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mardi 10 mars 2015

Victor Hugo : Hernani


Personnages de Victyor Hugo  par L Boulanger : Don Ruy Gomez de Silva,Don césar de Bazan, Don Salluste,  Hernani, Esméralda,de Saverny
Six personnages de Victor Hugo : Hernani en bas, à gauche


Hernani : L’action

Hernani : le dénouement

Hernani, noble espagnol a été banni de ses terres et son père est mort sur l’échafaud condamné par le père du roi d’Espagne Don Carlos qu’il poursuit de sa haine; proscrit il vit dans la montagne à la tête d’une bande de brigands et affûte sa vengeance. Il est amoureux de Dona Sol de Silva, une jeune comtesse qui est promise à son oncle et tuteur, le vieux Don  Ruy Gomez de Silva.
Don Gomez sauve la vie de Hernani venu lui demander l’hospitalité. Furieux, Don Carlos enlève Dona Sol. Les deux hommes vont alors s’allier contre le roi mais Don Gomez  fait promettre à Hernani que sa vie lui appartiendra. Il suffira qu’il sonne du cor pour que Hernani se rende à lui.

Donc Carlos devenu empereur sous le nom de Charles Quint renonce à sa vie dissolue, fait un retour sur lui-même, condamne ses erreurs et ses faiblesses. Il accorde sa grâce à Hernani et lui restitue ses terres. Hernani et Dona Sol se croient enfin libres de s’aimer lorsqu’ils entendent le vieux Don Ruy Gomez sonner du cor ...

Les thèmes de cette pièce sont  romantiques  par excellence :

L’amour impossible,  le héros voué au malheur, l'angélisation de la femme : 
Hernani :  le héros est un proscrit, il porte en lui une malédiction et attire le malheur sur son entourage.
Dona Sol représente la vision idéale de la femme telle que les romantiques l’imaginent. Pureté,  douceur, fidélité… elle sait faire preuve de courage, de force et de grandeur quand il faut défendre son amour,  si fort qu’il ne peut être détruit.. Elle préfère la mort à la trahison. Elle incarne l’aspect angélique de la femme.

Une réflexion sur le pouvoir : Don Carlos incarne les deux faces du pouvoir politique : il est cruel, sans morale, frivole en tant que roi d’Espagne. Il il accède à la grandeur devant le tombeau de Charlemagne lorsqu’il devient empereur. Il va désormais représenter la grandeur du pouvoir impérial (allusion à Napoléon) qui renonce au vice et se tourne vers le Bien.

La bataille d’Hernani : classiques contre romantiques

Calssiques et romantiques s'affrontent dans La bataille de Hernani (Victor Hugo 1830)
La bataille de Hernani

La première représentation de la pièce de Victor Hugo, Hernani (1830),  est marquée par la fameuse bataille qui voit le triomphe du romantisme avec, à sa tête, comme chef de file en France, Victor Hugo, entouré des membres du grand cénacle.
1830! est donc une date historique dans l'Histoire de la littérature et plus précisément du théâtre français. Les romantiques, en effet, tous admirateurs de Shakespeare, prennent le grand dramaturge anglais pour modèle, ce qui revient à s'opposer à toutes les règles du théâtre classique du XVII siècle. Les classiques vont donc s’attaquer aux romantiques qui révolutionnent le théâtre et bouleversent les mentalités. La bataille d’Hernani fait rage, les détracteurs perturbent les représentations, la « claque » engagée par Victor Hugo, composée de jeunes romantiques (Théophile Gautier et Gérard de Nerval et leurs amis), enthousiastes, se déchaînent. Les spectateurs s’insultent, en viennent aux mains.
Les générations actuelles doivent se figurer difficilement l'effervescence des esprits à cette époque; il s'opérait un mouvement pareil à celui de la Renaissance. une sève de vie nouvelle circulait impétueusement. Tout germait, tout bourgeonnait, tout éclatait à la fois." écrit Théophile Gautier dans son Histoire du romantisme.

L’affranchissement des règles


Victor Hugo a exprimé ses idées sur le drame romantique dans La préface de Cromwell considérée comme le manifeste du romantisme. Stendhal fait de même avec Racine et Shakespeare. Les romantiques revendiquent en politique comme en littérature la liberté. Le drame romantique va donc s’affranchir des règles.

« Jetons bas ce vieux plâtrage qui masque la façade de l’art ! Il n’y a ni règles, ni modèles ; ou plutôt il n’y a d’autres règles que les lois générales de la nature qui planent sur l’art tout entier, et les lois spéciales qui pour chaque composition résultent des conditions d’existence propres à chaque sujet. Les unes sont éternelles, intérieures et restent ; les autres variables, extérieures, et ne servent qu’une fois. » Préface de Cromwell

Désormais on ne choisira plus obligatoirement le sujet chez les auteurs de l'antiquité romains ou grecs et les personnages ne seront plus obligatoirement les grands de ce monde, empereurs, rois et reines. Le drame romantique va puiser dans l’Histoire et se révéler être, au deuxième degré, une réflexion sur l'époque contemporaine. Le peuple est désormais représenté sur scène. Ainsi Ruy Blas, domestique de la reine d’Espagne, deviendra son ministre et sera aimé d’elle.

Hernani est un noble espagnol, déchu de ses droits, en rébellion contre le trône d'Espagne, il est devenu hors-la-loi et vit en proscrit dans la montagne. Victor Hugo choisit ce moment de l’histoire d’Espagne où Don Carlos va être élu empereur du Saint Empire romain germanique.

Le mélange des genres

Hernani : Don Carlos sortant de son armoire devant hernani et Dona Sol
Don Carlos sortant de son armoire
De plus, on ne distingue plus la comédie de la tragédie comme dans le théâtre classique. On pratiquera comme chez Shakespeare le mélange des genres. Dans la vie le comique et le tragique se côtoient, affirme Victor Hugo dans La Préface de Cromwell.

« …la muse moderne verra les choses d’un coup d’œil plus haut et plus large. Elle sentira que tout dans la création n’est pas humainement beau, que le laid y existe à côté du beau, le difforme près du gracieux, le grotesque au revers du sublime, le mal avec le bien, l’ombre avec la lumière.

Dans Hernani, Victor Hugo applique cette idée à la lettre : Dans l'acte I, scène 1 et scène 2, il met en scène une situation de vaudeville pratiquant ainsi ce mélange des genres qu'il prône, entre  comique et tragique. Le roi d’Espagne refuse d’entrer dans l’armoire. Il  forme un duo grotesque avec la duègne :
Serait-ce l’écurie où tu mets d’aventure
Le manche du balai qui te sert de monture?

Il assiste sans rien dire au duo amoureux de Hernani et Dona Sol puis sort de l’armoire à grands fracas  comme un mari cocu :

Quand aurez-vous fini  de conter votre histoire?
Croyez-vous qu’on soit à l’aise en cette armoire?

La règle des trois unités

Enfin le drame romantique s’attaque aux fameuses règles classiques des trois unités du théâtre classique : il ne respecte plus l’unité de temps ( l’action devait se dérouler en un jour),  ni l'unité de lieu ( toutes les scènes se passaient un seul lieu) mais il conserve celle d’action (une seule action). La multiplicité des lieux entraînent des changements de décors et fait appel à l’exotisme, à la couleur locale .

« L’unité de temps n’est pas plus solide que l’unité de lieu. L’action, encadrée de force dans les vingt-quatre heures, est aussi ridicule qu’encadrée dans le vestibule. Toute action a sa durée propre comme son lieu particulier. »
Hernani se déroule sur plusieurs mois et dans plusieurs lieux : Saragosse dans divers lieux du palais de Don Ruy Gomez de Silva, dans les montagnes d’Aragon, à Aix-la Chaplle, devant le tombeau de Charlemagne. Quant à l'unité d'action, elle n'est pas synonyme , indique VHugo simplicité.

La règle de la bienséance

Il fait fi aussi de la règle de la bienséance qui interdisait de représenter sur scène des actes violents, des meurtres, des duels, remplacés obligatoirement sur scène par le récit de ces actes. Désormais le drame romantique montre le spectacle de la violence. On peut mourir sur scène! Dans Hernani il y a même trois çadavres au dénouement!

La liberté du style

De plus le vers se libère et n'obéit plus aux règles strictes de la versification. Victor Hugo bouleverse le rythme de l’alexandrin classique qui est binaire (6/6) en créant le trimètre (4/4/4), il ose des enjambements, des rejets, des contre-rejets, audacieux, pittoresques, évocateurs.

Ainsi ce rejet au début de la scène 1 a horrifié le public classique
 Serait-ce déjà lui?
                            C’est bien l’escalier
dérobé.


Il refuse aussi  la métaphore, la périphrase, l’emploi du mot noble et lui préfère le mot propre.

Cette muse, on le conçoit, est d’une bégueulerie rare. Accoutumée qu’elle est aux caresses de la périphrase, le mot propre, qui la rudoierait quelquefois, lui fait horreur.

A ce propos, Théophile Gautier raconte dans son Histoire du romantisme l’anecdote suivante

Comment s'imaginer qu'un vers comme celui-ci :
Est-il minuit? -Minuit bientôt
ait soulevé des tempêtes et qu'on se soit battu trois jours autour de cet hémistiche? On le trouvait trivial, familier, inconvenant; un roi demande l'heure comme un bourgeois et on lui répond comme à un rustre : minuit. C'est bien fait. S'il s'était servi d'une belle périphrase, on aurait été poli, par exemple  :
                                                     L'heure
Atteint-elle bientôt sa douxième demeure?

Voilà qui va scandaliser les partisans du classique, le Bourgeois au crâne rasé et au menton glabre auxquels vont s'opposer les jeunes Romantiques chevelus  : N'était-il pas tout simple d'opposer la jeunesse à la décrépitude, les crinières aux crânes chauves, l'enthousiasme à la routine, l'avenir au passé?   Gautier voir  ICI

Si déjà, dans sa vieillesse de Théophile Gautier, il était difficile d'imaginer  que l'on ait pu se battre pour ces détails, on peut imaginer ce que nous ressentons de nos jours!

 La pièce peut-elle être jouée devant un public contemporain?


La réponse est oui. Je l'ai vue au festival d'Avignon dans une mise en scène sobre, où les acteurs faisaient oublier très vite ce que l'alexandrin peut avoir - à l'oreille du spectateur actuel- de grandiloquent et de peu naturel.  Une diction maîtrisée mais qui laisse place à l'émotion. La beauté et l'ardeur de la langue hugolienne est mise en valeur. On assiste, en fait, à une belle et triste histoire d'amour qui rappelle celle de Roméo et Juliette mais on peut rire aussi comme l'avait souhaité Victor Hugo..

En bref, le jugement de Théophile Gautier sur la pièce paraît judicieux* : « Le mérite principal d’Hernani, c’est la jeunesse. On y respire d’un bout à l’autre une odeur de sève printanière et de nouveau feuillage d’un charme inexprimable ; toutes les qualités et tous les défauts en sont jeunes : passion idéale, amour chaste et profond, dévouement héroïque, fidélité au point d’honneur, effervescence lyrique, agrandissement des proportions naturelles, exagération de la force ; c’est un des plus beaux rêves dramatiques que puisse accomplir un poète de vingt-cinq ans ».  


*Quand Théophile Gautier assiste à la pièce en 1830, vêtu de son somptueux gilet rouge pour choquer le bourgeois, il a 19 ans et Victor Hugo en a 28; quand il porte ce jugement en 1838, il en a 27.


Ceci est une lecture commune dans le cadre du Challenge Victor Hugo, du challenge Romantique et du challenge En scène! :

Eimelle, Laure, Miriam, Moglug, Nathalie...

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Prochaines LC Victor Hugo

10 Mai : un "petit"roman à choisir parmi les trois titres : Claude Gueux, Hans d'Islande, ou Le dernier jour d'un condamné ?

Inscrivez-vous...

Claudialucia, Laure, Nathalie...

 et je propose aussi un petit supplément pour les amateurs :

 le 10 Avril, un poème de Victor Hugo à choisir dans le recueil  L'art d'être grand- père que vous pouvez lire gratuitement sur votre ordinateur ICI

Qui est partant?






 

dimanche 8 mars 2015

Honoré de Balzac : Le chef d'oeuvre inconnu / La belle noiseuse de Jacques Rivette


La Belle Noiseuse vue par Bernard Dufour inspiré par Balzac dans le film de Jacques Rivette

La  nouvelle de Balzac Le chef d’oeuvre inconnu est d’abord parue en feuilleton en 1831 puis a été intégrée aux Etudes philosophiques de La Comédie Humaine (1846).

Le récit

Nicolas Poussin : autoportrait
Un jeune peintre (qui n’est autre que Nicolas Poussin débutant) se rend à l’atelier du peintre Porbus. Il y retrouve le maître Frenhofer qui critique le dernier tableau de Porbus, à qui, affirme-t-il, il manque la vie. Nicolas Poussin est d’abord irrité par la suffisance de Frenhofer mais lorsque celui-ci retouche la toile de Porbus, il est en admiration. 
Frenhofer, lui-même disciple d’un grand maître, le peintre Mabuse, parle alors à Porbus et Nicolas de son tableau de La Belle Noiseuse, portrait de Catherine Lescaut, qu’il n’a jamais pu achever et qu’il n’a jamais voulu dévoiler à personne. Nicolas Poussin lui offre alors sa maîtresse, la belle Gillette, comme modèle, à la condition que Frenhofer leur montre son  oeuvre une fois celle-ci terminée. 
Gillette résiste par pudeur puis finit par se soumettre à son amant, comprenant que celui-ci la sacrifie à sa carrière et à son amour de l’art. Mais le mépris s’insinue en elle pour cet homme qui n’a peut-être pas la valeur qu’elle lui attribue et ceci marque la fin de son amour.
Grâce à la beauté de son modèle, Frenhofer achève le portrait dans une exaltation sacrée mais lorsqu’il dévoile sa toile aux deux hommes… ? Je vous laisse découvrir la suite!

Les personnages

La belle Noiseuse vue par Richard Hamilton(1922-2011)  inspiré par Balzac
Maître Frenhofer est un personnage fictif, disciple de Mabuse. Dans le film de Rivette, il est interprété par Michel Piccoli.

Catherine Lescaut  dite la Belle Noiseuse qui a servi de modèle au peintre est elle aussi un personnage imaginaire. Elle n'est pas présente dans la nouvelle alors que dans le film elle est interprétée par Jane Birkin qui est l'épouse du peintre.

Nicolas Poussin La sainte famille à l'escalier (1648)  Cleveland art museum

Nicolas Poussin : n’est pas encore, dans la nouvelle, le grand peintre classique que nous connaissons. 
Gillette : maîtresse de Nicolas Poussin


Frantz Porbus : le peintre de Henri IV

François Porbus : Frantz Porbus, dit Porbus le Jeune (1570-1622), auteur de célèbres portraits de Henri IV.


Jean Gossaert ou Gossart dit de Mabuse: portrait de Fille

Mabuse : Jean Gossaert ou Gossart dit de Mabuse (ou Maubeuge) (1478-1536), grand peintre flamand.

L’explication du titre

La belle Noiseuse vue par Rivette inspiré par Balzac

La nouvelle et le texte ne portent pas le même titre. Le film de Jacques Rivette intitulé La belle noiseuse met l’accent sur la maîtresse du peintre, Marianne, interprétée par Emmanuelle Béart. Un dialogue du film explique clairement le sens (même si contrairement à ce qu’affirme Marianne  « noiseuse » n’existe pas en québécois (wikipédia)) terme que nous retrouvons en français dans l’expression « chercher des noises à quelqu’un ». « Noise » en ancien français signifie bruit, tumulte, tapage, puis par glissement de sens, dispute. La noiseuse est une femme qui cherche querelle, bref! une « emmerdeuse » comme il est dit dans le film, autrement dit une femme qui n’est ni soumise, ni docile!

La nouvelle s’intitule Le chef d’oeuvre inconnu et désigne le portrait de la Belle Noiseuse que Frenhofer à peint avec tant de soin et qu’il n’a jamais voulu montrer à personne. Pour Frenhofer la passion de l’art et de la femme se confondent.

Montrer mon œuvre, s’écria le vieillard tout ému. Non, non, je dois la perfectionner encore. Hier, vers le soir, dit-il, j’ai cru avoir fini. Ses yeux me semblaient humides, sa chair était agitée. Les tresses de ses cheveux remuaient. Elle respirait !
Eh ! bien, l’œuvre que je tiens là-haut sous mes verrous est une exception dans notre art. Ce n’est pas une toile, c’est une femme ! une femme avec laquelle je ris, je pleure, je cause et je pense. Veux-tu que tout à coup je quitte un bonheur de dix années comme on jette un manteau ? Que tout à coup je cesse d’être père, amant et Dieu. Cette femme n’est pas une créature, c’est une création. Vienne ton jeune homme, je lui donnerai mes trésors, je lui donnerai des tableaux du Corrège, de Michel-Ange, du Titien, je baiserai la marque de ses pas dans la poussière ; mais en faire mon rival ? honte à moi ! Ha ! ha ! je suis plus amant encore que je ne suis peintre.

Balzac revisite ici le mythe de  Pygmalion amoureux de Galatée, la statue qu’il a créée et qui prend vie devant lui. Maître Frenhofer éprouve de l’amour pour sa création et souffre des affres de la jalousie comme un amant véritable.
Le récit, à ce moment là, peut s’infléchir vers le fantastique tout comme dans le conte d'Hoffmann L'homme au sable  avec Olympia, la poupée automate conçue par Coppelius ( Coppélia dans le ballet de Léo Delibes). Mais Balzac choisit de rester dans une certaine forme de réalisme  en s'intéressant d'abord au thème l’art et en présentant sa conception de l’artiste. Le personnage de Frenhofer devient un symbole, l'incarnation même de l'Art.

La portée de la nouvelle

La Belle Noiseuse vue par Pablo Picasso inspiré par Balzac

 C’est ce qu’explique l’universitaire Elisheva Rosen qui présente une interprétation du récit que je cite ici.

"Le Chef-d'oeuvre Inconnu est l'une des nouvelles les plus célèbres et les plus commentées de Balzac. Les avatars de son paratexte indiquent bien les différentes orientations de la nouvelle. Conte fantastique à la manière de Hoffman à l'origine, le récit tend, au fil de ses remaniements, à se détacher de la mode qui le portait au départ. Avec la mise en relief de sa dimension « philosophique », il s'impose comme l'un des textes majeurs de Balzac sur l'art, l'artiste et plus généralement la création. La scénographie balzacienne doit son efficacité à sa manière particulière de tresser érotique et esthétique : le drame de Frenhofer, comme le désarroi des artistes qui ont divinisé le Maître, est d'autant plus poignant qu'il se joue sur une double scène quasiment sacrificielle, celle de l'art et celle du désir et de l'amour. La réception du texte est conforme à cette double orientation du récit. Si les lecteurs contemporains se montrent plutôt sensibles au destin de Gillette, les lectures ultérieures y reconnaissent volontiers, selon l'heureuse expression de P. Laubriet, un véritable « catéchisme esthétique ». Ce texte, si cher à Cézanne, illustré par Picasso, a inspiré depuis les années soixante bien des essais d'esthétique : Michel Leiris, Hubert Damisch, Michel Serres, Georges Didi-Huberman, pour ne citer qu'eux, ont alimenté leur réflexion à sa source, amplifiant ainsi les résonances mythiques de ce récit aux charmes duquel le cinéma (Jacques Rivette) se devait de céder à son tour."

Les théories artistiques de Balzac

Le thème du portrait qui s’anime, plus vrai que la vie, est récurrent chez Balzac puisqu’on le retrouve, développé, dans Le portrait de Dorian Grey, récit fantastique qui est le reflet d’une des conceptions essentielles de l’art que Honoré de Balzac présente sous forme de maxime  : La mission de l’art n’est pas de copier la nature, mais de l’exprimer ! Tu n’es pas un vil copiste, mais un poète !
Il n'est pas étonnant que les peintres et les théoriciens de l’art aient été fascinés par cette nouvelle qui est une sorte de manifeste artistique.

La vie

Au moins, avez-vous là couleur, sentiment et dessin, les trois parties essentielles de l’Art explique Frenhofer à Portus et Poussin mais cela ne suffit pas.L’art en doit pas se contenter de l’apparence, il doit aller au-delà, il ne doit pas copier la vie mais être la vie!

C’est cela, et ce n’est pas cela. Qu’y manque-t-il ? un rien, mais ce rien est tout. Vous avez l’apparence de la vie, mais vous n’exprimez pas son trop-plein qui déborde, ce je ne sais quoi qui est l’âme peut-être et qui flotte nuageusement sur l’enveloppe ; enfin cette fleur de vie que Titien et Raphaël ont surprise.

Et ceci concerne toute création, y compris la création littéraire :

Il ne suffit pas pour être un grand poète de savoir à fond la syntaxe et de ne pas faire de faute de langue !
Ta création est incomplète. Tu n’as pu souffler qu’une portion de ton âme à ton œuvre chérie. Le flambeau de Prométhée s’est éteint plus d’une fois dans tes mains, et beaucoup d’endroits de ton tableau n’ont pas été touchés par la flamme céleste.

La lumière

Ce n’est pas la ligne mais la lumière qui donne la forme :

Rigoureusement parlant, le dessin n’existe pas !  La ligne est le moyen par lequel l’homme se rend compte de l’effet de la lumière sur les objets ; mais il n’y a pas de lignes dans la nature où tout est plein : c’est en modelant qu’on dessine, c’est-à-dire qu’on détache les choses du milieu où elles sont, la distribution du jour donne seule l’apparence au corps !`

Le travail de la forme

La Forme est un Protée bien plus insaisissable et plus fertile en replis que le Protée de la fable, ce n’est qu’après de longs combats qu’on peut la contraindre à se montrer sous son véritable aspect ; vous autres ! vous vous contentez de la première apparence qu’elle vous livre, ou tout au plus de la seconde, ou de la troisième ; ce n’est pas ainsi qu’agissent les victorieux lutteurs ! Ces peintres invaincus ne se laissent pas tromper à tous ces faux-fuyants, ils persévèrent jusqu’à ce que la nature en soit réduite à se montrer toute nue et dans son véritable esprit. Ainsi a procédé Raphaël, dit le vieillard en ôtant son bonnet de velours noir pour exprimer le respect que lui inspirait le roi de l’art, sa grande supériorité vient du sens intime qui, chez lui, semble vouloir briser la Forme.

Travaillez ! les peintres ne doivent méditer que les brosses à la main. 



Enigme N° 108
Le roman :Le chef d'oeuvre inconnu de Honoré de Balzac
Le film : La belle Noiseuse de Jacques Rivette
Bravo à  : 
Aifelle, Asphodèle, Dasola, Eeguab, Florence, Kathel, Keisha, Maggie, Syl,
Merci à tous les participants! Voir chez Wens pour le film.






samedi 7 mars 2015

Un livre/ Un film : Enigme



Un  livre/un film

Pour ceux qui ne connaissent pas Un Livre/un film, l'énigme du samedi, je rappelle la règle du jeu.

Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le 1er et le 3ème samedi du mois, et le 5ème pour les mois avec cinq samedis, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film. Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur. Eeguab ne nous relaiera pas cette année mais nous le remercions de tout le travail accompli l'année dernière.

Consignes  

Vous pouvez donner vos réponses par mail, adresse que vous trouverez dans mon profil : Qui suis-je? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.

Prochain rendez-vous

Donc rendez-vous  le premier samedi du mois :  Le samedi 21 Mars


Enigme 108


Le film est adaptée de la nouvelle fantastique et philosophique d’un écrivain français du XIX siècle. Le texte écrit ne porte pas le même titre que le film qui se déroule à l’époque actuelle.  Le récit est une réflexion sur la création artistique. « Ce texte, si cher à Cézanne, illustré par Picasso, a inspiré depuis les années soixante bien des essais d'esthétique : Michel Leiris, Hubert Damisch, Michel Serres, Georges Didi-Huberman, pour ne citer qu'eux, ont alimenté leur réflexion à sa source, amplifiant ainsi les résonances mythiques de ce récit … » citation : critique universaitaire E. R. 


Comme une foule d’ignorants qui s’imaginent dessiner correctement parce qu’ils font un trait soigneusement ébarbé, je n’ai pas marqué sèchement les bords extérieurs de ma figure et fait ressortir jusqu’au moindre détail anatomique, car le corps humain ne finit pas par des lignes. En cela les sculpteurs peuvent plus approcher de la vérité que nous autres. La nature comporte une suite de rondeurs qui s’enveloppent les unes dans les autres. Rigoureusement parlant, le dessin n’existe pas !  La ligne est le moyen par lequel l’homme se rend compte de l’effet de la lumière sur les objets ; mais il n’y a pas de lignes dans la nature où tout est plein : c’est en modelant qu’on dessine, c’est-à-dire qu’on détache les choses du milieu où elles sont, la distribution du jour donne seule l’apparence au corps !


mardi 3 mars 2015

Vacances Toussaint 2010 : souvenirs, souvenirs...

Un petit ours polaire

J'ai retrouvé dans les dossiers de mon ancien ordinateur, ce texte que j'avais écrit en 2010 pour l'atelier d'écriture de Gwenaelle qui a disparu depuis. Il s'agissait de noter au jour le jour nos activités pendant les vacances de la Toussaint. Retrouver ces souvenirs m'ont fait bien plaisir parce qu'il y est question de ma petite fille Léonie qui avait alors sept mois! J'ai donc décidé, pour qu'il ne disparaisse pas, de le publier ici même s'il est très personnel. Peut-être n'intéressera-t-il personne à part moi et éventuellement les parents de Léonie? Mais je ne veux pas l'oublier!

J'ai mis quelques petites commentaires en  2015 (en mauve) à propos de certains passages de 2010  dont certains me paraissent plus que jamais d'une brûlante actualité.

Lundi  25  Octobre 2010, le soir : Marseille au temps du Choléra

Ma petite fille Léonie est couchée et j'ai un petit moment pour moi, c'est à dire pour lire et écrire.

Hier, Dimanche, nous sommes allés la chercher à Marseille chez ses parents. Aurélia, sa maman, partait à Paris pour son travail, photographier le musée Gustave Moreau, et nous allions ramener Léonie à Avignon jusqu'à samedi. Nous sommes arrivés dans une ville de cauchemar, les trottoirs débordant de sacs poubelles éventrés, des ordures répandues partout emportées par le Mistral, des rats grouillant autour des containers. Marseille au temps du choléra! Les Sdf profitant de l'anarchie ordurière avaient investi la place et installé leurs matelas souillés entre les poubelles. Mais ce qui m'a le plus surprise ce sont les personnes qui, au milieu des immondices et des odeurs délétères, avaient étendu des couvertures à même la rue pour vendre de menus objets.
Je n'avais vu la ville aussi sinistrée qu'une fois et c'était en 1968! Mais alors je ne l'avais pas ressenti de cette manière. Peut-être parce que j'étais jeune, peut-être aussi parce que la France entière était dans la rue et les mouvements de la jeunesse partout dans le monde occidental allait apporter un souffle, une liberté ardemment souhaitée dont nous allions parfois faire un mauvais usage. Certes, nous n'avons pas apporté des lendemains qui chantent à nos enfants et la France de demain s'est révélée ce qu'elle est aujourd'hui, celle du chômage, de la précarité, de l'individualisme et du capitalisme triomphant. Mais en ce temps-là nous ne le savions pas, tous les espoirs étaient permis et nous étions solidaires, enthousiastes et idéalistes.

 Voilà ce que  je pensais dans les rues de Marseille en allant chercher ma voiture pour ramener ma petite Léonie à Avignon. Bien enveloppée dans une gigoteuse en fourrure blanche, elle ressemblait à un petit ours polaire avec son capuchon orné de deux oreilles rondes. Un joli ourson aux yeux bleus!

Quand tu nous a vus, tu as eu un petit sourire mi-figue, mi-raisin, le sourire que nous connaissons bien maintenant et qui dit : "oh! je les aime bien ! mais qu'est-ce qu'ils viennent encore faire ces deux-là!  Ils vont m'arracher à mes parents! et je veux paaas!!" Par contre quand nous venons le mercredi pour t'amener à l'éveil musical, tu es toute heureuse, et le sourire est franc! Tu sais que tu ne vas pas repartir avec nous et je te sens heureuse d'être avec tes grands parents! *
Comment peux-tu savoir que nous venons te chercher mon petit sphynx?  C’est vrai que tes parents ne te prennent jamais en traître; Ils t'avertissent quand tu dois venir chez nous. Mais comment as-tu compris sans la compréhension des mots? Tu le sens, tu le sais? Que te transmettent tes parents au-delà des phrases? Maupassant disait en parlant des bébés : « un enfant encore sans gestes et sans parole ». Comme si le tout-petit n’appartenait pas tout à fait à l’espèce humaine. 

Le soir, difficile endormissement ; tu te calmes dans mes bras; je te transmets tout mon amour.

*Léonie n’a pas changé depuis!

Mardi 26 Octobre :  C'est une grande joie...

 Le Mistral continue à souffler avec une violence inouïe. Des rafales à 120 km secouent les volets comme pour les arracher. Je n'ai pas pu sortir Léonie et je me suis occupée d'elle toute la journée. j'adore! Je lui ai créé un petit monde à elle dans notre salon. Le parc qui s'ouvre sur le côté est devenue une cabane d'où elle peut entrer et sortir à quatre pattes même si elle n'aime pas beaucoup cette station. Elle préfère être debout. Un tapis en mousse, puzzle aux couleurs vives, lui permet d'évoluer sans danger. Elle est entourée de toutes sortes de personnages extraordinaires et insupportables. Figurez-vous, entre autres, Jojo lapin, roi des malins, avec des jambes démesurées, qui saute partout et atterrit régulièrement sur son nez de bébé.

Son grand père lui prépare des petits plats de sa composition, mixant, mêlant savamment les goûts, un zeste de Kiwi d'un vert acide neutralisé par une poire jaune, juteuse et fondante à souhait, une purée de patates douces nappée d'un coulis de courgette. Il a raison car il a affaire à un gourmet. Quand elle goûte, c'est du sérieux! Elle ferme les yeux, se recueille, grimace un peu avant de s'apercevoir qu'elle aime, qu'elle aime, qu'elle aime! Mmm! Le petit bec s'ouvre avec avidité vers les grands parents nourriciers, affolés, la petite bouille barbouillée de rouge ou de vert selon le cas, le soupir d'aise et le sourire final sont autant d'hommage au grand chef cuisinier.
Et puis, il y a les livres, la musique, les chansons...  Notre Minuscule se trémousse sur nos genoux, « à Paris, à Paris, sur un petit cheval gris » ou  Desnos«  Saute, sauterelle, car c'est aujourd'hui jeudi / Je sauterai, nous dit-elle, du lundi au samedi.

Simone de Beauvoir
...  Je pense à Simone de Beauvoir qui écrivait: "c'est une grande joie, à vingt ans, de recevoir le Monde de la main qu'on aime" et je plagie : "C'est un grand bonheur à tout âge de donner le Monde à l'enfant qu'on aime!"


 Tu babilles sans cesse, tu es très bavarde. Chaque nuit quand tu te réveilles tu m'assailles de :  "ga'de" ‘ga’de! » = "regarde" de ta voix.. pas très minuscule...  




Virginia Woolf

Quand nous passons dans le couloir tapissé de livres, je te montre une photo, toujours la même, sur la tranche d'un livre. Et quand je te dis Virginia Woolf, tu poses le doigt dessus.  
* Deux mois plus tard, c’est La Minuscule qui cherchera Virginia Woolf toute seule! Elle sera peut-être le seul Bébé du monde à connaître le nom et le visage de la grande écrivaine à l'âge de 9 mois. Rassurez-vous, elle n'a pas encore lu ses livres même si elle a …  du potentiel! En tous cas, elle n'en a pas peur!

 

 

Mercredi  27 Octobre: Des munitions en cet humain voyage... 

Médiathèque Ceccano

Le vent a presque cessé. Il fait encore un peu froid mais le petit ours polaire bien emmitouflée ne risque rien, donc nous sortons, la Minuscule et pour aller jusqu'à bibliothèque.

J'aime beaucoup la médiathèque d'Avignon. Elle est installée dans l'ancienne livrée du cardinal Ceccano, édifiée au XIVème siècle. C'est un un beau palais fortifié à la façade imposante ornée de créneaux, aux murs et aux plafonds à lourdes poutres en bois encore recouvertes de fresques colorées. Je passe d'abord rendre un livre chez les adultes et j'aperçois, ô miracle, un roman que je voulais absolument lire depuis sa parution : "La solitude du docteur March" de Geraldine Brooks. Je dis "miracle" car les livres de la rentrée littéraire sont très attendus et il est rare de pouvoir les lire dans les premiers mois. Or je viens de trouver tour à tour "La malédiction des colombes" de Louise Eldrich que je convoitais aussi et celui-ci. je complète avec mon Joyce Carol Oates mensuel, écrivain qu'en bonne challengiste je lis régulièrement. Cette fois-ci je choisis un roman d'elle qui n'est pas très connu, je crois, mais qui me plaît bien à priori. Il s'intitule : Zombi. Je ressens l'euphorie habituelle quand je fais ma récolte et engrange mes bouquins comme un écureuil ses noisettes. Je les emporte après enregistrement comme un trésor précieux.

 Léonie m'observe quand je les place sous sa poussette; elle ne sait pas encore que que je suis comme Montaigne et que les livres, pour moi, "c'est la meilleure des munitions que j'ai trouvée en cet humain voyage".
Dans la partie enfant, la salle est lumineuse, agréable. Pour les tout-petits un épais matelas installé à même le sol permet de les poser et de s'asseoir à côté d'eux. Nous "lisons" ensemble et surtout je l'inscris à la bibliothèque et j'emporte quatre petits albums pour elle. Elle aussi repart avec ses "munitions".

Le soir, je continue ma lecture des "Carnets retrouvés" de la jeune Vietnamienne Dang Thuy Trâm qui écrit pendant la guerre contre les américains dans les années 68-69. Cette jeune fille est attachante; on la sent à la fois si forte et si vulnérable. Si courageuse aussi! c'est elle qui a choisi d'aller soigner les blessés (elle est médecin) dans le Sud alors qu'elle vivait à Hanoï loin des combats dans une famille aimante et protectrice. Je pense qu'elle est si jeune (24 ans "l'âge à peine d'une enfance") et que depuis des années elle ne connaît que les bombes, la mort, la violence. La lecture d'un journal non officiel (je veux dire de personnes qui ne sont pas célèbres) est toujours émouvante. Ce sont des gens proches de nous qui n'écrivent pas pour la galerie mais pour eux-mêmes, pour exorciser leurs peurs, pour confier leurs angoisses. On se sent si proche de Thuy, de sa détresse, de son désir de pureté, de son idéalisme. Thuy, même si elle a fait des études scientifiques, lit beaucoup et écrit bien. Mais comme souvent dans ce genre de cahier on aimerait en savoir plus (d'autant plus qu'il manque les carnets du début de la guerre) parfois il y a des répétitions, des ellipses, des non-dits. On a l'impression non pas de lire une oeuvre littéraire mais de lire le journal d'une amie.

Jeudi  28 Octobre :   Illégal

Les réveils à 4 ou 5 heures du matin pour le biberon commencent à se faire sentir. Elle est peut-être minuscule ma Léonie mais quel appétit! Je n'ai plus les yeux en face des trous! et des cernes! Je regarde Francis. Il est à peu près dans le même état que moi! Nous ressemblons à des pandas. Nous rions ensemble. Etre grands-parents! Décidément, c'est vrai que le métier de parents est un métier de jeunes ! Mais quel bonheur de pouponner La Minuscule qui a envie de tout savoir, tout connaître
Ce matin elle a dit "dadou"! C’est ainsi que nous nous faisons appeler : dadou et manou…  mais pour moi? Rien! l'ingrate! Prononcer manou n’est pourtant pas la mer à boire! Le grand-Père frime et moi je me demande si cette petite a autant de "potentiel" qu'on veut bien le dire!

Le soir, nous recevons nos amis, collègues de Francis, eux aussi profs de cinéma à la retraite ou encore en fonction et de quoi parlons-nous? D'une autre passion commune, le cinéma. Ils ont bien aimé "Les rêves dansants" un film documentaire que j'aimerais voir qui montre des adolescents sans expérience de la danse travailler avec Pina Bausch. Le film qui fait l'unanimité est "Illégal" que nous avons tous vu, une fiction qui emprunte un peu au documentaire tant elle paraît réaliste. Elle montre à travers le personnage de la russe Tania séparée de son fils Ivan, le sort des immigrés enfermés dans des centres de rétention avant d'être réexpédiés dans leur pays. C'est un film sans concession qui montre l'inhumanité, les dérapages, les violences faites à ces gens qui ne sont pas des criminels mais sont parfois traités comme tels.

Petit être doué de paroles. Tu parles, tu dis des mots et parfois au milieu d'eux j'en reconnais un et je m'émerveille. Tu accèdes au langage, j'accède à ta compréhension. Tu as dit : "voi " pour aurevoir "ca" pour canard et "pin" pour lapin.  Mais tant que les mots ne sont pas répétés et liés à du concret, est-ce déjà du langage? Bien sûr! Quelle drôle de question!

Vendredi  29 Octobre  : Nénègle ou la liberté

Francis-Wens est parti à Toulon chercher sa mère. Et Aurore la troisième de mes filles est arrivée cette après midi. Elle vit à Marseille chez sa soeur aînée et son beau frère, les parents de Léonie, aussi l'on peut dire qu'elle sert de deuxième maman à sa petite nièce et qu'elle a une adoration pour elle.

Elle lit les livres que j'ai ramenés de la bibliothèque pour la Minuscule. Parmi eux : "Nénègle sur la montagne" de Benoît Charlat. Nénègle est un petit aigle perché sur une montagne avec son biberon, sa tétine, son doudou, son camion rouge...  Quand il apprend à voler, il tombe et il est obligé de lâcher l'un après l'autre les objets qu’il tient dans ses bras (euh! ses ailes)! Et oui, c’est cela, grandir, un abandon de ce qui fait l’enfance; c’est la condition pour qu’il puisse s'envoler et gagner son indépendance, loin de ses parents.

 Je vois les yeux d'Aurore qui se voilent, s'attristent. Elle soupire : "C'est triste!"  Mais triste pour qui? Pas pour l'enfant bien sûr! Mais plutôt pour ceux qui le regardent partir! Aurore vient de comprendre ce que c'est être mère avant de l'être elle-même! Avoir le courage de pousser son enfant vers la porte de sortie et le regarder s'en aller en souriant!
A propos des livres d'enfant, je lisais l'autre jour sur le blog Livre de Malice, ses réponses à des lecteurs qui jugeaient les livres d'enfants "simplistes". Quel mépris et quelle ignorance! Il en est des livres pour la jeunesse comme des autres, il y a de bons crus et des mauvais. Le Nénègle de Charlat est bon; on peut dire que cet album est un livre d'initiation réussi, le Lucien de Rubempré ou le Julien Sorel des bébés!

Ce soir, papotage avec notre fille qui nous explique ses exploits de débutante en Haikido. Le pire c'est que c'est moi qui sers de cobaye pour la démonstration!

Tu revois Aurore, tu es heureuse, tu répètes sans cesse "tata " à la grande joie d’Aurore. Tu dis au revoir et agites ta petite main. Tu fais beaucoup de progrès à quatre pattes, tu te  suspends au bras d'Aurore pour te lever.

Samedi 30 Octobre : un message subliminal

Elle l'a eu!(le bonnet subliminal)

 Les parents sont venus et repartis en amenant leur bébé. Et voilà, le vide ! Pourtant la journée a été animée avec les quatre générations qui se sont retrouvées dans notre petit appartement : du bébé de 7 mois dont c'était le "moisversaire" à l'arrière grand-mère de 90 ans.

 Comme je tricotais un col et un bonnet avec une très belle laine naturelle pour ma seconde fille Amandine dont c'est l'anniversaire ce mois-ci, la seule absente de la famille ce jour-là,  Aurélia m'a lancé des messages qu'elle appelle "subliminaux". Le subliminal pour elle, c'est ça : "Qu'il est beau ce bonnet, que j'aime la laine … et alors c'est pour Didine? parce que moi j'aime vraiment beaucoup, en bleu, ça me plairait ... beaucoup, beaucoup!".  Bon je vais en être quitte pour tricoter un deuxième bonnet! Heureusement que ma troisième fille trouve que la laine : "ça pique!" et que Léonie n'a pas encore l'âge de réclamer subliminalement!

Tu es heureuse de revoir ses parents mais pas de bouderie comme tu sais le faire parfois pour te venger de leur abandon/ Tu es très nerveuse, excitée. Départ sous la pluie, 2 h de voyage, bébé très fatiguée…

Dimanche 31 Octobre : Il pleut...

Inondation Avignon photo DR source
Il pleut! il pleut! Il pleut!  Il pleut comme il sait pleuvoir dans le Midi de la France. L'eau monte et le moral des avignonnais descend. Car, il faut le savoir, la pluie comme la neige sont considérées comme des offenses personnelles faites aux seuls provençaux. Qu'il pleuve ailleurs, c'est normal, mais chez nous! Il y a longtemps que le Rhône n'a plus débordé. Il a beau être canalisé, domestiqué, il fait encore bien souvent des siennes et ceci malgré les délestages et les pompages. La dernière fois ( 2003 ?) l'eau est montée jusqu'aux remparts de plusieurs mètres. Les portes de la vieille ville sont alors fermées par des bardeaux remplis de fumier. Celui-ci gonfle sous la poussée de l'eau mais ne cède pas. L'eau percole mais ne passe pas!  Ce qui n'empêche pas que cette masse grise et puissante qui pèse de toutes ses forces sur l'enceinte médiévale lorsqu'on a sa maison située derrière ces murs est impressionnante. L'île de la Barthelasse créée par les alluvions du Rhône au cours des siècles est alors submergée. Jadis les habitants vivaient au premier étage et avaient toujours une barque dans le hangar du rez-de-chaussée. Maintenant il n'en est rien et les maisons sont inondées. L'homme croit toujours pouvoir dominer la nature et ne plus craindre les colères du fleuve mais ce n'est jamais entièrement vrai.

 Lundi 1er Novembre : Automne

Lozère : le chemin du col à Grizac/Villaret
Lozère : automne

 Nous ramenons l’arrière-grand-mère chez elle, près de Toulon. Sur l'autoroute, la pluie continue et le flot incessant des voitures rend la conduite préoccupante. Nous ne parlons pas! Je ne conduis pas et j'ai le temps de regarder la campagne que je n'avais pas vue depuis quelques jours. La ville ne permet pas de voir vraiment le déroulement des saisons. Ca y est! les couleurs de l'Automne sont là, les vignes rouges qui virent au violet, les peupliers dont l'or contraste avec le vert-noir des cyprès. Je me rends compte combien la Lozère me manque. En ce moment ce doit être une orgie de couleurs là-haut, un flamboiement dont je ne me lasse pas. Et puis il y les odeurs végétales de l'Automne presque aussi importantes que la vue, lorsque l'on se promène dans la forêt, le sous-bois mouillé, les châtaignes que l'on délivre de leur bogue..  

Comment se fait-il que lorsque je suis à la montagne, la ville me manque et vice versa à la ville?


Mercredi 3 Novembre : La malédiction des colombes


 Je lis "La malédiction des colombes"... pas envie d'écrire! 
Extrait de mon billet sur ce roman que j'ai vraiment beaucoup aimé  : La malédiction des colombes s'ouvre sur une scène superbe racontée par Mooshum qui donne son titre au livre : la  vision hallucinante de milliers de colombes s'abattant sur les récoltes et la procession qui s'ensuit menée par le curé, un indien catholique. Le ton est  neuf, vif, nerveux, évocateur d'images, de sons, d'odeurs et de couleurs. Un récit partagé entre le réalisme de la description, voire la trivialité, la cocasserie et l'irruption de la fantaisie, de la poésie.
Pour ma part, j'ai tout de suite été séduite par ce style et ce va-et-vient entre tragédie et comédie. Mélange de genre qui n'est pas sans me rappeler le Steinbeck -en plus noir tout de même- de Tortilla Flat ou de Tendre jeudi en particulier avec le personnage du vieux Mooshum, menteur, buveur, paillard mais plein d'humour, imprévisible, farceur, gamin insupportable parfois mais... si attachant!

Jeudi 4 Novembre : Je te le donne pour l'amour de l'Humanité

Dom Juan : la scène du pauvre

Aujourd'hui, le matin je suis allée faire du sport ! Quel courage! J'ai pris de bonnes résolutions. Le tout est de savoir combien de temps cela va durer? En tous cas je suis inscrite pour un mois! Avant de partir j'ai publié la citation du jeudi. Montaigne, bien sûr!

L'après midi je rédige mes commentaires sur mes livres en retard. Je ne sais si les autres blogueuses sont comme moi ou si c'est un effet de ma mauvaise organisation (ou de ma paresse) mais je suis toujours en retard de plusieurs livres pour les commenter. Cela prouve au moins que je lis plus vite que ce que j'écris et aussi que j'aime plus lire qu'écrire.

J'ai envie d'écrire sur ce fait divers lu dans le Monde. Il paraît presque anodin de prime abord mais si l'on y réfléchit, il est inquiétant pour le devenir de notre société. Un joueur italien a été suspendu pour propos « blasphématoire » parce qu’il a juré : "Porco Dio"! Preuve que les intégristes n'appartiennent pas qu'à une seule religion; ils  peuvent être partout. Cela nous ramène à des siècles en arrière et me rappelle la scène de Molière où Dom Juan promet une pièce à un pauvre à condition qu'il jure. Ce dernier, après un débat de conscience, refuse et Dom juan lui dit : "Tiens, je te la donne pour l'amour de l'humanité ».
 j'ai toujours jugé la réponse de Dom Juan sublime parce qu'il place l'amour de L'Humanité avant l’idée de Dieu. C’est la réponse d’un athée. Et le pauvre? Lui aussi sa conduite peut paraître sublime, c'est  la réponse d'un croyant; il préfère mourir de faim plutôt qu'être impie. Oui mais... pour juger son acte, il faut savoir qu'à cette époque un blasphème était puni de plusieurs années de galère. Il était dangereux de jurer et plus d'un a connu les bûchers de l'Inquisition pour moins que ça!*
Nous n'en sommes pas encore là direz-vous**? Non, on est puni seulement de participation à un match! Mais c'est grave! Car où est la liberté de pensée? N'aurait-on plus le droit d'être athée ou même d'être croyant et de jurer sans avoir de compte à rendre? Où va s'arrêter cette hypocrisie, cette ingérence de tout un chacun sur les consciences? Ah! Voltaire, que tu t'éloignes de nous et le siècle des lumières aussi!

* Dès les premières représentations la scène du pauvre fut censurée; La pièce de Dom Juan fut jouée pendant quinze jours du 15 février au 20 mars 1665 et puis elle disparut; elle ne fut plus interprétée jusqu'en 1841. Pièces, caricatures, peintures, expositions censurées, interdites, reportées, c'est notre lot quotidien de nos jours!
** Hélas! oui, nous en sommes là! Les évènements de janvier 2015 l’ont tristement prouvé!  Il y a un retour du bâton partout, exacerbation des intégrismes religieux.

Vendredi 5 Novembre : Rendre sa copie!

Aujourd'hui "la chef" (j'ai nommé Gwen) a réclamé notre copie. Je la lui enverrai demain. Il faut que je complète et corrige! J'ai quelques doutes sur l'intérêt de mes élucubrations mais tant pis!

Samedi 6 Novembre : Cinéma et Manifestations 2010

 Ce matin ciné-club au cinéma Utopia. "Trouble in Paradise" ("Haute-Pègre", je n'aime pas le titre français) est un film de Lubitch présenté par une ancienne collègue de Francis-Wens. j'aime beaucoup ses explications et le débat qui s'ensuit.
Je viens de consulter la carte des manifestations aujourd'hui contre les retraites. Le nombre de manifestants a bien diminué. Les syndicats commencent à ne plus avoir une ligne commune. Le gouvernement aura gagné! Tout le monde est persuadé qu'il faut une réforme mais celle-là est la pire! Ce soir, aux informations, j'ai entendu Martine Aubry dire sa solidarité avec les syndicats mais jamais elle n'a déclaré que les socialistes reviendraient sur cette loi quand ils seraient au pouvoir. Surtout pas! Pourtant une loi, ça se change!

Nouvelles du bébé : La Minuscule est allée à une expo avec ses parents, a été très enthousiaste, très sociable. Elle se lève toute seule y compris dans son lit. Le 30 Novembre elle aura 8 mois.

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dimanche 1 mars 2015

Patrick Modiano : L'herbe des nuits


Quand Lisa et Sylire nous ont proposé de lire Patrick Modiano pour le blogoclub, je n’ai eu que l’embarras du choix, moi qui connais peu cet auteur! J’ai choisi L’herbe des nuits car sa résonance poétique me parlait. 

 Le titre

Pavot et Mémoire de Paul Celan
Le titre,  nous dit l’écrivain, est emprunté à un vers du poète russe Ossip Mandelstam :
 rassembler pour les tribus
Étrangères l'herbe des nuits.
Patrick Modiano précise :
Je ne sais pas si le russe exprime la même chose, mais, en français, l'expression «herbe des nuits» me paraissait refléter le climat de mon livre : ces souvenirs qui jaillissent comme des herbes et qu'on broute sans fin.
 D’autre part, dans une interview accordée au Figaro, Modiano fait aussi allusion au recueil de poésies de Paul Celan  Pavot et mémoire, le pavot étant la fleur associée à l’oubli… Une image qui en accord avec le roman dans lequel le narrateur Jean, à l’aide d’un petit carnet noir où il a noté quelques noms, des évènements, des lieux, part à la recherche de son passé. Des décennies se sont écoulées.  Il ne reste plus grand chose du Paris des années 1960, quand jeune étudiant, il avait pour amie une jeune femme mystérieuse, Dannie, qui a disparu soudainement de sa vie sans qu’il puisse la retrouver. Ce Paris est aussi celui de la décolonisation et à travers la vie nocturne, dans les  bars louches de la capitale, le narrateur fait connaissance de personnages interlopes, comme les marocains Aghoumari, ou l’inquiétant « Georges ». Entre oubli et mémoire, Jean retourne sur les lieux de son passé, cherche à faire revivre les fantômes qui ont vécu là.

Un archéologue du passé

Paris semble être ici, comme dans la plupart de ces romans, un personnage à part entière. Il explore la ville recherchant au-delà des rues, des cafés, de l'Unic Hôtel où se passe une grande partie de l'action, du cimetière de Montparnasse, la gare, les traces qu'il a pu laissées.  L'on sent que l'écrivain y a mis beaucoup de lui-même - c'est ce qu'il confirme dans l'entretien donné sur le site de Gallimard-.  Le récit est écrit par petites touches et nous livrent des bribes du passé sans avoir l’air d’y toucher, sans s’appesantir. C’est que la mémoire fonctionne ainsi et les souvenirs se dérobent toujours au présent. Il ne faut pas les forcer.  Le narrateur semble être un archéologue étudiant les couches successives d'un passé récent mais aussi plus ancien : les traces de sa jeunesse recouvrent ou au contraire sont recouvertes par celles de l'Histoire. Gérard de Nerval, Madame du Barry,  Jeanne Duval, Restif de la Bretonne, Tristan Corbière, la baronne Blanche qui a donné son nom à la rue, et que Jean étudie, ont autant de consistance (ou aussi peu) que Dannie, Aghamouri, Georges et les autres qui ont traversé sa vie. Tous sont des ombres qui reviennent vaguement à la lumière du souvenir. Les rues de la capitale changent de nom, les immeubles disparaissent pour laisser place à d’autres, mais parfois, dans une brèche du temps, surgit le souvenir, fragile, d’un moment, un flash, un arrêt sur image. Le tout baigne dans un atmosphère de clair-obscur, entre sommeil et veille, entre réalité et rêve. Car ce passé a-t-il vraiment existé?
Le passé? Mais non, il ne s’agit pas du passé, mais des épisodes d’une vie rêvée, intemporelle, que j’arrache, page à page, à la morne vie courante pour lui donner un peu d’ombre et de lumière.

Un tableau de Hoper

Edward Hoper Noctambules ou nightawks tableau de 1942
Edward Hopper : Noctambules

L’ombre et la lumière!  Le roman de Modiano me paraît très visuel, très pictural. Ses descriptions font écho pour moi aux tableaux nocturnes de Hoper où les personnages sont figés dans des lieux éclairés au milieu de l’obscurité, enfermés dans leur solitude : Cette nuit-là je ne sais pas combien de temps je suis resté à les observer.(…) Ils étaient à quelques centimètres de moi derrière la vitre, et l’autre, avec son visage de lune et ses yeux durs, ne me voyait pas lui non plus. Peut-être la vitre était-elle opaque de l’intérieur, comme les glaces sans tain. Ou tout simplement, des dizaines et des dizaines d’années nous séparaient, ils demeuraient figés dans le passé au milieu de ce hall d’hôtel , et nous ne vivions plus, eux et moi, dans le même temps.
L’image de cette vitre qui sépare le passé du présent est récurrente : Il me semble qu’à cette époque je les voyais tous comme s’ils étaient derrière la vitre d’un aquarium, et cette vitre nous séparait, eux et moi.

J’ai aimé le ton nostalgique de ces souvenirs, cette impression de tristesse douce qui baigne l’ensemble.  J’ai senti combien l’écrivain parlait de lui-même et avec quelle intensité il nous faisait partager ses émotions. J’ai été sensible à l’urgence que l’on sent dans sa recherche du temps perdu, parce que, à un certain  âge, l’on ne peut plus éprouver cette impression d’éternité liée à la jeunesse. Ainsi quand il s’adresse à cette femme aimée dont la personnalité et l’identité même étaient si insaisissables : 
Tu dois te cacher dans ces quartiers là. Sous quel Nom? Mais, chaque jour, le temps presse et, chaque jour, je me dis que ce sera pour une autre fois.



Sylire et Lisa