Dans La bascule du souffle, Herta Müller*  écrit pour la première fois sur un sujet qui est resté longtemps tabou,  l'internement, en 1945, dans des camps de travaux forcés russes, des  hommes et des femmes appartenant à une minorité germanophone en  Roumanie, pays qui jusqu'à sa capitulation devant la Russie en 1944  a  soutenu l'Allemagne nazie.
Le personnage principal Léopold a dix sept ans. Il  est envoyé en Russie où il restera cinq ans. Ces camps n'ont rien à  envier aux camps de concentration nazis. Les conditions de travail à  l'usine sont terribles, les conditions de vie des ouvriers aussi. Les  prisonniers doivent survivre avec un ration de pain et deux soupes à  l'eau claire par jour. La faim fait des ravages dans leur rang. Les  internés souffrent des écarts de température excessifs entre l'hiver  glacial et l'été torride contre lesquels rien ne les protège. Ils sont  obligés de dépouiller les cadavres de leurs vêtements pour se protéger  du froid.  Le manque d'hygiène, les poux, les maladies, les accidents du  travail achèvent les autres.
Le récit est raconté à la première personne par  Léopold. L'homosexualité du jeune homme, à une époque où celle-ci  entraînait des peines sévères en Roumanie et la mort dans l'Allemagne  Hitlérienne, fait déjà de lui un être en marge, qui doit exercer un  contrôle continu sur lui-même. Dans le camp, pour se protéger, il refuse  tout sentiment, cherche à s'insensibiliser. Il ne pleurera que deux  fois : la première, le jour où il reçoit une carte de sa mère avec la  photographie d'un petit frère né après son départ; celui-ci semble  l'avoir remplacé dans le coeur de sa mère qui n'a aucun mot d'affection  pour lui.  Et la deuxième fois, le jour de son retour au pays.
Le moyen le plus sûr de survie pour Léopold est sa  manière de percevoir le monde. Les objets, la nature, les choses sont  doués de vie : sa pelle en forme de coeur est vivante, elle règne en maître. L'outil, c'est moi, elle collabore pour qu'il parvienne à pelleter, le ciment est fourbe,  il guette sa proie, prêt à l'ensevelir dans le silo au moindre faux  pas. La faim est omniprésente, elle se présente sous la forme d'un Ange.  L'Ange de la faim donne de mauvais conseils :  pourquoi ne pas lâcher prise..., il bouscule mon souffle. La bascule du souffle est un délire, et quel délire.  On doit résister à l'Ange de la faim, ne pas écouter ses propos  insidieux; on doit lui répondre même lorsque sa chair fond, que l'on  devient de plus en plus léger : Mais je ne suis pas ma chair. Je suis autre chose et je ne vais pas lâcher prise.
C'est ainsi que le style de Herta Müller transfigure  le réel, c'est ainsi que naît une poésie de l'horrible. J'ai été très  sensible à cette transposition, à cette façon de prêter vie aux choses  inanimées qui fait ressortir d'autant plus la déshumanisation des êtres  vivants qui ont pourtant une grandeur certaine dans leur refus  d'abandonner la lutte. Cependant, il y a une telle froideur dans le  personnage du fait qu'il crée volontairement une distanciation par  rapport à ce qu'il vit, que l'on se sent extérieur au récit. Nous sommes  placés en observateurs, nous sommes pénétrés par l'horreur du récit  mais jamais nous ne sommes partie prenante. C'est ce qu'a voulu  l'écrivain mais ce qui m'a manqué, à moi, lectrice,  ce sont l'émotion  et  l'empathie avec les personnages.
*Herta Müller est un écrivain d'origine roumaine appartenant à une minorité germanophone. Elle vit maintenant en Allemagne et a reçu le prix Nobel en 2009. Sa mère a été envoyée dans un camp de travail et c'est le poète roumain Oskar Pastior lui aussi déporté qui a fourni à l'écrivain les matériaux nécessaires pour écrire ce livre..
Merci à Dialogues croisés et aux éditions Gallimard

 
 
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