Dans le passage ci-dessous, extrait de Voyage au bout de la nuit,  j'ai toujours été frappée par les ressemblances existant entre Voltaire   et son Candide et Céline et son Bardamu lorsque ces deux personnages   sont précipités au milieu de la folie meurtrière des hommes.
Ce texte se situe en début du roman lorsque le héros,  Ferdinand Bardamu qui s'est engagé sur un coup de tête lors d'un défilé  militaire à Paris, se retrouve plongé brutalement dans l'horreur de la  première guerre mondiale. Le texte offre à la fois un bon aperçu du  style de Céline et aussi  l'essentiel de ses idées sur la guerre.
Moi d'abord la campagne, faut que je le dise tout de suite, j'ai jamais pu la sentir, je l'ai toujours trouvée triste, avec  ses bourbiers qui n'en finissent pas, ses maisons où les gens n'y sont  jamais, et ses chemins qui ne vont nulle part. Mais quand on y ajoute la  guerre en plus, c'est à pas y tenir. Le vent s'était levé, brutal, de  chaque côté des talus, les peupliers mêlaient leurs rafales de feuilles  aux petits bruits secs qui venaient de là-bas sur nous. Ces soldats  inconnus nous rataient sans cesse, mais tout en nous entourant de mille  morts, on s'en trouvait comme habillés. Je n'osais plus remuer.Ce colonel, c'était donc un monstre! A présent, j'en étais assuré, pire qu'un chien, il n'imaginait pas son trépas! Je conçus en même temps qu'il devait y en avoir beaucoup des comme lui dans notre armée, des braves, et puis tout autant sans doute dans l'armée d'en face. Qui savait combien, Un, deux, plusieurs millions peut-être en tout? Dès lors ma frousse devint panique. Avec des êtres semblables, cette imbécillité infernale pouvait continuer indéfiniment... Pourquoi s'arrêtaient-ils? Jamais je n'avais senti plus implacable la sentence des hommes et des choses.
Serais-je donc le seul lâche sur la terre? pensais-je. Et avec quel effroi!... Perdu parmi deux millions de fous héroïques et déchaînés et armés jusqu'aux cheveux? Avec casques, sans casques, sans chevaux, sur motos, hurlants,en autos, sifflant, tirailleurs, comploteurs, volant,à genoux, creusant, se défilant, caracolant dans les sentiers, pétaradant, enfermés sur la terre comme dans un cabanon, pour y tout détruire, Allemagne, France et continents, tout ce qui respire, détruire, plus enragés que les chiens, adorant leur rage (ce que les chiens ne font pas), cent, mille fois plus enragés que mille chiens et tellement plus vicieux! Nous étions jolis! Décidément, je le concevais, je m'étais embarqué dans une croisade apocalyptique.
On est puceau de l’Horreur comme on l’est de la volupté. Comment aurais-je pu me douter moi de cette horreur en quittant la place Clichy ? Qui aurait pu prévoir, avant d’entrer vraiment dans la guerre, tout ce que contenait la sale âme héroïque et fainéante des hommes ? A présent, j’étais pris dans cette fuite en masse, vers le meurtre en commun, vers le feu… Ça venait des profondeurs et c’était arrivé.
Voyage au bout de la nuit Louis Ferdinand Céline
Nous sommes en 1932 lorque paraît ce roman et l'on  comprend combien Céline a dû choquer à son époque puisqu'il continue à  rebuter plus d'un lecteur de nos jours! Et tout d'abord en s'annonçant  radicalement comme antimilitariste et antinationaliste. Dans les textes  de Céline et de Voltaire, l'on retrouve la même horreur partagée envers  l'inacceptable, le manque de sens de la guerre.  (Voir texte de Candide, à la fin de cet article)
La guerre, une imbécillité infernale
Dès le début, Céline s'attache à nous décrire L'imbécillité infernale de la guerre mais il va le faire d'une manière décalée en adoptant le point de vue de Bardamu qui, arrivant au Front et devant la terrible réalité de la guerre qu'il n'avait pu jusqu'alors qu'imaginer, s'écrie :
Moi d'abord la  campagne, faut que je le dise tout de suite, j'ai jamais pu la sentir
Il  y a décalage, en effet, entre l'horreur de la guerre et cette  déclaration de Bardamu, absurde, qui pourrait prêter à sourire si elle  n'était en antithèse avec le spectacle terrifiant qui se déroule devant  ses yeux. Cette plainte  dérisoire agit comme une litote  destinée à  donner plus de force aux propos de Céline contre la guerre. Bien vite,  l'on s'aperçoit que les termes employés pour décrire la  campagne  pourraient déjà s'appliquer à la guerre par leur connotation  péjorative  qui introduit les notions d'absence, de vide, de mort, triste, avec ses bourbiers , ses maisons où les gens n'y sont jamais.. et un manque de  sens  tragique: et ses  chemins  qui ne vont nulle part ..
Bardamu ressemble  par sa naïveté,  à un Candide parti comme  bien d'autres la fleur au fusil et déboulant en Enfer.
Les  trompettes, les fifres, les hautbois, les  tambours, les canons,   formaient une harmonie telle qu'il n'y en eut  jamais en enfer.  (Candide)
On peut aisément imaginer qui il est, à travers ce  texte, un jeune homme issu du peuple comme  le prouve le vocabulaire  familier qu'il emploie, l'absence de négation : j'ai jamais pu la sentir, c'est à pas y  tenir, l'omission des pronoms :   faut que je le  dise tout de suite,  un tout jeune homme  qui livre ses sentiments bruts et naïfs. Un  Candide donc qui ne savait pas ce qu'il faisait en s'enrôlant et qui le  découvre avec stupéfaction.  Et le sentiment de terreur incrédule qu'il  éprouve alors se traduit dans la syntaxe par une succession de phrases  interrogatives : Comment aurais-je  pu ...?  Qui aurait pu ...?,  par une série de conditionnels passés qui renvoie à une innocence déflorée (puceau de  l’Horreur) par des verbes qui expriment  tous l'ignorance :  me douter,   prévoir
Une épouvante que l'on ne peut imaginer si on ne l'a pas éprouvée d'où la métaphore  puceau de   l’Horreur et la comparaison comme on l’est de  la volupté.  Il y a donc un première fois pour tout, pour la souffrance comme pour  le plaisir, pour la mort comme pour la vie. Notons la majuscule  attribuée à l’Horreur comme  pour  déifier la Guerre, une divinité carnassière à la Douanier  Rousseau qui passerait sur le champ de bataille semant la mort sous son  passage.
Ici  des vieillards criblés de coups regardaient   mourir leurs femmes   égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes.  (Candide)   
Le style  familier du début contraste ensuite avec le ton recherché  quand on passe à la description de la Nature : Le vent s'était  levé, brutal, de chaque côté des talus...
Les éléments de la Nature participent à présent à  l'horreur de la  guerre. On dirait même que la Nature s'y associe et,  par un glissement  des mots,  les termes que l'on attend pour décrire la   guerre sont employés pour la Nature. Ainsi, le vent personnifié est brutal  comme s'il était une préfiguration du combat, les peupliers  secoués par le vent déversent des  rafales de feuilles  comme le feraient des mitraillettes. Par contre, le fracas des armes ne sont que  petits bruits  secs comme ceux des  branches d'arbres cassées, presque  insignifiants, puisque les soldats ennemis ne savent pas tirer :  nous rataient  sans cesse. Mais ce verbe minoratif est  immédiatement démentie par l'emploi de l'hyperbole, mille morts,  et la  comparaison on  s'en trouvait  comme habillés. Quant à la formule habituelle Ces soldats   inconnus employée pour honorer la  mémoire des héros disparus à la guerre, elle prend ici un tout autre sens. Le  mot inconnus ajoute encore à l'absurdité. Pourquoi tire-t-on sur des gens  qui ne vous ont jamais rien fait, que l'on ne connaît même pas?
Pour Céline-Bardamu, l'absence de sens de la guerre  est ce qui est le plus surprenant et le plus révoltant. L'écrivain, en  se plaçant du point de vue du personnage, met en relief cet aspect  insensé, contre nature du combat: cette imbécillité  infernale, tout comme le fait Voltaire avant lui.
Enfin,  tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum chacun  dans son  camp, il prit le parti d'aller raisonner ailleurs des effets et  des  causes
c'était un village abare que les Bulgares  avaient brûlé, selon les lois du droit public.
 vers le feu… .Le feu  renvoie à l'image de l'Enfer ainsi que les profondeurs, enfer de  la guerre, mais aussi enfer auquel les consciences sont vouées.
On voit qu'on est loin de la conception   traditionnelle de la guerre et l'on comprend que le roman de Céline paru   en 1932  ait choqué les mentalités de l'époque car il inverse toutes   les valeurs accordées au patriotisme et, nous allons le voir, au héros.
(Voltaire et Céline: le héros, un fou, un enragé (2 )
Voltaire : CandideRien n'était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu'il n'y en eut jamais en enfer. Les canons renversèrent d'abord à peu près six mille hommes de chaque côté ; ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la surface. La baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d'hommes. Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu'il put pendant cette boucherie héroïque.
Enfin, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum chacun dans son camp, il prit le parti d'aller raisonner ailleurs des effets et des causes. Il passa par-dessus des tas de morts et de mourants, et gagna d'abord un village voisin ; il était en cendres : c'était un village abare que les Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit public. Ici des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; là des filles éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros rendaient les derniers soupirs ; d'autres, à demi brûlées, criaient qu'on achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient répandues sur la terre à côté de bras et de jambes coupés.
Candide s'enfuit au plus vite dans un autre village : il appartenait à des Bulgares, et des héros abares l'avaient traité de même. Candide, toujours marchant sur des membres palpitants ou à travers des ruines, arriva enfin hors du théâtre de la guerre, portant quelques petites provisions dans son bissac, et n'oubliant jamais Mlle Cunégonde. Ses provisions lui manquèrent quand il fut en Hollande ; mais ayant entendu dire que tout le monde était riche dans ce pays-là, et qu'on y était chrétien, il ne douta pas qu'on ne le traitât aussi bien qu'il l'avait été dans le château de monsieur le baron avant qu'il en eût été chassé pour les beaux yeux de Mlle Cunégonde.

 
 
quels figure de style a cette phrase : les peupliers mêlent leurs rafales de feuilles aux petits bruits secs qui venaient de la bas sur nous
RépondreSupprimerPersonnification . Rend vivant ce qui ne l'est pas comme les peupliers
RépondreSupprimerJ ai penseee la meme chose pemdat que j ai lit Voltaire
RépondreSupprimerLa guerre une imbécillité infernale de tout coeur avec le peuple ukrainien
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