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lundi 21 novembre 2016

Shakespeare : Imogen au Théâtre du Globe mise en scène de Matthew Dunster

Théâtre du Globe

 Un théâtre du XVI ème siècle

Londres Théâtre du Globe rebâti à l'identique de celui de Shakespeare XVI siècle
Théâtre du Globe
 Le 16 Octobre 2016, date historique, je suis allée voir la dernière représentation de l'année au théâtre du Globe, la dernière de la saison car le spectacle est en plein air comme à l'époque élizabéthaine.  Il s'agissait de la pièce de Shakespeare Cymbeline que le metteur en scène Matthew Dunster a renommé Imogen, marquant ainsi sa volonté de redonner à Imogen, fille du roi Cymbeline, le premier rôle qui lui revient à juste titre. Elle est, en effet, le personnage le plus important  et le plus intéressant de la pièce. Loin d'être une jeune femme soumise et victime, elle prend en main son destin, se dresse contre ceux qui veulent décider pour elle de sa vie, - son père et sa belle mère - et obtient réparation des insultes et des violences qui lui sont faites par son mari et les amis de son mari.

Lorsque j'ai découvert la pièce cette année pour préparer ma visite à Londres (Voir mon billet ICI), j'ai surtout été frappée par la complexité de l'intrigue, la pluralité de l'action, les invraisemblances, et je me demandais comment l'on pouvait faire passer tout cela sur scène; je m'inquiétais aussi  de savoir si je comprendrais quelque chose, moi qui suis nulle en anglais à l'oral ! J'ai découvert depuis que la pièce n'est pas des plus connues du public anglais, ce qui me donnait une (modeste) longueur d'avance par rapport à ceux qui ne l'avaient pas lu !
Mais je savais que de toutes façons j'aurais le sentiment de vivre un moment exceptionnel dans la magie de ce théâtre, dans ce retour au source du XVI siècle. Voir billet sur le Globe ICI 
La queue pour les places du parterre quelques heures avant la représentation
Le public s'amasse autour de la scène quelques minutes avant l'ouverture du rideau
Comme les "riches" nous étions au balcon

 Une mise en scène étonnante et enlevée

Mise en scène de Imogen au théâtre du Globe par  Matthew Dunster

D'emblée la mise en scène de Matthew Dunster m'a conquise, emportée comme je l'ai été dans un tourbillon étonnant, "amazing" comme disait le public, extrêmement enlevé, virevoltant. Le spectacle  tient de la danse avec des chorégraphies au rythme endiablé, du cirque avec les cascades des comédiens qui s'envolent au-dessus de la scène, mimant les scènes de combat, mais aussi du pur théâtre qui laisse place aux moments d'émotions tout en mettant nettement en valeur l'aspect comique de la pièce. Longtemps on s'est demandé si Cymbeline était une tragédie ou une comédie. Avec Imogen, Matthew Dunster a tranché :  les comédiens ne cessent de nous faire rire. De plus leur gestuelle qui souligne le texte me permettait de mieux comprendre.

Matthew Dunster a choisi de transposer la scène dans une banlieue défavorisée de Londres (ou d'ailleurs) livrée au trafic de drogue. Les règlements de compte, les passages à tabac, les meurtres  sont le quotidien. La violence est omniprésente comme elle l'est chez Shakespeare. Et le metteur en scène ne nous épargne pas même s'il en tire parfois un effet comique.  Cymbeline est un caïd de la drogue et ceux qui l'entourent ne sont plus des nobles mais ses lieutenants, ses gros bras. Il va se mesurer non pas à un général romain comme dans le texte d'origine mais à un autre caïd. Et comme il se doit dans ce milieu-là les femmes doivent obéir et servir les hommes. Aussi quand Imogen se déguise en garçon (avec sa casquette à l'envers comme un gosse des banlieues) et s'enfuit pour sauver sa vie, l'intrigue est tout à fait crédible. Et le plus étonnant c'est que le texte de Shakespeare respecté à la lettre, servi par de très bons comédiens, semble avoir été écrit pour  notre époque et se révèle étonnamment (encore ce mot) moderne. Mais ce n'est pas la première fois que je constate cela à propos de Shakespeare, ce qui est le propre des plus grands dramaturges. On se sent toujours concerné. D'ailleurs le public, en particulier le parterre où la moyenne d'âge était jeune, manifestait son empathie pour Imogen et l'applaudissait quand elle marquait des points. J'ai adoré ce public nature, spontané et enthousiaste; il était un spectacle dans le spectacle !

Bref! Un vrai régal! Un spectacle théâtral que je ne suis pas prête d'oublier !
Maddy Hill,  excellente Imogen, en garçon : survêtement et casquette

 Encore quelques images

Imogen
Allez voir le site du Globe, mise en scène de Imogen, vous pourrez y voir des extraits de la pièce ICI

Un des fils de Cymbeline enlevé à son père dans son enfance. Il cultive du cannabis dans la forêt !

 A la fin de la représentation: Le metteur en scène  Matthew Dunster et les acteurs
A côté d'Imogen, Maddy Hill,  en noir et avec les béquilles Cymbeline le roi : Jonathan McGuinesss







dimanche 20 novembre 2016

Victor Hugo La légende d'un siècle de Giorda



Je pensais que la LC  sur Victor Hugo de ce dimanche 20 Novembre concernait la tragédie de Torquemada une des pièces du recueil Théâtre en liberté.  Je me rends compte un peu tard que notre lecture portait sur la biographie de Victor Hugo et que Torquemada était pour le mois de décembre.
Catastrophe ! Du coup je vous présente une biographie,  en direction des plus jeunes, que j’avais sous la main et que j’ai eu le temps de relire car le livre est rapide. Je me donne donc le temps de choisir une autre biographie que je vous présenterai par la suite.

Victor Hugo, la légende d’un siècle de Giorda, chez Hachette, est un livre que l’on ne trouve plus que d’occasion. Il est destiné aux enfants à partir de 11 ans et suivi d’un dossier sur Victor Hugo et les enfants.
Joseph Leopold Hugo, père de Victor

La vie de Victor Hugo est racontée pour être lue donc par un public jeune en insistant sur l’enfance  et la jeunesse d’Hugo : ses parents ne s’entendant pas, ils ont été séparés, lui et ses frères, tour à tour et à plusieurs reprises, de leur mère ou de leur père ou encore mis en pension. C’est ce qui explique la présence, c’est du moins la thèse de l’auteur, de nombreux enfants malheureux et orphelins dans les romans de Victor Hugo : Cosette, Gavroche, Esméralda volée à sa mère, Marie dans Le dernier jour d’un condamné ou dans Quatre-vingt treize les trois petits, orphelins de père, séparés de leur mère, que découvrent les soldats républicains dans un taillis vendéen.
La jeunesse de Hugo aux Feuillantines avec ses frères et Adèle Foucher et ses jeux d’enfants dans le jardin ou dans le grenier de cet ancien couvent sont aussi mis en valeur par le poème si connu, Aux Feuillantines extrait des Contemplations

 Mes deux frères et moi nous étions tous enfants.
Notre mère disait : jouez mais je défends
Qu’on marche dans les fleurs et qu’on monte à l’échelle.

Léopoldine

Le récit du voyage en Espagne et qui a marqué à tout jamais l’imagination de Victor Hugo quand il était enfant, en particulier avec sa mère qui allait rejoindre son père, général de brigade  et gouverneur de Guadalajara et l'hostilité des espagnols subissant l'occupation et les massacres naopléoniens, est aussi un moment de bravoure.
L’histoire d’amour d’abord contrarié avec Adèle puis son mariage, la démence d’Eugène, son frère, qui était en rivalité  littéraire et amoureuse avec lui, la naissance de ses enfants  et son ascension  littéraire alors qu’il est encore si jeune, lui le héros de Hernani, sa rencontre avec Juliette Drouet, la mort de Léopoldine... sont autant d'évènements qui sont présentés avec simplicité  aux enfants.

Le livre s’attache à montrer d’une manière succincte les évolutions politiques de Victor Hugo : bonapartiste, ce qu'il doit à l’admiration de son père, officier d’Empire;  royaliste sous l’influence de sa mère puis Républicain avec sa découverte de la misère et en particulier de l’exploitation des enfants, de l’horreur de la peine de mort, de l’injustice sociale. Les étapes de la vie de Victor Hugo et ses idées politiques et sociales sont toujours mis en relation avec ses écrits, Les Contemplations avec la mort de Léopoldine, l’exil avec Les Châtiments, l’art d’être grand père avec ses petits enfants, son combat contre la misère, l’injustice avec Les Misérables, Notre Dame de Paris ….. Ce qui en fait une bonne biographie pour permettre aux scolaires de découvrir Hugo.

Quelques anecdotes  marquantes 

Académicien 

L'humour de Juliette : elle se moque de l'ambition de Victor Hugo voulant à tout prix devenir académicien et refusé plusieurs fois avant d'être enfin admis en 1841 :

 Toto se serre comme une grisette; Toto se frise comme un garçon coiffeur ; Toto a l'air d'une poupée modèle ;  Toto est ridicule; Toto est académicien.

Contre la peine de mort

Le dernier jour d'un condamné

Le 3 juin 1854, un criminel de Guernesey est condamné à mort et pendu dans des conditions particulièrement atroces. Victor Hugo qui est alors en exil à Jersey proteste auprès du ministre anglais de la Justice :

A L. Palmerson

Vous pendez un homme, monsieur. Fort bien. Je vous fais mon compliment. Un jour, il y a quelques années de ça, je dînai avec vous. Vous l'avez, je suppose, oublié; moi, je m'en souviens. Ce qui me frappa en vous, c'était la façon rare dont votre cravate était mise. On me dit que vous étiez célèbre par l'art de faire votre noeud.  Je vois que vous savez faire aussi le noeud d'autrui.

La popularité de Victor Hugo

Jean Valjean

Expulsé de Belgique où il s'était réfugié, Victor Hugo arrive au Luxembourg où il reçoit une foule d'admirateurs : 

"Hier, un paysan entre dans le jardin de l'hôtel Koch où j'étais. Il s'approche et me dit :

ET s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là 

Je le regarde; il ôte son chapeau.

"Salut, Victor Hugo", dit-il. Et il ajoute : "On ne dit pas monsieur."

Je lui tends la main, et le voilà qui se met à me réciter des vers de La Légende des siècles, des Châtiments et des Contemplations.

Cet homme est vieux, en blouse et en sabots, et parle bien français. Je lui ai demandé : "Qui êtes-vous? Que faites-vous?".

Il m'a répondu : "Je cultive la terre et je lis Shakespeare en anglais et Victor Hugo en français." (Choses vues)

  Et je vous rappelle  :

Pour le 20 Décembre : un drame : Torquemada (du recueil Théâtre en liberté)

Margotte,  Miriam, Nathalie, Laure, claudialucia
 

 

 

vendredi 18 novembre 2016

Londres : Exposition Georgia O’Keeffe à la Tate Modern


Georgia O'Keeffe : Abstraction white rose Tate Modern 2017 exposition Londres
Georgia O'Keeffe : Abstraction white rose (1927)

Splendide exposition que celle de Georgia O’ Keeffe à la Tate Modern  à Londres qui a eu lieu du 6 Juillet au 30 Octobre 2016. Elle permet de voir toute l’étendue du talent de Georgia O’Keeffe considérée comme l’un des plus grands peintres américains, son évolution, et aussi les rapports  étroits qu’elle entretient avec la photographie, en particulier avec l’oeuvre de Alfred Stieglitz, son mari. Si je continue à aimer particulièrement ses fleurs, j’ai été heureuse de découvrir ses paysages urbains de New York, ses paysages de désert et ses montagnes sculptées par la couleur du New-Mexique.

 L'abstraction

Grey Line with Black, Blue and Yellow (1923)

Le début de l'exposition montre l'intérêt de Georgia O' Keeffe pour l'abstraction dès sa première exposition en 1917 dans la célèbre galerie d'avant-garde new-yorkaise d'Alfred Stieglitz  lorsqu’elle était encore professeur d’art en Virginie et au Texas. Elle s'intéresse à la synesthésie, correspondances entre le son, la forme et la couleur qui traduisent les sentiments qu'elle éprouve en écoutant de la musique.
Dès 1918, à New York,  c’est le début de ses fleurs d’abstraction qui lui valent de la part de la critique d‘être appréciée pour ses qualités « féminines » et pour  l’érotisme de ses oeuvres que l’on cherche à interpréter par la psychanalyse. Une appréciation qu'elle juge réductrice, condescendante et qui d'ailleurs fait scandale comme si son oeuvre avait un double sens, une ambiguïté. Elle s’agace et s’insurge : « Si les gens voient des symboles érotiques dans mes peintures, c’est leur affaire ».

Georgia O'Keeffe  : Green and blue music Tate Modern exposition de Londres 2017
Georgia O'Keeffe  : Green and blue music (1919-1921)
 Même si l'on voit dans les fleurs de Georgia O'Keeffe la représentation de l'appareil génital féminin,  ce qui d'ailleurs n'enlève rien à la beauté de ce qui est représenté, il est certain qu'elles ont pour elle d'autres significations. Green and blue music est un travail sur le rythme, le mouvement et traduit la musique en images.

 Influence de la photographie : New York

Photographie de Albert Stieglitz

Avec Stieglitz et ses amis, elle fait connaissance avec l’art photographique et un échange fructueux va se former entre les deux artistes, entre la peinture et la photographie.

Georgia O'Keeffe : Radiator Building-Night Tate Modern exposition Londres 2017
 Georgia O'Keeffe :Radiator Building-Night

Elle décide alors de peindre New York dès 1925 stimulée par la grandeur de la ville, des gratte-ciel,  et tout ce qui rend cette cité hors norme.

New York Street with Moon :  Georgia O'Keeffe  Tate Modern expostion 2017
New York Street with Moon :  Georgia O'Keeffe

Elle ne changera de thème qu' après le crash de 1929 qui met fin à l’utopie américaine.

 Les fleurs

Georgia O'Keeffe : Oriental Poppies 1937 exposition Tate Modern Londres
George O' Keeffe : Oriental Poppies 1937

Elle reprend le thème de la fleur car, dit-elle « personne ne regarde une fleur, -vraiment- c’est si petit- Nous n’avons pas le temps… »
Elle la peint avec réalisme, cherchant à échapper à ceux qui y voient une allusion anatomique.  Son observation précise, minutieuse et son interprétation démesurément grossie, donnent au spectateur l’impression de pénétrer dans un univers étrange, magique où celui-qui regarde devient minuscule. De même que l'Alice de Lewis Caroll, qui ne cesse de rétrécir ou de grandir, on est est amené à comprendre la relativité de toutes choses. La peinture de ces fleurs nous donnent un regard neuf. Nous ne pouvons plus voir la nature de la même façon.

Georgia O' Keeffe : Two Calla Lilies on Pink Tate Moerd, exposition Londres 1017
Georgia O' Keeffe : Two Calla Lilies on Pink (1928)

Georgia O'keeffe : Jimson Weed/White Flower No. 1, 1932 Tate Modern Londres
Georgia O'Keeffe : Black iris III 1926 Tate Modern exposition 2017
Georgia O'Keeffe : Black iris III 1926

 Le Nouveau-Mexique : une nouvelle source d'inspiration

Georgia O'Keeffe  : Black mesa landscape exposition Tate Modern Londres
Georgia O'Keeffe  : Black mesa landscape
Ce sont ensuite des séjours répétés au Nouveau-Mexique où elle se sent chez elle et où elle s’installera définitivement en 1949. Le paysages du Nouveau Mexique, le désert, les crânes d’animaux, les montagnes rouges sont les sujets de ces peintures. Elle est fascinée par la culture des peuples amérindiens du sud-ouest dont elle peint les objets rituels.

Georgia O'Keeffe : From the fareway, Nearby 1937

Georgia O'Keeffe : Black cross with Star and Blue Londres expositions 2017
Georgia O'Keeffe : Black cross with Star and Blue



  Georgia O' Keeffe par Alfred Stieglitz
Georgia O' Keeffe par Alfred Stieglitz


Georgia O'Keeffe, née le 15 novembre 1887 à Sun Prairie, dans le Wisconsin, et morte le 6 mars 1986 à Santa Fe, Nouveau-Mexique, est une peintre américaine considérée comme une des peintres modernistes majeures du XXᵉ siècle.

jeudi 17 novembre 2016

John Keats : La Belle dame sans merci

Peintres préraphaélites  : Frank Dicksee (1902) La Belle dame sans merci (musée de Bristol)
Frank Dicksee (1902) La Belle dame sans merci (musée de Bristol)

La Tate Britain à Londres et le musée de la ville de Bristol présentent de nombreux tableaux préraphaélites. L’un d’eux à Bristol illustre le poème de Keats, poète romantique : La belle dame sans merci.

John Keats, poète romantique, a trouvé son inspiration dans un poème du Moyen-âge d'Alain Chartier paru en 1424 qui développe un thème traditionnel : celui de la femme belle mais impitoyable qui enchaîne l’homme dans un amour sans retour puis l’abandonne, à tout jamais absent de lui-même.

Le thème de la Belle dame sans merci apparaît souvent au cours des siècles dans la littérature et la  peinture, en particulier des préraphaélites. Ces peintres s’inspirent, en effet, du patrimoine littéraire notamment du Moyen-âge en puisant dans les vieilles légendes, dans les récits traditionnels, centres d’intérêt qu’ils partagent avec les romantiques.

La belle dame sans merci de Keats s’inscrit donc bien dans le mouvement romantique dans la mesure où il met le moyen-âge à l’honneur avec son chevalier en armes, errant pâle et solitaire dans un paysage qui incarne l’hiver des sentiments et préfigure la mort. Le chevalier est asservi à sa dame et il lui doit fidélité et dévotion. Mais l’amour et de la mort sont étroitement liés puisque au moment même où le chevalier semble pouvoir accéder à la concrétisation charnelle de l’amour, la mort apparaît avec la vision des spectres. La souffrance, l’amour éthéré et éternel sont des thèmes éminemment romantiques.

La belle dame sans merci dans notre monde actuel a pour avatar, me semble-t-il, la femme fatale des romans et des films noirs, tout aussi dangereuse pour l’homme puisqu’elle le conduit inexorablement à sa perte. 
 
Et si l’on pousse plus loin, Eve, en tentant Adam et en le faisant chasser du paradis terrestre, ne serait-elle pas la première femme fatale et sans merci de l’humanité ? C’est ce qu’ont toujours pensé les grands de l’église dont la misogynie était sans égale. La faute des femmes, toujours, je vous dis !
 

Arthur Hughes : La belle dame sans merci



Ah! qui peut te faire souffrir, chevalier en armes
Errant pâle et solitaire !
Les joncs sont desséchés au bord du lac,
Aucun oiseau n'y chante.

Ah! qui peut te faire souffrir, chevalier en armes
Si farouche et si malheureux?
Le grenier de l'écureuil est rempli,
Et la moisson est rentrée.

Je vois un lis sur ton front
Avec la moiteur de l'agonie et la rosée de la fièvre ;
Et sur la joue une rose qui se flétrit
Et se fane de même rapidement -

J'ai rencontré une dame, dans les prés,
D'une grande beauté - la fille d'une fée ; -
Ses cheveux étaient longs, ses pieds légers
Et ses yeux sauvages.


Frank Dicksee (1902) détail

Je tressai une guirlande pour sa tête,
Puis des bracelets et une ceinture qui embaumait ;
Elle me regardait comme si elle m'aimait
Et poussa un doux gémissement.

Je l'assis sur mon coursier paisible
Et ne vis rien d'autre tout le long du jour ;
Car elle se penchait de côté et chantait
Une chanson de fée.

Elle trouva pour moi des racines d'un goût exquis,
Du miel sauvage et la manne de la rosée ;
Et sûrement en langage étrange elle me dit :
Je t'aime véritablement.


Waterhouse : La Belle dame sans merci


Elle m'entraîna dans sa grotte d'elfe ;
Là, me contemplant, elle poussa un profond soupir :
Là, je fermai ses yeux sauvages et éperdus
De quatre baisers.

Et là, en me berçant, elle m'endormit
Et là, je rêvai, ah ! Malheur véritable !
Le dernier rêve que j'aie jamais rêvé,
Sur le flanc de la froide colline.


Henry Meynel



Je vis des rois pâles et des princes aussi,
De pâles guerriers - tous avaient la pâleur de la mort,
Et criaient : "La Belle Dame Sans Merci
Te tient en servage !"

Je vis leurs lèvres affamées, dans les ténèbres,
Grandes ouvertes pour me donner cet horrible avertissement ;
Et je m'éveillai et me retrouvai ici,
Sur le flanc de la froide colline.

Et voilà pourquoi je reste ici
Errant pâle et solitaire :
Bien que les joncs soient desséchés au bord du lac,
Et qu'aucun oiseau ne chante.

Les préraphaélites à la Tate Britain

 

Mariana de Sir John Everett Millais
 
 
"Le XIXe siècle anglais est dominé dans la peinture, par l’Académie Royale qui définit ce que doit être l’art et à quoi il doit ressembler. En 1848 un groupe de jeunes peintres remettent en question les principes enseignés et forment la Confrérie préraphaélite avec l’intention de revenir à une peinture plus proche de la nature, non formatée et en quête de perfection tant au niveau de la forme que de l’expression.

La peinture est enseignée sur le modèle classique italien dans lequel le peintre Raphaël fait figure de référence. Lorsque trois peintres décident de former un groupe portant le nom de préraphaélite, ils affirment leur volonté de revenir aux styles antérieurs à la renaissance classique : le gothique, pour sa pureté spirituelle qu’ils considèrent comme perdu à leur époque, et les styles primitifs flamand et italien de la première renaissance pour leur représentation réaliste de la nature.

Le groupe initial se forme autour des fondateurs John Everett Millais, William Hunt et Dante Gabriel Rossetti. Même si l’inspiration leur vient du passé, leur démarche est avant tout avant-gardiste et politiquement contestataire. La tradition et l’esprit victorien font figure de modèle à ne pas suivre. Leur style d’un extrême réalisme est souvent créé d’après nature, l’invention récente du tube de peinture leur permettant de sortir de l’atelier et de peindre en plein air. L’habitude de peindre en extérieur sera reprise par le groupe français qui donnera bientôt naissance au mouvement impressionniste."
  ( Histoire de l'art voir la suite ici)
 

John William Waterhouse : Sainte Eulalia (1885) 

Georges Frederic Watts : Hope (1866) 
Edward Coley Burne Jones : Love and the Pilgrim de Burne Jones (1896_97)
L'annonciation de Dante Gabriel Rossetti (1849_50)
Arthur Hughes : April Love

Henri Wallis : Chatterton (1856)

William Hollmann Hunt : Our english coast

 

Préraphaélites du musée de Bristol 

 


Dante Gabiel Rossetti : Louisa Ruth Herbert


John Everett Millais :  The bride of Lammermoor

Wens devant le tableau de Lucy de Lammemoor

 
Wens (du blog En effeuillant le chrysanthème), pour les intimes Francis, et pour Asphodèle Wensounet, exprime ce qu'il pense des préraphaélites ! Il ne lui manque que la parole!
 
 

 I met a lady in the meads 

 

Walter T. Crane : La belle dame sans merci (1865)

Et pour ceux qui veulent lire le texte en anglais :

O what can ail thee, knight-at-arms,
Alone and palely loitering?
The sedge has withered from the lake,
And no birds sing.

O what can ail thee, knight-at-arms,
So haggard and so woe-begone?
The squirrel’s granary is full,
And the harvest’s done.

I see a lily on thy brow,
With anguish moist and fever-dew,
And on thy cheeks a fading rose
Fast withereth too.

I met a lady in the meads,
Full beautiful, a fairy’s child;
Her hair was long, her foot was light,
And her eyes were wild.

I made a garland for her head,
And bracelets too, and fragrant zone;
She looked at me as she did love,
And made sweet moan

I set her on my pacing steed,
And nothing else saw all day long,
For sidelong would she bend, and sing
A faery’s song.

She found me roots of relish sweet,
And honey wild, and manna-dew,
And sure in language strange she said—
‘I love thee true’.

She took me to her Elfin grot,
And there she wept and sighed full sore,
And there I shut her wild, wild eyes
With kisses four.

And there she lullèd me asleep,
And there I dreamed—Ah! woe betide!—
The latest dream I ever dreamt
On the cold hill side.

I saw pale kings and princes too,
Pale warriors, death-pale were they all;
They cried—‘La Belle Dame sans Merci
Hath thee in thrall!’

I saw their starved lips in the gloam,
With horrid warning gapèd wide,
And I awoke and found me here,
On the cold hill’s side.

And this is why I sojourn here,
Alone and palely loitering,
Though the sedge is withered from the lake,
And no birds sing.