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lundi 13 juin 2011

Tiziano Scarpa : Venise est un poisson

 

Venise est un poisson de Tiziano Scarpa! Voilà déjà un moment que je regardais avec envie du côté de ce diable de petit livre mais je savais que si je le lisais, je serais tellement imprégnée par la ville que la nostalgie naîtrait! Et bien voilà! C'est fait! Quand je vous le disais qu'il était diabolique, ce Tiziano Scarpa!
Venise est un poisson se présente comme un guide de la ville mais un guide qui vous dit "Tu", qui vous prend par la main pour vous éloigner des sentiers battus, pour partir à la découverte d'une Venise qui n'est pas celle des touristes. Et pour cause! Tiziano Scarpa ( s'appeler Tiziano quand on est vénitien, avouez que c'est savoureux!)  raconte sa ville, celle de son enfance et de ses jeux, de son adolescence et de ses premiers émois amoureux, celle aussi des adultes qui n'est pas toujours facile à vivre. Il  donne ainsi les clefs pour mieux la comprendre, pour la voir avec des yeux neufs. Certes, il ne vous dit pas tout car il trouve bon de garder pour lui les petits coins discrets et authentiques de sa chère cité mais si vous faites un effort...  car Venise, la vraie, l'intime, se mérite!
Mais Venise est un poisson est bien autre chose qu'un guide! C'est aussi une invitation au voyage qui fait appel à tous vos sens. On y apprend que si l'on voit avec les yeux (méfiez-vous de la beauté radio-active de Venise qui risque de vous terrasser, du sublime qui ruisselle à flots des églises), on peut y "voir" aussi avec les pieds, les mains, les oreilles, la bouche, le nez...
On y entend le silence et le fracas de Venise, cette ville totémique habitée par des milliers d'allégories en chair et en os,du poil, des plumes, des palmes, des bestiaires symboliques, des animaux vivants plus chimériques que les lions de pierre. On y sent "la puanteur chronique" des canaux dont chacun a une odeur caractéristique. Et puis, on ne peut s'empêcher de la toucher, Venise : Tu l'effleures, la caresses, lui donnes des chiquenaudes, la pinces, la palpes. Tu mets les mains sur Venise.
Enfin, Venise est un poisson, c'est une langue belle, concrète, sensuelle, une langue évocatrice et riche, pleine d'humour aussi, qui sait faire voir, faire sentir, qui sait décrire la rugosité des pavés sous votre pied, le roulis du bateau sous vos jambes, la saveur des mots vénitiens qui roulent sous votre langue ou celle des rouleaux d'anchois, des pattes de crabe, des olives d'Ascoli qui fondent dans votre bouche. Un style qui rend sensible la profusion, le foisonnement, la luxuriance de cette ville hors du temps, un style qui rappelle l'étourdissement, le vertige qui s'emparent de vous, visiteur subjugué par la Serenissime : Tu es prise  à coups de façades, giflée, malmenée par la beauté. N'aggrave pas ton cas et cesse de courir derrière des statues et des peintures.. Et enfin la poésie est là qui surgit par exemple au détour d'une description visionnaire, celle de Venise bâtie sur pilotis : Les Vénitiens ont enfoncé dans la lagune des centaines de milliers et des millions de pieux... Tu es en train de marcher sur une immense forêt renversée, tu es en train de te promener sur un incroyable bois à l'envers.

Merci à Dialogues Croisés et aux éditions Christian Bourgois



Le syndrome de Stendhal à Florence


La Vénus de Botticelli
Qu'est-ce que le syndrome de Stendhal?  Dans son journal de voyage en italie, Stendhal consigne les sensations qu’il a éprouvées lors d’un séjour à Florence en 1854. En sortant de la basilique de Santa Crocce, il ressent  une émotion extrême liée, dit-il, à la contemplation de la beauté sublime. Un sentiment de panique s’empare de lui, accompagné de palpitations, de vertiges.
Stendhal

J'étais arrivé à ce point d'émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j'avais un battement de cœur, [...] la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber.
La psychiatre Graziella Magherina a observé les mêmes symptômes sur des touristes visitant Florence, hospitalisés dans ses services; elle a donné à cette maladie le nom de "syndrome de Stendhal" dans un essai où elle décrit les symptômes de la maladie. Il s'agit d'un syndrome psychosomatique déclenché par l’exposition à des œuvres d’art, évanouissements, tachycardie, crampes d’estomac, troubles neurologiques, angoisse, confusion. Un film d'après le livre de Graziella Magherini  a même été réalisé par Dario Argento.

Les années 60 :

Quand, adolescente,  je suis allée à Florence, je n'ai pas éprouvé le syndrome de Stendhal, non! Mais quelque chose qui s'y apparentait, un coup de foudre absolu, un enchantement de tous les instants, un étonnement devant cette ville où le visiteur n'a pas à aller chercher les oeuvres d'art, où c'est L'Art qui vient à lui dans la rue, sur une place, partout...  C'était mon premier voyage hors de France et quel voyage!

Retour à Florence en 2005 :

Nous avons loué un appartement non loin de la basilique Santa Crocce, celle-là même où Stendhal eut son malaise ! C’est un quartier populaire, un peu éloigné des grands lieux touristisques même s’il est proche de la plus grande des églises de Florence. Le matin, nous y voyons les gens partir travailler en bicyclette, ou en  bus. Le marché San Ambrogio s’anime et nous allons y faire nos courses avec les ménagères du coin. De toutes petites boutiques à la devanture étroite et sombre, épiceries, boulangeries, drogueries, cafés s’ouvrent sur la rue, avec devant leur porte des groupes d’hommes discutant volubilement, le verbe haut, le geste éloquent. Près de la Basilique où se trouve l’école du cuir, les boutiques de sacs et vêtements en peau sont nombreuses.
 Nous reprenons contact avec Florence. Qui sait si nous la reconnaîtrons?
Elle a vécu l’uniformisation européenne. Quel que soit le pays d’Europe où je suis allée toute jeune, je sens, quand j’y retourne, que chacun de ces pays a perdu un peu de ce qui se faisait sa spécificité. Il ressemble  toujours un peu plus à l’autre, aux pays de l’Union. Pas complètement mais... on ne peut plus éprouver ce sentiment un peu magique de dépaysement, cette sensation d’être transporté ailleurs dans un monde différent du nôtre ! C’est cela l’Europe, et même si l’on peut en  éprouver du regret, au moins on ne se fera plus la guerre entre voisins. Les ouvriers de Pologne, de France, d’Italie ou d’ailleurs y seront encore plus durement exploités par un capitalisme triomphant qui a cessé d’être à l’échelle d’un pays.. mais comme l’a chanté Brassens "nos filles et nos garçons" y font "l’amour ensemble et l’Europe de demain".
De plus Florence subit une telle pollution que la circulation des véhicules à moteur y est sévèrement réglementée. Et puis, comme partout le tourisme de masse s’est encore élargi, les queues sont interminables, le temps de visite sévèrement minuté dans certains lieux ( chapelle Brancacci, Gozzoli..). Adieu le recueillement, la méditation devant l’oeuvre de votre choix. Stendhal n’aurait plus le temps d’éprouver son syndrôme!! Les italiens n’ont plus la chaleureuse attention  qu’ils portaient à leurs touristes même désargentés. Ils n’en ont ni le temps, ni l’envie ! Trop, nous sommes trop nombreux, nous déferlons sur la ville comme une nuée de sauterelles. Nous apportons des devises, certes, mais les rapports humains ne sont plus ce qu’ils étaient.
Désenchantement alors ? Nostalgie passéiste ?... Mais  Non ! Car le centre historique de la ville est là, immuable dans sa grave beauté, avec ses palais fortifiés, ses places où l’Histoire vit, ses oeuvres d’art qui vous happent au détour d’une rue. Les statues silencieuses  vous interpellent du haut de leur piedestal, vous contemplent sur les murs de l’église Orsan Michele, se mêlent à la foule dans la Loggia dell’Orcagna, dans la cour du Palazzo Vecchio, sur la  place de la Signoria. Partout, Verrochio, Donatello, Cellini, Ghiberti, Della Robia... viennent au-devant de vous, s’offrent à vos regards.

Domenico Ghirlandaio : La naissance de Saint jean Baptiste



Simone de Martine musée des Offices


Eglise San Miniato Florence

Alors, je suis allée à mes rendez-vous. j’ai revu la fine silhouette dansante de la dame en bleu peinte par Domenico  Ghirlandaio sur le mur de Santa Maria Novella; elle s’avance d’un pas léger, toutes voiles dehors dans la chambre où vient de naître la Vierge; elle porte d’un air altier un panier sur la tête; elle est belle comme le sont ses compagnes autour d’elle; elle est ma préférée. J’ai revu l’Homme aux yeux gris du Titien  dans le désordre indescriptible du palais Pitti. Les tableaux montent toujours à l’assaut du mur jusqu’en haut, tout en haut là où il vous faudrait une échelle pour les contempler. Et lui, le beau jeune homme d’un autre temps, il est là, à la  même place depuis plus de quarante ans. C’est fou ce que les conservateurs des musées sont ...conservateurs! J’ai revu les ailes des anges de Fra Angelico et l’air triste de ses vierges auréolées sur les murs du couvent de San Marco, le visage d’enfant boudeur de la Vierge siennoise de Simone di Martini aux Offices, les rois Mages chamarrés de Gozzoli, le tourment d'Adam et Eve chassé du paradis de Masaccio, et  l’éveil de l’Aurore dans les chapelles médicéennes ... J’ai revu la silhouette du Vieux Pont, les jambes plongées dans l’Arno où  s’ébattent des loutres, et l’adorable petite église San Miniato  perchée sur sa colline au-dessus de la Piazzale Michel Ange. De là, j’ai contemplé Florence.



L'homme aux yeux gris : Le Titien



Adam et Eve chassés du paradis de Masaccio

 
 

 Challenge de Nathalie  blog : Chez Mark et Marcel invitation au Voyage en italie ICI

Texte écrit et publié en 2005 pour Voix Nomades, site de voyage aujourd'hui disparu

Rome, la chapelle Sixtine redécouverte de Robin Richmond

  La sybille de Delphes

Adieu à la chapelle Sixtine

Mon dernier voyage à Rome remonte à Septembre 2007. J'avais lu tous les avertissements dans les guides,  j'avais écouté tous les conseils de mes amis : il fallait arriver avec au moins une heure d'avance  par rapport à l'ouverture des musées du Vatican pour être parmi les premiers (milliers?) à entrer. Ainsi vous pourriez avoir l'espoir  de profiter de la chapelle Sixtine et d'apercevoir ne serait-ce que le pied de la Sybille de Delphes (ma préférée!) .

 Et voilà que je suis arrivée juste à l'heure et qu'il y avait déjà deux kilomètres de queue soit, après calcul, quelque dix mille personnes avant moi! Plus de vingt cinq mille touristes allaient défiler dans ces lieux en cette journée de Septembre. Rien d'extraordinaire, la banalité quotidienne! Alors j'y ai renoncé.

 
 
 
La sybille de Lybie

 
J'ai eu la chance de voir la chapelle Sixtine (et les stanze de Raphaël) quatre fois dans ma vie et je ne voulais pas gâcher le souvenir que j'en avais. Chaque fois que je suis venue à Rome, en effet, je suis allée admirer les fresques de Michel-Ange. Je me souviens de l'émerveillement de la première fois, je me souviens que l'on pouvait  alors rester dans la chapelle le temps qu'il fallait pour être ivre d'images, de couleurs, de formes, d'histoires. 

Même alors il n'était pas facile de la visiter car, s'il y avait peu de visiteurs (relativement), être face à ces milliers de personnages peints au plafond et qui vous dominent dans un mouvement tumultueux donne le tournis. Au bout d'un moment le cou, les épaules, les yeux deviennent douloureux. Mais on pouvait se servir d'un miroir pour regarder le plafond sans se tordre le cou et des gardiens pleins de sollicitude en procuraient à ceux qui n'en avaient pas. J'ai même vu une personne étendue de tout son long sur le sol, d'autres assises par terre pour contempler à leur aise la Création  du Monde.

 Je comprends bien que l'on puisse désirer entrer à tout prix dans les musées du Vatican si on ne les connaît pas! Mais quant à moi, je ne verrai plus jamais la chapelle Sixtine.


Deux Américains à la Sixtine

Entendu cette conversation (que je traduis) entre deux américains de Boston.
-Vous avez vu la Sixtine?
-Oui it's awful (horrible) j'ai fait plus d'une heure de queue!
- Et ça vous a plu?
-Quand je suis arrivé à y pénétrer, je me suis senti poussé à l'extérieur en ayant eu à peine le temps de lever la tête! Je n'ai rien vu!
- It's awful! Et dire que chez nous non seulement les musées sont gratuits mais encore on peut y rester toute la journée.
-  Ici, on vous fait payer bien cher et on vous met à la porte!
 It's Awful !
-Yes, awful!
-mais enfin c'était beau?
-Perhaps! Peut-être!

Un livre en guise de consolation

 


 


Cependant pour me faire pardonner ma non-visite, je vous emmène faire un voyage dans ce livre : Michel-Ange, La chapelle Sixtine redécouverte de Robin Richmond paru en 1993 après la restauration de la Chapelle Sixtine qui avait, à l'époque provoqué un tollé de la part de certains amateurs d'art. Les couleurs fânées, délavées, de la chapelle allaient apparaître vives, rutilantes. Bref! comme elles l'avaient forcément été quand Michel Ange la peignait. Pas de quoi fouetter un chat! Quant à moi, je m'en suis fort réjouie!
 
Le prophète Daniel


Feuilleter cet album, c'est voir les personnages de Michel Ange comme vous ne les verrez jamais. De près! avec des vues d'ensemble qui montrent la composition de la voûte mais aussi des détails, la beauté d'une main, d'une chevelure, la fulgurance d'un regard, la majesté d'un geste. Robin Richmond après une rapide introduction sur la Renaissance et sur Michel-Ange (1475-1494), les influences qu'il a subies, nous décrit la genèse de l'oeuvre, de la commande à la réalisation. Elle nous explique la technique de la peinture à fresque et son extrême difficulté, les souffrances endurées par l'artiste. Elle nous montre les étapes de la restauration et ses résultats. Enfin, elle termine sur Michel-Ange, homme de la Renaissance, peintre, sculpteur, architecte de génie et aussi poète. Un très beau livre!



Michel Ange La création d'Adam




Le déluge Michel Ange la chapelle Sixtine


 
 
Michel-Ange, la chapelle Sixtine redécouverte  traduit de l'anglais par Denis-Armand Canal éditions  Herscher

Chambre avec vue : Edward Forster et James Ivory avec vue sur l’Arno

 



  Rappelons que le roman de Edward Morgan Forster Avec vue sur l'Arno raconte l'histoire d'une jeune anglaise Lucy Honeychurch, en voyage à Florence, accompagnée de son chaperon, sa vieille cousine célibataire Charlotte. Dans la pension de famille où elles descendent, George Emerson et son père leur cédent leur chambre avec vue sur l'Arno. C'est avec leur guide Baedeker, indispensable à toute anglaise en voyage en Italie, que les deux femmes visitent la belle cité toscane. C'est à Florence et dans sa campagne florentine que la jeune fille va éprouver ses premiers émois amoureux.

Sur les traces du film de James Ivory : Chambre avec vue




Le film de James Ivory, Chambre avec vue - adapté du roman de E.M Forster - fut pendant des années l’une des oeuvres cinématographiques  préférées de mes filles et heureusement pour moi je l'aimais beaucoup aussi car j'ai dû le voir en boucle je ne sais combien de fois!  C’est donc sur les traces de la charmante héroïne anglaise, la belle Lucy Honeychurch, en voyage à Florence, que nous avons marché lors d'un retour dans cette ville que je ne me lasse jamais de visiter. C'était en Novembre 1994*.
Places des Innocents


D’abord une visite obligée sur la place des Saints Innocents à la statue équestre de Ferdinand 1° de Médicis sous laquelle nous nous plaçons pour lancer à la cantonade comme le fait la compagne de Lucy : "Buon giorno, Buon giorno, Ferdinando! ".


Ferdinando
Le Ferdinando en question reste sourd à nos appels mais il attise notre curiosité.  Qui est-il ce Grand Duc (1519-1574) perché sur son monumental cheval au milieu de la place de la Santassima Annunziata? Il faut se plonger dans l’arbre généalogique de la famille de Médicis pour le découvrir  : fils de Cosme 1°, il fait partie de la branche de Laurent l’Ancien, collatérale à celle de son frère Cosme l’Ancien (1389-1464), ce dernier considéré par les Florentins comme le Père de la Patrie. La branche de Cosme l’Ancien porte des noms prestigieux : Laurent le Magnifique (1449-1492), le fils de ce dernier, le pape Léon X, Catherine de Médicis reine de France, épouse d’Henri II.  C’est dans la descendance de Cosme l’Ancien que naît Alexandre (1510-1537) qui sera assassiné par son cousin de la branche de Laurent l’Ancien, Lorenzino que Musset rend célèbre sous le nom de Lorenzaccio. Encore de la Littérature!
C’est clair, non? Non! Mais enfin l’amour du cinéma mène à tout et nous retenons surtout, chauvinisme oblige, que Ferdinando est l’oncle de Marie de Médicis, reine de France, épouse d’Henri IV. La vaste place, où il se dresse est splendide dans son élégante sobriété limitée par la basilique de la Sainte Annonciation et par la belle loggia de Brunelleschi qui orne l’hôpital des Innocents. Sur les arcades courent les médaillons en terre cuite bleue de della Robbia qui représentent les enfants orphelins ou abandonnés accueillis dans cet hôpital. Ces innocents qui étaient déposés subrepticement dans une "tour" à l’entrée de l’hôpital, recevaient, paraît-il, dans ces lieux, une éducation soignée, avec l’apprentissage du latin et de la musique.

Devant la Loggia della Orcagna

L'enlèvements des sabines de Jean de Bologne
C’est sur la Place du Vieux Palais della Signoria, que la jeune fille de notre film nous conduit ensuite. Là, devant la Loggia Dei Lanzi (ou della Orcagna) elle s’évanouit après avoir assisté à une rixe suivie d’un meurtre... le Persée de Benvenuto Cellini tendant vers nous la tête tranchée de la Méduse, les Sabines de Jean de Bologne se débattant dans les bras de leur ravisseur, forment l’arrière plan prestigieux de cette scène. Chaque fois que nous nous y promenons l'une de mes filles (et l'autre aussi!) se pâme en imitation de ce moment palpitant où la jeune héroïne tombe dans les bras de.... Il faut dire que c’est là qu’intervient le beau jeune homme qui prendra soin de Lucy  sur la rive de l’Arno, près du Ponte Vecchio.
Enfin une autre très belle scène nous amène à l’intérieur de la basilique Santa Crocce là où sont enterrés les grands personnages italiens, Dante, Galilée, Machiavel, Michel Ange, près de la chapelle ornée des magnifiques fresques de Giotto...

Un sonnet de Michel Ange : La Pieta de Saint Pierre de Rome

Michel Ange comme tous les grands artistes de la Renaissance est un homme de génie qui a plus d'une corde à son arc. Sculpteur, peintre, architecte, il fut aussi, même si c'est moins connu, poète. Ce sonnet est adressé à la Vierge de la Pieta que le sculpteur a fait naître du marbre. Cette naissance toute de beauté et de grâce est  prétexte à une réflexion sur la création artistique, sur la foi mais aussi sur la responsabilité de l'artiste et la mort.

La Pieta de Michel Ange (Saint Pierre de Rome)




L'artiste le meilleur n'a aucune idée qui ne soit déjà enfouie
Profondément dans le marbre.
Et le charme qui retient cette idée ne peut être brisé
Que si les mains obéissent à l'esprit.
Le mal que je fuis et le bien auquel j'aspire
sont cachés en vous, Dame de haut raffinement,
Et mon art n'est pas assez grand pour obtenir ce que je désire.
Votre beauté et votre sévérité ne  sont pas responsable de ma peine,
Pas plus que l'Amour ou le Destin.
Je suis seul comptable de ma destinée,
Car si vous portez la compassion et la mort
Dans votre coeur si digne,
Mon talent indigne ne connaît que la mort.

Les compagnons Troubadours du dimanche :
Edelwe, Mango, Abeille, Emmyne, Chrestomanci, Mariel, Laurence , Ankya, Herisson08, Anjelica , George, Uhbnji , Fleur, Esmeraldae, Armande, Satya, Zik, Lystig, Amos, Bookworm, Emma, Julien, Marie, Yueyin , Soie , Alex , Hambre , Katell , Mathilde, Schlabaya, Hilde, Saphoo, La plume et la page, Tinusia, Chrys, Roseau, MyrtilleD, Cagire, Caro[line], L’or des chambres, Violette, claudialucia, Séverine, Maggie, Sev, Azilis.

dimanche 12 juin 2011

Mary Elizabeth Braddon : Henry Dunbar




Avec Henry Dunbar, Mary Elizabeth Braddon concocte pour ses lecteurs une ténébreuse histoire dont elle seule semble avoir le secret avec un assassin machiavélique, rongé par la peur d'être découvert et en proie au remords,  une jeune héroïne décidée à aller jusqu'au bout pour connaître la vérité et un jeune homme qui parvient à dénouer les noeuds de l'intrigue avec l'aide d'un vrai policier.
Toute cette sombre affaire a son origine dans la faute de jeunesse commise par Henry Dunbar, héritier par son père et son oncle de la grande banque londonienne Dunbar et Baldebery, l'une des plus riches de la Cité. Henry Dunbar demande à son jeune ami Joseph Wilmot, modeste employé à la banque, de lui faire un faux en imitant une signature. La malversation destinée à couvrir les dettes de jeu d'Henry est découverte. Henry est expédié dans une succursale de la banque aux Indes orientales par son père et son oncle et en guise de punition devra apprendre le métier en partant au bas de l'échelle. Joseph Wilmot, lui, est renvoyé sans que Henry, lâche et égoïste, cherche à le défendre. Ce renvoi sera pour Joseph le départ vers une vie ratée et sa haine envers Dunbar ne cessera de croître. Aussi lorsque Henry Dunbar revient des Indes prendre possession de la fortune de son père à la mort de celui-ci, Joseph Wilmot décide d'agir et de se venger. Mais l'on apprend peu après que Wilmot a été sauvagement assassiné alors qu'il se trouvait avec Henry Dunbar.
Autour de ces deux hommes, clefs de l'intrigue, gravitent toute une série de personnages : La fille de Dunbar, Laura  qui n'a jamais vu son père ayant été élevée en Angleterre par son grand père et celle de Wilmot, Margaret. Jeune et belle musicienne qui gagne sa vie en donnant des leçons de piano,Margaret est très dévouée à son père. Elle n'aura de cesse de retrouver son meurtrier. Elle est persuadée que Henry Dunbar est le coupable. La jeune fille est aimée de Clément qui travaille à la banque Dunbar et qui, par amour, sacrifie son ambition et sa carrière prometteuse pour venir en aide à sa fiancée affligée.
Comme dans Le secret de Lady Audley, la romancière nous laisse tout de suite deviner la vérité, sans nous la révéler vraiment.  Aussi l'intérêt du récit n'est pas tant dans le mystère lui-même que dans la façon dont il va être levé et dans les différentes étapes de l'enquête policière qui va nous réserver maintes surprises et péripéties.
Henry Dunbar a de plus  le mérite de nous présenter la société  du XIXème siècle avec ses classes, ses inégalités sociales marquées,  sa conception du mariage basé sur l'argent et considéré comme un moyen de s'élever socialement. Le roman se lit avec plaisir et nous nous intéressons  non seulement à l'intrigue mais aussi aux personnages, en particulier aux jeunes gens, à leurs difficultés, leurs peines mais aussi leurs amours.
* Le challenge Mary-Elizabeth Braddon se termine ce mois-ci. Je l'ai rejoint en route et j'ai lu trois livres tous très agréables de cette auteure anglaise de l'époque victorienne douée d'une imagination débordante; Elle nous prouve  par son talent et son anti-conformisme que certaines femmes comme George Sand en France pouvaient échapper au carcan dans lequel elles étaient emprisonnées.
Henry Dunbar; Le secret de Lady Audley; Sur les traces du Serpent (mon préféré)
Il en est de même du challenge English Classics que Karine clôt avec la nouvelle année. Elle nous promet une récapitulation au mois de Janvier dans Mon coin lecture.

Challenges English classique de Karine et  M. E. Braddon de Lou

Mary Elizabeth Braddon : Le secret de Lady Audley

 


Le secret de Lady Audley est ma deuxième lecture après Sur les traces du serpent de Mary Elizabeth Braddon, écrivain anglais, contemporaine de Dickens et Wilkie Collins .
Dans Sur les traces du serpent Mary Elizabeth Braddon fait preuve d'une imagination débridée et m'avait amusée par son humour, ses personnages décalés et loufoques, son recul sur l'art de l'écrivain. De plus, elle y créait le personnage du détective qui allait connaître une grande vogue dans le roman policier.
Le secret de lady Audley est moins original mais bien mené et écrit d'une plume alerte: Lucy Graham, la très jolie gouvernante de de Mr et Mrs Dawson est une jeune fille simple, intelligente et vive, toujours de bonne humeur mais pauvre. Aussi quand Lord Audley la demande en mariage, elle n'hésite pas et accepte avec ravissement. Certes, elle n'aime pas son époux qui est plus vieux qu'elle et a une fille de son âge, Alicia, mais il est riche! D'autre part, il est en adoration devant elle et la fait vivre dans le luxe. Pourtant, quand Robert Audley, le neveu de son mari, vient leur rendre visite au château accompagné de son ami George Talboys qui rentre d'Australie, lady Audley a un comportement étrange. Elle refuse de les recevoir. George, très déprimé par le décès de sa femme qu'il a appris en rentrant en Angleterre, se conduit lui aussi d'une manière surprenante et insiste pour avoir une entrevue avec la châtelaine. Mais c'est seulement quand George disparaît après l'avoir rencontrée que Robert Audley va commencer à se poser des questions. Avocat de profession qui n'avait jamais exercé sa charge par nonchalance ou paresse, il se lance alors dans une enquête qui lui permettra de découvrir le secret de Lady Audley.
Le personnage de Robert Audley ne manque pas d'intérêt. Ce jeune homme si amorphe qu'il paraît dépourvu d'intelligence et de sentiments aux yeux des autres va sortir de sa léthargie pour sauver son ami. Il se révélera non seulement perspicace, courageux et énergique mais capable d'amitié vraie et découvrira l'amour.
Quant à l'intrigue, l'écrivain nous révèle rapidement qui est George Talboys et ce qui le lie à la jeune femme. Aussi Le secret de Lady Audley ne réside pas dans cette relation mais ailleurs... Le personnage de la jeune femme n'en est pas moins inquiétant même si je trouve sa reddition un peu rapide surtout au moment où elle avait décidé d'une stratégie qui la rendait encore plus machiavélique et qui pouvait aboutir. J'ai eu l'impression que la conclusion était un peu précipitée voire bâclée, ce qui m'a gênée.  Cependant le livre reste agréable à lire et inventif.



                        

Wilkie Collins : Une belle canaille




Les jours se suivent et ne se ressemblent pas! Hier c'était un roman désespérant que je présentais, L'oiseau Bariolé. Aujourd'hui, je passe à un genre plus léger et qui m'a bien amusée!
Le roman Une belle canaille  est paru en 1879 alors qu'il a  été écrit en 1856 dans une période très heureuse de la vie de Wilkie Collins invité alors à Paris par son ami, Charles Dickens. Le ton de ce roman étonnant et même détonant dans la prude Albion de la reine Victoria explique ce retard!
Ce récit gai, insolent, et même iconoclaste, est le reflet de cette insouciance ressentie par Wilkie Collins alors qu'il passait avec Dickens joyeusement ses heures de loisir en compagnie de maints autres amis qui tous avaient à voir avec l'art et la littérature. Tellement désinvolte, d'ailleurs que Collins est très conscient de ce que les pisse-vinaigre (j'espère que vous ne vous reconnaissez pas dans ce termes!)vont en penser!
Francis Softly est un rejeton de bonne famille, petit-fils de lady, et fils de médecin et il a reçu, noblesse oblige, une éducation soignée même si la fortune de son père laisse à désirer. Cependant, s'il écrit pour nous ses confessions, ce n'est pas, surtout pas, dans un but moralisateur mais parce qu'il a eu une vie "hors du commun". Car toutes les turpitudes qu'il nous expose joyeusement, non seulement, il ne s'en repent pas mais encore il s'en vante! Auteur de caricatures qui sont publiées sous un pseudonyme, ne voilà-t-il pas qu'il se laisse aller à caricaturer sa grand mère elle-même et à la représenter en vieille chouette. Et lorsque son père lui enjoint de renoncer à cette activité lucrative, il quitte la maison pour vivre de son art et connaître toutes sortes d'aventures : tour à tour emprisonné pour dettes, faussaire ...  il multiplie les exactions avec une bonne humeur et une drôlerie irrésistible. Et puis, il est amoureux, d'un amour vrai, sincère, et pour les beaux yeux d'Alicia, que ne ferait-il pas? Voilà qui nous le fait juger fort sympathique, ce mauvais garçon! D'ailleurs, le méchant, (car il y a toujours un méchant chez W Collins) ce n'est pas lui! Vous le découvrirez en lisant le livre.
La lecture de ce roman est donc réjouissante d'autant plus que l'humour s'exerce aux dépens d'une société bien pensante, hypocrite et près de ses sous et ceci avec une audace certaine. Jugez plutôt :
A force de tendre ses filets avec beaucoup de dextérité et de patience sous la houlette de ses père et mère ma séduisante soeur Annabella avait réussi à capturer un bon parti en la personne d'un quinquagénaire fané, pingre, au teint bistré, ayant fait fortune aux Antilles.(...) Ce poisson-là avait été très difficile à ferrer et même après qu'Annabella l'eut pris à l'hameçon, mon père et ma mère eurent toutes les peines du monde à le sortir hors de l'eau..
Et voilà pour le mariage, une des institutions les plus sacrées de l'époque victorienne!
Il en est de même pour la Famille considérée comme la valeur la plus noble! Or, notre canaille n'a l'air d'éprouver pour ses parents et sa soeur que de l'indifférence et réciproquement! Le seul qui témoigne un réel intérêt pour sa santé est son beau-frère mais l'on apprend bien vite que c'est parce qu'un héritage est en jeu.
Quant à la leçon de morale que Franck reçoit et respectera toute sa vie -la seule peut-être- elle lui est donnée en prison et à coups de poing par Gentleman Jones, son codétenu :
Il m'a apporté le seul enseignement utile que j'aie jamais reçu; et pour le cas où ceci tomberait sous ses yeux, je le remercie ici d'avoir entrepris et achevé mon éducation en deux soirées et sans qu'il m'en coûtât un sou, à moi ou à ma famille.
Enfin, Francis Softly finira par devenir respectable mais ce n'est que lorsqu'il sera devenu riche; peu importe alors qu'il soit  bagnard et transporté en Australie.
Et Wilkie Collins de conclure avec ce trait d'esprit féroce :
Non, non, mes bons amis! Je ne suis plus intéressant; tout comme vous je suis devenu respectable.



 Voir les billets de Cryssilda et Schlabaya

Mary Elizabeth Braddon : Sur les traces du serpent


Mary Elizabeth Braddon fut un des écrivains les plus célèbres de son époque et si elle a été un peu oubliée par la suite, il semble qu'elle connaisse un renouveau d'intérêt. En témoigne le grand nombre d'articles qui lui est consacré dans le cadre du challenge English classics et qui la place en tête devant de grands auteurs comme Dickens ou Hardy et même Austen!
Pour moi qui ne la connaissais absolument pas alors que je fréquente la littérature victorienne depuis longtemps, j'étais un peu sceptique en ouvrant le premier livre que je lisais d'elle : Sur les traces du serpent. Je savais qu'elle était considérée comme l'inventeur du "sensationnal novel" et je pensais découvrir dans les pages de ce roman toutes sortes de situations rocambolesques plus ou moins crédibles, ce en quoi je n'ai pas été déçue! Par contre, je ne m'attendais pas à la hardiesse du ton, la vivacité du regard qu'elle porte sur la société et l'humour dont elle fait preuve.
Car le moins que l'on puisse dire, c'est que Mary E. Braddon ne manque pas d'imagination, on peut même affirmer à ce propos que c'est un Wilkie Collins multiplié par dix : enfant prodigue qui revient au bercail, assassinat sordide, innocent injustement accusé, méchant le plus noir de la littérature, fille séduite qui se suicide, enfants abandonnés qui découvrent le mystère de leur naissance, femme jalouse prête à tuer son bien aimé infidèle, morts qui ne le sont pas, empoisonnement, incarcération, évasion... Nous allons de surprises en surprises, de rebondissements en rebondissements.
L'écrivain sait utiliser les codes du roman à suspense, du roman noir, du roman policier (comment appeler ce type d'ouvrage car il est tout à la fois!) et en même temps s'en jouer, se moquant bien que son lecteur la suive sur ce terrain ou pas : ainsi Richard Marwood, le beau et malheureux jeune homme qui va être accusé injustement de l'assassinat de son oncle, utilise la lettre qui aurait pu l'innocenter pour allumer sa pipe. De même quand Jabez North, "le serpent", odieux, cruel et ambitieux, va apprendre le secret de sa filiation, l'écrivain ironise sur le fait que comme dans tout bon roman le héros va se découvrir fils de prince; en fait, il est fils de marquis!
Elle est aussi la première, nous dit-on, à inventer le personnage du détective qui s'appuie sur des observations et des faits concrets et se fie à son intuition pour découvrir le vrai coupable. Elle donne, ici, ce rôle à un muet, M. Peters, que tout le monde croit sourd! Très pratique quand on est détective; il suffit de  laisser traîner ses oreilles! Il est secondé par un drôle de petit bonhomme, son fils adoptif, qui a quelque chose du Gavroche de Victor Hugo ou du Pip de Dickens. Car l'écrivain a un don pour mettre en scène et faire vivre des personnages du peuple pris sur le vif. Elle a un art du portrait satirique plein de saveur et elle excelle, par exemple, dans la description des amis de Richard Marwood, la bande des joyeux Cherokees, qui aiment bien la bonne chère et n'hésitent pas à lever le coude un peu plus qu'il ne le faudrait!
Elle épingle aussi au passage les petits et les grands travers de sa société et dénonce avec beaucoup de vigueur, lorsque son héros s'enfonce dans les quartiers pauvres de la ville, la misère totale du peuple face à l'indifférence des nantis.
Un vrai plaisir de découverte!



Jane Austen : Emma

 Participer au challenge English classics me pousse non seulement à découvrir mais à relire des romans que j'avais lus il y a bien longtemps comme Emma de Jane Austen

Emma Woodhouse est une jeune fille riche, intelligente, séduisante qui vit seule avec son père depuis le mariage de sa gouvernante, Melle Taylor. Cette dernière avait remplacé la mère d'Emma, morte quand celle-ci était une enfant. Sa soeur aînée habite à Londres avec son mari et ses enfants. Emma est entourée d'un petit noyau d'amis que son père reçoit volontiers chez lui, de son beau frère M. Knightley, plus âgé qu'elle et qui la critique souvent sans qu'elle s'en laisse remontrer.
Car la grande distraction d'Emma qui se pique d'être une fine analyste des sentiments amoureux est de faire des mariages. Pour l'heure, Emma pense que le pasteur, M. Elton, est amoureux de sa meilleure amie, une jeune fille de dix sept ans, Harriet Smith, enfant naturelle, donc déclassée dans la société. Elle décide de tout mettre en oeuvre pour les amener au mariage. Inutile de dire qu'elle se trompe et que cette erreur ne sera pas la seule!
Emma, en effet, comme toutes les autres héroïnes de Jane Austen, Elizabeth de Pride and Prejudice, Marianne de Sense and sensibility, Catherine de Northanger abbey ... est dans l'erreur. Menée par l'orgueil, par la passion ou par un idéal romantique suranné, et toujours par l'ignorance, l'héroïne de Jane Austen ne peut faire l'économie d'une expérience parfois désagréable pour parvenir à y voir clair dans son coeur comme dirait la Sylvia de Marivaux.
En ce sens, les romans de Jane Austen sont tous des romans d'apprentissage où l'héroïne apprend, souvent à ses dépens, à mieux connaître la société, à être plus lucide sur ceux qui l'entourent et au terme de son histoire à découvrir la sagesse!

user1610.1274353531.jpgCependant, et c'est ce qui ne rend pas Emma très sympathique, c'est toujours au dépens des autres et non d'elle-même que notre héroïne se trompe et elle sort toujours indemne de ses erreurs. Quant elle détourne Harriet du seul homme qui l'aime vraiment, le fermier M. Martin, pour la pousser dans les bras du pasteur Elton qui n'en veut pas, la seule à en souffrir est Harriet! Le fait que cette dernière soit d'une condition inférieure, manque d'intelligence, semblable à une poupée de cire malléable, n'est pas une excuse. Le lecteur a l'impression qu'Emma manipule sa jeune amie comme une marionnette sans âme. Et les remords qu'elle  en éprouve ne la rendent pas plus lucide puisqu'elle est prête à récidiver. Elle se trompera de même à propos de Jane Fairfax et de Frank Churchill. Il lui en faudra plus pour admettre ses erreurs, à croire que l'intelligente Emma a l'esprit brouillé par la bonne opinion qu'elle a d'elle-même, par une certaine vanité et par des préjugés sociaux si fortement ancrés qu'ils l'empêchent de voir l'homme véritable sous l'appartenance sociale, les qualités d'un M. Martin, fermier, et les bassesses d'un M. Elton, pasteur, par exemple.
Jamais, d'ailleurs, Jane Austen n'avait souligné avec autant d'amertume le pouvoir de l'argent et de la hiérarchie sociale qu'elle décrit pourtant dans tous ces romans. Il n'y a pas dans Emma, l'humour piquant, caustique toujours présent qui fait le charme de Pride and prejudice, le regard amusé et attendri qu'elle porte sur la Catherine de Northanger abbey ou la compréhension attentive envers la souffrance de Marianne dans Sense and sensibility. Certes l'ironie austenienne est là. Les portraits des différents personnages tournent à la caricature comme celui de la bavarde et futile Melle Bates, de l'insuportable Mme Elton, épouse du pasteur, infatuée d'elle-même, snob, commère difficilement supportable qui cherche à régir la vie de tous. L'on  pourrait rire aussi de M. Woodhouse, un charmant vieillard, pour qui un mariage est toujours un évènement malheureux car il lui enlève les gens qu'il aime si cela ne soulignait un égoïsme forcené qui le pousse à sacrifier sa fille cadette. Bref! rien ne semble atténuer le pessimisme de l'écrivain dans ce roman.
En effet, quand Jane Austen se décide à remettre de l'ordre dans l'imbroglio sentimental créé par Emma, elle redonne à chacun la place qu'il mérite : la jeune fille bâtarde avec le fermier, le pasteur avec une femme qui a 200 mille livres de rente (une bonne affaire pour Elton mais moins que ce qu'il visait, la fortune colossale d'Emma!), Jane Fairfax modeste- mais éduquée par une famille riche- avec Frank, et Emma elle même avec M. Knightley, entre pairs, bien sûr!
Dans la société de Jane Austen, et dans ses romans, pas de miracle! On ne mélange pas les torchons avec les serviettes!
Quant à l'amour entre Emma et George Knigthley, on peut dire qu'il est bien cérébral et que la passion n'a pas l'air d'être de mise!
Qui a dit que Jane Austen était romantique?

Emma est-il un personnage symptathique ou antipathique?  Les avis sont partagés :
Voir le commentaire de Karine dans mon coin lecture
Voir aussi Wictoria dans Des Livres et des heures 
Lou dans My Lou book

Mary Shelley : Maurice ou le cabanon du pêcheur



Maurice ou le cabanon du pêcheur est un roman que Marie Shelley a écrit pour Laurette, petite fille de ses amis, alors  âgée de 10 ans, lorsque Mary séjournait à Pise en 1820. Le manuscrit, deux petits cahiers, fut retrouvé dans une malle par Cristina Daci, une descendante de Laurette, et authentifié par Claire Tomalin, auteur de la  postface de ce livre publié chez Gallimard en 2001.
Maurice ou le cabanon du pêcheur est l'histoire d'un petit garçon, Henry, enlevé à ses parents par une femme en mal d'enfant. Chez sa nouvelle "mère", Henry qui se prénomme désormais Maurice, est maltraité par le mari de celle-ci et préfère s'enfuir. Il cherche à gagner sa vie en travaillant dans une ferme mais il est trop frêle pour accomplir certains travaux et il se retrouve à la rue. Il est heureusement recueilli par le vieux Barnett,  dont la femme vient de mourir. Maurice accomplit de menus travaux et mène une vie heureuse dans cette cabane située sous une falaise, face à l'océan dont les vagues, au temps des grandes marées, viennent lécher le seuil. Le père d'Henry qui n'a jamais cessé de chercher son petit garçon va retrouver la femme qui le lui a volé, ce qui l'amènera jusqu'à Maurice en qui il reconnaîtra son fils.
Le thème de l'enfance malheureuse, orpheline, abandonnée, volée, est fréquent au XIXème siècle pour ne pas dire banal. Le récit de Mary Shelley est court, écrit dans une langue simple car il s'adresse à une petite fille. Il ne peut être considéré comme une oeuvre majeure mais sa structure est complexe puisqu'il est découpé en trois parties qui présentent chacune le point de vue  d'un personnage différent, chacun apportant des renseignements complémentaires sur les personnages et sur le  récit, un peu comme les pièces manquantes d'un puzzle. La première partie donne la parole à un jeune homme, voisin des Barnett, qui s'adresse à un  voyageur étranger. Dans la seconde partie, Maurice donne l'hospitalité au voyageur et  lui raconte sa vie, du moins ce qu'il en connaît. Enfin, dans la troisième, l'étranger qui n'est autre que le père d'Henry explique à Maurice ce que lui a confié la femme qui a volé son enfant. Tous deux comprennent que Maurice et Henry ne font qu'un!
La postface de Claire Tomalin est aussi longue que le roman. L'auteur nous conte l'histoire du manuscrit retrouvé comme une belle aventure littéraire, elle nous livre le résultat de ses recherches sur Laurette et sa famille. De plus, elle  présente une rapide biographie de Mary Shelley qui donne un éclairage intéressant à Maurice ou le cabanon du pêcheur. Le thème de l'enfant perdu apparaît, en effet, sous un autre jour si l'on sait qu'elle a perdu trois de ses quatre enfants, décédés tous trois pendant qu'elle était en Italie. Son mari, le poète Percy Shelley, lui, s'est vu retirer la garde des siens après le suicide de sa première épouse, Harriett. Mary souffrait d'une profonde dépression et le choix du sujet qui paraît un peu conventionnel au niveau littéraire en devient poignant. 

W. Wilkie Collins : Basil, un roman de la trahison et de la vengeance



   
Basil de Wilkie Collins raconte une histoire qui ne peut avoir lieu qu'à l'époque victorienne, dans ce XIXème siècle austère, qui professe une hypocrisie complète en ce qui concerne la sexualité. Avec tous les interdits qui pèsent sur eux, il n'est pas bon d'être un jeune homme et encore moins une jeune fille dans cette société capable de vous enfermer dans un carcan si rigide qu'il est impossible de s'en libérer.
Basil est un jeune aristocrate sans histoire. Il tient à l'estime de son père, un gentleman fort riche et très fier de ses origines, qui les élève son frère, Edouard, sa soeur, Clara, et lui, dans le sentiment de l'honneur et l'orgueil de sa famille dont les ancêtres remontent au-delà de la Conquête. Si Edouard, l'aîné et l'héritier de la fortune, n'hésite pas à jeter sa gourme en faisant des dettes et en fréquentant les grisettes, Basil, lui, d'un naturel introverti, vit paisiblement entre sa soeur qu'il adore et son père dans la maison familiale. Il veut se consacrer à l'écriture et confie ses écrits à Clara qui est sa confidente et sa première lectrice. C'est peut-être parce qu'il est si ignorant de l'amour qu'il commet une erreur qui va modifier le cours de sa vie à jamais et le conduire au bord de l'abîme.  En effet, lorsqu'il rencontre la jolie Margaret Sherwin, il se jette tête baissée dans le piège que lui tend le père de celle-ci, un marchand de linge, qui a bien compris l'intérêt de sa fille et le sien à ferrer un aussi bon parti! Monsieur Sherwin propose donc le mariage à Basil dans la semaine qui suit sa rencontre avec Margaret et la non-consommation de ce mariage pendant un an. Basil est pris entre deux loyautés : celle due à son père, qui, il le sait, ne supportera pas une mésalliance et celle due à Margaret qu'il vénère et idéalise au plus haut point sans la connaître. cependant, l'amour est le plus fort et le mariage a lieu secrètement. L'année d'attente commence. Comment Basil pourra-t-il avouer à son père ce qu'il a fait? et quel est ce personnage mystérieux,  l'inquiétant Monsieur Mannion, employé de monsieur Sherwin, précepteur de Margaret à ses heures perdues, mais très nettement au-dessus de sa condition par son éducation et son intelligence?
Comme toujours dans les romans de Wilkie Collins, que ce soit dans La dame en blanc, Mari et femme, La robe noire ...  l'intrigue présente un être jeune, fragile et  sans défense (souvent, une femme mais pas obligatoirement ), victime de la société, dans une position de  dépendance financièrement, physique ou morale; celui-ci devient la proie d'un "méchant", un être sans scrupules qui le poursuivra de sa vengeance. Basil n'y échappe pas!
Ce qui rend la lecture du roman passionnante, c'est que nous sommes parti prenante de l'histoire, comme acteurs. Pris comme la victime dans les rets qui se referment sur elle, nous cherchons  les issues et entrevoyons parfois un espoir, une lueur qui s'éteint aussi vite. Si Basil, est ridicule aux yeux de la société  d'avoir accepté les conditions du père de Margaret, il ne l'est pas pour le lecteur tant son caractère probe force le respect. Sa naïveté, sa crédulité puérile, sont à mettre sur le compte d'une éducation mais plus généralement d'un système de valeurs qui étouffe l'individu. La société est  donc toujours très présente dans Collins. Même s'il ne l'attaque pas directement, il montre la marque qu'elle imprime sur les  individus.. On peut  plaindre Basil mais il reste très attachant.
D'autre part, les autres personnages sont d'autant plus forts qu'il sont à la fois bourreaux et victimes. Par leur complexité que le lecteur découvre au fur et à mesure de l'intrigue, ils prennent un relief qui les rend d'autant plus redoutables. Margaret, par exemple, n'est pas la jeune fille insipide qu'elle paraît être. Au fur et mesure que se dévoile son caractère, apparaissent des zones d'ombre, un partage trouble entre peur et désir, soumission et révolte, passion et intérêt. Et bien sûr, tel est le cas de monsieur Mannion qui introduit le thème de la vengeance cher à Wilkie Collins. A partir du moment où nous savons qui il est et quels sont ses mobiles, le personnage du "méchant" atteint une dimension tragique proche de la fatalité et certaines scènes comme la poursuite sur les falaises de Cornouailles sont hallucinantes.
Il faut donc se méfier de l'apparente simplicité de Wilkie Collins. S'il est le maître du suspense, si comme on le dit, il a inventé le "thriller" en littérature, il est aussi maître dans l'art de peindre la psychologie des personnages, de faire faire émerger à la conscience les sentiments intimes, un maître aussi dans la manipulation des lecteurs qu'il tient en haleine jusqu'à la fin.

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Je n'ai pas vu ce film mais j'avoue que j'aimerais bien! Voir les personnages s'incarner ainsi est très plaisant.
Margaret est aussi belle que ce que l'a décrite Wilkie Collins et je ne l'imaginais pas autrement.
Le jeune Basil est  tout mignon et il a l'air aussi pur et naïf que dans le roman. Quant à monsieur Mannion on comprend qu'il puisse exercer une fascination sur sa jeune élève et dominer aisément Basil.

Maintenant la mise en scène de scène de Radha Bharadwaj est-elle à la hauteur du roman? C'est ce que je ne sais pas.
Quelqu'un a-t-il vu le film?

Charlotte Brontë : Le Professeur


Le Professeur ou la xénophobie et l’intolérance de Charlotte Brontë

Il est des livres qu'il vaudrait mieux ne pas lire! Non seulement parce qu'ils sont mauvais mais parce qu'ils détruisent l'image idéalisée d'un écrivain que l'on a  aimée  depuis l'enfance. Tel est le cas du roman de Charlotte Brontë Le Professeur et je comprends qu'il ait été en son temps refusé par l'éditeur. Mais ce qui m'afflige davantage, c'est de découvrir la personnalité de Charlotte Brontë. Quand on aime un écrivain, on aimerait pouvoir aussi estimer l'homme ou la femme qui est derrière.

L'intrigue?
Un jeune homme de noble condition mais pauvre, William Crimsworth, perd l'appui de ses oncles en refusant d'entrer dans l'église car il ne se sent pas la vocation. Il est donc obligé de gagner sa vie pour vivre. Après un essai raté dans l'entreprise de son frère Edouard qui le traite en subalterne et ne cesse de l'humilier, il décide, sur les conseils d'un ami, monsieur Hundsen, de partir en Belgique. Là, il est engagé comme professeur dans un pensionnat de garçons et de jeunes filles. Cependant les intrigues de la charmante directrice, Mademoiselle Zoraïde Reuter, lui fait perdre son double poste. Pourra-t-il retrouver un travail? Pourra-t-il épouser  Frances, la femme qu'il aime?
Charlotte Brontë fait appel pour écrire ce roman à  sa propre expérience d'enseignante en Angleterre et à Bruxelles où elle est allée perfectionner son français.
J'ai été horrifiée par la xénophobie, l'intolérance, le conformisme et l'étroitesse d'esprit qui  forment le fond de ce roman! Voilà la présentation des élèves du pensionnat belge de William Crimsworth qui les juge selon leur nationalité.

Xénophobie et racisme   
Les jeunes filles :
les flamandes : Derrière elles, deux flamandes vulgaires, parmi lesquelles se faisaient remarquer cette difformité physique et morale que l'on rencontre si fréquemment en Belgique et en Hollande, et qui semble prouver que le climat est assez insalubre pour amener la dégénérécence de l'esprit et du corps.
Les françaises : Les deux premières ne sortaient pas du commun des mortels, leur physionomie, leur éducation, leur intelligence, leurs pensées, leurs sentiments, tout en elles était ordinaire; Zéphyrine avait un extérieur et des manières plus distinguées que Suzette et Pélagie; mais c'était au fond une franche coquette parisienne, perfide, mercenaire et sans coeur.
L'espagnole : (mi-belge, mi-espagnole) Je suis étonné  qu'en voyant cette jeune fille quelqu'un ait pu consentir à la recevoir sous son toit.  (...) La partie supérieure de son crâne conique  était large et saillante, et le sommet fuyant et déprimé (..) mais la couardise se lisait quelque part sur son visage..
La russe (mi-russe, mi germaine) Quant au moral une ignorance crasse, une inintelligence complète
 les garçons :
Certes, les deux garçons étaient belges et avaient la figure nationale, où l'infériorité intellectuelle est gravée de manière à ne pouvoir s'y méprendre : mais ce n'en était pas moins des hommes...

sentiment de supériorité britannique
Les anglaises  sont nettement au-dessus des autres jeunes filles du pensionnat :
un visage moins régulier que celui des belges, mais plus intelligent, des manières graves et modestes (...) on distinguait du premier coup d'oeil l'élève du protestantisme de l'enfant nourrie au biberon de l'église romaine et livrée aux mains des jésuites.
  
sentiment de supériorité de la classe sociale
 Mais si les anglaises s'en sortent mieux que les autres, elles ne sont pas exemptes de défaut quand elles sont de condition modeste!
et répulsives (plus d'un aurait appliqué cette dernière épithète aux deux ou trois anglaises solitaires, roides, mal habillés et modestes dont j'ai parlé tout à l'heure)..

Intolérance religieuse
Je ne sais rien des arcanes de la religion et je suis loin d'être intolérant en matière religieuse; mais je soupçonne que cette impudicité précoce si frappante et si générale dans les contrées papistes, prend sa source dans la discipline sinon dans les préceptes de l'église romaine. Ces jeunes filles appartenaient aux classes les plus respectables de la société (...) et cependant la masse avait l'esprit complètement dépravé.



la conception de la femme
Le seul domaine où Charlotte Brontë fasse preuve d'ouverture d'esprit et soit en avance sur la société de son temps c'est lorsqu'elle parle du rôle de la femme et de l'épouse.
Frances, la femme idéale  dans Le professeur est douce mais sans faiblesse. Son mari peut avoir de l'influence sur elle mais sans la dominer. Elle est intelligente, curieuse et aime étudier. Elle est prompte à se révolter devant l'injustice. Elle affirme qu'elle préfèrerait se séparer de son époux s'il se montrait indigne et tyrannique. Enfin, elle veut travailler car elle s'ennuierait à son foyer en attendant son mari. Elle veut être active, entreprenante et préfère contribuer à l'entretien de son foyer.
Il faut dire, cependant, que si Frances est un  femme supérieure c'est que, bien que belge par son père, elle est anglaise par sa mère et protestante, bien sûr! Ouf! On l'a échappé belle!