéressante. Le docteur Wangel sait s’oublier soi-même pour aider son épouse. Il n’est pas sans faiblesse. Il néglige ses filles en faveur de sa toute jeune femme même s’il les aime profondément. Mais il est prêt à sacrifier son bonheur pour sauver Ellida.
Bolette et Hilde Wangel sont des jeunes filles charmantes, intelligentes et elles ont du caractère. Quant à Arnholm, l’amour qu’il éprouve pour Bolette, est si sincère qu’il se montre grand et généreux envers elle. Lui aussi donne la liberté du choix à la jeune fille.
Une belle pièce et qui pour une fois se termine bien! On comprend que la diversité des interprétations entre romantisme, symbolisme, réalisme, soit un vrai bonheur pour les metteurs en scène!


Ellida. — Écoute, Wangel, il est inutile, à l’heure qu’il est, de nous mentir.

Wangel. — Nous nous sommes donc menti, jusqu’à présent ?

E. — Oui. Ou, du moins, nous nous sommes dissimulé la vérité. La vérité, la vérité pure et sans fard, c’est que tu es venu là-bas m’acheter…

W. — T’acheter ! Tu dis que je t’ai… achetée !

E. — Oh ! je ne me fais pas meilleure que toi. J’ai consenti. Je me suis vendue.

W, la regardant douloureusement. — Ellida, as-tu vraiment le coeur de parler ainsi ?

E. — De quel nom veux-tu donc que j’appelle ce qui s’est passé ? La solitude te pesait, tu as cherché une autre femme.

W. — J’ai cherché une seconde mère pour les enfants, Ellida.

E. — Oui, par surcroît. Peut-être. Et, encore, tu ne pouvais pas savoir si je convenais à ce rôle. Tu m’avais vue. Tu m’avais parlé deux ou trois fois. C’est tout. Je te plaisais, et alors…

W. — Bien, appelle cela comme tu voudras.

E. — De mon côté j’étais seule, sans ressources, sans soutien. Rien d’étonnant à ce que j’aie accepté l’offre que tu m’as faite d’assurer mon avenir.

W. — Ce n’est vraiment pas ainsi que j’ai envisagé la question, chère Ellida. Il ne s’agissait pas d’assurer ton avenir, il s’agissait, je te l’ai loyalement déclaré, de partager avec les enfants et moi le peu que je possède.

E. — Oui, tu me l’as déclaré. Et moi, j’aurais dû dire non ! Jamais, à aucun prix, je n’aurais dû me vendre! Plutôt le travail le plus humble, les conditions les plus misérables, librement acceptées, librement choisies !




vendredi 25 mars 2016

Shakespeare : Cymbeline

Cymbeline et Posthumus de Thomas Faed

La pièce de Shakespeare, Cymbeline, parue en 1611 a d’abord été considérée comme une tragédie, puis une comédie avant d’être classée parmi les romances tardives du dramaturge avec notamment Le conte d’Hiver, la Tempête, Les deux nobles cousins.
Il faut dire que l’intrigue est si complexe, les lieux si divers, l’ancienne Bretagne mais aussi la Bretagne élizabethaine, la Rome antique et l’Italie de la Renaissance, les personnages si nombreux … que la pièce semble correspondre à un genre nouveau, la romance, apprécié par le public en ce début du XVII siècle. En France, aussi, c’est l’époque du roman baroque comme l’Astrée d’Honoré d’Urfé .

Dame Ellen Terry dans le rôle d'Imogen

L’intrigue est enchevêtrée  et je ne vous en révèle que les grandes lignes :

Cymbeline, roi de (Grande)- Bretagne, a perdu ses deux fils qui lui ont été enlevés à l’enfance. Il veut faire de sa fille Imogène, son héritière et la marier à Cloten, fils de sa seconde épouse, la Reine. Mais Imogène se marie contre la volonté de son père à Posthumus, un gentilhomme pauvre. Ce dernier est exilé en Italie et Imogène reste sous la surveillance de sa marâtre la Reine, sommée d’épouser Cloten. Le royaume qui refuse de payer un tribut à Rome va de nouveau être envahi. La guerre éclate.

A Rome, Posthumus qui vante les qualités et la vertu de son épouse est attaqué par Jachimo qui prétend pouvoir obtenir les faveurs de la Belle. L’anneau d’or donné à Posthumus par Imogène sert de gage. Jachimo, ne parvient pas à séduire Imogène mais lui dérobe son bracelet comme preuve de sa victoire. Posthumus, fou de jalousie, commande à son valet, le fidèle Pisanio, de tuer son épouse. Imogene qui s’est enfuie de la cour, déguisée en garçon, pour chercher à rejoindre son mari, se réfugie dans une forêt et est recueillie par un vieux noble banni de la cour, Belarius, qui vit là avec ses deux fils. On apprendra vite qu’ils sont, en réalité, les enfants de Cymbeline. 
Ces deux fils conducteurs vont se rejoindre pour former un dénouement dont on ne sait jusqu’à la fin s’il va être tragique ou non.

Imogène dans la grotte de Belarius :  George Dawe

Ce qui est étonnant dans la pièce c’est sa ressemblance avec un conte traditionnel et en particulier avec Blanche Neige. La marâtre qui feint d’aimer sa belle fille en public, est odieuse. Elle demande à son vieux médecin une potion pour tuer la jeune fille. Le vieillard qui a percé les intentions de la reine fabrique une médecine qui donne l’apparence de la mort. Le serviteur Pisanio qui accompagne la fuite d’Imogène en forêt refuse de la tuer. Il lui donne la potion qui la plonge dans un profond sommeil. La jeune femme est retrouvée par Belarius et ses fils qui la croient morte et qui l’allongent sur un lit de fleurs. Vous avouerez que les similitudes sont évidentes.

Il y a aussi dans la pièce de nombreuses rappels des oeuvres précédentes : La potion qui provoque une mort apparente, c’est, bien sûr, Roméo et Juliette, le mari jaloux, aux pulsions meurtrières, c’est Othello, ou  Leonte d’un Conte d’Hiver ou encore Claudio accusant Hero dans Beaucoup de bruit pour rien. La bague comme gage d’amour que l’amoureux doit conserver envers et contre tout et qu’il finit par céder est une allusion à Portia et Bassano du Marchand de Venise. Quant au déguisement en garçon, on pense bien évidemment à Viola dans La nuit des rois mais aussi à Rosalinde dans Comme il vous plaira qui part se réfugier dans un forêt  où elle retrouve, comme Imogène, ceux qui ont été spoliés par le tyran. On voit donc la richesse de Cymbeline qui reprend les thèmes récurrents  chers au dramaturge.
Cymbeline présente toutes sortes d’invraisemblances, d’évènements irréels, d’effets artificiels si bien que la crédulité du spectateur est mise à rude épreuve. Il faut donc accepter de se plier aux conventions théâtrales et laisser de côté son sens critique pour pouvoir entrer dans la pièce. Il est certain que l’on a l’impression de partir un peu dans tous les sens et puis comme d’habitude l’ordre va surgir de tout ce désordre, l’univers retrouver un sens.
 Il va me falloir d’autres lectures de la pièce pour l’apprivoiser. Je m’y intéresse particulièrement car le 16 Octobre de cette année, je suis invitée à Londres par des amis et nous irons voir une adaptation de cette pièce au théâtre du Globe! Génial, Non? Oui, mais il va falloir que je comprenne la représentation en anglais!


Lecture commune avec Jeneen et Miriam ICI

QUI veut faire une autre lecture commune de Shakespeare avec moi? Je propose pour le 25 Avril : 
 PEINES D AMOUR PERDUES ou si vous l'avez déjà lue une autre comédie de Shakespeare au choix




Logo du challenge Shakespeare de claudialucia blog Ma librairie



Festival d'Avignon : l'avant-programme


On peut déjà lire l'avant-programme du festival d'Avignon dans Le Monde.
Le festival s'ouvrira dans la cour d'honneur par les Damnés interprété par la Comédie française, d'après le film de Visconti, avec le metteur en scène flamand Ivo Van Hove. 2666, le roman monstre de Roberto Bolaño, adapté en un marathon de douze heures par Julien Gosselin .

"C’est sous un sceau bien particulier qu’Olivier Py, le directeur du Festival d'Avignon a choisi de placer la 70e édition, qui aura lieu du 6 au 24 juillet, et dont il a annoncé le programme jeudi 24 mars dans la Cité des papes, avant de le faire à Paris à l’Institut du monde arabe, vendredi 25. "
En savoir plus sur  Le Monde

Déjà des titres qui me tentent :
 Qué haré yo con esta espada?, la nouvelle création d’Angélica Liddell ; Karamazov, d’après Dostoïevski, monté par Jean Bellorini dans la carrière de Boulbon, rouverte pour l’occasion ; Place des héros, de Thomas Bernhard, mis en scène en lituanien par le Polonais Krystian Lupa ; enfin, Sidi Larbi Cherkaoui dans la Cour d’honneur, avec Babel 7.16.
 
Un festival très féminin et très jeune nous dit-on.



mercredi 23 mars 2016

Guy de Maupassant : Coco, nouvelle du recueil Contes du jour et de la nuit


J’ai retrouvé des notes que j’avais prises à propos d’une nouvelle de Maupassant : Coco extraite des Contes du jour et de la nuit parue en 1884. Cela m’a donné envie de relire ce texte que j’ai toujours trouvé cruel et qui révèle le pessimisme profond de Maupassant vis à vis de l’humanité.

Henri de Toulouse-Lautrec (1881) cheval blanc Gazelle
Toulouse-Lautrec (1881)

Coco est un cheval blanc que sa maîtresse garde malgré sa vieillesse parce qu’il lui rappelle des souvenirs. Elle confie le soin de l’animal à un goujat (valet) de quinze ans, Isidore Duval dit Zidore. Celui-ci conçoit une forte aversion pour Coco à qui il reproche sa laideur, son âge et son inutilité. Il ne supporte pas qu’il lui attire les moqueries des garnements du village. Il décide de se venger du vieux cheval et le laisse mourir de faim en l’empêchant d’atteindre l’herbe verte presque à sa portée. La pauvre bête va dépérir peu à peu.
Maupassant décrit ici l’angoisse de la vieillesse liée à la décrépitude, à la solitude et à l’abandon. Pendant toute la nouvelle la mort plane autour du cheval, la mort qui hante l’écrivain en proie depuis 1884 à des hallucinations, lui qui mène un combat contre la folie. Parallèlement, il s’intéresse à l’exploration de l’âme primitive du valet révélant au lecteur ce qui, dans l’être humain, est au niveau de la bête.

Le cheval blanc de Rosa Bonheur 1879 collection privée
Le cheval blanc de Rosa Bonheur

La confrontation entre le goujat et le cheval est hallucinante d’autant plus que l’on connaît l’issue fatale, la victime ne pouvant lutter contre son tourmenteur. Il s’agit presque d’un huis-clos car le Isidore a pris soin d’amener le cheval « là-bas », dans « la ravine », « derrière le bois » toujours plus loin, dans un endroit où personne ne passe jamais. Ce face à face met en présence deux êtres qui se ressemblent physiquement et qui sont pourtant chacun le contraire de ce qu’ils paraissent car l’animal est humain et l’homme est bestial.
 Le vieux cheval, en effet, perclus, aux genoux gonflés, a une apparence humaine avec ses poils emmêlés qui ressemblent à des cheveux et ses yeux tristes. Cette description humanise l’animal, procédé déjà employé  par Maupassant dans La Peur à des fins fantastiques alors qu’il a, ici, une valeur symbolique : Il permet de mieux saisir le drame de la vieillesse impuissante, exclue de la société mais affreusement consciente et lucide.

Adriaen  Brouwer  paysan endormi
Adriaen  Brouwer  peintre flamand

Le goujat aux « cheveux épais et durs et hérissés » , peu doué pour la parole, avec « son âme épaisse et brute » est plus proche, lui, de  l’état de bête que de l’humain. Maupassant emploie ce terme de goujat intentionnellement. S’il n’a pas encore  la nuance qu’il possède de nos jours : « Homme manquant de savoir-vivre et d’humanité », il a évolué de son sens ancien « valet d’armée », au sens de « valet, subalterne » et a pris déjà au XIX siècle une coloration nettement péjorative.
Le garçon, en effet, est un être frustre et brutal qui ne conçoit les relations avec les autres qu’en terme d’utilité : « pourquoi nourrir ce cheval qui ne faisait plus rien ». Il est aussi le reflet du pessimisme de Maupassant qui nous montre une humanité semblable , en cela, aux civilisations « du cocotier » où le vieillard inutile, relégué et méprisé n’a plus qu’à attendre la mort.
Pis encore Zidore fait durer le plaisir : « il savoure sa vengeance », éloignant d’abord l’animal de la ferme, puis l’attachant solidement hors de portée de l’herbe, prenant goût au raffinement de la vengeance, à la torture par l'espérance : « même il fit mine de le changer de place », substituant à la souffrance physique (les coups), la souffrance morale plus exaltante pour le bourreau. La mise à mort se fait par étapes, rythmée par ces trois mots introduisant une gradation  : « la vieille rosse/ La misérable rosse/ la carcasse. Quant à l'action, elle se déroule en trois jours, comme une division en actes dans une tragédie dont le rythme s'accélère crescendo de la première à la dernière partie beaucoup plus brève. Le goujat jouit de la souffrance de sa victime avec sadisme, car ce n’est pas seulement la mort du cheval qu’il souhaite. Il cherche aussi à affirmer son pouvoir, lui qui n’est rien dans cette ferme, qui est peu considéré et subit des humiliations quotidiennes. 

Maupassant a saisi avec une lucidité amère les ressorts intérieurs qui peuvent transformer les hommes en bourreaux. La déshumanisation du valet apparaît complète : à la fin du récit, il s’assoit sur sa victime comme prenant possession du vaincu et l'humiliant au-delà de la mort  puis il «  resta là les yeux fixés dans l’herbe sans penser à rien ». Ces mots de conclusion donnent la mesure du pessimisme de Maupassant car le plus terrible, en effet, n’est-ce pas ce manque d'empathie, cette insensibilité à la souffrance d’autrui, cette sottise apathique qui font un monstre d’un être humain? Je pense aux écrivains comme Semprun, Merle, Lévi, qui ont tous souligné ces traits caractéristiques dans la description des bourreaux des camps de concentration. Car bien évidemment le conte de Maupassant dépasse l'anecdote d'un valet torturant un animal, il décrit les rapports de domination entre les hommes et la négation de toute morale.

mardi 22 mars 2016

Je suis Bruxelles!




Ce beau dessin de Plantu pour exprimer la peine que je ressens devant cet horrible attentat!

 Six mille ans de guerre Victor Hugo

On pourrait boire aux fontaines,

Prier dans l’ombre à genoux,

Aimer, songer sous les chênes ;

Tuer son frère est plus doux...

 
La guerre : Douanier Rousseau

Bêtise de la guerre de Victor Hugo


Ouvrière sans yeux, Pénélope imbécile,
Berceuse du chaos où le néant oscille,
Guerre, ô guerre occupée au choc des escadrons,
Toute pleine du bruit furieux des clairons,
Ô buveuse de sang, qui, farouche, flétrie,
Hideuse, entraîne l’homme en cette ivrognerie...

                           (extrait) 

Marchez, frappez, tuez et mourez bêtes brutes de Victor Hugo

Hommes, entendez-vous. Vivez. Plus de combats.
Non, la terre d’horreur ne sera pas noyée.
Vous êtes l’innocence imbécile employée
Aux forfaits, et les bras utiles devenus
Scélérats, et je suis celui qui vient pieds nus
Vous supplier, lions, tigres, d’être des hommes.
Il est temps de laisser cette terre où nous sommes
Tranquille, et de permettre aux fleurs, aux blés épais,
Aux vignes, aux vergers bénis, de croître en paix ;
Il est temps que l’azur brille sur autre chose
Que de la haine, et l’aube est souriante et rose
Pour que nous soyons doux comme elle. Obéissons
A la vie, à l’aurore, aux berceaux, aux moissons.
 (extrait)

Vassili Verechtchaguine : L'apothéose de la guerre

 Manhattan-Kaboul de Renaud

Les dieux, les religions
Les guerres de civilisation
Les armes, les drapeaux, les patries, les nations
F’ront toujours de nous de la chair à canon

lundi 21 mars 2016

Yôko Ogawa : La Jeune fille à l'ouvrage



J’avais été fascinée par l’écriture de Yoko Ogawa découverte avec Le musée du silence, Amours en marge, Parfum de glace, La piscine… Mais j’ai été tellement déçue par L’hôtel Iris que j’ai cessé de la lire. Ce recueil de nouvelles, paru chez Actes Sud en 2016, mais écrit il y a une vingtaine d'années,  me permet de renouer avec cette grande écrivaine japonaise.

La dentelière de Vermeer

J’ai retrouvé dans ces nouvelles ce qui fait la spécificité de Yoko Ogawa, cette observation fine, minutieuse qui accorde tant d’importance aux détails : dans La jeune fille à l'ouvrage, le narrateur note : sur le tissu, les doigts de la  petite fille jouent comme ceux d’un petit animal; Ils font réellement toutes sortes de choses; Démêlent le fil, caressent, et piquent le tissu, tirent sur l’aiguille.
On dirait un portrait à la Vermeer, un tableau qui fixe et retient tous les détails d’une scène prise sur le vif et figée dans l’instant.
C’est à partir de ce souvenir de la brodeuse et de sa boîte à ouvrage rouge que le thème de la mémoire si cher à Yoko Ogawa ressurgit :  le narrateur voyage entre présent et passé, et, tandis que sa mère agonise dans le service des soins palliatifs de l’hôpital, le jeune homme revoit son enfance. Même retour entre passé et présent dans Aria où le narrateur retrouve sa vieille tante pour son anniversaire et se souvient d’elle quand il était enfant. Travail aussi sur la mémoire dans Transit mais la mémoire historique, celle des camps de concentration où les grands parents de la narratrice ont trouvé la mort. Le retour sur les lieux permet de lever les flous de la transmission du  souvenir et de prendre conscience de la fragilité et des erreurs la mémoire. Et dans l’univers du nettoyage de la maison, c’est par le récurage de sa maison, par l’effacement des salissures accumulées pendant une trentaine d’années que la maîtresse de maison fait table rase de son passé. Comme si la propreté immaculée pouvait venir à bout des souvenirs et donner un nouveau départ dans la vie.
La cruauté de la vie est toujours présente mais ce qui domine toujours dans les nouvelles précitées, c’est la nostalgie et la poésie liées au thème de la mémoire et ce qui me frappe, ce sont ces dénouements qui n’en sont pas. Ici pas de chutes qui surprennent et provoquent un choc. Plutôt un lent délitement, une non-fin, les gens se séparent en se disant au revoir, banalement comme dans Transit, Aria ou Jeune fille à l’ouvrage. Il n’y a rien de plus. Tout se dissout dans la banalité quotidienne.  On ne peut réparer le passé, on ne peut pas agir sur lui.

Très différents sont les autres nouvelles, étranges et bizarres parfois horribles. Ce qui brûle au fond de la forêt nous plonge dans un univers fantastique. Elles présentent toutes un mélange de cruauté et de perversité : dans La crise du troisième mardi une toute jeune fille entraînée dans une chambre d’hôtel par un homme âgé est terrassée par une crise d’asthme. Parfois la chute de la nouvelle est violente, dérangeante, tordue, en particulier dans L’encyclopédie ou Morceaux de cake. J’éprouve une certaine répulsion à la lecture de ces dernières nouvelles, sachant, bien entendu, que c’est ce que veut nous faire éprouver l’auteure et qu’elle excelle aussi dans ce genre morbide, aux détails crûment réalistes.
 L’autopsie de la girafe en est un exemple : Certainement que son cerveau avait été déjà prélevé, et que ses intestins  désinfectés avaient été retirés. Les mains de mon amoureux humides de sang, de fluides corporels et de produits pharmaceutiques devaient les caresser avec précaution. 
 Mais le style même dans les passages les plus réalistes, les plus durs, réservent des moments poétiques comme l'analogie établie entre la girafe et les grues, toutes si belles :
 Autour de chaque grue se dressaient un échafaudage de tubes métalliques et des machines aux  formes complexes posées de ici ou là  qui n’entravaient pas leur fierté ni leur dignité. La peinture jaune étincelait, les bras s’étiraient avec grâce, et les câbles qui s’enroulaient autour paraissaient vigoureux. Les trois crochets immobiles dans l’espace ressemblaient à des offrandes spécialement choisies. 
Tous ces récits témoignent d’un mal-être, de la banalité ou du non-sens de la vie même dans les rapports amoureux. Et lorsque la passion  existe, elle se révèle cruelle et  dévoyée, elle parasite l'autre (L'encyclopédie) ou le sacrifie (Ce qui brûle au fond de la forêt).
Une écrivaine de talent! Une vision pessimiste de la vie!

Lire Le billet de Lewerentz


Merci à Dialogues croisés et à la librairie Dialogues


dimanche 20 mars 2016

Thomas Hardy : Tess d'Uberville



Tess d’Uberville, l’un de plus beaux romans de Thomas Hardy, parut  en 1891. Il raconte l’histoire de la trop jolie Tess d’Uberville qui attire les convoitises des hommes. Placée par son père John Durbeyfield chez les Stoke-d’Uberville, elle est violée par le fils Alec qui l’abandonne quand elle devient gênante. Tess, déshonorée, accouche d’un bébé qui meurt à la naissance. Plus tard, elle cherche du travail chez les Clare, dans une laiterie loin de chez elle, pour fuir le  mépris et le rejet des gens qui connaissent son passé. Là, elle tombe amoureuse du fils Clare, Angel. Il la croit vierge et elle n’ose lui dire la vérité même quand elle est reconnue par un homme de son village qui l’insulte. Les jeunes gens se marient et lorsque Angel lui avoue la liaison qu’il a eue avec une femme plus âgée que lui à Londres, Tess lui pardonne et ose enfin se confier à lui. Angel, horrifié, blessé, la rejette et part au Brésil pour refaire sa vie. Tess est sans travail et sans ressource,  c’est le début de la déchéance pour elle. Ce que je vous laisse découvrir.

 Un darwinisme littéraire

Tess : Nastassja Kinsky
Thomas Hardy a un talent réel quand il s’agit de concocter des histoires cruelles. Jude l’Obscur est pour moi l’exemple le plus glaçant de cette cruauté, pour ne pas dire de cette noirceur. Je n’ai jamais rien lu d’aussi désespérant. Tess d’Uberville n’en est pas loin! Je lis dans une étude de Elizabeth Rallo-Ditche Nature et culture dans Tess d’Urberville que Hardy, applique à ses personnages les thèses darwinistes sur l’évolution et sur la sélection naturelle. Ce sont toujours les plus forts qui l’emportent.
« Beaucoup de critiques ont insisté sur le pessimisme de Darwin et de Hardy, celui-ci fait payer son héros à la fin des récits, le fait souvent mourir, l’intrigue est toujours tragique ou perverse. La Nature a un plan et celui-ci se réalise contre les sentiments et les volontés humaines. »

Dans Tess, l’écrivain prend le parti de la femme victime de la société et dénonce ici son inégalité au point de vue sexuel. Dans cette société puritaine, on pratique une morale à double entrée malgré le rigorisme religieux : les hommes sont volontiers pardonnés d’avoir une vie sexuelle en dehors du mariage, les femmes, elles, sont mises au ban de la société!  Toute la vie de Tess est marquée par La Faute même si elle est innocente. Cela semble être le sens du sous-titre donné au roman : Tess d’Uberville, A Pure Woman Faithfully Presented, Une femme pure, sans détours. 

Il faut payer


 Il n’est donc pas étonnant, dans ce roman divisé en sept époques, que l’une d’entre elles, s’intitule : Il faut payer,  et pas étonnant, bien sûr, que ce soit la femme qui paye et elle seule! Ce thème est récurrent chez Thomas Hardy. Dans Loin de la foule déchaînée, on y voit un jeune fille accouchant et mourant dans un fossé. Cette  dénonciation de l'hypocrisie religieuse et de l'inégalité entre hommes et femmes se double d’une critique sociale. Alec n’épouse pas Tess car il est d’une classe sociale supérieure. Le mépris des bourgeois parvenus comme les Stoke-d’Uberville pour les humbles (car Tess est la soeur littéraire de Jude, Tess l’Obscure) n’est en rien garant de leur moralité. La mère d’Alec dissuade son fils de se marier et chasse Tess. Dans Jude l’obscur, Thomas Hardy est encore plus radical et critique ouvertement le mariage et la religion.

 La nature : un monde rural

Le Dorset David Noton source

L’action de Tess d’Uberville décrit un milieu rural en pleine évolution avec l’apparition des machines agricoles qui vont éloigner l’homme de la nature. Elle se déroule comme d’habitude dans le comté imaginaire, créé par Hardy, nommé le Wessex, l’ancien royaume des Saxons de l’ouest. Il correspond au Dorset et à quelques comtés voisins. La nature y est prépondérante et elle dicte sa loi aux végétaux comme aux les êtres humains. 

"Dans cette grasse vallée de la Froom, aux chauds ferments où suintait la fertilité, en cette saison où on croyait entendre sous le bruissement de la fécondation, le flot impétueux de la sève; il était impossible que le plus simple caprice d’amour ne devînt passion."
Elizabeth Rallo-Ditche écrit 
« .. dans Tess, le sens animiste de la vie prévaut, les objets inanimés semblent avoir deux ou trois sens, sinon cinq, comme les êtres humains. Cet animisme est la vieille croyance du Wessex, bien plus ancienne que le Christianisme et les êtres vivent encore dans cette Nature particulière: il explique la relation entre les êtres de façon très différente. »

Tess comme toutes les femmes est en symbiose avec la Nature qu’elle sent intuitivement, une nature animée, vivante. 

 De tous ces lieurs de gerbes, les plus intéressants appartenaient à l’autre sexe en raison du charme acquis par la femme quand elle devient partie intégrante de la nature et du grand air. Un homme qui travaille aux champs y est une personnalité distincte; une femme s’y confond; elle est, pour ainsi dire, sortie d’elle-même; elle est comme imprégnée de l’essence de ce qui l’entoure: elle s’y est assimilé.

 Quand la jeune femme est en paix, la nature lui permet de sortir d’elle-même, d’élever son âme :
"C’est très facile de la sentir qui s’en va, il suffit de se coucher dans l’herbe la nuit et regarder une grosse étoile brillante; et, en fixant votre attention sur elle, vous vous trouvez bientôt à des centaines de lieues de votre corps, dont vous ne semblez plus avoir besoin du tout." Quand elle a honte, il lui semble que la nature est hostile. Plus tard, en arrivant à Stonehenge, Tess sacrifiée sur l’autel elle s’est allongée semble une païenne, incarnant un culte étroitement lié à la nature. Le style de Hardy donne une dimension poétique à ce récit qui est un mélange entre l’observation réaliste de la vie à la campagne avec la précision des travaux ruraux, des soins apportés aux bêtes, et une poésie animiste qui transcende tout, qui place la nature et l’être humain dans un seul creuset, participant à la même création.
Un très beau roman, un chef d’oeuvre à découvrir absolument si ce n’est déjà fait!




Bravo à ceux qui ont trouvé et merci de votre participation à tous : Aifelle,  Asphodèle, Dasola, Eeguab, Kathel, Keisha, Maggie, Syl

Le roman Tess d'Uberville de Thoma Hardy
Le film Tess d'Uberville de Roman Polansky

samedi 19 mars 2016

Un Livre/un film : Enigme du samedi



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Pour ceux qui ne connaissent pas Un Livre/un film, l'énigme du samedi, je rappelle la règle du jeu.

Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le 1er et le 3ème samedi du mois, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film. Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.

Consignes  

Vous pouvez donner vos réponses par mail, adresse que vous trouverez dans mon profil : Qui suis-je? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme sera donné le Dimanche.

La prochaine énigme aura lieu le premier samedi du mois d'avril , le 2.

Enigme N° 124

Ce roman écrit par un grand écrivain anglais est paru à l’époque victorienne.  Il traite de la condition féminine à travers une héroïne victime de la société de son temps, malheureuse et attachante.

De tous ces lieurs de gerbes, les plus intéressants appartenaient à l’autre sexe en raison du charme acquis par la femme quand elle devient partie intégrante de la nature et du grand air. Un homme qui travaille aux champs y est une personnalité distincte; une femme s’y confond; elle est, pour ainsi dire, sortie d’elle-même; elle est comme imprégnée de l’essence de ce qui l’entoure: elle s’y est assimilé.

Dans cette grasse vallée de la F. aux chauds ferments où suintait la fertilité, en cette saison où on croyait entendre sous le bruissement de la fécondation, le flot impétueux de la sève; il était impossible que le plus simple caprice d’amour ne devînt passion.












jeudi 17 mars 2016

Johan Sebastian Welhaven : La neige tombe, ardente et vive

Gustav Fjaestad peintre suédois

Johan S. Welhaven poète romantique norvégien
Johan S. Welhaven
Le poète Norvégien romantique Johan Sebastian Welhaven (1807-1873) est né à Bergen d'un père norvégien et d'une mère danoise. Pour libérer leur pays de la tutelle du Danemark, les écrivains nationalistes norvégiens se font à cette époque les défenseurs de leur langue et de leur culture. Dans la lutte qui l'oppose au poète Henrik Wergeland, son camarade d'université, Johan S. Welhaven prend le parti de la langue et de la culture danoise.  
Ses poèmes harmonieux, nous dit-on, parlent avec subtilité du sentiment amoureux. Il s'inspire aussi des légendes et des mythes nordiques.  
Il m'a été impossible de trouver des recueils de ses oeuvres en français et, en surfant sur le net, je n'ai découvert que cette poésie The snow’s now falling thick and fast (1838) traduit en anglais par un norvégien dont je vous invite à lire le site ICI
J'ai pu lire aussi un poème en français sur les canards sauvages qui a directement inspiré la pièce de théâtre de Henrik Ibsen dont j'ai parlé hier, La cane sauvage mais je n'ai pas aimé la traduction. Vous avouerez que c'est bien peu pour connaître un poète et c'est assez frustrant! 

Pourtant, j'aime énormément cette poésie sur la neige The snow’s now falling thick and fast où le poète décrit avec vérité et humour un petit garçon en train de s'amuser dans la neige jusqu'à épuisement. On a le sourire aux lèvres à la fin de ce texte plaisant et vivant.

Esbjorn sur les skis  Carl Larsson


The snow’s now falling thick and fast

The snow’s now falling thick and fast,
And the boy runs hither and thither.
A great many miles does he slither
And slide now before the day’s past.

Great blocks of snow in the courtyard he rolls,
And into stout soldiers he makes them;
Much effort and toil does it take him.
The soldiers are given eyes made of coal.

He trundles the snow as if in a trance,  
While the towering  warriors stand gazing;
A breastwork he now works on raising.
The broomstick he gives them serves as a lance.

And now he is done, and his strength is no more;
His hands are both frozen and stinging.
With strong dreams soon to be winging
A restless night the boy has in store.
                                                                     
You hear him exclaim, the tired little one:
‘Tomorrow they all will do battle!’
Then rainclouds the sky shake and rattle,
And his warriors soon are all gone.

Il m'a fallu traduire ce poème pour ceux d'entre vous qui ne lisent pas l'anglais. Je sais, c'est assez outrecuidant de m'improviser traductrice alors que je n'en ai pas les compétences mais.. c'est pour les besoins de la cause.
 
Carl Larsson

La neige tombe, ardente et vive

La neige tombe, ardente et vive,
Le jeune garçon court de ci de là
De l’instant présent au jour finissant
Sur de nombreux miles, il glisse et patine.

Dans la cour, il roule des boules de neige
Et il les façonne en soldats farouches
C’est un gros effort et un dur travail
Il donne aux soldats des yeux de charbon

Et puis comme en transe il pousse la neige
Imposants guerriers au regard figé

A présent érige un rempart fragile
 leur donne un balai qui leur sert de lance. 

Maintenant c’est fait, le voici sans force.
Ses mains sont gelées, cuisantes à la fois.
De rêves violents bien
vite mouillé
 le petit garçon a sa nuit troublée.

Vous l’entendez dire, le petit bonhomme :
« Demain, tous iront au champ de bataille! »
Nuages de pluie au ciel s'entrechoquent.

Ses guerriers bien vite ont tous disparu.


*thick and fast adv : à un rythme infernal
slither and slide : glisser et ramper, onduler :  termes souvent employés pour un serpent. Ici , dans la neige, j'ai pensé à la luge et aux patins = glisser, patiner
A breastwork he now works on raising : il élève un mur défensif construit à la hâte 
*as if in a trance : comme s'il était en transe 
* A restless night the boy has in store : il passe une nuit agitée
*You hear him exclaim, the tired little one : Vous l'entendez s'exclamer, le petit garçon, fatigué 




 

mardi 15 mars 2016

Henrik Ibsen : la cane sauvage


Dans la collection de la Pléïade, Régis Boyer explique que les pièces de Henrik Ibsen sont parfois difficiles à comprendre pour un esprit latin mais beaucoup moins, en général, pour un scandinave. Pourtant il constate que même les norvégiens ont paru désorienté par la pièce d’Ibsen La Cane sauvage et il écrit :
« Cette histoire de cane sauvage désarçonnait au risque de masquer le véritable tragique du sujet. Qu’est-ce que ce bric-à-brac où évoluent une petite fille presque aveugle, une femme qui ne cesse de dire un mot pour un autre, un pleutre grotesque qui est fatigué avant d’avoir entrepris quoi que ce soit, le tout sur un arrière plan de grenier-forêt sauvage où roucoulent des pigeons « culbutants » ou caquètent des poules et dont sort un prétendu lieutenant, en képi, tenant dans la dextre un lapin écorché? C’est pourquoi les représentations ne furent pas aussi nombreuses ni applaudies que pour d’autres pièces. »

Hjalmar et sa fille Hedvig dans le fim La cane sauvage

Et oui, surprenant ce résumé, non? Et pourtant, c’est bien ça!
La petite fille qui devient aveugle c’est Hedvig, quatorze ans, fille de Gina et Hjalmar Ekdal, une délicieuse fillette qui adore et admire son père. Sa mère, la femme qui dit un mot pour l’autre, Gina, de condition modeste, joue à la bourgeoise en employant des mots qu’elle ne connaît pas et qu’elle déforme. Mais si elle a bien des travers, le mensonge et une conscience peu chatouilleuse, Gina est sincère dans son dévouement et son amour envers son mari.
Le pleutre grotesque, paresseux et de faible intelligence, qui se prend pour un génie et fait travailler sa femme et sa fille, c’est Hjalmar. Le lieutenant en képi est le vieil Ekdal, le grand père de Hedvig. Personnage pathétique, sénile, alcoolique, il considère le grenier comme une forêt et un terrain de chasse. Il a été officier, grand chasseur, mais il est déshonoré et ruiné après avoir été grugé par Werle, grand bourgeois, richissime propriétaire d’usines. Enfin, n’oublions pas le fils Werle, Gregers, un imbécile puritain, exalté, qui va mettre le feu au ménage des Ekdal sous prétexte de purification, à la recherche de la vérité absolue qu'il appelle "la créance idéale".

Hedvig Ibsen* de Grandjean (1840)

Voilà les personnages d’Ibsen et, jamais, le dramaturge n’a été aussi noir et aussi pessimiste. On sent en lui un mépris de la nature humaine, une féroce ironie envers ces  personnages qui sont des imbéciles, dangereux pour Gregers, et tout aussi condamnable pour Hjalmar suffisant, égoïste et veule, deux personnages pour qui le spectateur ne peut éprouver que de la répulsion. Enfin, c'est ce que j'ai éprouvé à la première lecture car je comprends que les personnages sont plus complexes et qu'ils portent en eux, l'un la faute de son père, l'autre le déshonneur du sien. Ils ont besoin de se mentir à eux-mêmes pour vivre, Gregers en se croyant investi d'une mission, Hjalmar en pensant être un génial inventeur.
 Le docteur Reilling, leur voisin, affirme d'ailleurs: "Si vous retirez le mensonge de la vie de personnes ordinaires, vous leur retirez en même temps le bonheur ».

Le reste de la compagnie est en grande partie composée d’égoïstes, de débauchés, de jouisseurs sans âme. Mais la tendresse d’Ibsen se réveille quand il parle de la petite  Hedvig, la seule capable d’aimer autrui plus qu’elle-même, la seule qui ne mente pas,  qui ne triche pas avec elle-même. La cane sauvage blessée par les chasseurs qu’elle a recueillie dans le grenier est la représentation symbolique de Hedvig. Un oiseau sauvage qui ne sait pas feindre et qui ne peut être que la victime du monde qui l’entoure.
 
La cane sauvage mise en scène au Théâtre de la Colline en 2014
Le grenier où l'on élève des poules et des lapins, devenu forêt profonde dans le fantasme du grand père mais aussi de toute la famille, est un lieu de rêve, un échappatoire à la vie réelle, mensonge nécessaire au bonheur de la famille, "le mensonge vital". Il peut être aussi interprété par la psychanalyse comme les replis profonds de la conscience, la part obscure de l'être humain, le ça.
On a beaucoup glosé aussi sur la signification érotique du canard et oui! Manque de chance c'est d'une cane qu'il s'agit (voir ci-dessous)
  Une pièce étrange, déroutante, et qui pourtant émeut!

Le titre français retenu traditionnellement est : Le canard sauvage. Dans son analyse de la pièce, Régis Boyer explique que cette traduction est erronée. Ibsen joue en effet, en norvégien, sur l'article indéfini en employant parfois le neutre lorsqu'il s'agit de l'animal, parfois le féminin pour signifier la similitude avec la fillette. Il ne peut donc s'agir que d'une cane.

* Hedvig Ibsen, la soeur de Henrik, donne son nom à la petite Hedvig de La cane sauvage. Elle a huit ans dans le tableau peint par Grandjean.



lundi 14 mars 2016

Corinne Wargnier : C'est ainsi que la vie s'est arrêtée



C’est ainsi que la vie s’est arrêtée de Corinne Wargnier est un roman à l’atmosphère étonnante. Le lecteur a l’impression de pénétrer dans un no man’s land, un endroit entre parenthèses ou vivent ou plutôt végètent des personnages réunis dans la pension de famille de Tessa. Pourquoi sont-ils là? En vacances? et pourquoi dans cette ville dont le nom a un consonance italienne mais qui semble située nulle part, un lieu morne, sans beauté, englué dans l’immobilisme, noyé dans la poussière, accablé par la chaleur. Le lecteur plonge dans un monde qui semble devoir beaucoup à ce sentiment de l’absurdité de la vie que l’on retrouve chez Beckett, Buzzati ou le Camus de L’étranger. Le récit m’a paru aux premiers abords très (trop?) classique et je me suis dit que tout allait dépendre de la manière dont il était traité. Je vous rassure tout de suite, je l’ai aimé, je me suis laissé emporter progressivement par toutes ces tranches de vie, ces personnages de chair et de sang qui se débattent face à la solitude, la peur de vieillir, face au deuil des êtres qu’ils ont aimés,  de leur jeunesse, de leur amour, de leurs espoirs.

Le roman présente deux parties : La première Chez Tessa enferme les voyageurs dans le huis clos de la pension avec juste quelques échappées dans le jardin ou vers la ville mais qui ne sont en rien libératrices. L’attente s’installe : il s’agit d’aller voir la mer mais la sortie est sans cesse différée par la nécessité de réparer le minibus qui doit les y amener.
Peu à peu nous nous intéressons à ces personnages dont certains sont attachants avec leurs tourments, les souffrances, leur passé qui se révèlent à nous  : ainsi Armand Faulkner, vieil acteur vieillissant dont la carrière décline, qui dresse un bilan de sa vie; Lucie, la jolie jeune femme brune en mal d’amour, Alix engagée dans une liaison adultère et son amant Mattias, les Wright, couple bizarre et pathétique, et Tessa, courageuse et secrète.
Les personnages apparaissent selon des points de vue différents, chacun d’entre eux observant l’autre,  étranges dans un univers où le sens se dissout ou le temps est suspendu. La plus étonnante et la plus lucide de ces observations est celle de Gab (Gabryel, le fils de Tessa), simple d’esprit. Le monde représente pour lui une énigme indéchiffrable. Ainsi l’absurdité du comportement humain est soulignée, non sans ironie, par celui qui n’est pas considéré comme «normal » :  « Au début j’étais étonné. Mais maintenant je suis habitué. Et en réfléchissant bien, je me dis que c’est dans l’ordre des choses. Parce que les gens sont bizarres et souvent incompréhensibles. »

Ce n’est pas surprenant, donc, que le roman se termine, dans l'épilogue, par les mots émouvants de Gab  : « C’est ainsi que la vie s’est arrêtée qui donne son titre au roman.

Dans la seconde partie du roman, La route de l’océan, les personnages partent enfin à la découverte de cette mer toute proche -nous dit-on- et pourtant si lointaine. Le lecteur pourrait attendre une libération, un souffle bénéfique, une respiration joyeuse. Mais il n’en est rien! J’ai même eu l’impression au niveau de l’intérêt du roman que l’histoire piétinait. Impression passagère! Au contraire, dans une sorte de crescendo, l’écrivaine nous mène sûrement, au cours de ce voyage dans lequel les tensions s’exacerbent, vers un dénouement inattendu, une fin tragique qui procure un sentiment de tristesse mais qui, curieusement, donne un sens à ces vies.

L’écriture de Corinne Wargnier, précise, élégante, crée une sensation d’accablement liée à tous les sens, la chaleur écrasante, la sueur, l’étouffement, la brûlure du soleil, l’aveuglement de la lumière. J’ai beaucoup aimé cette auteure et sa maîtrise dans la manière de conduire le récit en apparence immobile mais qui va son chemin et finit par nous surprendre et nous secouer, libérant l’émotion qui est en nous.

Je mets ce roman en livre en voyageur. Cela vous permettra de le découvrir ainsi que cette jeune édition Sur le Fil qui vient d’ouvrir ses portes en 2015 près de Toulon.Voir ICI