Un moment de Pause en Creuse où je rencontre d'étranges personnages, un peu effrayants, non ? Enfin, je vous dis à bientôt, j'espère !
lundi 15 février 2021
Pause en Creuse : Help ! Rencontre avec de ténébreux personnages.

dimanche 14 février 2021
Selva Almada : Les jeunes mortes
Dans Les jeunes mortes l’écrivaine argentine Selva Almada enquête sur trois crimes non élucidées qui ont eu pour victimes des jeunes filles de milieux sociaux défavorisés : Andrea (19 ans) Maria-Luisa (15 ans) et Sarita (20 ans). Ces faits se sont passés à la fin des années 80. Quand Andrea est morte en 1986, Salva Almada avait 13 ans.
Et cette recherche l’amène à la découverte de nombreuses autres victimes dont on connaît ou non le meurtrier, mortes sous les coups d’un mari, d’un amant, d’un pervers, d’une brute, rappelant que le féminicide sévit partout en Argentine, comme ailleurs dans le monde mais peut-être plus encore dans ce pays. Beaucoup de ces affaires ne sont pas résolues par la police et ces crimes demeurent impunis.
" A Villa Maria, depuis 1977, on dénombre une vingtaine de crimes non résolus. En 2002, après la mort de Mariela la Condorito Lopez, l’association Verdad y justicia, Vérité et justice, a vu le jour. » Ce sont des religieuses qui l’ont créée et cette association se nomme maintenant Justicia para Todos."
Salva Almada consulte les dossiers judiciaires de ces jeunes filles, fouillant les archives, les articles de journaux, retrouve les personnes qui les ont connues, des témoins qui ont participé au recherche du corps, des membres de leur famille, des médecins, des voisins … Certains sont persuadés de connaître les coupables, d’autres, un grand frère par exemple, se souvient bien des faits et sa vie est devenu un combat pour faire justice à sa soeur.
Selva Almada parvient à dresser un portrait des jeunes filles et derrière leur silhouette se dessine la vie d’un pays où les adolescentes pauvres voire les enfants vont travailler très jeunes, où les filles peuvent être enceintes à 15 ans, ayant rarement l’occasion de poursuivre des études.
Andrea, qui est la seule des trois jeunes filles a faire des études payées par son fiancé n’a pas été obligée d’aller travailler dès son enfance. Elle a été tuée d’un coup de couteau dans son lit; ses parents ont été suspectés. Marie-Luisa est toute fière de commencer à travailler à quinze ans, son premier emploi, son premier petit ami. Sa vie s’est arrêtée là. Elle a accepté de monter dans une voiture avec deux de ses amies et des hommes. Parmi eux son amoureux et le patron de celui-ci. On l’a retrouvée morte dans la vase d’un étang. Seul le squelette de Sarita a été retrouvé et l’on ne sait pas s’il s’agit vraiment d’elle ou d’une autre malheureuse.
A-t-on fait tout ce qu’il fallait pour retrouver les coupables ? C’est la question qui peut se poser. Parfois l’on a l’impression que le coupable présumé n’a pas été inquiété à cause de sa position sociale. Parfois que les hommes ont tous les droits. L’un prostitue sa femme qui est "trop jolie pour faire le ménage", les jeunes s’amusent à des viols collectifs, les vieux jettent des regards concupiscents sur les petites filles. Et les maris ?
"Quand nous parlions de la femme du boucher Lopez. Ses filles allaient à l’école avec moi. Elle l’a accusé de viol. Depuis longtemps, en plus de la frapper, il abusait d’elle sexuellement. J’avais douze ans et cette nouvelle m’avait profondément marquée. Comment pouvait-elle se faire violer par son mari ? Les violeurs étaient toujours des hommes inconnus qui attrapaient une femme et l’emmenaient dans un terrain vague, ou alors qui pénétraient chez elle en forçant la porte. (…) Personne ne nous avait dit qu’on pouvait se faire violer par son propre mari, par son père, par son frère, son cousin, son voisin, son grand-père, son instituteur. Par un homme en qui on avait confiance."
Ce livre est paru en Argentine en 2014. Dans l’épilogue, Salva Almera écrit :
« Ça fait déjà un mois que la nouvelle année a commencé. Au moins dix femmes ont été assassinées du seul fait d’être femmes. Je dis au moins car ce sont les noms publiés dans la presse, celles dont ont parlé dans les journaux. »
et elle conclut :
"C’est l’été et il fait chaud, presque comme ce matin de novembre 1986 quand, d’un certaine manière, ce livre a commencé à s’écrire, lorsque la jeune morte a croisé ma route. Maintenant j’ai quarante ans et, contrairement à elle et aux milliers de femmes assassinées dans notre pays depuis lors, je suis toujours vivante. Ce n’est qu’une question de chance."
Ce livre a le mérite, tout en rendant hommage à ces femmes assassinées, de dénoncer les violences que les hommes exercent contre les femmes et de réveiller les consciences. Ce n’est pas un roman. Il est écrit avec sobriété, en prenant de la distance. Il ne m'a pas touchées d'un point de vue littéraire mais il faut le considérer comme un témoignage important de l’inacceptable.

vendredi 12 février 2021
Arthur Rimbaud, Pablo Neruda, Santiago Gamboa : Nous entrerons aux splendides villes
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Arthur Rimbaud |
Dans son livre Retourner dans l’obscure vallée, Santiago Gamboa, écrivain colombien, fait de Rimbaud le personnage central de l'action. Et il cite ce vers du jeune poète, adieu de Rimbaud à l"Europe :
« À l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes.».
Dans son discours de réception au prix Nobel, en 1973, Pablo Neruda, poète chilien, lut un un texte intitulé : Vers la ville splendide inspiré de ces vers.
Discours de Pablo Neruda pour le prix Nobel (extrait)
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Pablo Neruda |
« Voici exactement cent ans, un poète pauvre et splendide, le plus atroce des désespérés, écrivait cette prophétie : « À l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes.» « Je crois en cette prophétie de Rimbaud, le voyant. Je viens d’une obscure province, d’un pays séparé des autres par un coup de ciseaux de la géographie. J’ai été le plus abandonné des poètes et ma poésie a été régionale, faite de douleur et de pluie. Mais j’ai toujours eu confiance en l’homme. Je n’ai jamais perdu l’espérance. Voilà pourquoi je suis ici avec ma poésie et mon drapeau. En conclusion, je veux dire aux hommes de bonne volonté, aux travailleurs, aux poètes, que l’avenir tout entier a été exprimé dans cette phrase de Rimbaud ; ce ne sera qu’avec une ardente patience que nous conquerrons la ville splendide qui donnera lumière, justice et dignité à tous les hommes. Et ainsi la poésie n’aura pas chanté en vain. » .
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Santiago Gamboa |
Mais, reprend Santiago Gamboa, Rimbaud était un voyageur impénitent pour qui le voyage était synonyme de liberté et de plénitude.
Voyager, vivre, être libre.
« À l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes.»
« Mais vers quelles villes ?
Je me suis mille fois posé la question. Enid Starkie (son biographe) évoque la magie et l’alchimie, la lutte entre Satan et Merlin qui représenterait la fin de sa prétention à s’égaler à Dieu. D’autres parlent des cités de Dieu, dont les portes s’étaient fermées pour lui et qui s’ouvraient, ce qui pouvait être un motif de joie.
Je crois pour ma part que Rimbaud fait allusion à quelque chose de plus simple : le désir d’indiquer un chemin littéraire, celui des villes mystérieuses. Ce sont elles qui abritent des histoires passionnantes et où vivent des inconnus. Une grande partie du roman du XX siècle a emprunté cette voie. Avec cette phrase, Rimbaud scellait pour toujours le lien entre écriture et voyage, entre liberté et mystère de la création, cette solitude particulière qu’on n’éprouve que dans les hôtels et au passage des frontières.
Voyager, aller de plus en plus loin.
Et de temps en temps revenir. »
Pablo Neruda
Pablo Neruda est un poète, diplomate, homme politiques chilien. Il est né à Parral en 1904. Il écrit son premier recueil de poésies en 1923 : Crépusculaire.
Il entre dans la diplomatie, est nommé consul du Chili dans de nombreux pays dont l'Espagne où il se lie d'amitié avec Frederico Garcia Lorca et demure jusqu'au putsch de Franco et à l'assassinat du poète. Il prend alors position dans la guerre d'Espagne contre Franco, ce qui lui vaut sa révocation.
Il entame une carrière politique et devient sénateur communiste dans les provinces du Nord du Chili. Son opposition au président Gabriel Gonzales Videla l'oblige à fuir son pays pour sauver sa vie, en Europe, en Inde, au Mexique. Il publie, en 1950, son oeuvre poétique majeure "Le Chant général" où il exalte les luttes des peuples d'Amérique latine. Il revient au pays en 1952.
En 1969, il se présente à l'élection présidentielle mais il retire sa candidature pour soutenir son ami Salvador Allende, socialiste. Il obtient le prix Nobel en 1973. Il meurt peu après (vraisemblablement assassiné) à Santiago du Chili, juste après le coup d'état de septembre 1973 et le suicide du président Allende, coup d'état qui place à la tête du pays le dictateur, le général Pinochet,
- Crépusculaire (1923),
- Vingt Poèmes d'amour et une Chanson désespérée (1924),
- Résidence sur la terre (1933-1935),
- L'Espagne au Coeur (1937),
- Le Chant général (1950),
- Tout l'amour (1953),
- Odes élémentaires (1954),
- Vaguedivague (1958)
- La Centaine d'Amour (1959),
- Mémorial de l'île Noire (1964).
- L'Épée de flammes (1970)
- La Rose séparée (1972)
- J'avoue que j'ai vécu (1974)
Qu’on me laisse tranquille à présent
Qu'on s'habitue sans moi à présent
Je vais fermer les yeux
Et je ne veux que cinq choses,
cinq racines préférées
L'une est l'amour sans fin.
La seconde est de voir l'automne
Je ne peux être sans que les feuilles
volent et reviennent à la terre
La troisième est le grave hiver
La pluie que j'ai aimé, la caresse
Du feu dans le froid sylvestre
Quatrièmement l’été
rond comme une pastèque
La cinquième chose ce sont tes yeux
ma Mathilde bien aimée
je ne veux pas dormir sans tes yeux
je ne veux pas être sans que tu me regardes
je change le printemps
afin que tu continues à me regarder
Ami voilà ce que je veux
C'est presque rien et c'est presque tout
A présent si vous le désirez
partez
J'ai tant vécu qu'un jour vous devrez m'oublier
inéluctablement
vous m'effacerez du tableau
mon coeur n'a pas de fin
Mais parce que je demande le silence
ne croyez pas que je vais mourir :
c’est tout le contraire qui m’arrive
il advint que je vais me vivre
Il advint que je suis et poursuis
d'abord les grains qui déchirent la terre
pour voir la lumière
mais la terre mère est obscure
et en moi je suis obscur
Je suis comme un puits
et poursuis seul à travers la campagne
Le fait est que j'ai tant vécu
que je veux vivre encore autant
je ne me suis jamais senti si vibrant
je n'ai jamais eu tant de baisers
A présent comme toujours il est tôt
La lumière vole avec ses abeilles
laissez-moi seul avec le jour
Je demande la permission de naître.

mardi 9 février 2021
Santiago Gamboa : retourner dans l’obscure vallée
Et dans ce livre aux voix multiples, Santagio Gamboa place Rimbaud, le poète de l’exil, comme personnage à part entière, devenu le sujet d’une biographie écrite par le narrateur. Ce dernier est toujours désigné par son titre, Consul, fonction qu’il a occupée en Inde dans le passé. C’est autour de lui que tournent tous les autres personnages qui se confient à lui. Consul est dépositaire de leurs secrets car c’est lui le romancier qui écrit leur histoire.
Le Consul est exilé en Italie, à Rome, mais une amie, Manuela, qu’il a perdu de vue depuis des années, lui demande de venir le rejoindre à Madrid où elle vit. C’est à Madrid aussi que se trouve Juana, elle aussi colombienne. Elle étudie la langue et la philologie espagnoles à l'université, occasion pour elle de fuir son pays, son enfance violente, la trahison d’une amie. Il y a aussi Tertuliano, un néo-nazi populiste, violent, illuminé athée, créateur d’un culte à la Terre, un de ces fous qu’il vaut mieux avoir comme ami plutôt que comme ennemi ! Enfin, le prêtre Palacios qui, pendant la guerre civile lutte contre les forces révolutionnaires et veut rétablir l’ordre et défendre la propriété et l’église. Il fait torturer et tuer de nombreuses personnes soupçonnées de complicité, en trahissant le secret de la confession. Lui ne repartira pas. Il est emprisonné et doit répondre de ses crimes.
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Vues de Bogota (wikipédia) |
C’est le retour au pays. Le Consul retrouve sa ville natale, Bogota. Tout exilé porte en lui l’espoir du retour mais il est rarement synonyme de bonheur et d’apaisement. Retour impossible, source de désillusion. Nul ne peut retrouver son enfance et le passé est bien mort. Après nous avoir présenté, la Colombie des années de guerre, les exactions perpétrées sur les populations, les atrocités commises par une classe de riches propriétaires qui s’appuie sur des paramilitaires, tueurs exercés et sans états d’âme, et la toute puissance des cartels de la drogue, Santiago Gamboa dresse un tableau assez noir de la société colombienne actuelle. Bogota est à nouveau en paix, l’économie prospère mais elle n’est pourvoyeuse de richesses que pour les uns, exacerbant encore les inégalités sociales, laissant les autres dans la misère. Après la guerre civile, les colombiens sont condamnés à vivre ensemble aussi naît une société « du pardon » dont l’hypocrisie accable le consul et ses amis. Eux qui sont là pour accomplir une vengeance.
Santiago Gamboa est né le 30 décembre 1965 à Bogota. Il est une des voix les plus puissantes et originales de la littérature colombienne. Né en 1965, il étudie la littérature à l’université de Bogotá, la philologie hispanique à Madrid, et la littérature cubaine à La Sorbonne. Journaliste au service de langue espagnole de rfi, correspondant à Paris du quotidien colombien El Tiempo, il fait aussi de nombreux reportages à travers le monde pour des grands journaux latino-américains. Sur les conseils de García Márquez qui l’incite à écrire davantage, il devient diplomate au sein de la délégation colombienne à l’unesco, puis consul à New Delhi. Il vit ensuite un temps à Rome. Après presque trente ans d’exil, en 2014, il revient en Colombie, à Cali, prend part au processus de paix entre les farc et le gouvernement, et devient un redoutable chroniqueur pour El Espectador.
Sa carrière internationale commence avec un polar implacable, Perdre est une question de méthode (1997), traduit dans de nombreux pays, mais sa vraie patrie reste le roman (Esteban le héros, Les Captifs du Lys blanc). Le Syndrome d’Ulysse (2007), qui raconte les tribulations d’un jeune Colombien à Paris, au milieu d’une foule d’exilés de toutes origines, connaît un grand succès critique et lui gagne un public nombreux de jeunes adultes.
Suivront, entre autres, Nécropolis 1209 (2010), Décaméron des temps modernes, violent, fiévreux, qui remporte le prix La Otra Orilla, et Prières nocturnes (2014), situé à Bangkok. Ses livres sont traduits dans 17 langues et connaissent un succès croissant, notamment en Italie, en Allemagne, aux États-Unis.
Il a également publié plusieurs livres de voyage, un incroyable récit avec le chef de la Police nationale colombienne, responsable de l’arrestation des 7 chefs du cartel de Cali (Jaque mate), et, dernièrement, un essai politico-littéraire sur La Guerre et la Paix où il passe le processus de paix colombien au crible de la littérature mondiale. source ici Editions Métailié
Du côté de l'art :
Bien sûr, Ferdinando Botero reste le peintre colombien le plus connu en Europe.
Mais comme c'est justement un peintre moins connu que je veux présenter ici, j'ai choisi de vous parler d'une femme, Débora Arango, peintre engagée, qui a été mise au ban de la société et dont l'oeuvre a fait scandale et a subi la censure la plus rigoureuse.
Débora Arango
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Debora Arango :Esquizofrenia en el manicomio, 19 40 |
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Debora Arango : La République |
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Debora Arango : La République (détail) |
Dans ce tableau, Débora Arango s’attaqua au dictateur Laureano Gomez, représentant le plus intransigeant du catholicisme, responsable du plus grand génocide de l’histoire colombienne moderne.
Quand enfin il abandonne le pouvoir, malade, Débora le peint en crapaud à la cravate tricolore. Sa civière est transportée par des vautours ; son cortège est mené par la camarde ; des hommes, curés, fanatiques, l’armée, les canons lui font des honneurs. Des petits crapauds-clones du malade sont chassés par le Général qui le succédera à la tête du pays dévasté.
Pour les curieux
*Ce qu'il est bon de se rappeler pour la lecture de ce livre (résumé)
Les
représentants des FARC signent le 26 septembre 2016 un accord de paix
avec le gouvernement. À la suite de cet accord, les FARC fondent le un parti politique légal.
Les paramilitaires
Autodéfenses unies de Colombie (AUC, Autodefensas Unidas de Colombia) sont le principal groupe paramilitaire colombien, fondé le 18 Avril 1987 à partir d'une unification des groupes paramilitaires pré-existants fondés à l'initiative de l’armée, de propriétaires terriens ou des cartels de drogue.
Les paramilitaires constituaient une force auxiliaire de l’armée colombienne "utilisée pour semer la terreur et détourner les soupçons concernant la responsabilité des forces armées dans les violations des droits humains." Pour les Nations-unies, les guérillas colombiennes seraient responsables de 12 % des assassinats de civils perpétrés dans le cadre du conflit armé, les paramilitaires de 80 % et les forces gouvernementales des 8 % restant. (Merci wikipédia)

dimanche 7 février 2021
Alejo Carpentier : Le siècle des Lumières
Le siècle des Lumières de Alejo Carpentier, écrivain cubain, c’est, la Révolution française et ses répercussions dans les Caraïbes, à Cuba où débute l’action puis à la Guadeloupe, via Paris et Bordeaux, pour arriver en Guyane.
Trois jeunes cubains, personnages fictifs et attachants du roman, Esteban, sa cousine Sofia et son cousin Carlos, vont être les témoins de cette époque tourmentée. Pour Esteban, en particulier, cette période va représenter une initiation cruelle, qui lui fera perdre naïveté, confiance et espérance.
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Victor Hugues |
Esteban quitte la Havane pour suivre son ami Victor Hugues, personnage historique, ancien négociant, fervent admirateur de Robespierre. Victor devient accusateur public à la Rochelle avant de partir pour la Guadeloupe afin d’y abolir l’esclavage. Moments de réjouissance et de bonheur vite suivis, dans la foulée, par l’utilisation de la guillotine que l’accusateur public a transportée avec lui. Victor Hugues reprend l’île aux britanniques et organise la guerre de course (corsaires) qui va créer une classe de nouveaux riches. A la fin de la Révolution, loin de tomber en disgrâce, Victor Hugues devient gouverneur en Guyane et applique, sans état d’âme, le nouveau décret qui rétablit l’esclavage, opérant ainsi un grand retour en arrière et abolissant tout espoir d’un monde meilleur.
Tout le pessimisme de Carpentier-Esteban s’exprime ici. C’est comme si la révolution n’avait pas existé, que les gens étaient morts pour rien, comme si les idées positives de cette période avaient été ensevelis sous les actes de la Terreur, la corruption des esprits, l’ambition et l’avidité humaines, le reniement de soi-même.
Ce vaste panorama de la révolution, magnifique élan des peuples opprimés, qui débute par l’espoir de la liberté et de l’égalité, vire donc peu à peu au cauchemar aux yeux d’Esteban qui perd toutes ses illusions. Pourtant quand il parvient à fuir en Guyane néerlandaise avant de regagner Cuba, et qu’il voit, comme nous l’a montré Voltaire, que l’on coupe les pieds ou les mains des esclaves marron, il comprend l’urgence de la révolution.
En fait, Esteban, disciple de Victor Hugues, fait souvent penser à Candide, disciple de Pangloss, mais s’il subit les mêmes désillusions, il n’aura pas, comme le héros de Voltaire, le temps de cultiver son jardin.
En revenant à La Havane, il ne pourra pas transmettre son expérience désenchantée à Sofia et Carlos, ceux-ci ayant toujours foi dans la révolution des Lumières. La jeune fille devra faire elle-même son expérience.
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Jean Nicholas Billaut Varenne |
Alejo Carpentier peint avec habileté les changements qui s’opèrent dans l’âme humaine. Victor Hugues quand il fait connaissance des adolescents, Esteban, Sofia et Carlos, à la Havane, est un jeune homme sympathique, un peu tapageur et suffisant, mais amusant et amical. L’amitié des trois enfants, livrés à eux-mêmes après la mort de leur père, et du jeune homme étranger, français de Marseille, dans le fouillis de cette maison-capharnaüm est un instant de grâce. Un peu comme le jardin de l’Eden avant la chute. C’est un moment de bonheur aussi pour le lecteur. Mais peu à peu Victor Hugues se transforme. Lorsque Esteban le retrouve à La Rochelle où il fait tomber les têtes à un rythme soutenu, l’homme qu’il est devenu n’a plus rien d’humain. Et il finira par oublier ses idées. Il y aussi des moments très forts quand, en Guyane, nous rencontrons tous les révolutionnaires, sauvés de l’échafaud mais envoyés au bagne. C’est une sorte d’enfer dantesque qui est décrit, avec les différents cercles, tous prêts à renier leurs idées, sauf un, au centre, Billaut-Varenne, membre du comité de salut public, partisan de la terreur, qui a fait tomber la tête de Robespierre ! Des portraits qui marquent !
Un style baroque
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Henri Rousseau dit le douanier |
Alors certaines créatures végétales d'en bas prenaient des silhouettes nouvelles : les papayers avec leurs mamelles suspendues autour du cou, semblaient s'animer, s'acheminer vers les lointains fumeux de la Soufrière : le fromager "père de tous les arbres" comme disaient certains nègres, prenaient davantage la forme d'un obélisque, d'une colonne rostrale, d'un monument, et sa taille croissait contre les feux du crépuscule. Un manguier mort se transformait en un faisceau de serpents immobilisés dans leur élan pour mordre, ou bien encore, vivant et débordant de sève qui suintait à travers l'écorce et les peaux jaspées de ses fruits, il fleurissait soudain et s'enflammait de jaune. Esteban suivait la vie de ces créatures avec l'intérêt que pouvait lui inspirer le développement d'une existence zoologique.
Si le récit est riche en aventures et en histoire des idées, le style ne l’est pas moins ! Je comprends que l’on parle de style baroque à propos d’Alejo Carpentier, tant le foisonnement de ses descriptions, la profusion des couleurs, des sons, des odeurs, des détails de toutes sortes, l’abondance et la richesse du vocabulaire sont des ornements éblouissants.
Ce n’est pas sans raison qu’il montre son héros Esteban « jouir de l’euphorie des mots ».
« Esteban était rempli d’étonnement quand il remarquait que le langage, en ces îles, avait dû utiliser l’agglutination, l’amalgame verbal et la métaphore, pour traduire l’ambiguïté formelle des choses qui participaient à plusieurs essences. De la même façon que certains arbres étaient appelés, « acacias-bracelets », « ananas-porcelaine », « bois-côte, « balai-dix heures », « cousin-trèfle », « pignon-gargoulette », « tisane-nuée », « bâton-iguane », de nombreuses créatures marines recevaient des noms qui, pour fixer une image, établissaient des confusions de mots, engendrant une zoologie fantaisiste de poissons-chiens, de poissons-boeufs, de poissons-tigres, de poissons ronfleurs, souffleurs, volants, à queue rouge, rayés, tatoués, fauves…. »
Et son érudition couvre tous les domaines, qu’il parle de fonds sous-marins, d’histoire, de philosophie, de musique, d’ethnologie, de géographie, de végétation tropicale, c’est toujours incroyablement riche, précis, minutieux et pourtant poétique et visionnaire.
Certains matins à l’aube, la mer était si calme et silencieuse que les craquements isochrones des cordes aux tonalités plus aiguës ou plus graves selon qu’elles étaient plus courtes ou plus longues se combinaient de telle sorte que de la poupe à la proue c’étaient des anacrouses et des temps forts, des appoggiatures et des notes piquées, avec le rauque point d’orgue issu d’une harpe formée par des câbleaux tendus, soudain pincés par un alizé.
Un auteur, donc, que je découvre avec admiration et que je veux suivre avec d’autres lectures ! Et oui, encore un !
Alejo Carpentier, écrivain cubain
Quelques titres : "Le partage des eaux", "Concert baroque", "Le royaume de ce monde"
Art : peinture cubaine
Ruperto Jay Matamoros ( 1912- 2008)
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Le fermier de Ruperto Jay Matamoros |
En 2000, à l'âge de 88 ans, Jay Matamoros a reçu la médaille du 270e anniversaire de l'Université de La Havane et a été honoré du prix national des arts visuels. L'occasion a été présentée par une exposition rétrospective personnelle au Museo Nacional de Bellas Artes, à La Havane.
Jay Matamoros est décédé à l'âge de 95 ans à La Havane en 2008. (source ici )
La peinture de Ruperto Jay matamoros

vendredi 5 février 2021
Carlos Fuentes : En inquiétante compagnie
Carlos Fuentes est un écrivain mexicain. Le livre que je présente ici est, d’après la quatrième de couverture, « dans un genre inhabituel ». C’est ce que je ne saurais dire puisque c’est le premier livre que je lis de lui. Il s’agit d’un recueil de nouvelles qui exploite le thème du fantastique, de la folie, de la mort, des vampires d’où le titre « En inquiétante compagnie ».
Je n’ai pas apprécié toutes les nouvelles. Voici mes trois préférées.
Dans L’amoureux du Théâtre, le personnage, un jeune mexicain solitaire installé à Londres, shakespearien passionné, tombe amoureux d’une jeune fille qu’il voit évoluer de sa fenêtre, dans l’appartement voisin. Non seulement, ils n’échangeront aucune parole mais elle refuse de rencontrer son regard. Plus tard, en allant au théâtre, il découvre qu’elle joue le rôle d’Ophélie dans Hamlet. Mais elle est réduite au silence par un metteur en scène mégalomane qui est aussi acteur narcissique et ne lui permet pas de parler ! Jusqu’ici ça va, je suis en terrain connu avec le In du festival d’Avignon ! J’ai moi-même assisté à une mise en scène du roi Lear où une Cordélia baîllonnée, en tutu et sur pointes, ne pouvait prononcer une seule parole, misogynie assumée (?) par le metteur en scène Olivier Py !
Mais dans la nouvelle de Carlos Fuentes, il y a autre chose : Ophélie est-elle vraiment la jeune femme observée à la fenêtre ? Est-elle réellement muette ? Meurt-elle sur scène comme le croit le personnage ? Quelle est cette fleur qu’elle lance à notre jeune spectateur, symbole de la vie, et qui ne se fâne jamais ? Pourquoi les journaux racontent-ils des mensonges sur ce qui s’est passé au théâtre? A moins que le jeune mexicain n’ait sombré dans la folie ? C’est au lecteur de conclure.
Une autre de ces nouvelles qui s’intitule En bonne compagnie fait écho ironiquement au titre général du recueil. A la mort de sa mère qui vit en France, à Paris, son fils Alexandro de la Guardia va rejoindre ses deux tantes à Mexico. Deux bien étranges vieilles demoiselles qui ne veulent pas se croiser tout en vivant dans la même maison et qui demandent à leur neveu de ne jamais entrer par la porte principale mais par une entrée plus discrète à l’arrière. Que veulent-elles cacher ? Pourquoi toutes ces cachotteries et bizarreries ? Sont-elles folles, dangereuses ? Pourquoi semblent- elles parler à un petit garçon et non à un adulte quand elles s’adressent à lui ?
Dans Calixta Brand, la jeune fille, personnage éponyme de la nouvelle, est une jeune américaine venue au Mexique pour poursuivre ses études de langue. Estéban, jeune hidalgo de bonne famille l’épouse. Mais il est très vite jaloux de l’intelligence, de la culture et de la supériorité intellectuelle et morale de sa femme. La haine va peu à peu remplacer l’amour. C’est une des nouvelles qui pourrait ne pas être fantastique si ce n’était la fin. L’analyse des sentiments du jeune homme, la peinture d’un monde machiste où la femme doit rester à sa place et où l'homme doit dominer, le mépris manifesté aux inférieurs, sont ancrés dans une classe sociale imbue d’elle-même. La cruauté des rapports humains et le personnage fier et digne de la femme en font un texte très intéressant.
Mais c’est vraiment avec La chatte de ma mère, la Belle au bois dormant, et la dernière nouvelle, Vlad (dracula) que nous plongeons dans le fantastique (trop) attendu avec l’apparition de morts-vivants, les cercueils des vampires cachés dans l’obscurité d’un tunnel et les morsures dans le cou. J’ai moins aimé ces trois nouvelles parce que le fantastique y est plus affirmé et ne laisse pas au lecteur la liberté d’imaginer et d’apporter sa réponse personnelle.
Donc ce recueil n’est pas un coup au coeur pour moi et il me faudra lire d’autres nouvelles de Carlos Fuentes pour mieux le connaître.
Mexique : Carlos Fuentes Macías
Carlos Fuentes Macías naît au Panama en 1928 mais est de nationalité mexicaine. Ses parents sont diplomates d'origine mexicaine. Il partage son enfance entre Quito, Montevideo, Rio de Janeiro, Washington, Santiago du Chili et Buenos Aires. Adolescent, il retourne vivre au Mexique où il fait des études de droit à l'Université de Mexico. Il les poursuit à l'Institut de hautes études internationales et du développement de Genève.
Il commence par écrire des nouvelles et publie ainsi Jours de carnaval en 1954. Il publie son premier roman en 1958, La Plus Limpide Région, qui critique la société mexicaine. Il poursuit son œuvre avec d'autres romans comme Le Chant des aveugles, Peau neuve, Terra Nostra, La Tête de l'hydre et Le Vieux Gringo qui lui offrent une renommée internationale.
Il a écrit des essais critiques comme La Maison à deux portes et Cervantès ou la Critique de la lecture ainsi que des essais politiques comme Temps mexicain. Ses essais sur la politique et la culture paraissent également dans le journal espagnol El País. Il est un critique virulent de l'impérialisme culturel et économique des États-Unis, en particulier vis-à-vis de l'Amérique latine.
Son roman Terra Nostra a obtenu en 1977 le prix Rómulo Gallegos, la plus haute distinction littéraire d’Amérique latine. Carlos Fuentes a reçu en 1987 le prix Cervantes, la plus haute distinction littéraire de langue espagnole, pour l’ensemble de son œuvre. (Wikipédia)
Rufino Tamayo, peintre mexicain
(1899-1991)
Bien sûr, quand on parle de peintres mexicains, on pense tout de suite, à Frida Kahlo et Diego Rivera.
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Diego Rivera |
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Frida Khalo |
Mais c'est un peintre que je ne connais pas que je veux présenter ici et que je découvre sur le net :
Rufino Tamayo
(1899-1991)
Rufino Tamayo est né à Tlaxiaco (Oaxaca) le 25 août 1899 et est mort à Mexico le 24 juin 1991.
Bien qu'il ait peint des peintures murales avec des sujets révolutionnaires, art mural dont Diego Rivera avec Siqueiros y Orozco étaient les plus grands représentants au Mexique, Rufino Tamayo s'est démarqué des artistes de sa génération en créant un style personnel.
Bien qu'on le considère souvent comme un artiste ultra-mexicain en raison de son approche des cultures préhispaniques, il a vécu à Paris dans les années 50 et s'est parfaitement intégré dans le mouvement culturel de l'époque.
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Dualidad peinture murale |
"Dualidad » est un des muraux les mieux conservés de Tamayo; il se trouve au Musée National d’Anthropologie et d’Histoire. C’est une impressionnante fresque peinte en 1964, de 12 mètres de large, que les visiteurs peuvent admirer à l’auditorium Jaime Torres Bodet.
Tamayo s’inspira de la cosmogonie náhuatl des opposés et complémentaires pour interpréter la mythologie précolombienne; l’œuvre fut aussi le résultat du contexte politique et social de l’époque."
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Moon dog Rufino Tamayo |
