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lundi 8 mars 2010

Lucia Etxebarria : Tout le monde a droit au bonheur...



C'est à la lumière de  l'actualité récente en Vendée que je relis cette  phrase :

Tout le monde a droit au bonheur, sauf peut-être les néonazis, les skinheads et les spéculateurs immobiliers*
*Lucia Etxebarria  : Je ne souffrirai plus par amour

vendredi 19 février 2010

Jules Supervielle : Le village sur les flots

La vague de Katshushika Hokusaï


Dans la poésie de Jules Supervielle, un thème récurrent très beau et très nostalgique à la fois, contient une dimension tragique qui me touche beaucoup : l'homme est capable d'engendrer par la pensée, l'imagination, la rêverie ou le désir, un univers qui va désormais prendre forme hors de lui, doué de vie et pourtant hors de l'existence, prisonnier à jamais de l'esprit qui l'a créé et qui finit par l'oublier.
Cet homme, c'est aussi le Poète dont Supervielle décrit ainsi le pouvoir :

"Alors que la fée a besoin d'une baguette, le magicien de quelque objet enchanté, il suffit au poète des mots qu'il a dans sa tête pour s'offrir tout ce qui lui manque. Lui faut-il un diamant? Il prend le plus beau. Une tempête? C'est la plus terrible. Un tapis volant? Il sera volant?"* .

Le poète est donc un Créateur tout puissant qui façonne l'Univers, mais, ce faisant, il se conduit en Dieu terrible, abandonnant ses créatures à leur destin, en proie à la déréliction, tragique reflet de la condition humaine.
C'est peut-être ainsi que l'on peut interpréter le poème "Le Village sur les flots" et le conte "L'enfant de la Haute mer".

Le village sur les flots

Je frôlais un jour un village
Naufragé au fil de vos eaux
Qui venait humer d'âge en âge
Les maisons de face et de dos,
Villages sans rues ni clocher,
Sans drapeau, ni linge à sécher,
Et tout entier si plein de songe
Que l'on eût dit le front d'une ombre.
Des maisons à queue de poisson
Formaient ce village-sirène
Où le lierre et le liseron
s'épuisaient en volutes vaines.
Parfois une étoile inquiète
Violente au grand jour approchait,
Et plus violent s'en allait
Dans sa chevelure défaite.
Un écolier taché d'embruns
Portant sous le bras un cartable
jetait un regard outrebrun
Sur les hautes vagues de fable.
Un enfant de l'éternité,
Cher aux solitudes célestes
Plein d'écume et de vérité
Un clair enfant long et modeste.
Dans ce village sans tombeaux,
Sans ramages ni pâturages
Donnant de tous côtés sur l'eau,
Village où l'âme faisait rage,
Et qui, ramassé sur la mer,
Attendait une grande voile
Pour voguer enfin vers la terre
Où fument les autres villages.

Gravitations


Illustration de Jacqueline Duhême (détail)




L'enfant de la haute mer (extrait)

Comment s'était formée cette rue flottante? Quels marins, avec l'aide de quels architectes, l'avaient construite dans le haut Atlantique à la surface de la mer, au-dessus d'un gouffre de six mille mètres.
Et cette enfant de douze ans si seule qui passait en sabots d'un pas sûr dans la rue liquide comme si elle marchait sur la terre ferme?
Parfois l'enfant éprouvait un désir très insistant d'écrire certaines phrases. Elle le faisait avec une grande application.
En voici quelques unes, entre beaucoup d'autres :
- Partageons ceci, voulez-vous?
- Ecoutez-moi bien. Asseyez-vous, ne bougez pas, je vous en supplie!
- Ecume, écume autour de moi, ne finiras-tu pas par devenir quelque chose de dur?
- Pour faire une ronde, il faut au moins être trois.
Marins, qui rêvez en haute mer, les coudes appuyés sur la lisse, craignez de penser longtemps à un visage aimé. Vous risqueriez de donner naissance, dans les lieux essentiellement désertiques, à un être doué de toute la sensibilité humaine et qui ne peut pas vivre ni mourir, ni aimer, et souffre pourtant comme s'il vivait, aimait et se trouvait toujours sur le point de mourir....

* cité par Claude Roy Jules Supervielle Poètes d'Aujourd'hui Seghers
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mercredi 3 février 2010

Pour célébrer l’hiver… avec Guy.Charles Cros, René Char, Anne Hébert, Pierre Reverdy, Yonomoto Kikaku ,

 
Sisley


On s'éveille
du coton dans les oreilles
une petite angoisse douce
autour du cœur, comme mousse
c'est la neige,
l'hiver blanc
sur ses semelles de liège
qui nous a surpris, dormant.
                                       
Guy-Charles Cros : matin d'hiver dans Poésies au coeur

Sur mon chapeau
la neige me paraît légère
Car elle est mienne

    Yonomoto Kikaku : poésie japonaise classique




Il neige
Sur mon toit et sur les arbres
Le mur et le jardin sont blancs
Et le sentier noir
Et la maison s'est écroulée  sans bruit
Il neige
Pierre Reverdy  Souffle dans Le Cadran quadrillé




La neige nous met en magie
Blancheur étale
Plumes gonflées
Où perce l’œil rouge de cet oiseau.

Mon coeur; Trait de feu
sous des palmes de gel
File le sang qui s'émerveille
                               Anne Hébert : Neige dans Mystère de la parole




J’ai été élevé parmi les feux de bois, au bord de braises qui ne finissaient pas cendres. Dans mon dos l’horizon tournant d’une vitre safranée réconciliait le plumet brun des roseaux avec le marais placide. L’hiver favorisait mon sort. Les bûches tombaient sur cet ordre fragile maintenu en suspens par l’alliance de l’absurde et de l’amour. Tantôt m’était soufflé au visage l’embrasement, tantôt une âcre fumée. Le héros malade me souriait de son lit lorsqu’il ne tenait pas clos ses yeux pour souffrir. Auprès de lui, ai-je appris à rester silencieux ? À ne pas barrer la route à la chaleur grise ? À confier le bois de mon cœur à la flamme qui le conduirait à des étincelles ignorées des enclaves de l’avenir ? Les dates sont effacées et je ne connais pas les convulsions du compromis.
                      
René Char : Sept saisis par l’hiver dans Chants de la Balandrane

lundi 4 janvier 2010

Littérature et Portugal : Sophia de Mello Breyner, Malgré les Ruines et la Mort





Ces poèmes sont extraits de l'anthologie Malgré les Ruines et la Mort  de Sophia Mello de Breyner parue aux Editions de la Différence.

 La poésie de Sophia de Mello Breyner est une poésie de part en part élémentaire. Même quand elle se fait méditation sur le temps et l'exil, cette poésie conserve -et peut-être la renforce-t-elle d'une certaine façon- sa relation privilégiée à la mer, à la vague, à la roche, au buccin, au vent, au soleil, à la lumière, au sable, à la terre, aux arbres. Même quand elle s'en éloignera pour tenter de rejoindre les humains dans les maisons qui les protègent au milieu des villes qui les cernent et les menacent, ce monde élémentaire restera présent. Comme un repère. Comme le repère. (Christophe David, Le Matricule des Anges, mars 1997.

Voir ici



Salvador Dali (1918)


Mer

De tous les lieux du monde
J'aime d'un amour plus fort et plus profond
Cette plage-là, extasiée et nue,
Ou j'épousais la mer, le vent, la lune.

Malgré les ruines et la mort...
 Malgré les ruines et la mort
Où s'acheva toujours chaque illusion,
La force de mes rêves est si forte
Que de tout renaît l'exaltation
Et mes mains jamais ne restent vides.

J'ai crié mon nom...
 J'ai crié mon nom quand la mer chantait
J'ai crié mon nom  quand coulaient les sources
J'ai crié mon nom quand les héros mouraient
Et en chaque être je me suis retrouvée.



Sophia de Mello Breyner (1919-2004): Malgré les ruines et la mort choix de poèmes traduits du portugais par Joaquim Vital Edit. De la Différence  ( 615 p.) parution en 2000


Sophia de Mello Breyner est née à Porto d'une famille aristocratique, engagée politiquement à gauche. Auteur de poésies, Méditerranée, Malgré les Ruines et la Mort, Navigations, elle est aussi l'auteur de  nouvelles : Histoires de la terre et de la mer, et contes pour enfants : Le garçon de bronze, la Petite fille de la mer, la fée Oriane, la Forêt...

vendredi 1 janvier 2010

Janvier 2010 : Bonne année!


J'ai choisi, pour vous présenter mes voeux, une photo évocatrice du printemps  et ceci pour faire un pied de nez à l'hiver et aux intempéries. Oui, je sais! c'est un peu fleur bleue mais qu'importe : Bonne année à tous!

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Lin bleu de Lozère

lundi 21 décembre 2009

Pour dire au revoir à l’automne : Robert Vivier/ Guillaume Apollinaire/


Lozère :  col du Villaret


Pour dire au revoir à l'automne, quelques photos, quelques poèmes...


Pluie en forêt

Dans la forêt animale la pluie

Comme un souffle de naseaux tièdes, comme

Une buée au poil roux des taillis

Où sautent les renards d'automne


La pluie aux dix mille pas solitaires,

Longue de jambe et de prunelle, vient

Apprivoisée, marquant d'étincelles la terre,

Brouter l'odeur de l'homme dans nos mains.*

Robert Vivier


*Robert Vivier est né en Belgique en 1894. Il fut professeur à l'université de Lièges. Il a publié plusieurs recueils Le Ménétrier, Déchirures, Au bord du temps... Un recueil Poésie réunit  ses oeuvres de 1924 à 1959. (Cité par Pierre Seghers dans Le Livre d'or de la poésie française )

Lozère : le Villaret


L'Adieu

J'ai cueilli ce brin de bruyère

L'automne est morte souviens-t'en

Nous ne nous verrons plus sur terre

Odeur du temps brin de bruyère

Et souviens-toi que je t'attends

                de Guillaume Appolinaire





dimanche 29 novembre 2009

De retour de Porto : Brassée d'images



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De retour de Porto

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La cathédrale : La Sé
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Le cloître de la Sé

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azulejos du cloître  (détail)

jeudi 5 novembre 2009

Mary Ann Shaffer et Anny Barrows: Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates






Le titre seul, Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates par son originalité et sa fantaisie donne envie de lire le livre et, lorsque c'est fait, l'on se dit qu'effectivement il résume bien le roman toujours entre humour et sérieux, sourire et nostalgie.
Nous sommes à la fin de la guerre en 1946. Juliet, jeune écrivain en quête d'un sujet, reçoit une lettre d'un habitant de Guernesey. Il lui parle du cercle littéraire que ses amis et lui ont créé pendant la guerre pour justifier leur sortie après le couvre-feu, suite à une soirée passée à manger un cochon rôti et de la tourte aux épluchures de patates. Guernesey subit, en effet, l'occupation nazie, les denrées sont rares, les allemands réservant à leur troupe toute la production alimentaire de l'île et il est sévèrement interdit de détourner de la nourriture. Ce qui a débuté par nécessité devient bientôt une réalité. Ceux qui lisent déjà comme ceux qui n'ont jamais ouvert un livre doivent s'y mettre et, de fil en aiguille, ces amateurs d'épluchures de patates deviennent amoureux de la littérature. L'on verra comme cet amour va transformer la vie de chacun, les révéler à eux-mêmes.
Entre eux et Juliet s'établit un échange de lettres qui lui permet (et à nous aussi, lecteurs, car il s'agit d'un roman épistolaire) de découvrir des personnages attachants et inattendus, des situations drôles voire cocasses mais aussi, sous l'humour toujours présent, la gravité de la guerre et de l'occupation qui ont amené souffrances, privations, séparations et morts.
Lorsque Juliet décide de faire de ses correspondants, le sujet de son roman et de leur rendre visite à Guernesey, elle ne sait pas encore qu'elle va découvrir là-bas un sens à sa vie.
J'ai éprouvé beaucoup de plaisir à lire Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates. Ce n'est pas un roman qui va révolutionner la littérature! On peut le juger trop simple, trop gentil, trop optimiste quant à la nature humaine mais l'on y sent une véritable tendresse envers les hommes et les femmes qui le peuplent et ceci malgré leurs défauts et leurs faiblesses; l'on y apprend beaucoup sur Guernesey et sur la période tragique de son histoire. Celle-ci nous mène au fond de l'abîme, dans un camp de concentration où meurt Elizabeth, le personnage principal du roman, dont tous attendent en vain le retour. Mais ce que j'ai préféré est la façon dont ces personnes, de toutes les classes sociales, autodidactes ou non, parlent des auteurs qu'ils ont découverts; non d'une manière savante et académique mais un peu comme des amis qui traverseraient leur vie et les dérangeraient dans leurs habitudes, ce qui est d'ailleurs souvent amusant; non d'une manière théorique ou pédante mais à travers le prisme de leur propre savoir, de leur expérience quotidienne. Car il me semble que c'était là le principal écueil à éviter, ce que n'avait pas su faire, à mon avis, Muriel Barbery dans L'élégance du hérisson avec le personnage de la concierge qui pensait comme un prof de littérature et n'avait rien d'une autodidacte.
Il n'y a pas de doute, si Mary Ann Shaffer et Anny Barrows aiment les gens, elles sont aussi éprises de littérature et savent communiquer cet amour. Voilà qui les rend agréables à fréquenter, ne serait-ce que le temps de ce livre drôle et attachant.
Vous pouvez lire la critique de ce roman par Dominique dans le blog A Sauts et à Gambades .
Je retiens la  jolie formule  qu'elle emploie pour qualifier ce type d'ouvrage :  un  livre friandise 
"Il y a les livres chef-d’oeuvres, les livres marquants, les livres érudits, les livres phares et puis il y a les livres friandises."


Mary Ann Shaffer et Annie Barrows : Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates traduit de l'américain par Aline Azoulay édit. Nil  mars 2009 (p;391)

Voir article ici
Biographie de l'auteur par l'éditeur  : Mary Ann Shaffer est née en 1934 en Virginie-Occidentale. C'est lors d'un séjour à Londres, en 1976, qu'elle commence à s'intéresser à Guernesey. Sur un coup de tête, elle prend l'avion pour gagner cette petite île oubliée où elle reste coincée à cause d'un épais brouillard. Elle se plonge alors dans un ouvrage sur Jersey qu'elle dévore : ainsi naît fascination pour les îles anglo-normandes. Des années plus tard, encouragée à écrire un livre par son propre cercle littéraire, Mary Ann Shaffer pense naturellement à Guernesey. Le Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates est son premier roman, écrit avec sa nièce, Annie Barrows, elle-même auteur de livres pour enfants. Mary Ann Shaffer est malheureusement décédée en février 2008 peu de temps après avoir su que son livre allait être publié et traduit en plusieurs langues.

vendredi 16 octobre 2009

Lozère : Mois d’Octobre 2009



Au mois d'Octobre, j'étais là-bas ...

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Vue de ma fenêtre, début Octobre
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Vue de ma fenêtre, fin octobre

lundi 28 septembre 2009

Frédérique Hébrard : La Chambre de Goethe




La chambre de Goethe est un roman sur l'enfance, celle d'une petite fille que tout le monde appelle Riquette. C'est sur le quai de la gare de Montauban, en 1980, que Frédérique Hébrard, âgée, évoque ses souvenirs pour faire l'inventaire de ce que l'on appelle les raisons de vivre.

Une enfance pas tout à fait comme les autres puisqu'elle se déroule en 1939 et que le père de la fillette n'est autre que André Chamson, écrivain cévenol, auteur entre autres de Roux le bandit, Le chiffre de nos jours. De plus les amis de ses parents se nomment Roger Martin du Gard, Jean Lurçat, Paulhan, André Malraux, Tristan Tzara, André Gide, André Wurmser, Jean Guéhenno... et j'en passe. Voilà déjà de quoi avoir une enfance exceptionnelle. Ce qui donne lieu a des descriptions pleines d'humour du point de vue de la petite fille :
J'ai de la chance, je dispose de gentilles grandes personnes. Les écrivains sont agréables. Ils ne ressemblent pas aux parents de mes camarades. Même quand ils sont très vieux, ils aiment s'asseoir sur la moquette."
ou
Il y avait aussi Gaston Gallimard, un petit gros qui n'avait pas l'air bête.." et encore "Saint Exupéry, mon premier aviateur"

Mais ce n'est pas tout. Son père, André Chamson est conservateur des Musées Nationaux, sa mère archiviste et bibliothècaire du Louvres, à une époque où la préoccupation première est de sauvegarder les collections des grands musées français en les évacuant dans le sud de la France. La fillette est d'abord expédiée à Nîmes chez sa "mémé parpaillote" où elle fera ses études, puis elle suit ses parents selon les déplacements des oeuvres, de château en château. Et c'est alors l'aventure de l'Art, souvent inattendue, étrange. Ainsi les Chamson arrivent au chevet de leur fille opérée d'urgence avec deux Poussin et un Tintoret dans leur musette, le tableau Les Noces de Cana transporté en camionnette manque brûler dans un virage. Dans l'appartement de ses parents, Jean Lurçat déroule sa tapisserie intitulée La Liberté. Dans la chapelle de Loc-Dieu, le conservateur des peintures du Louvres ouvre une grande boîte capitonnée de rouge et présente aux enfants émerveillés, un sourire de femme qui émerge de l'ombre...
La Joconde
Même les plus petits l'avaient reconnue. Son nom chuchoté avait quelque chose de magique. Elle va bien, dit-il avec tendresse, et il referma la boîte aussi doucement qu'il l'avait ouverte.
Et puis c'est Montauban où les trésors du Louvres trouvent refuge au Musée Ingres, c'est  l'aménagement de la famille dans un vieil appartement qui garde des traces de sa somptuosité passée :  dans une pièce, un vrai Ingres au mur et un piano droit sur lequel repose une partition de Schumann, pièce que son père appelle La Chambre de Goethe. A cette occasion, l'enfant découvre l'universalité de la littérature et de l'Art au-delà de l'appartenance nationale et des violences des hommes.
Ainsi malgré les horreurs de la guerre, la disparition de personnes aimées, la peur, l'exil, les privations, la fillette tout en devenant adulte apprend l'espoir d'un monde libre, d'un monde débarrassé du Mal.
Ce doit être cette nuit-là que je contractai l'espoir. Comme on contracte une maladie. Incurable.

dimanche 20 septembre 2009

Jules Supervielle : oiseau des Iles outreciel


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 Sans titre de 2F

Toutes les brebis de la lune
Tourbillonnent vers ma prairie
Et tous les poissons de la lune
Plongent loin dans ma rêverie.
*
Toutes ses barques, ses rameurs
Entourent ma table et ma lampe
Haussant vers moi des fruits qui trempent
Dans le vertige et la douleur.
*
Jusqu'aux astres indéfinis
Qu'il fait humain, ô destinée!
L'univers même s'établit
Sur des colonnes étonnées.
*
Oiseau des Iles outreciel
Avec tes nuageuses plumes
Qui sais dans ton coeur archipel
Si nous serons et si nous fûmes,
*
Toi qui mouillas un jour tes pieds
Où le bleu des nuits a sa source,
Et prends le soleil dans ton bec
Quand tu le trouves sur ta course,
*
La terre lourde se souvient,
Oiseau d'un monde aérien (...)
Gravitations  Une étoile tire de l'arc (Extrait)

mercredi 16 septembre 2009

Jean Teulé : Mangez-le si vous voulez




J'ai été attirée par le nouveau roman de Jean Teulé, Mangez-le si vous voulez, parce qu'il se passe dans une région que j'aime bien, le Périgord et plus exactement au village de Hautefaye. Mais quelle histoire! Et authentique, en plus, bien que l'on ait de la peine à le croire.
Nous sommes le 16 août 1870 et Alain de Moneys, fils de notable, adjoint au maire, se rend à la foire de Hautefaye. il a refusé d'échanger le mauvais numéro qu'il a tiré à la conscription comme le font d'habitude les conscrits de bonne famille et doit partir à la guerre contre la Prusse dans les jours qui suivent. Il entretient de bonnes relations avec la population et tout le monde le connaît et l'apprécie. Ce qui va suivre est donc inimaginable.
Pour venir en aide à un de ses cousins, Camille de Maillard, que la foule accuse  injustement d'être un mauvais patriote, et tout  à fait sûr que nul ne pourra le suspecter, il a cette parole malheureuse :
..je connais assez Maillard pour être bien sûr qu'il est impossible qu'un tel cri sorte de sa bouche :"vive la Prusse"... Pourquoi pas "A bas la France!"
Que n'a-t-il pas dit! Aussitôt la foule le prend à partie, le giffle, l'insulte, des visages haineux l'entourent. Personne ne semble reconnaître. Tous voient en lui un ennemi de la France, voire un prussien introduit dans la bergerie. Une hystérie collective  et meurtrière s'empare de tous. La tension monte, la fureur et la colère n'ont plus de bornes. On le frappe, on le larde de coups de couteaux, on le torture, on l'ampute, on le fait griller encore vivant et on le mange!
Jean Teulé s'est emparé de ce lointain fait divers et a reconstitué la scène d'après les articles parus dans les journaux, les interrogatoires menés auprès des suspects et  dans tout  le village, les Minutes des procès et les condamnations prononcées par la cour d'assises de la Dordogne. Il a lu aussi toutes les études déjà consacrées à cette affaire. C'est donc un travail très documenté et  rigoureux quant à la vérité historique. Le reste - car il s'agit d'un roman -  est laissé à l'imagination de l'écrivain.

Je n'ai pas aimé le style de Jean Teulé et la manière dont il raconte cette histoire avec une désinvolture un peu familière, des effets de style, des jeux de mots, qui me paraissent déplacés et assez irritants.
Sa tête est devenue un globe de sang où, dans l'oeil gauche, rit la mort songeuse.
Les coups de sabot claquent dans les planches. Il pleut, il pleut bergère... 
Pourtant, je reconnais qu'un style plus "sage" ne conviendrait pas à un tel sujet. Comment raconter l'irracontable?
Le roman, à mon avis, ne s'élève pas au-dessus du fait divers. Les personnages n'existent pas, n'ont pas de densité. Pourtant, au-delà de l'anecdote, l'histoire a le mérite de montrer le mécanisme de la montée de la violence et la psychologie des foules : comment des individus ordinaires jusque-là sans histoire ont-ils pu être pris dans un engrenage insensé? comment ont-ils été conduits à la folie, à des actes aussi barbares.
-Nous avons viré fous, déclare Buisson. De Moneys, bien sûr que c'était un brave garçon!
 -Moi, quand il était dans la braise, j'ai distingué un marcassin.. Lamongie a perçu un oiseau. Liquoine a dit : "on dirait Belzébuth. Sa langue est jaune.
Le récit suscite en nous plus qu'une inquiétude quant à la nature humaine : ne sommes-nous pas tous des barbares que seules les lois, le carcan de la morale, les punitions, la prison, la crainte, maintiennent  dans le droit chemin? Anéanties les idées philosophiques à La Rousseau, le mythe du  "bon sauvage", la croyance en la bonté de l'homme laissés à l'état de nature.

Ces interrogations sur la nature humaine soulevées par le roman de Jean Teulé, je me les pose souvent, en particulier quand je lis les livres consacrés aux crimes nazis (voir texte). Comment des êtres apparemment normaux, bons pères de famille, bons chrétiens, ont-ils été amenés à de tels crimes? L'histoire du nazisme c'est celle de la violence de Hautefaye à l'échelle d'une nation, démultipliée, portée à une puissance infinie.

samedi 12 septembre 2009

Archives du festival d’Avignon : Un Feydeau contemporain 1998

Archives du festival d’Avignon



Dans cette rubrique : Archives du festival d'Avignon, j'ai décidé de publier, de temps en temps, quelques critiques que j'avais écrites pour le journal La Provence lors des années précédentes. Je ne garderai que les spectacles que j'ai vraiment appréciés, histoire de me rappeler et de vous faire partager de bons souvenirs théâtraux. J'y ajouterai, s'il y a lieu, les remarques personnelles que je n'avais pas pu publier alors, faute de place.

Un  Feydeau contemporain est l'article paru dans La Provence  le 20 Juillet 1998 sur les deux pièces de Feydeau : Mais ne te promène donc pas toute nue! et Feu la mère de Madame. Le spectacle intitulé Feydeau'Feydeau mis en scène par Serge Added était programmé par la Région Champagne Ardennes à la  Caserne des Pompiers. Pour moi, qui n'aimais pas trop cet auteur -du moins je le croyais car je l'avais toujours vu monter d'une manière superficielle qui mettait en valeur un comique un peu vulgaire- ce fut une révélation. Je ne m'étais jamais rendu compte combien son théâtre pouvait être cruel, en particulier en ce qui concerne les rapports entre hommes et des femmes, voués à l'incompréhension.





lundi 24 août 2009

David Lodge : Pensées secrètes


L'action de Pensées secrètes se déroule dans le cadre de l'université fictive de Gloucester créée par David Lodge pour servir de cadre à ses personnages.
Dans Pensées secrètes un nouveau professeur de création littéraire, Helen Reed, elle-même romancière, arrive à l'université de Gloucester pour remplacer le titulaire du poste, le professeur Marsden qui, après avoir assuré le premier semestre, est parti en congé sabbatique. Helen vit à Londres, a deux enfants adultes et a besoin d'un changement dans sa vie. Son mari Martin est mort, il y a un an, et elle n'arrive pas à surmonter son chagrin. Elle fait ainsi connaissance de Raph Messenger, brillant professeur de sciences cognitives, mariée à Carrie qui possède une fortune personnelle et, à ce titre, un pouvoir certain sur son mari. Assez antipathique et même parfois carrément odieux, grand amateur de femmes, Messenger n'en est pas à sa première infidélité et n'a de cesse de mettre Helen dans son lit. D'éducation catholique, Helen est sensible au charme du séducteur quinquagénaire mais elle refuse l'adultère. Deux découvertes la feront changer d'avis : le roman que lui donne à lire une de ces étudiantes, Sandra Pickering, dont le comportement assez mystérieux l'a intriguée et le fait que Carie ait elle-même un amant. Telle est la trame de l'histoire réduite ici à son squelette autour de laquelle se greffent les agissements et les pensées des nombreux personnages qui vivent en vase clos sur ce campus et forment un microcosme complexe que l'auteur, comme un entomologiste, a tout loisir d'étudier voire de disséquer.
J'ai trouvé le thème principal du roman très intéressant. Il porte sur le débat philosophique et scientifique concernant la conscience et les différentes théories qui opposent les spécialistes entre eux selon leur appartenance à un courant de pensée. La science, à l'heure actuelle, s'intéresse en effet, à l'étude du cerveau jusqu'alors la partie de notre corps la plus méconnue, pour chercher à expliquer ce qui fait la conscience.
Nous savons que l'esprit ne relève pas de quelque univers  immatériel, surnaturel, le fantôme dans la machine. Mais alors de quoi est-il fait? Comment expliquez-vous le phénomène de la conscience? S'agit-il seulement d'activité électrochimique du cerveau? De la décharge de neurones, de neurotransmetteurs libérés par les synapses? (Raph Messenger)
Ainsi, de nos jours, les progrès techniques, grâce au scanner, à l'IRM, permettent de repérer les zones du cerveau qui sont concernées par telle ou telle émotion. Mais comment cela se traduit-il en pensée se demande Ralph Messenger qui est persuadé que la science cognitive parviendra à le découvrir. Le cerveau n'est-il pas, en effet, semblable à un ordinateur à traitement parallèle qui met en même temps tous ses programmes en fonction? Le but des scientifiques est donc de parvenir à mettre au point un ordinateur capable de penser comme un être humain.
L'habileté de David Lodge est d'exposer ces théories complexes et ardues en les mettant à notre portée de manière à les rendre non seulement compréhensibles mais aussi passionnantes . Helen Reed joue ici le rôle du Candide à qui Messenger expose ses théories et fait découvrir les expériences en cours. En opposant Messenger à Helen Reed, le scientifique à la romancière, l'athée matérialiste à la catholique en proie au doute, David Lodge fait coup double. Si d'un point de vue scientifique il remet en cause le concept de l'âme immortelle  (Y-a-t-il un fantôme dans la machine?) et de la dualité du corps et de l'esprit, il dénonce aussi la prétention des scientifiques qui sont loin d'avoir percé les mystères de la conscience car chaque individu est unique. En laissant le "mot de la fin " à Helen , il donne le point de vue de l'écrivain. Et si l'Homme finalement n'était pas une machine? La littérature, en fin de compte, n'est-elle pas allée plus loin jusqu'à maintenant que la science dans l'analyse de la conscience, de son cheminement obscur et de ses motivations secrètes?
Sans doute ai-je toujours cru que la conscience était le problème de l'art, particulièrement de la littérature, et plus particulièrement du roman.(...) Au fond je suis assez contrariée à l'idée que la science vienne fourrer son nez dans cette affaire, mon affaire à moi. Ne s'est-elle pas déjà approprié une part suffisante de la réalité? Doit-elle aussi avoir des prétentions sur l'essence intangible, invisible de la personne humaine? (Helen Reed)
La construction du roman assez complexe fait alterner les points de vue, celui de Messenger et de Reed  mais aussi d'un narrateur omniscient si bien que certaines scènes sont narrées plusieurs fois selon le ressenti de chacun. Nous pénétrons ainsi dans les pensées intimes de Ralph et de Helen par le biais des notes privées dictées par le scientifique et par le journal de la romancière, ce qui nous permet de connaître l'intérieur de leur conscience, privilège du romancier non du scientifique selon la démonstration de l'auteur! D'ailleurs, Ralph ne connaîtra les pensées secrètes de Helen qu'en violant son journal  et il ne sortira pas indemne de cette lecture puisqu'il y découvrira l'infidélité de sa femme. Je vois là l'ironie de David Lodge qui châtie ainsi son personnage  et ridiculise ses certitudes.
Autre plaisir du roman, les devoirs que donne Helen à ses étudiants sur le thème de la conscience : comment c'est d'être une chauve-souris?  ou sur Mary découvrant pour la première fois les couleurs. Ces travaux donnent lieu à des pastiches pleins d'humour imitant de grands écrivains.