Rivière trop tôt partie, d'une traite , sans compagnon,
Donne aux enfants de mon pays le visage de ta passion.
Donne aux enfants de mon pays le visage de ta passion.
René Char
La littérature du Vaucluse, région qui voit le jour dans la Vallis Clausa, la vallée Close, résurgence de la Sorgue aux eaux vertes, est ancrée dans un "pays" géographique où les lieux sont nommés et tracent des itinéraires concrets. Cette littérature, qui se nourrit de la "chair "d'une région, a pour cadre les grandes villes, Orange, Carpentras, Cavaillon, et Avignon, altière, dominant le Rhône... Elle évoque aussi les paysages colorés, odorants, changeants, soumis aux caprices de la nature : l'eau, le vent, le soleil ... Elle s'imprègne de composantes géographiques précises : rivières, plateaux calcaires et montagnes....
Vallis Clausa
Avignon, c'est l'enfance et surtout l'obsession des eaux. Il y a là deux fleuves, le Rhône et la Durance. J'ai vécu longtemps à leur confluent. j'ai connu leur violence, leur brutale personnalité, leur grandeur
écrit Henri Bosco dans ses Souvenirs d'enfance. Cette obsession caractérise la plupart des auteurs qui ont écrit sur le Vaucluse. Entre les bras de Durance et Rhône qui forment ses frontières naturelles, Vaucluse naît donc de l'eau, sources bruissantes des hauts plateaux de Sault, ruisseaux capricieux qui dévalent les pentes du Lubéron, filets argentés qui s'infiltrent dans les hauteurs des monts Ventoux ou du Vaucluse, de la montagne de Lure...
Et puis, dans la Vallée Close qui lui donne son nom jaillit à la lumière la source mystérieuse qui est, dit Georges de Scudéry, écrivain du XVIIème siècle, originaire d'Apt, en mesme temps et Fontaine et Rivière : La Sorgue. Elle se rue dans la vallée telle le serpent légendaire, la Coulobre, chassée par Saint Véran. Enfin guidée par l'homme, elle se ramifie et devient plurielle, les Sorgues, réseau hydrographique complexe comme une toile d'araignée que l'Ouvèze recueille.
Lorsque poètes et écrivains célèbrent l'eau du Vaucluse dans leurs oeuvres, ils choisissent d'abord de l'évoquer comme source vie, rivières des frais ombrages et des berges fleuries. La Fontaine du Vaucluse et les rives de la Sorgue avant de devenir des sites mythiques hantés par les fantômes de Laure et de Pétrarque sont d'abord, en effet, des lieux paisibles où promeneurs et poètes vont chercher refuge.
François Pétrarque et René Char
Quand François Pétrarque s'installe près de la Fontaine en 1537, au pied du château des évêques de Cavaillon, c'est pour chercher un refuge éloigné de la ville d'Avignon. De cet endroit, il écrit à ses amis italiens et avignonnais, des lettres restées célèbres, publiées dans un recueil Séjour à Vaucluse (Rivages-poche)
L'aspect troublé de la ville écrit-il à son ami, Gulielmo di Pastrengo, légiste et humaniste véronais, et le doux amour d'une campagne charmante m'avaient poussé à visiter les eaux transparentes et la source admirable de la Sorgues qui donne aux poètes un puissant aiguillon et au génie de vaillantes ailes. .. Une partie est bordée par une rivière profonde et l'autre est entourée d'une montagne neigeuse aux roches escarpées dont les hauteurs s'opposent à l'Auster (mistral) brûlant; c'est là que se répand l'ombre vers le milieu du jour.
Il y décrit sa vie avec son métayer pour tout serviteur et pour compagnon son chien fidèle. Là, il cultive son jardin où les fleurs printanières le ravissent. Il goûte les joies frugales et rustiques de la campagne au coin du feu, l'hiver, pendant les longues nuits froides, et sous la fraîcheur des feuillages en été où l'on se réfugie pour échapper à l'ardeur du soleil. Il y apprend aussi à pêcher, à manier avec dextérité les filets et s'émerveille de son nouveau savoir :
Devenu pêcheur, je manie, au lieu d'épées, des hameçons recourbés munis d'appâts trompeurs..
Quelques siècles après une autre voix de poète s'élève dans ces mêmes lieux. C'est, en effet, ce charme calme et un peu hors du temps que célèbre René Char dont la vie a été baignée par la rivière aux eaux vertes :
J'avais dix ans. La Sorgue m'enchâssait. Le soleil chantait les heures sur le cadran des eaux ( Déclarer son nom)
La propriété familiale aujourd'hui disparue où coule un petit affluent de la Sorgue, les Névons, a été témoin de l'enfance du poète :
Dans le parc des Névons/Ceinturé de prairies/Un ruisseau sans talus/ Un enfant sans ami/ Nuancent leur tristesse/ Et vivent mieux ainsi (Jouvence des Névons)
C'est ainsi qu'à des centaines d'années de distance s'établit un dialogue entre les deux poètes les plus connus de la Sorgue :
De Pétrarque à Char ... Deux hommes si différents, éloignés dans le temps, les préoccupations, les mentalités. Et pourtant leurs voix s'entrelacent, se nouent, s'éloignent comme un soupir, pour revenir bientôt en écho, dans un même chant célébrant la Rivière :
Vous verriez les oiseaux aériens faire leur nid à la cime des branches verdoyantes ,les oiseaux fluviatiles bâtissant leur nid sur un écueil, les uns tapissant de mousse, les autres de feuillage; la faible couvée agitant sous des ailes amies et prenant sa nourriture d'un bec tremblant. Les voûtes des grottes retentissent alors de chants harmonieux, d'un côté la couleur appelle les yeux, de l'autre le son attire l'oreille écrit Pétrarque .
Je suis épris de ce morceau tendre de campagne, de son accoudoir de solitude au bord duquel les orages viennent se dénouer avec docilité, au mât duquel un visage perdu, par instants s'éclaire et me regagne. De si loin que je me souvienne, je me distingue, penché sur les végétaux du jardin désordonné de mon père, attentif aux sèves, baisant des yeux formes et couleurs que le vent semi-nocturne irriguait mieux que la main infime des hommes renchérit Char.Pétrarque : L'automne vous fournit des fruits délicieux
Char : L'automne! Le parc compte ses arbres bien distincts. Celui-ci est roux traditionnellement; cet autre fermant le chemin est une bouillie d'épines
Char : Tigron, mon chien, bientôt tu seras un grand cerisier et je ne saisirai plus la connivence de ton regard, ni le tremblement de l'anse de ton museau, ni se projetant de droite et de gauche tes abois prévenants jamais ennuyeux.
Pétrarque : De plus mon chien fatigue de ses sauts les collines et les rivières; il imite de sa voix criarde le chant des enfants et fait des choses risibles. Ennemi implacable des oies qui se plaisent dans les bas-fonds, il les poursuit sur le rivage et sur les écueils élevés.
Si pour Pétrarque Vaucluse représente un moyen d'échapper aux intrigues de la cour papale pour goûter la méditation et chanter son amour pour Laure loin des déchirements de la passion, la Sorgue est tout aussi vitale pour Char. Ce pays à la fois réel et mental est pour lui la Contre-Terreur qui lui permet de résister aux fureur et mystère d'une époque troublée :
La contre-terreur, c'est ce vallon que peu à peu le brouillard comble, c'est le fugace bruissement des feuilles comme un essaim de fusées engourdies, c'est cette pesanteur bien répartie, c'est cette circulation ouatée d'animaux et d'insectes tirant mille traits sur l'écorce tendre de la nuit,
La Chanson pour Yvonne intitulée La Sorgue permet de découvrir toute l'importance que cette rivière revêt pour lui, elle qui préside à sa vocation de poète et conserve l'homme adulte à lui-même en le gardant fidèle et pur à la création poétique :
Rivière au coeur jamais détruit dans ce monde fou de prisonGarde nous violent et ami des abeilles de l'horizon.
Il serait facile de montrer les dissemblances existant entre les deux poètes, notamment dans leur univers mental, leur mode de pensée, mais j'ai préféré souligner la similitude de ces deux voix qui, se rejoignant au-delà siècles, me paraissent très pures et très belles .
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