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mercredi 13 mai 2015

Joyce Carol Oates : Les maudits


Les maudits est "gothique" mais … gothique à la manière de Joyce Carol Oates, c’est à dire très imbriqué dans la réalité, très provocateur, très ironique. Dans une note, l’écrivaine nous fait savoir qu’il faut le lire comme une métaphore.
Les vérités de la Fiction résident dans la métaphore, mais la métaphore naît ici de l’Histoire.

Joyce carol oates auteure de Les maudits
Joyce Carol Oates (source)

Le livre est présenté comme l’ouvrage d’un historien M.W van Dyck II, qui entreprend de nous relater, en s’appuyant sur un grand nombre de documents d’archives, de témoignages écrits ou oraux, l’histoire de la malédiction qui s’est abattue sur Princeton, la ville et son université, dans les années 1905 et 1906. Apparitions de fantômes, de vampires et de créatures diaboliques qui président à des meurtres d’enfants, au rapt d’une mariée devant l’autel,  à d’autres morts violentes. La folie s’empare de la petite ville et touche particulièrement la famille Slade, dont le patriarche, Winslow Slade, ancien président de l’université de Princeton, est un membre éminent et respecté de la société du New Jersey. C’est pourtant ses petit-enfants, Annabelle, Josiah, Todd et Oriana qui vont être les principales victimes des forces maléfiques. Mais si ces créatures innocentes payaient pour le crime de leur aïeul?

Interpénétration de la fiction et du réel

Grover Cleveland  président des Etats-Unis pendant deux mandats personnage de Les maudits de Joyce Carole Oates
Grover Cleveland  président des Etats-Unis 1885 à 1889 et de 1893 à 1897(source)
Une des forces de ce livre est dans l’interpénétration étroite de la fiction et du réel qui fait que je me suis  perdue dans ce dédale inextricable. Je ne savais plus si je me retrouvais dans la Grande Histoire ou dans la petite! Les présidents des Etats-Unis comme Grover Cleveland et Woodrow Wilson participent à la fiction du roman et rencontrent des personnages dont on ne sait plus s'ils ont réellement existé ou s'ils sont imaginaires! Les écrivains célèbres  comme Jack London, Upton Sinclair, Mark Twain sont évidemment connus. Mais qu’en est-il des grandes familles princetoniennes, Slade, (complètement fictive), Van Dyck, Burr, Fitz Randolph?

Un roman métaphorique

Université de Princeton campus source
Mais ce mixage entre le réel et l’imaginaire à bien d’autres fonctions que de nous étourdir et nous faire perdre la tête! Il nous ramène chaque fois à la métaphore dont parle Oates. Si les créatures diaboliques vivent dans le marais, se repaissant du sang de leurs victimes, vampirisant les femmes, tuant les enfants, le monde Princetonien réel n’apparaît pas meilleur et se nourrit lui aussi du sang des humbles comme le prouvent la naissance de Ku Klux Klan, le viol et le meurtre d’une fillette, le lynchage, dans le roman, d’un jeune couple noir qui ne soulève que peu d’émotion dans la ville. Les horreurs dénoncées par l’écrivain socialiste Upton Sinclair dans La Jungle sur les abattoirs de Chicago, la souffrance et l’exploitation des employés misérables, ignominieusement traités, sous-payés, vampirisés par le capitalisme (on en est toujours au même point actuellement d’ailleurs!!) sont autant d’atrocités, reflets du monde diabolique. Toutes ces grandes familles sont pleines de morgue et de suffisance envers leurs inférieurs, Oates parle de « snobisme »;  on comprend leur position par rapport aux noirs!  Le président Woodrow Wilson, lui-même, qui fut le premier à faire entrer un juif à l’université n’était raciste « que »… pour les noirs! Il justifiait le Ku klux Klan et il était, d’autre part, misogyne au point de ne pas envisager que les femmes puissent voter, encore moins qu’elles puissent entrer à l’université.
Ainsi "le gothique " de Joyce Carol Oates n’est pas gratuit et permet la satire d’une société qui n’a rien à envier à ceux qui règnent dans le marais. D'ailleurs,  l'écrivaine ne nous laisse jamais croire entièrement au fantastique. Lorsqu'un fait paraît inexplicable, elle lui substitue une explication réaliste comme pour les lys trouvés à l'endroit de l'apparition de la fillette du président Cleveland. De même l'apparition des serpents de pierre vivants qui sème la panique dans le pensionnat n'est-il pas le fait d'une hystérie collective? Nous sommes toujours ramenés au doute par une écrivaine qui joue au chat et à la souris avec ses lecteurs. 

Une ironie féroce

Woodrow Wilson, président des Etats-Unis de 1913 à 1921 dans le roman de Joyce Carol Oates Les maudits
Le très puritain Woodrow Wilson
C’est avec férocité (comme toujours) que Oates dénonce  et tourne en ridicule le puritanisme des moeurs, de la pensée et du verbe de cette vertueuse société. Ainsi le mot « indicible » souvent répétée ne désigne jamais le lynchage, l’exploitation des ouvriers, les souffrances des pauvres, mais tout ce qui a trait à la sexualité, et en particulier à l’homosexualité. Et c’est « indicible », en particulier, devant les « dames » qui ne doivent pas perdre leur pureté! Elles s’empressent donc de l’apprendre de manière indirecte, par les ragots des domestiques ou autres bavardages féminins. Quant à leur maris, si guindés, si comme il faut, si écoeurés par les « mystères » féminins, s’ils ne prononcent pas le mot adultère, ils le pratiquent! Les lettres authentiques de Woodrow Wilson l’attestent!
Oates se fait donc un plaisir de croquer l’hypocrisie collective. La censure de la religion n’a d’égale que sa transgression, la vertu a pour revers le vice.
Hypocrisie aussi chez les penseurs, les écrivains qui devraient être des esprits libres mais qui abandonnent leurs idéaux dès qu’ils font fortune et fréquentent le beau monde. Tout au long du roman on retrouve cet art du portrait que Oates transforme en arme redoutable et porte à un niveau maximal!

L’intérêt du roman

Upton Sainclair dans le roman de Joyce Carol Oates Les maudits
Upton Sainclair (source)
Les maudits n’est pas un roman facile; si vous voulez le lire seulement pour vivre des aventures sulfureuses, légères, et pour vous faire peur, mieux vaut le laisser de côté. Et quand j’ai parlé de dédale, précédemment, ce n’était pas qu’une image! Il faut parvenir à s’y retrouver. La multiplicité des points de vue fait la richesse du roman mais déroute parfois. C’est à cause de cela que j’ai préféré certains passages à d’autres car le style diffère chaque fois et l’on peut s’intéresser plus à l’un des personnages qu’à l’autre. J’ai beaucoup aimé, par exemple le journal secret et codé d’Adélaïde Burr.  Il nous fait pénétrer dans l’intimité d’une « dame » de la riche société princetonienne en ce début du XX siècle. La maladie et la fragilité de cette jeune femme toujours alitée peut gagner la sympathie du lecteur mais en même temps, nous nous rendons compte des préjugés sociaux, raciaux d’Adélaïde, de l’égoïsme, de la mesquinerie de ces femmes privilégiées, des conflits d’intérêt, des jalousies. A travers ce journal apparaît aussi le manque de liberté de la femme qui est élevée autant qu’il est possible dans l’ignorance de la sexualité, tenue par les hommes à l’écart de la politique et de l’instruction.
Les rencontres avec les écrivains m’ont passionnée :  Joyce Carol Oates dresse un portrait à charge, haut en couleur de Jack London qui n’affiche plus qu’un socialisme de surface pour ne pas dire de pacotille lors du meeting organisé par le naïf, sincère et pur Upton Sainclair! Un grand moment du roman assez étourdissant! Mais le portrait de Mark Twain ne manque pas de pittoresque lui  aussi!
Enfin les lettres de Woodrow Wilson sont, contre toute attente, (après tout, il n’est pas écrivain) très intéressantes. Il a, malgré un certain aspect désuet et conventionnel, un beau brin de plume!

Les maudits est le cinquième roman gothique de Joyce Carol Oates après Bellefleur ICI, A bloodsmoore romance, Mysteries of Winterthurn ICI, My heart laid blair.

Mais pourquoi Joyce Carol Oates n'a-t-elle pas encore obtenu le prix Nobel de littérature? On se le demande?

mardi 12 mai 2015

Kjel Eriksson : Les cruelles étoiles de la nuit


Je commence avec ce mois de Mai, un cycle sur la littérature suédoise car je pars à Stockholm le 8 Juin. J'ai l'intention de lire la littérature suédois classique, les polars, le théâtre, la poésie... tout ce que je trouverai en français à la bibliothèque ou ailleurs. 


Kjell Eriksson, né à Uppsala en 1953, est un écrivain suédois. Ses romans, principalement des romans policiers, sont publiés en français par la maison d'édition Gaïa1. Il est traduit par Philippe Bouquet.
 (Wikipedia)




Une ville : Uppsala
Université d'Uppsala Suède , la plus vieille université de Scandinavie construite en 1477
Université d'Uppsala Suède (wikipédia)

Le récit du roman Les cruelles étoiles de la nuit  se déroule à Uppsala à 70km  au nord de Stockholm, dans la ville natale de Kjel Erikson. La topographie des lieux va a voir une importance dans l'histoire. On y retrouve Ann Lindell, personnage récurrent de la série, qui travaille à la police criminelle  de la ville. Elle enquête sur les meurtres de trois vieillards qui vivent dans des fermes une vie banale et sans histoire mais aussi sur la disparition d’un autre Petrus Blomgren, maître de conférence à l’université d’Uppsala, spécialiste de Pétrarque et amoureux de l’Italie.. Le titre est d’ailleurs emprunté au poète :

Lorsque le soir vient chasser la beauté du jour
et qu'en d'autres pays nos ténèbres ramènent l'aube
je regarde, tout pensif, les cruelles étoiles
qui m'ont formé d'une sensible terre
et je maudia-s le jour où j'ai vu le soleil
qui me donne l'aspect d'un homme de la forêt

Ce que j’ai aimé dans le roman? 

La ville de Uppsala dans l'Uppland
Les recherches pour trouver le meurtrier loin de se polariser sur les détails sordides des meurtres aboutissent, en fait, à une enquête psychologique menée avec compétence par Ann Lindell et qui dévoile les traits caractérisques de chacun. Les victimes apparaissent alors  peu à peu, révélant leurs failles, la bonté de l’un, l’avarice de l’autre ou encore la cruauté. Et ces portraits, ces tranches de vie éveillent dans le lecteur une certaine nostalgie voire tristesse devant la cruauté de la vie, les espoirs amoureux fauchés par la mort,  les ambitions déçues qui entraînent la haine et l’aigrissement,  la lente acceptation de la résignation et de la monotonie. Kjel Eriksson dresse le portrait d’une population rurale vieillissante où la solitude semble régner en maître.
Parallèlement, à travers le personnage de Laure, qui n’a jamais vécu, étouffée par un père omnipotent, Eriksson analyse la progression de la folie et décrit les étapes de ce terrible glissement. Le lecteur sent  la dangerosité du personnage mais la variation du point de vue qui lui permet de vivre par l’intérieur ce que ressent Laure lui permet de rester proche du personnage. L’écrivain ne joue donc pas sur la peur mais sur la dualité entre empathie et répulsion.

Ce que j’ai moins aimé ?

J'ai eu des difficultés à m’habituer aux noms des personnages, parfois désignés par le prénom, parfois par le  patronyme.. et comme ils sont nombreux! Mais ce n’est pas pas particulier à ce roman, c’est vrai de tous les polars nordiques!!
Quant à Ann Lindell, après avoir perdu l’amour de Edvard, comment va évoluer sa relation avec un technicien, fraîchement débarqué dans le service? Nous verrons que cette évolution est un peu inattendue! Mais, personnellement, je n’ai pas pu me passionner pour elle car il me manquait tous les romans précédents et donc de grandes tranches de sa vie. Je n’ai pas pu être en empathie.  Les cruelles étoiles sont, en effet, le cinquième de la série.


lundi 11 mai 2015

Bilan 2 du challenge Victor Hugo


Voici undeuxième bilan du challenge Victor Hugo. N'hésitez pas à me signaler  les oublis

Les participants

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Aaliz blog Cherry livres

Annonce du challenge Victor Hugo :

Nouvelles acquisitions et autres joyeusetés


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Claudialucia  blog Ma librairie

Annonce du challenge Victor Hugo de Moglug et claudialucia



Victor Hugo : Souvenir de la nuit du 4


Victor Hugo : Exposition  Les arcs-en-ciel du noir(musée Victor Hugo)

 Victor Hugo : Les misérables


Victor Hugo et les surréalistes : la cime des rêves (musée Victor Hugo)


Victor Hugo : L'homme qui rit


Victor Hugo : l'homme qui rit (citation) La vie n'est qu'un pied à terre...


Victor Hugo : L'homme qui rit (citation) C'est de l'enfer des pauvres...


Victor Hugo L'homme qui rit (citation) : le genre humain existe...


Victor Hugo : L'homme qui rit (citation) : une habitude idiote qu'ont les peuples...


Hugo : Les travailleurs de la mer(LC)


Victor Hugo : Quatre-vingt treize(LC)


Victor Hugo :  Bug-Jargal (LC)

Hernani (LC )

Demain dès l'aube  : poésie préférée(LC)

 Lart d'être grand-père 

Victor Hugo : Claude Gueux (LC)

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Cleanthe blog Dans la bibliothèque de Cléanthe

 

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 Eimelle blog les carnets d'Eimelle









 L'annonce du challenge
http://lecture-spectacle.blogspot.fr/2014/11/challenge-victor-hugo.html


Lucrèce Borgia

Ruy Blas

Le roi s'amuse

D'après les misérables: Tempête sous le crâne

L'homme qui rit


Hernani

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Laure  blog Mic-Mélo

 

 

 Bug-Jargal (LC)

 Le dernier jour d'un condamné

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Margotte :  blog Le bruit des pages

 

 

Bug-Jargal (LC)

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Miriam  blog Carnets de voyage


Victor Hugo : Les travailleurs de la mer

Victor Hugo : l'homme qui rit

Victor Hugo : l'enfant grec 


Bug-Jargal  (LC)

Hernani,

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Moglug  Blog Synchronicité et sérendipité

 

Annonce du challenge Victor Hugo de Moglug et de claudialucia


Emmanuel Godo : Victor Hugo et dieu


Bug-Jargal (LC) 

Les oiseaux : poème

 Hernani 

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Nathalie Blog Mark et Marcel

 

 

 

 


Extraits du discours prononcé aux
funérailles de Balzac


Quatre-vingt-treize


Les Travailleurs de la mer

 Burg-Jargal 

Hernani 

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Ont aussi participé à la LC Victor Hugo pour le choix du poème préféré : 

 

 

 Autres propositions de lecture pour les mois à venir : Rejoignez-nous!

10  Juin :  Un poème à choisir dans La Légende des siècles

Margotte, claudialucia.....

10 Octobre : Notre-dame de Paris (si vous l'avez déjà commenté vous pouvez choisir un autre grand roman)

  Nathalie, Laure, claudialucia....

10 Novembre :   Un poème à choisir dans le recueil Les orientales

Claudialucia

10 décembre :  Une pièce de théâtre : Ruy Blas

Nathalie, Laure, claudialucia

 

dimanche 10 mai 2015

Victor Hugo : Claude Gueux





Dans son livre Claude Gueux écrit en 1834, Victor Hugo s’empare d’un fait divers pour écrire un plaidoyer contre la peine de mort comme il l'a fait avec Le dernier jour d’un condamné. Mais il enfourche aussi un autre cheval de bataille qui est celui de l’éducation du peuple.

Claude Gueux, pauvre ouvrier illettré, vole de la nourriture pour nourrir sa compagne et son enfant quand le travail vient à manquer; il est condamné à cinq ans de prison. Enfermé, grâce à son intelligence et son charisme, il parvient à exercer un ascendant sur les autres prisonniers dont il devient le chef naturel et qu’il encourage au travail. Ce succès lui vaut l’inimitié du directeur qui pour se venger, le sépare de son compagnon de cellule, Albin, qui partageait son pain avec lui et qu’il aimait comme un fils. La colère de Claude Gueux fera de lui un assassin et le conduira à l’échafaud..

Les causes de la révolte de Claude Gueux sont doubles : C’est l’injustice sociale assortie à la misère qui le conduit au vol, c’est l’injustice du directeur qui le mène au meurtre. Or Claude Gueux est prêt à donner sa vie pour une cause juste. Victor Hugo dénonce ici le harcèlement moral, aussi grave que la provocation physique, et les mauvais traitements infligés en prison.
Je suis un voleur et un assassin; j’ai volé, j’ai tué. Mais pourquoi ai-je volé? pourquoi ai-je tué? Posez ces deux questions à côté des autres, messieurs les jurés s’écrie Claude Gueux lors de sa défense.
Victor Hugo lance un appel vibrant aux institutions pour supprimer la peine de mort comme cela a déjà été fait pour la flétrissure -le marquage au fer rouge-, et le bagne. La lutte contre le vol et le meurtre doit passer, affirme-t-il, par l’éducation du peuple. Or, il est impossible au peuple, dans la France des années 1830, de fréquenter l’école qui ferait pourtant de chaque homme un être conscient, intelligent, capable de dominer ses instincts et d’agir selon le bien.

Et dès la première page du récit, une phrase nous laisse entrevoir l’intention de l’auteur :
L’ouvrier était capable, habile, intelligent, fort maltraité par l’éducation, fort bien traité par la nature, ne sachant pas lire, sachant penser »
C’est pourquoi Hugo s’adresse aux ministres et aux députés pour leur démontrer la nécessité d’agir :
Une bonne éducation au peuple. Développez de votre mieux ces malheureuses têtes, afin que l’intelligence qui est dedans puisse grandir.
Les nations ont le crâne bien ou mal fait selon leurs institutions. »

Le récit de Hugo est donc une démonstration tenant de la condamnation et du plaidoyer. S’appuyant sur un fait divers, il n’hésite pas, pour rendre son propos plus fort, à enjoliver la réalité, en idéalisant son personnage. Il le décrit comme un homme supérieurement intelligent, sage et avisé. Il faut que le lecteur soit du côté du condamné et en empathie avec lui.
On voit combien Victor Hugo était en avance sur son temps puisque l’instruction n’est rendue obligatoire et gratuite en France qu’en 1882 par Jules Ferry et l'abolition de la peine de mort n’a eu lieu qu’en 1981.
Cette tête de l’homme du peuple, cultivez-la, arrosez-la, éclairez-la, moralisez-la, utilisez-la; vous n’aurez pas besoin de la couper.

Lecture commune dans le cadre du challenge de Victor Hugo : un court roman au choix
Moglug :

Laure Micmelo : Le dernier jour d'un condamné

Nathalie : Burg-Jargal

Yves Jacob  : Claude Gueux

Claudialucia : Claude Gueux


samedi 9 mai 2015

Bruce Machart : Le sillage de l'oubli


Bruce Machart

Bruce Machart de JR Christopher source
Bruce Machart est né au Texas et a grandi à Houston. Il est issu d'une famille d'agriculteurs d'une contrée rurale proche du comté de Lavaca, où se déroule l'intrigue de son premier roman Le Sillage de l'oubli. Il publiera ce livre en 2011 puis un recueil de nouvelles, Des hommes en devenir. Lors de sa parution, Le Sillage de l'oubli est accueilli par une presse enthousiaste qui trouve dans son univers des accents de Faulkner. Bruce Machart vit et enseigne à Hamilton dans le Massachusetts.

Le sillage de l'oubli est un premier roman publié en 2011 aux États-Unis et qui a été acclamé par une presse dithyrambique. Bruce Machart s'est imposé dans son pays comme l'un des auteurs les plus prometteurs de ces dernières années. La traduction de Marc Amfreville fut récompensée par le Prix de la traduction du festival Lire en Poche en 2014. Source Editions Gallmeister

Le sillage de l'oubli

Le sillage de l’oubli, premier roman de Bruce Machart  paraît en 2012 pour la traduction française aux éditions Gallmeister.

Le roman s’ouvre sur un incipit qui donne le ton au récit 

 Tant de sang, elle avait perdu tant de sang que lorsqu’il se réveilla dans des draps trempés et qu’il la trouva contre lui, recroquevillée sur le flanc, la peau moite de sueur, gémissante et un chapelet entortillé entre ses doitgs crispés, Vaclav Skala sourit en pensant qu’elle venait de perdre les eaux.

un récit qui narre le quotidien des fermiers du Texas à la fin du XIX ème siècle et au début du XXème, une vie rude, sauvage et dure, qui laisse peu de place aux sentiments. La mort de sa femme enlève, en effet, à Vaclav Skala, immigré polonais, tout ce qu’il avait d’humain. Désormais, il n’y a plus de place que pour le travail. Ses quatre fils sont traités comme des bêtes de somme qu’il n’hésite pas à atteler à la charrue. Son seul plaisir est d’acquérir d’autres terres grâce aux paris qu’il gagne contre ses voisins avec ses chevaux. Un jour, un riche propriétaire mexicain Guillermo Villesanor vient lui demander ses fils aînés en mariage pour ses trois filles. C’est une course de chevaux qui décidera de ces unions ainsi que l’ont parié les deux pères. Celle-ci sera disputée par Karel Skala, un cavalier hors pair, le cadet, le quatrième fils, celui qui a coûté la vie à sa mère. Et Karel perdra face à son adversaire, la plus jeune des filles Villesanor, Graciela, dont la sensualité obsède le jeune homme. Mais celle-ci deviendra l’épouse de son frère.

Le roman se déroule avec de grands sauts en avant où l’on retrouve Karel mariée à Sophie, et père de trois petites filles mais aussi des retours en arrière qui nous livrent des souvenirs souvent incomplets jusqu’au moment où tout se mettra en place devant nous.

Le roman est d’une grande force d’écriture et nous plonge dans un monde âpre où la vie est un combat. On y voit les colons qui ont peuplé le Texas, évincés par des immigrés, une race d’hommes obstinés, durs aux coups, accrochés à la terre, arrachant d’elle leur subsistance. Les frères y sont ennemis, rendus sauvages par la brutalité du père, tourmentés par la jalousie, rattachés pourtant entre eux par des souffrances communes. Le fils s’y retourne contre le père, la haine et l’amour brûlent tour à tour les personnages, les déchirent, les éloignent et les rapprochent. Le ton du récit est parfois celui de l’Ancien Testament, oeil pour oeil, dent pour dent. Il faudra longtemps à Karel pour parvenir à la compréhension, pour redevenir un être humain.. Il lui faudra apprendre à pardonner et à se pardonner. Car le roman est aussi une histoire d’amour, un sentiment auquel Karel ne peut s’abandonner mais qu’il va finir par accepter grâce à son fils nouveau-né, le trait d'union entre son père et lui-même, un amour qui permettra aux plaies du passé de se refermer ... le sillon de l’oubli :

« Il lui demanda (à la jument) de s’arrêter pour qu’il puisse regarder en arrière et constater que le sillage de leur passage à gué s’élargit avant de s’effacer peu à peu, puis de se refermer et de disparaître au fil de l’eau »

Un beau roman plein bruits et fureur à la manière d’un drame de Shakespeare  mais qui se déroulerait dans les vastes espaces du Texas, dans un milieu de fermiers et d'éleveurs de chevaux et de vaches.


vendredi 8 mai 2015

Alan Hollinghurst : L’enfant de l’étranger




Toujours dans le cadre de mes lectures en retard, un billet rapide  sur  L’enfant de l’étranger de Alan Hollinghurst

Quatrième de couverture

Tout commence en 1913, dans le jardin de la maison de campagne des Sawle dans le Middlesex. Etudiant à Cambridge, le timide George Sawle a invité aux Deux Arpents un de ses camarades, l'aristocratique et énigmatique Cecil Valance. Ces jours dans la maison familiale et le poème qu'ils inspirent à Cecil vont changer leur destin. Et plus encore celui de Daphné, la sœur de George. En ce printemps où rien n'annonce les proches bouleversements de l'Histoire, un pacte se noue secrètement entre les trois jeunes gens, point de départ d'une fresque saisissante à travers le XXe siècle, par l'un des plus grands romanciers anglais contemporains.
Ce livre a reçu le prix du meilleur livre étranger en 2013.

Mon avis

Il s’agit effectivement d’une fresque à travers le XX siècle puisque le départ de l’histoire se situe juste avant 1914  mais, loin de se dérouler linéairement, le récit fait de grands bonds en avant,  d'une guerre à l'autre, introduisant de nouveaux venus autour des personnages que nous rencontrons au début du roman :  Cecil Valance, le jeune poète aristocrate, brillant, hautain, sûr de lui et provocateur,  son ami George Sawle qui est à la fois son admirateur le plus fervent et son amant, et la jeune soeur de ce dernier, Daphné, qui n’a que 16 ans mais dont le jeune âge est ébloui par l’assurance du poète. 

L'écrivain déroule le siècle, multipliant les points de vue mais conservant ces trois personnages  comme les pivots autour desquels tourne l’action même lorsqu'ils ont disparu!  George et Daphné vieillissent maintenus dans le culte du poète Cecil Valance disparu pendant la guerre mais dont l’influence perdure au-delà de la mort. Ce qui permet à Alan Hollinghurst de décrire l’évolution de la société anglaise, les bouleversements qui surviennent dans les grandes familles aristocratiques depuis le début du siècle; le changement des moeurs par rapport à l’éducation, par rapport aux femmes qui  commencent à s’émanciper, à faire un choix de métier, par rapport à l’homosexualité, indicible et honteuse en 1913, puis peu à peu acceptée. La demeure gothique des Valance est le témoin et le symbole de ces mutations, d’abord modernisée, transformée entre les deux guerres voire défigurée, puis vendue pour devenir un collège, puis finalement cernée par des immeubles et démolie emportant avec elle tous les souvenirs.

On sent la maîtrise de l’écrivain  aussi bien dans l’analyse psychologique des personnages que dans la conduite du récit et dans la vision historique du siècle mais… Je ne suis pas arrivée à aimer ce roman! Peut-être parce que la structure du récit m’empêcher d’entrer vraiment dans l’histoire. Chaque fois que je commence à m’intéresser à un personnage, je le retrouve des années après et ce n’est que par bribes et par des retours en arrière que j’apprends ce qui s'est passé. D’habitude l'absence de linéarité ne me dérange pas dans un récit mais pour ce roman précis, oui! Car il y a des moments où l'on a une impression de décousu. En effet, la composition du roman, très recherchée, m'a paru nuire à la sincérité du récit et donc à l'intérêt qu'on lui porte... Je ne suis par parvenue à avoir de l’empathie pour ces personnages pas toujours sympathiques et au final je me suis ennuyée! J'aurais pu lire le roman jusqu'au bout - et je suis assez têtue pour cela - puisque j'avais déjà parcouru 500 pages sans trop de peine (car l'intérêt est souvent relancé) mais sans trop d'enthousiasme non plus... j'ai réalisé qu'après tout la notion de plaisir devait dominer et je me suis arrêtée!


dimanche 3 mai 2015

Étienne Davodeau : Lulu femme nue



Lulu est mère de trois enfants, une fille de seize ans et deux petits garçons. Son mari n’est pas une brute. Entendez, il ne l’a jamais battue mais il est habitué à ce qu’elle le serve et il a l’insulte facile quand il est contrarié. Il est plus occupé à boire ses bières devant la télévision qu’à lui parler ou à s’inquiéter de ses états d’âme. Et quand Lulu cherche à reprendre du travail, au cours de ses entretiens d’embauche, elle s’aperçoit bien vite qu’elle est considérée comme dépassée dans le monde de l’entreprise. Un jour, elle craque et part dans une errance dont elle ne sait pas bien elle-même où cela va la mener et ce qu’elle cherche!

Cette bande dessinée est d’abord un reflet de la condition féminine. La femme, loin d’être libérée et indépendante, est encore trop souvent, celle qui élève les enfants et sacrifie son travail. Peu considérée à l’intérieur de sa maison quand elle a comme Lulu, un mari  fruste et macho, et des enfants habitués à être servis, elle l’est encore moins sur le marché du travail où elle n’a aucune valeur. D’où l’image négative qu’elle a d’elle-même.
Le récit est intéressant aussi car il révèle les personnages à eux-mêmes en entraînant des bouleversements, non seulement, chez Lulu qui désormais n’acceptera plus d’être dévalorisée et traitée en servante mais aussi chez sa fille aînée, Morgane, qui va mûrir et se révéler adulte et responsable! Quant au mari de Lulu, Tanguy, de coups de gueule en coups de gueule, il va évoluer aussi, parfois contraint et forcé par sa fille qui ne le ménage pas!

 Tu m'apporteras une bière, Morgane.
T'as qu'une cheville pétée, t'as qu'à y aller sur l'autre.
Tu obéis à ton père !
T'as raison, gueule moi dessus, ça t'a bien réussi avec ta femme, on va voir ce que ça donne avec ta fille. 
Les autres personnages qui gravitent autour de Lulu ne manquent pas d’intérêt, que ce soit les marginaux, la vieille dame trop solitaire, la servante de café ou les amis de Lulu qui se font du souci pour elle et cherchent à l’aider dont Xavier qui est le narrateur car il s’agit aussi d’une belle histoire d’amitié.

Lulu Femme nue de Etienne Davodeau : BD adaptée au cinéma, film de Solveig Anspach
Lulu Femme nue de Etienne Davodeau
Le dessin de Davodeau montre des personnages modestes, habillés simplement, mais sans misérabilisme. Lulu appartient à une classe sociale moyenne. Ce qui est négatif dans sa vie apparaît  dans son visage, triste et renfrogné, et dans sa manière de marcher, le dos courbé, la tête baissée. Les couleurs dominantes sont l’orange et le marron et des camaïeux de beige un peu éteints mais sans tristesse. Les images de la mer et de la plage donnent selon les moments du récit une impression de vide et de solitude et à d'autres de paix, de beauté,  et l’on voit Lulu  se transformer, sauter, courir, bondir dans les vagues avec son amoureux, s’accordant enfin une récréation qui n'est pour pas durer….
- A quoi tu joues Lulu?
-Une semaine ou deux pour voir.
- Et tes enfants, je leur dis quoi?
- Que je les aime. Que je vais revenir. Que c'est certain. Hé, Xavier, pas de morale. Il ne s'agit que de quelques jours sur toute une vie.

Étienne Davodeau, né le 19 octobre 1965 à Botz-en-Mauges est un dessinateur et scénariste de bandes dessinées.

Wens a commenté cette Bd dans son blog En effueilant les chrysanthèmes ICI
Et vous pouvez aller voir son billet sur le film ICI
 


Enigme n° 112

Le livre : Une Bd d'Etienne Davodeau : Lulu femme nue
Le film  de Solveig Anspach : Lulu femme nue

Merci à tous les participants!  je ne note pas vos noms! Je suis en vacances. A bientôt!

samedi 2 mai 2015

Un livre/ Un film : Enigme du samedi

 

Un  livre/un film

Pour ceux qui ne connaissent pas Un Livre/un film, l'énigme du samedi, je rappelle la règle du jeu.

Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le 1er et le 3ème samedi du mois, et le 5ème pour les mois avec cinq samedis, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film. Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur. Eeguab ne nous relaiera pas cette année mais nous le remercions de tout le travail accompli l'année dernière.

Consignes  

Vous pouvez donner vos réponses par mail, adresse que vous trouverez dans mon profil : Qui suis-je? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.

Prochain rendez-vous

Rendez-vous  le troisième samedi du mois :  Le samedi 16  Mai

Enigme 112

Le livre d'où a été tiré le film n'est pas un roman mais une bande dessinée! Je pense qu'il vous sera aisé de trouver le titre car le film est récent et la BD relativement aussi! Le scénario et les dessins sont l'oeuvre d'un auteur français et raconte le ras-le-bol d'une femme d'un milieu modeste, mère de famille, qui n'arrive pas à retrouver du travail.

Nous ne serons pas là pour vous aider, Wens et moi, car nous parton en Lozère ce samedi. La réponse sera publiée dimanche mais sans le nom des brillants candidats qui resteront donc, hélas, dans l'obscurité! Pardonnez-nous!

jeudi 30 avril 2015

Virginia Woolf : La duchesse et le joaillier


Cette courte nouvelle de Virginia Woolf, La duchesse et le joailler, pourrait être un vaudeville! Je la vois très bien, adaptée sur une scène de théâtre, légère et brillante ! Jugez plutôt! 
Oliver Bacon, le plus riche joaillier d’Angleterre reçoit pour une transaction commerciale au fond de sa boutique obscure la Duchesse de Lambourne, un des plus grands noms de la noblesse anglaise! Le joaillier, issu d’un milieu très modeste, se permet de faire attendre la duchesse, un luxe qui lui procure un intense plaisir! L'aristocrate, qui a une addiction au jeu, cherche à lui vendre ses célèbres perles pour payer ses dettes. Oui, mais les perles sont-elles vraies ou fausses? On peut s’attendre à tout de la part de la vieille dame! C’est le jeu du chat et de la souris, chacun avance ses pions, qui sera le plus habile, le plus rusé?

Cependant, là  où cesse le vaudeville commence Virginia Woolf : le portrait de Oliver Bacon, de son ascension vers la richesse qui le mène au sommet, la rencontre entre les deux personnages, sont transcendés par le style éblouissant de l’écrivaine.

Des métamorphoses grotesques

Oliver Bacon, au-delà de de son tailleur renommé, de ses vêtements élégants et bien coupés,  de ses gants beurre frais perd peu à peu son apparence humaine, sous la plume de l’écrivaine, pour devenir animal. Il y a d’abord le nez « qu’il avait long et souple comme une trompe d’éléphant », un nez qui semble traduire l’avidité jamais satisfaite du joaillier et aussi son flair pour faire de bonnes affaires et puis, la métamorphose se poursuit de l’éléphant à « un verrat gigantesque sur un terrain empli de truffes » toujours flairant « une nouvelle truffe, plus noire, plus grosse ». Enfin apparaît le chameau « la démarche légèrement chaloupée », toujours « mécontent de son sort », méprisant, saluant ses subalternes d’un doigt. Tout au long de la nouvelle un autre portrait, celui du petit garçon de jadis « rusé et malin, aux lèvres pareilles à des cerises mouillés », lui est opposé, une antithèse un peu triste, celle de la pauvreté et de la richesse, de la jeunesse et la vieillesse, et, au bout, le vide d’une vie qui cherche toujours autre chose, qui ne peut se contenter de ce qu’il a.

Quant à la duchesse, une longue métaphore filée la dépeint à la fois comme une vague de l’océan impétueuse car parée de tous les noms prestigieux de son ascendance et un paon dont elle a les riches couleurs, le déploiement irisée de la traîne, et l’arrogance hautaine.
"Puis elle apparut, emplissant le cadre de la porte et infusant dans toute la pièce l’arôme, le prestige, l’arrogance, la pompe et l’orgueil de tous ces ducs et duchesses dans une seule énorme vague."
A son contact, même les objets prennent une forme animale comme cet étui dans lequel la duchesse enferme ses bijoux et qui a l’air d’un « long furet jaune », telles ses perles qui sont « les oeufs d’un oiseau paradisiaque »..
Mais comme une vague finit par se briser et un paon par replier sa traîne, la duchesse reprend forme humaine, dépourvue de ses attraits empruntés, l’image vraie de ce qu’elle est : "une  femme d’âge mûr, très corpulente, très épaisse, et engoncée dans une robe de taffetas rose."

C’est ainsi que Virginia Woolf joue avec ses personnages, dépouillant l’un de son aspect humain pour dévoiler l’animal qui vit en lui et tout au contraire, retirant à l’autre la parure chatoyante du paon pour lui redonner, non sans cruauté, sa forme humaine .
Ainsi sous les apparences, Virginia Woolf débusque la vérité de ces deux êtres qui vont s’affronter dans un combat feutré, hypocrite, où chacun déploie les armes qu’il a en main : l’argent d’un côté, le prestige de l’autre, voire l’amour!

Une lutte sociale

Car il s’agit bien d’un combat, d’un duel plutôt à fleurets mouchetés, mais les armes de l’un et de l’autre sont-elles à égalité?
« Amis et ennemis. Il était le maître, elle, la maîtresse. Ils se trompaient mutuellement, chacun  avait besoin de l’autre, chacun craignait l’autre… »
Chacun, tour à tour, marque des points. L’enjeu du duel? La duchesse va-t-elle parvenir à vendre ses perles sans que Oliver Bacon en vérifie leur authenticité?

Grandeur et faiblesse d’Oliver Bacon

John Singer Sargent : Coventry Patmore, poète et critique anglais
John Singer Sargent : Coventry Patmore, poète anglais

Grandeur! Oliver Bacon a un moment de pur bonheur en faisant attendre la duchesse pendant dix minutes. L’intensité et l’étirement de ses dix minutes correspondant à une jouissance infinie de la part du banquier sont marqués par la répétition du verbe attendre qui revient quatre fois :

« La duchesse de Lambourne attendait son bon plaisir…/ elle attendait son bon plaisir; /elle attendrait dix bonnes minutes sur une chaise au comptoir../ elle attendrait qu’il soit disposé à la voir…
Le rythme de la phrase semble épouser celui du tic tac des aiguilles de la pendulette que Oliver Bacon consulte pour mieux savourer l’écoulement de ces dix minutes de puissance.
Savourer est le mot juste puisque les images que lui apporte la marche des aiguilles sont de l’ordre du goût, de la cuisine, nourriture ou boisson, mais toutes liées à des mets fins et raffinés que seul l’argent peut permettre d’acquérir : « un pâté de foie gras, une coup de champagne, un verre de fine cognac, un cigare d’une guinée ».
D’autre part, le décor dans lequel il reçoit la duchesse est le symbole de son pouvoir avec, derrière lui, une « séries de coffre-fort d’acier poli »…  Ce même décor présente pourtant la faille du personnage. Même si elle est célèbre dans le monde entier,  la boutique est « obscure », « une sombre petite boutique », tout comme l’était la ruelle « crasseuse » où il jouait aux billes en cherchant à vendre des chiens volés quand il était gamin. Obscur! C’est la limite de son pouvoir.

Grandeur et faiblesse de la duchesse

John Singer Sargent* : Lady Faulen-Philips (1898)
A l’obscurité du banquier correspond la déferlante de lumières et de couleurs de la duchesse, « éclaboussant  de tous ses reflets, verts, roses, violets; de ses chatoiements; des rayons fusant de ses doigts, de ces plumes oscillantes aux éclats soyeux »… une antithèse entre l’ombre et la lumière, mais aussi entre la discrétion et le paraître. Tout est élégance et raffinement chez Oliver Bacon, du moins quand on ne voit pas la bête qui est en lui, tout est ostentation chez la duchesse qui apparaît comme une  sorte de géante en mouvement, « énorme vague de l’océan » ou au contraire solidement ancrée dans la terre comme une montagne : Ainsi les perles « dévalèrent les pentes des vastes montagnes que formaient les cuisse de la duchesse pour rouler dans l’étroite vallée. »
 Mais la faiblesse de la duchesse est évidente. Elle a besoin d’argent pour couvrir ses dettes de jeu et elle a tout aussi besoin de discrétion de la part de son interlocuteur car le duc, son mari, ne doit pas être mis  au courant.
Pourtant la duchesse marque des points, lorsqu’elle répète ces mots « - Mon vieil ami,  murmura-t-elle, mon vieil ami. », qui sont aussi pour lui une friandise « comme s’il léchait ses paroles » .
 Un autre point quand elle l’invite à une réception avec  « le premier ministre et son Altesse royale » mais la botte secrète, c’est lorsqu’elle ajoute « et Diana » , Diana, sa fille dont Oliver est amoureux!

Ce sont donc bien deux classes sociales qui s’affrontent, la bourgeoisie qui se pare de sa richesse, la noblesse désargentée qui s’enveloppe dans ses titres et brandit les noms glorieux de ses ancêtres. A la longue, d’un point de vue historique, on le sait, c’est l’argent  qui l’a emporté! Mais dans ce petit drame singulier qui se joue devant nous, qui a gagné? La réponse n’est pas aussi évidente et je vous la laisse découvrir par vous-mêmes!


*John Singer Sargent (1856_1927) : ce peintre américain, portraitiste de talent très apprécié par la haute société américaine et anglaise me paraît très bien correspondre aux portraits brossés par  Virginia Woolf.


Lecture commune avec Laure Micmelo ICI

La prochaine lecture commune d'une nouvelle de Virginia Woolf avec Laure est prévue pour le mois de Juin :  Lappin et Lapinova : si vous vous voulez vous joindre à nous, inscrivez-vous dans les commentaires.

mardi 28 avril 2015

Marie Strachan : la terre fredonne en si bémol



Toujours dans le but de rattraper le retard que j'ai accumulé  dans la rédaction de mes billets de lecture, ces derniers mois, je vous donne un avis rapide sur La terre fredonne en si bémol de Mari Strachan

 
Mari Strachan source
Présentation de l'éditeur


Agée d'une dizaine d'années, Gwenni Morgan grandit dans un petit village du pays de Galles. Friande de romans policiers, elle se pose beaucoup de questions sur sa famille et la petite communauté au sein de laquelle elle évolue. Face aux énigmes et aux secrets du monde adulte, elle décide un jour de lancer son enquête, comme les détectives de ses livres préférés. Où est donc passé Ifan Evans, ce berger au visage tout rouge dont elle s'est toujours méfiée? Pourquoi son épouse, la douce Mme Evans, semble-t-elle si mystérieuse et si troublée depuis quelque temps ? Et que veulent dire ses filles, la petite Catrin et sa sœur Angharad, lorsqu'elles répètent que leur père est parti avec un gros chien noir? Lorsque le corps d'Ifan Evans est retrouvé, flottant dans le réservoir d'eau, c'est toute la petite communauté qui est soudain en émoi. À travers le regard fantaisiste d'une enfant un peu précoce, Mari Strachan nous montre combien il est difficile de construire son histoire dans un monde où tout se sait mais rien ne se dit. Lorsque la vérité éclate enfin au grand jour, les secrets de famille brisent l'harmonie apparente du petit village paisible de l'après-guerre. Mais Gwenni a compris depuis longtemps qu'il faut sortir des sentiers battus pour créer la carte géographique de sa propre vie...

Mon avis

 De bonnes idées, de bonnes intentions dans ce livre qui montre la misère dans les milieux populaires du pays de Galles dans les années 50 et la difficulté d’être enfant dans une famille modeste qui cache de lourds secrets.. Mais je n’ai pas aimé l’écriture qui cherche à rendre le langage de l’enfance en faisant de la fillette la narratrice de l’histoire. Sa vision des personnes et des objets qui l’entourent pourrait être poétique mais n’est pas toujours réussi car souvent trop lourde et répétitive comme cette description appuyée des pichets de bière ou ces notations incessantes sur son estomac fragile. L’enquête policière n’ajoute rien à l’histoire dont l’intérêt me paraît être ailleurs dans les tourments de cette fillette mal aimée par sa mère, marquée par la pauvreté; dans sa propension au rêve, son non-conformisme qui la marginalise au sein d’une petite ville où chacun vit sous les yeux de son voisin et où il faut savoir entrer dans un moule pour ne pas se singulariser. C'est dommage! En ce moment, je n'accroche pas au procédé de fausse naïveté qui est censé être celui de l'enfance!

Je vous renvoie à la critique du blog de Michel Goussu  Ce que j’ai pensé de… qui correspond tout à fait à mon ressenti, en particulier, lorsqu’il écrit : Il faudrait, pour savoir (…) à qui s'adresse le livre : illisible par un enfant, agaçant pour un adulte, il souffre d'un manque de choix. Lire ICI

Et puis voici aussi l’avis de L’or rouge qui a adoré : Lire ICI