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dimanche 30 septembre 2018

Voyage dans le Sud-Ouest de la France (2) : La collégiale de Montpezat-de-Quercy/ Cordes-sur-Ciel/ La cathédrale d'Albi

La collégiale de Montpezat du Quercy Le vie de Saint Martin

Suite de mon voyage éclair dans le sud-ouest de la France : Après l'abbaye de Moissac, la collégiale de  Montpezat -de-Quercy (Tarn et Garonne)

 Montpezat-de-Quercy

La collégiale de Montpezat du Quercy
La collégiale de Montpezat du Quercy
Montpezat de Quercy (ou mons Pedatus qui signifie mont fortifié) est une bastide ceinte de remparts, perchée sur sa colline, dominant toute la plaine.


Elle a gardé des vestiges de son passé médiéval, les maisons à colombages, et surtout la collégiale de Saint Martin construite vers 1337.

Montpezat -du- Quercy : place de la Résistance
Montpezat -du- Quercy : place de la Résistance
Quand nous sommes arrivés sur la petite place ci-dessous, devant la mairie qui date du XIX siècle, le nombre de voitures nous a étonnés mais le cliquetis des couverts et des verres et le brouhaha des conversations nous ont appris que nous tombions en pleines agapes municipales. Le repas terminé, après le départ de tous, le silence est revenue sur la ville curieusement calme et déserte.

Montpezat -du- Quercy : place de la Résistance
Montpezat -du- Quercy : place de la Résistance
La collégiale Saint Martin  a été construite vers 1337 par un architecte de la cour papale d'Avignon. Elle présente les caractéristiques du roman méridional, une seule nef, des chapelles latérales séparées par des contreforts intérieurs. Elle donne une impression de clarté et d'harmonie.

Montpezat -du- Quercy : Collégiale Saint Marin (intérieur)
Elle possède un riche trésor, de splendides tapisseries de Flandres, seize tableaux racontant la vie de Saint Martin dont les épisodes les plus marquants, le partage du manteau, la lutte contre Satan, l'exorcisme, les guérisons effectuées par le saint... Chaque tableau est commenté par un quatrain en ancien français.






 Cordes-sur- Ciel 

Cordes-sur-ciel (Tarn) est un petite ville médiévale accrochée au sommet du puech de Mordagne et dominant la vallée du Cérou. Ses maisons gothiques en grès rose à reflets gris, sa halle, sa double enceinte fortifiée et la vue splendide qu'elle nous offre du point le plus élevé, font cette cité un lieu de toute beauté.










Albi : La cathédrale Sainte-Cécile



Et puis revoir la cathédrale Sainte-Cécile d'Albi (Tarn).
 La cathédrale d'Albi en impose par sa dimension hors du commun, son aspect de forteresse et son matériau de briques rouges. Sa construction commence en 1282 et dure un siècle.



Sur la place Sainte-Cécile se dressent la cathédrale et le palais de la Berbie, résidence épiscopale, où est installée le musée Lautrec.

 
Si la cathédrale apparaît comme une grande forteresse, le porche et et le baldaquin (1520-1535) de style gothique flamboyant contraste avec la sévérité de l'ensemble.




A l'intérieur, la vaste nef est coupée par un jubé (XVsiècle) qui la sépare du choeur en étalant toute l'exubérance de sa décoration et la richesse de la statuaire.






Dans l'intérieur du choeur, les stalles récemment restaurées sont surmontées de soixante et douze anges qui complètent la décoration du jubé.



Les vitraux, les voûtes peintes à fresques lapilazzuli et or qui conte la vie de Sainte Cécile, les entrelacs des nervures, la finesse de ses dentelles de pierre forment un ensemble particulièrement riche et colorée.




Du côté opposé du jubé, sur la paroi occidentale, au-dessous de l'orgue, une immense peinture murale représente le jugement dernier exécutée entre 1464 et 1484. La partie inférieure montre le supplice des damnés.








vendredi 28 septembre 2018

Donna Leone : Le cantique des innocents et Le garçon qui ne parlait pas


Le cantique des innocents


Des carabiniers agressent un pédiatre en pleine nuit pour lui enlever son fils de dix-huit mois. Venise est sous le choc. Puis les langues se délient : certains crient au scandale, d'autres soupçonnent la découverte d'un réseau de trafic d'enfants. Un vent de délation envahit la lagune ... Le commissaire Brunetti a bien du mal à distinguer les coupables des innocents.

Et voilà j’ai retrouvé une fois encore Donna Léone et le charme de la lagune, des promenades dans Venise avec Le cantique des Innocents. Comme d’habitude le commissaire Brunetti et son adjoint Vianallo arpentent la cité mais il est question cette fois d’un trafic d’enfants. Des parents stériles mais assez fortunés achètent leur progéniture à des mères en difficulté et désargentée et derrière tout cela un réseau maffieux, des milieux médicaux véreux épaulés par des politiciens qui le sont tout autant, agissent dans l’ombre. Le roman parle d’une réalité dont Donna Léone  dénonce les ramifications profondes et les zones d’ombre soigneusement cachées.
Comme d’habitude, j’ai lu le roman avec plaisir, retrouvant le commissaire Brunetti et ses petits arrêts gourmands dans les restaurants de la ville ou chez lui, petits plats préparés par sa femme, brillante universitaire mais épouse-cuisinière puisque, comme on le sait, les enseignants ne travaillant pas (ou presque), doivent -quand elles sont femmes- servir de larbins à leur mari ! Et là, Brunetti découvre que  sa vie familiale avec Paola est douce et paisible pour ne pas dire privilégiée. Le commissaire est, en effet, très secoué par cette enquête qui lui révèle le sacrifice des Innocents, enfants vendus comme des marchandises, puis arrachés à leurs parents adoptifs même si ceux-ci sont aimants, et finalement condamnés par la société à ne pas avoir de famille.

Le garçon qui ne parlait pas



Tandis que les feuilles d’automne commencent à tomber, le vice questeur Patta demande à Brunetti d’enquêter sur une petite infraction commise par la future bru du maire. Le commissaire Brunetti n’a guère envie d’aider son patron à récolter les faveurs politiques, mais il est bien obligé de s’incliner. Puis c’est au tour de sa femme, Paola, de lui présenter une requête. L’handicapé mental employé par leur pressing vient de mourir d’une overdose de somnifères, et Paola ne peut pas supporter l’idée que dans la vie comme dans la mort, personne ne l’ait remarqué ni aidé.
Brunetti se met au travail mais, à sa grande surprise, il ne découvre rien sur cet homme : pas d'acte de naissance, pas de passeport, pas de permis de conduire, pas de carte de crédit. Pour l’administration italienne, il n’a jamais existé. Plus étrange encore, sa mère refuse de parler à la police et assure au commissaire que les papiers d’identité de son fils ont été volés lors d’un cambriolage. Au fil des révélations, Brunetti commence à soupçonner les Lembo, des aristocrates, d’être mêlés à cette mort mystérieuse. Mais qui a bien pu vouloir tuer ce malheureux simple d’esprit ?

Dans ce roman, il est encore question de maltraitance, mais aussi d’éducation. Donna Leone démontre l’importance du langage comme vecteur de conscience et de socialisation. Nous y découvrons aussi ce qu’est la mort à Venise dans la vie quotidienne : comment enterre-t-on ses morts à Venise ?

Il vaut mieux ne pas lire plusieurs Donna Leone à la suite, ce que j’ai fait avec ces deux titres, parce que vous apparaît alors le fait que les romans de Donna Léone (que pourtant j’aime bien) obéissent à une recette bien rôdée, toujours la même :  la même structure de l'intrigue, des personnages prévisibles et superficiels pour ne pas dire codés, un soupçon de ville de Venise pour plaire aux nostalgiques, saupoudré de bonnes petites recettes italiennes, une confrontation, élégante et légère, entre mari et femme, Guido et  Paola, avec l'inévitable verre de vin,  intervention ou non des enfants Brunetti autour de la table !  Parfois m'agace aussi le mépris qu'éprouve la dame pour les italiens en particulier du Sud ! L’enquête policière y est plus ou moins intéressante mais ce n’est jamais ce qui est le plus important dans le roman.

Mais si l’on espace les lectures, le charme de la présence du cadre, Venise, agit ; nous découvrons le cité autrement qu’en touristes, ces touristes qui sont une mâne, à la fois, et une plaie (dixit la donna) pour la beauté et l’authenticité de la ville ! Et puis assurés que nous sommes de retrouver nos personnages familiers, leurs habitudes, leurs côtés sympathiques, nous nous glissons comme dans des pantoufles, dans le confort du roman, en terre connue! Et, c’est certain, il faut un talent écrivain pour cela même si le tout manque de profondeur.

mercredi 26 septembre 2018

Voyage dans le sud-ouest de la France (1) : L'abbaye de Moissac

Moissac cloître chapiteau

Une petite escapade le temps d'un week end dans le sud-ouest, au début septembre, m'a amenée à découvrir (ou à revoir ) quelques merveilles que je partage avec vous :

L'abbaye de Moissac

Cloître de l'abbaye de Moissac

L'abbaye de Moissac (Tarn et Garonne) fondée au VII siècle a connu la prospérité au XII siècle après avoir été rattachée à l'abbaye de Cluny par Saint-Odilon, époque où elle étend son influence jusqu'en Catalogne. Si elle a eu des moments tragiques dans son histoire, notamment avec la révolution où elle fut saccagée et pillée, c'est au XIX siècle qu'elle faillit disparaître pour permettre la construction du chemin de fer. Le tracé devait passer dans le cloître. Sauvée par le Service des Monuments Historiques et restaurée par Viollet-le-Duc, l'abbaye ne put éviter le sacrifice des cuisines et du grand réfectoire des moines, ce qui fait que l'abbaye est à l'heure actuelle coupée en deux par la voie ferrée !  Ce XIX siècle est redoutable pour le Moyen-âge. A Avignon, c'est Prosper Mérimée, directeur du service des Monuments historiques, qui a évité la perte de ses remparts à la ville pour les mêmes raisons ! Décidément l'art et l'économie ne font pas bon ménage.


 Et voilà la merveille qui fut à deux doigts de disparaître, le cloître de la fin du XI siècle, alliance de marbres blanc, gris et rose, dentelle et élégance des arcades et des colonnes, richesse de la sculpture des chapiteaux tous différents et qui présentent des scènes de l'ancien et du nouveau testament, des feuillages décoratifs, des animaux.






Moissac  le Cloître

L'église abbatiale de Saint Pierre de Moissac présente deux parties, une de l'époque romane, fortifiée, l'autre de l'époque gothique. On y entre par un magnifique portail dont le tympan sculpté vers 1130 présente le thème de l'apocalypse de Jean avec au centre le Christ entouré des quatre évangélistes  et de leur symbole et sur le reste du tympan,  les vingt quatre vieillards de l'Apocalypse. C'est un des plus beaux portails de l'art roman. Il se dresse sur la route de Saint Jacques de Compostelle.


Eglise abbatiale de Moissac : le portail roman

Portail de l'église abbatiale de Moissac : Tympan (détail)

Les péchés capitaux : la luxure en bas, l'avarice en haut

L'église abbatiale de Saint Pierre de Moissac : la nef

La nef de l'église abbatiale offre un surprise. Elle a été entièrement repeinte  dans le respect des motifs géométriques originels.  Le visiteur a l'impression qu'elle est recouverte d'une tapisserie !  On peut ainsi voir (et non plus imaginer) comment étaient les églises au moyen-âge, non pas la pierre nue mais parée de couleurs et de dessins éclatants.

L'église abbatiale de Saint Pierre de Moissac  Le choeur


Eglise abbatiale de Moissac : Mise au tombeau de 1485

Eglise abbatiale de Moissac : Mise au tombeau (détail)

Eglise abbatiale de Moissac : Mise au tombeau (détail)

Eglise abbatiale de Moissac : Fuite en Egypte du XV siècle

Nous sommes aussi allés à Montauban. Hélas ! le musée Ingres est fermé pour restauration mais nous avons vu la charmante Place Nationale avec ses arcades qui m'a rappelé les places des villes espagnoles. Promenade sous la pluie.



dimanche 23 septembre 2018

Richard Wagamese : Les étoiles s’éteignent à l’aube


Les étoiles s’éteignent à l’aube de Richard Wagamese éditions ZOE
Franklin Starlight a seize ans lorsqu'Eldon, son père, vieil homme alcoolique en fin de vie, le convoque à son chevet et lui demande de l'emmener au coeur de la montagne, là où les Indiens enterrent leurs guerriers. S'ensuit un saisissant périple à travers l'arrière-pays, où Eldon découvre le fils qu'il avait abandonné en totale symbiose avec la nature sauvage, et libère sa parole progressivement, lui restituant enfin son histoire familiale, et leurs origines indiennes. (quatrième de couverture)

Richard Wagemese est un écrivain canadien d’origine amérindienne. J’avais peur en commençant ce livre sur le thème de la nature et des origines indiennes d’éprouver l’impression d’un déjà vu ou plutôt d’un déjà lu tant l’histoire paraît classique ... et effectivement elle est l’est, la nature jouant ici le rôle de lien entre le père et le fils, sorte de catharsis pour le père et voyage d’initiation pour le fils. C’était sans compter sur le talent de l’auteur, la force de ses descriptions, la beauté de la nature et l’humanité qu’il insuffle à ses personnages, qui font de ce roman une oeuvre personnelle et émouvante.

Si le voyage est initiatique pour Franklin car il s’agit d’un cheminement vers la mort, il y a un renversement de la situation habituelle. C’est le fils qui possède le savoir, la sagesse. Pendant ce périple dans la montagne, c’est le jeune homme qui nourrit son père en tirant parti des richesses de la forêt et de la rivière, lui qui le soigne, le protège, l’assiste dans la douleur et la mort. Franklin est un beau personnage, à l’image de Vieil Homme qui l’a élevé. En l’absence d'Eldon, en effet, le Vieil Homme lui a tout appris de la vie en milieu sauvage, respectant ses origines indiennes, mais aussi du travail de la ferme et de la sérénité que procurent le respect de la nature et l’accomplissement du travail bien fait. 

Le vieil homme lui avait fait le don de la terre à partir du moment où il avait été capable de s’en souvenir, et il lui avait montré comment la traiter et l’honorer, disait-il, et le garçon avait senti l’importance de ces enseignements et il avait appris à les écouter et à bien les reproduire.

  J’ai aimé cet aspect du roman qui nous introduit dans les secrets de la nature, dans le monde des plantes, des herbes médicinales, des bêtes sauvages. On sent que Richard Wagemesse, lui-même amérindien ojibwée comme ses personnages, en a une profonde connaissance.

Pour le garçon, le vrai monde c’était un espace de liberté calme et ouvert, avant qu’il apprenne à l’appeler prévisible et reconnaissable… Dire qu’il l’aimait, était alors un mot qui le dépassait, mais il finit par en éprouver la sensation. C’était ouvrir les yeux sur un petit matin brumeux pour voir le soleil comme une tache orange pâle au-dessus de la dentelure des arbres et avoir le goût d’une pluie imminente dans la bouche, sentir des odeurs du Camp Coffee, des cordes de la poudre et des chevaux. C’était sentir la terre sous son dos quand il dormait et cette chaleureuse promesse humide qui s’élevait partout. C’était sentir tes poils se hérisser lentement à l’arrière de ton cou quand un ours se trouvait à quelques mètres dans les bois et avoir un noeud dans la gorge quand un aigle fusait soudain d’un arbre.

Quant au personnage d’Elton, alcoolique, il fait osciller le lecteur entre rejet et compassion. Mauvais fils, mauvais mari, mauvais ami, mauvais père, selon les critères moraux habituels, ses actes peuvent inspirer l’horreur. Le récit qu’il fait à son fils permet de le connaître et le rend plus humain. Sa souffrance morale qui est aussi intense que les affres de la maladie, le sentiment de culpabilité qu’il éprouve, son désir de régénération, témoignent de la complexité de l’être humain. Rien n’est jamais tout noir ni tout blanc et l’on voit que cet homme en fin de vie, à jamais marqué par son enfance misérable et douloureuse, avait des capacités d’amour sincère, mais possédait en lui le germe de son autodestruction.

Des fois les choses tournent mal, explique le Vieil Homme à Franklin. Quand elles arrivent dans la vie, on peut presque toujours les régler.  Mais quand elles arrivent à l’intérieur d’une personne, elles sont plus difficiles à réparer. Eldon a été pas mal cassé, au fond de lui…

Peut-être le drame vient-il pour Elton, comme pour les amérindiens du Canada, du fait qu’il a été éloigné de sa culture et privé des valeurs qui auraient donné un sens à sa vie. C’est ce que semble penser l’auteur.
Dès que j’ai commencé ce livre, je n’ai pas pu le lâcher et l’ai lu d’une traite, d’un souffle, devrais-je dire. C’est un beau roman qui  redonne confiance en la nature humaine au-delà de ses défauts et ses noirceurs. Une lecture passionnante !


Et  vous pouvez lire aussi tous ces billets dont les avis sont élogieux.





lundi 17 septembre 2018

Arturo Pérez-Reverte : Deux hommes de bien



Qui sont ces « Deux hommes de bien » décrits dans le livre d’Arturo Pérez-Reverte ? Deux membres de l’académie royale espagnole au XVIII siècle : le bibliothécaire Don Hermogenes Molina et son collègue Don Pedro Zarata appelé l’Amiral, spécialiste d’ouvrages sur la Marine.



Les deux académiciens sont envoyés à Paris pour acheter l’édition originale et complète de l’encyclopédie française (1751_1772) et la ramener à Madrid au péril de leur vie. C’est le roi Charles III désireux de changement dans son pays qui accorde l’autorisation de faire entrer l’encyclopédie des philosophes français en Espagne, contre la volonté de l’église et des milieux nobles réactionnaires. Tous les membres de l’Académie ne sont pas d’accord avec ce voyage et certains d’entre eux lancent alors un sbire aux trousses des deux savants pour les empêcher de réussir dans leur mission..
Pour bien comprendre l’importance de l’expédition, il faut dire que le siècle des Lumières français a bien du mal à pénétrer en Espagne où l’emprise de l’église est toujours aussi forte.

Nous suivons donc les deux personnages dans ce long périple pour arriver à Paris, partageons avec eux leurs discussions philosophiques mais aussi les rencontres qu’ils font tout au long de la route, les arrêts dans les auberges, et leurs aventures. Nous sommes à la fin du XVIII siècle et quand ils arrivent à Paris, la révolution française n’a pas encore éclaté mais l’effervescence qui règne dans la capitale la laisse pressentir ! Et nous rencontrons, en les suivant dans les salons parisiens, de célèbres personnages qui sont ou seront bientôt les acteurs de la révolution.

On a pu dire  de ce livre « qu’il est enlevé comme un feuilleton de Dumas Père » mais je ne pense pas qu'il soit tout à fait cela ! Certes, les deux hommes vivent des aventures, ils se font rouer de coup, détrousser, emprisonner et l’un d’eux se bat en duel pour les beaux yeux d’une dame mais les débats d’idées demeurent le plus important. D’autre part, les personnages ne sont pas  -surtout Don Hemogénes, savant, rat de bibliothèque, vieillard craintif et timoré - des héros de cape et d’épée. L’Amiral, ancien militaire dans la marine, lui, correspond plus à cet image, toujours élégant, altier et maître de lui, mais son passé glorieux est tout de même loin de lui. A mon avis, ce qui domine dans le roman est la quête intellectuelle de ces deux hommes de bien, amoureux des livres et des idées philosophiques. La quête des Lumières est le véritable sujet de l'histoire et l'encyclopédie, le personnage le plus important ! Et c’est avec beaucoup de plaisir que j’ai suivi leurs recherches dans les librairies ou encore dans les endroits secrets où se vendent sous le manteau, au milieu des livres pornographiques, les oeuvres interdites des grands penseurs du siècle.
Autre intérêt du livre et pas des moindres, c’est que la quête des deux savants est doublé par celle d'Arturo Perez-Reverte, écrivain. C’est en découvrant les volumes de l’encyclopédie dans la bibliothèque de l’académie dont il est membre lui-même, qu’Arturo Perez -Reverte est parti sur les traces des deux hommes.  Et pour cela, il a refait le chemin de ses personnages, en s’entourant des documents anciens qui lui permettent de retrouver les routes, les lieux de l’époque, il a lu des mémoires et des journaux et aucun détail de ce formidable périple n’est laissé au hasard. J’ai vraiment beaucoup aimé voir le roman se construire devant nous comme dans Les soldats de Salamine de Javier Cercas. Non sans humour mais avec ténacité, l’écrivain intervient au cours du récit pour nous confier les difficultés qu’il rencontre et comment il les résout afin de rester au plus près de la réalité historique et faire revivre cette époque.



jeudi 13 septembre 2018

Thomas Hardy : Sous la verte feuillée

Quelle joie de pouvoir lire un Thomas Hardy que je ne connaissais pas, réédité cette année 2018 dans l’édition Archipoche. Il semble que Sous la verte feuillée ne soit pas le livre le plus réputé de cet auteur et l’intrigue elle-même est légère, faite de petits riens qui peignent la vie des paysans, leur travail, la simplicité et la joie de vivre de ces villageois, carrier, fermier, cordonnier, forgeron, tous musiciens et chanteurs qui accompagnent le service divin à l’église. Le livre est aussi un hymne à la musique toujours présente et  donne lieu à des grandes discussions assez réjouissantes sur la supériorité des instruments à corde et les mérites respectifs de chacun d’entre eux.

Breughel : Noce paysanne


Ce n’est pas sans raison que Thomas Hardy avait d’abord sous-titré le livre « une peinture rurale de l’école hollandaise ». Comme dans un tableau flamand, il peint les moeurs de la campagne, le parler paysan (respecté dans la traduction française), les coutumes, les mentalités. Les personnages y sont truculents et bien campés, l’écrivain y dresse des portraits un peu caricaturaux mais sans méchanceté et fait revivre le monde rural de son époque avec beaucoup de verve, de malice et d’authenticité.  Autre thème qui s’entrelace au premier, celui de l’amour : le sympathique et naïf Dick Dewy tombe amoureux de la coquette et jolie Fancy, institutrice du village de Mellstock, qui draîne les coeurs et ne sait pas ou ne veut pas décourager ses prétendants…

Certains passages sont savoureux, ainsi celui, par exemple, au cours de laquelle les musiciens vont en délégation chez le pasteur qui veut remplacer leurs violons par un orgue. J’ai beaucoup ri de ce dialogue de comédie. Pourtant il y a une certaine nostalgie dans cette scène car ces amoureux de la musique vont être remerciés et remplacés par l’orgue joué par Fancy, tradition contre modernisme, musique du coeur et du terroir contre musique savante. Et l’on regrette avec eux la fin des traditions campagnardes comme celle où le groupe fait la tournée des maisons pour jouer devant chaque fenêtre pendant la veillée de Noël, une sorte de douceur de vivre en train de disparaître.

De plus, sous l’humour et derrière la légèreté, on sent le regard attentif, lucide et un peu désabusé de Hardy  sur les rapports sociaux et leur hiérarchie. Fancy, fille de fermier, a été élevée comme une demoiselle, a fait de bonnes études et se trouve donc déclassée par rapport à son milieu d’origine. Trop bien éduquée, trop instruite, trop délicate et raffinée pour le monde paysan, elle n’en reste pas moins d’un statut inférieur aux yeux de  la société bourgeoise. Il faut noter par exemple, la cruauté inconsciente des termes employés par le pasteur quand il condescend à la  demander en mariage alors qu’elle n’est pas de son rang : 
«  Vous me comprendrez … si je vous dis honnêtement que j’ai lutté contre mes sentiments, trouvant que je ne devais pas vous aimer. »«  après quelques mois de voyage avec moi vous seriez tout à fait digne de pénétrer dans la société »
Mais loin d’être sensible à ce qui devrait être humiliant pour elle, cette proposition donne à la jeune fille un éblouissement, elle se voit un instant échapper à sa condition, devenir une dame. Aussi quand arrive le dénouement (que je ne vous révèlerai pas ) le lecteur peut se demander si, malgré les apparences, la fin de ce récit est aussi joyeuse que ce qu’elle paraît être.

Beaucoup moins grave et moins tragique que les autres romans de Hardy, Sous la verte feuillée, titre empruntée à une chanson populaire chantée par nos paysans-musiciens, procure un grand plaisir de lecture, une oeuvre pleine de fraîcheur et de gaité écrite par un écrivain proche de la terre.