Six personnages de Victor Hugo : Hernani en bas, à gauche |
Hernani : L’action
Hernani : le dénouement |
Hernani, noble espagnol a été banni de ses terres et son père est mort sur l’échafaud condamné par le père du roi d’Espagne Don Carlos qu’il poursuit de sa haine; proscrit il vit dans la montagne à la tête d’une bande de brigands et affûte sa vengeance. Il est amoureux de Dona Sol de Silva, une jeune comtesse qui est promise à son oncle et tuteur, le vieux Don Ruy Gomez de Silva.
Don Gomez sauve la vie de Hernani venu lui demander l’hospitalité. Furieux, Don Carlos enlève Dona Sol. Les deux hommes vont alors s’allier contre le roi mais Don Gomez fait promettre à Hernani que sa vie lui appartiendra. Il suffira qu’il sonne du cor pour que Hernani se rende à lui.
Donc Carlos devenu empereur sous le nom de Charles Quint renonce à sa vie dissolue, fait un retour sur lui-même, condamne ses erreurs et ses faiblesses. Il accorde sa grâce à Hernani et lui restitue ses terres. Hernani et Dona Sol se croient enfin libres de s’aimer lorsqu’ils entendent le vieux Don Ruy Gomez sonner du cor ...
Les thèmes de cette pièce sont romantiques par excellence :
L’amour impossible, le héros voué au malheur, l'angélisation de la femme :
Hernani : le héros est un proscrit, il porte en lui une malédiction et attire le malheur sur son entourage.
Dona Sol représente la vision idéale de la femme telle que les romantiques l’imaginent. Pureté, douceur, fidélité… elle sait faire preuve de courage, de force et de grandeur quand il faut défendre son amour, si fort qu’il ne peut être détruit.. Elle préfère la mort à la trahison. Elle incarne l’aspect angélique de la femme.
Une réflexion sur le pouvoir : Don Carlos incarne les deux faces du pouvoir politique : il est cruel, sans morale, frivole en tant que roi d’Espagne. Il il accède à la grandeur devant le tombeau de Charlemagne lorsqu’il devient empereur. Il va désormais représenter la grandeur du pouvoir impérial (allusion à Napoléon) qui renonce au vice et se tourne vers le Bien.
La bataille d’Hernani : classiques contre romantiques
La bataille de Hernani |
La première représentation de la pièce de Victor Hugo, Hernani (1830), est marquée par la fameuse bataille qui voit le triomphe du romantisme avec, à sa tête, comme chef de file en France, Victor Hugo, entouré des membres du grand cénacle.
1830! est donc une date historique dans l'Histoire de la littérature et plus précisément du théâtre français. Les romantiques, en effet, tous admirateurs de Shakespeare, prennent le grand dramaturge anglais pour modèle, ce qui revient à s'opposer à toutes les règles du théâtre classique du XVII siècle. Les classiques vont donc s’attaquer aux romantiques qui révolutionnent le théâtre et bouleversent les mentalités. La bataille d’Hernani fait rage, les détracteurs perturbent les représentations, la « claque » engagée par Victor Hugo, composée de jeunes romantiques (Théophile Gautier et Gérard de Nerval et leurs amis), enthousiastes, se déchaînent. Les spectateurs s’insultent, en viennent aux mains.
Les générations actuelles doivent se figurer difficilement l'effervescence des esprits à cette époque; il s'opérait un mouvement pareil à celui de la Renaissance. une sève de vie nouvelle circulait impétueusement. Tout germait, tout bourgeonnait, tout éclatait à la fois." écrit Théophile Gautier dans son Histoire du romantisme.
L’affranchissement des règles
Victor Hugo a exprimé ses idées sur le drame romantique dans La préface de Cromwell considérée comme le manifeste du romantisme. Stendhal fait de même avec Racine et Shakespeare. Les romantiques revendiquent en politique comme en littérature la liberté. Le drame romantique va donc s’affranchir des règles.
« Jetons bas ce vieux plâtrage qui masque la façade de l’art ! Il n’y a ni règles, ni modèles ; ou plutôt il n’y a d’autres règles que les lois générales de la nature qui planent sur l’art tout entier, et les lois spéciales qui pour chaque composition résultent des conditions d’existence propres à chaque sujet. Les unes sont éternelles, intérieures et restent ; les autres variables, extérieures, et ne servent qu’une fois. » Préface de Cromwell
Désormais on ne choisira plus obligatoirement le sujet chez les auteurs de l'antiquité romains ou grecs et les personnages ne seront plus obligatoirement les grands de ce monde, empereurs, rois et reines. Le drame romantique va puiser dans l’Histoire et se révéler être, au deuxième degré, une réflexion sur l'époque contemporaine. Le peuple est désormais représenté sur scène. Ainsi Ruy Blas, domestique de la reine d’Espagne, deviendra son ministre et sera aimé d’elle.
Hernani est un noble espagnol, déchu de ses droits, en rébellion contre le trône d'Espagne, il est devenu hors-la-loi et vit en proscrit dans la montagne. Victor Hugo choisit ce moment de l’histoire d’Espagne où Don Carlos va être élu empereur du Saint Empire romain germanique.
Le mélange des genres
Don Carlos sortant de son armoire |
De plus, on ne distingue plus la comédie de la tragédie comme dans le théâtre classique. On pratiquera comme chez Shakespeare le mélange des genres. Dans la vie le comique et le tragique se côtoient, affirme Victor Hugo dans La Préface de Cromwell.
« …la muse moderne verra les choses d’un coup d’œil plus haut et plus large. Elle sentira que tout dans la création n’est pas humainement beau, que le laid y existe à côté du beau, le difforme près du gracieux, le grotesque au revers du sublime, le mal avec le bien, l’ombre avec la lumière.
Dans Hernani, Victor Hugo applique cette idée à la lettre : Dans l'acte I, scène 1 et scène 2, il met en scène une situation de vaudeville pratiquant ainsi ce mélange des genres qu'il prône, entre comique et tragique. Le roi d’Espagne refuse d’entrer dans l’armoire. Il forme un duo grotesque avec la duègne :
Serait-ce l’écurie où tu mets d’aventure
Le manche du balai qui te sert de monture?
Le manche du balai qui te sert de monture?
Il assiste sans rien dire au duo amoureux de Hernani et Dona Sol puis sort de l’armoire à grands fracas comme un mari cocu :
Quand aurez-vous fini de conter votre histoire?
Croyez-vous qu’on soit à l’aise en cette armoire?
Croyez-vous qu’on soit à l’aise en cette armoire?
La règle des trois unités
Enfin le drame romantique s’attaque aux fameuses règles classiques des trois unités du théâtre classique : il ne respecte plus l’unité de temps ( l’action devait se dérouler en un jour), ni l'unité de lieu ( toutes les scènes se passaient un seul lieu) mais il conserve celle d’action (une seule action). La multiplicité des lieux entraînent des changements de décors et fait appel à l’exotisme, à la couleur locale .
« L’unité de temps n’est pas plus solide que l’unité de lieu. L’action, encadrée de force dans les vingt-quatre heures, est aussi ridicule qu’encadrée dans le vestibule. Toute action a sa durée propre comme son lieu particulier. »
Hernani se déroule sur plusieurs mois et dans plusieurs lieux : Saragosse dans divers lieux du palais de Don Ruy Gomez de Silva, dans les montagnes d’Aragon, à Aix-la Chaplle, devant le tombeau de Charlemagne. Quant à l'unité d'action, elle n'est pas synonyme , indique VHugo simplicité.
La règle de la bienséance
Il fait fi aussi de la règle de la bienséance qui interdisait de représenter sur scène des actes violents, des meurtres, des duels, remplacés obligatoirement sur scène par le récit de ces actes. Désormais le drame romantique montre le spectacle de la violence. On peut mourir sur scène! Dans Hernani il y a même trois çadavres au dénouement!
La liberté du style
De plus le vers se libère et n'obéit plus aux règles strictes de la versification. Victor Hugo bouleverse le rythme de l’alexandrin classique qui est binaire (6/6) en créant le trimètre (4/4/4), il ose des enjambements, des rejets, des contre-rejets, audacieux, pittoresques, évocateurs.
Ainsi ce rejet au début de la scène 1 a horrifié le public classique
Serait-ce déjà lui?
C’est bien l’escalier
dérobé.
C’est bien l’escalier
dérobé.
Il refuse aussi la métaphore, la périphrase, l’emploi du mot noble et lui préfère le mot propre.
Cette muse, on le conçoit, est d’une bégueulerie rare. Accoutumée qu’elle est aux caresses de la périphrase, le mot propre, qui la rudoierait quelquefois, lui fait horreur.
A ce propos, Théophile Gautier raconte dans son Histoire du romantisme l’anecdote suivante
Comment s'imaginer qu'un vers comme celui-ci :
Est-il minuit? -Minuit bientôt
ait soulevé des tempêtes et qu'on se soit battu trois jours autour de cet hémistiche? On le trouvait trivial, familier, inconvenant; un roi demande l'heure comme un bourgeois et on lui répond comme à un rustre : minuit. C'est bien fait. S'il s'était servi d'une belle périphrase, on aurait été poli, par exemple :
L'heure
Atteint-elle bientôt sa douxième demeure?
Est-il minuit? -Minuit bientôt
ait soulevé des tempêtes et qu'on se soit battu trois jours autour de cet hémistiche? On le trouvait trivial, familier, inconvenant; un roi demande l'heure comme un bourgeois et on lui répond comme à un rustre : minuit. C'est bien fait. S'il s'était servi d'une belle périphrase, on aurait été poli, par exemple :
L'heure
Atteint-elle bientôt sa douxième demeure?
Voilà qui va scandaliser les partisans du classique, le Bourgeois au crâne rasé et au menton glabre auxquels vont s'opposer les jeunes Romantiques chevelus : N'était-il pas tout simple d'opposer la jeunesse à la décrépitude, les crinières aux crânes chauves, l'enthousiasme à la routine, l'avenir au passé? Gautier voir ICI
Si déjà, dans sa vieillesse de Théophile Gautier, il était difficile d'imaginer que l'on ait pu se battre pour ces détails, on peut imaginer ce que nous ressentons de nos jours!
La pièce peut-elle être jouée devant un public contemporain?
La réponse est oui. Je l'ai vue au festival d'Avignon dans une mise en scène sobre, où les acteurs faisaient oublier très vite ce que l'alexandrin peut avoir - à l'oreille du spectateur actuel- de grandiloquent et de peu naturel. Une diction maîtrisée mais qui laisse place à l'émotion. La beauté et l'ardeur de la langue hugolienne est mise en valeur. On assiste, en fait, à une belle et triste histoire d'amour qui rappelle celle de Roméo et Juliette mais on peut rire aussi comme l'avait souhaité Victor Hugo..
En bref, le jugement de Théophile Gautier sur la pièce paraît judicieux* : « Le mérite principal d’Hernani,
c’est la jeunesse. On y respire d’un bout à l’autre une odeur de sève
printanière et de nouveau feuillage d’un charme inexprimable ; toutes
les qualités et tous les défauts en sont jeunes : passion idéale, amour
chaste et profond, dévouement héroïque, fidélité au point d’honneur,
effervescence lyrique, agrandissement des proportions naturelles,
exagération de la force ; c’est un des plus beaux rêves dramatiques que
puisse accomplir un poète de vingt-cinq ans ».
*Quand Théophile Gautier assiste à la pièce en 1830, vêtu de son somptueux gilet rouge pour choquer le bourgeois, il a 19 ans et Victor Hugo en a 28; quand il porte ce jugement en 1838, il en a 27.
Ceci est une lecture commune dans le cadre du Challenge Victor Hugo, du challenge Romantique et du challenge En scène! :
Eimelle, Laure, Miriam, Moglug, Nathalie...
......................................................
le 10 Avril, un poème de Victor Hugo à choisir dans le recueil L'art d'être grand- père que vous pouvez lire gratuitement sur votre ordinateur ICI
......................................................
Bravo pour ce billet qui me reéclaire sur cette pièce « glorieuse » qu’en fait je n’ai jamais lue, bien que j’en ai lu/appris les polémiques. Un billet clair et si bien mené. Mais bon peut-être une lecture qui serait un peu trop prenante pour mon esprit, par contre la voir dans une version comme celle d’Avignon que tu décris ne serait pas pour me déplaire.
RépondreSupprimerIl vaut toujours mieux voir une pièce que la lire! Quoique ce soit à double tranchant, si les acteurs sont faibles ou la mise en scène ratée, cela peut être encore pire!
Supprimervoici mon (court!) billet , mais j'ai beaucoup apprécié!
RépondreSupprimerhttp://lecture-spectacle.blogspot.fr/2015/03/hernani-hugo.html
bonne journée!
Tu as aimé! Et tu connais l'opéra de Verdi?
Supprimerle mien dans une petite heure. Bien sûr, je n'ai pas ta capacité d'analyse, c'est plutôt impressionniste!Pour la suite du Challenge je vous suis!
RépondreSupprimerJe vais venir te lire! D'accord pour la suite du challenge. Au 10 Avril, donc!
SupprimerTu es plus indulgente que moi...
RépondreSupprimerEnfin non, je connais tous les mérites historiques de la pièce, pour le théâtre romantique et pour cette façon de mélanger le noble et le mesquin. Mais la pièce en elle-même m'a paru un peu vide et je n'accuserai pas l'alexandrin, mais plutôt Hugo. Ceci dit, je reconnais qu'assister à une représentation doit changer et améliorer la perception de cette pièce, en incarnant les personnages.
Voici le lien de mon billet (je suis toujours partante pour le petit roman) :
http://chezmarketmarcel.blogspot.fr/2015/03/tu-leur-ferais-pitie-vieille-tete.html
Nathalie... tu manques de romantisme! Quoi! Les malheurs du proscrit "je suis une force qui va!" ne t'émeuve pas plus que ça! Et tu ne verses pas ta larme sur la pure et courageuse Dona Sol? Tu n'as pas de coeur! Mais va! Je te pardonne!
Supprimermoi avec Hugo je suis indulgent par principe un peu comme un enfant pour son vieux père :-)
RépondreSupprimerTant pis si c'est outré, j'aime
Je suis comme toi, Dominique. J'aime même si je sens bien tout ce que notre mentalité (ou notre sensibilité) contemporaine peut lui reprocher!
SupprimerLe billet de Miriam, et par 'ricochet' (peut-on dire ainsi ?) le vôtre, m'a donner l'envie de lire cette pièce !
RépondreSupprimerAinsi comme "Le roi se meurt" - que Verdi et Rigoleto m'ont pressé de lire - cette piéce fait tapage dés sa première reprèsentation ! Merci pour ce billet Claudialucia.
Va pour ricochet! Hernani n'a pas plu à tout le monde, mais je continue à aimer la générosité de cette pièce.
SupprimerJe me rappelle plus de la bataille d'Hernani que de Hernani ! Il me faut des révisions... Je m'inscris pour les deux LC sinon.
RépondreSupprimerTu n'es pas la seule! Souvent on ne connaît que la bataille! je t'inscris pour les deux!
SupprimerIl est super ton billet, bravo. Bon, sinon, comme tu as vu, je n'ai pas été au rendez-vous. Désolée, je n'ai pas assurée du tout, mon billet sera publié plus tard dans mois, je ne l'ai pas encore écrit ...
RépondreSupprimerJe serai là sans faute en revanche pour le 10 mai ! (je ne pense pas pour l'art d'être grand-père, que je ne connais pas du tout). Bon week-end
Au 10 mai!
SupprimerArticle intéressant. Une petite précision à propos du vers :
RépondreSupprimerSerait-ce déjà lui?
C’est bien l’escalier
dérobé.
Si ce vers a pu choquer certains, ça n'a pas été à la première représentation. En effet, Adèle Hugo dit dans "Hugo raconté par un témoin de sa vie" que ce vers est passé sans encombre. Mais Gautier, dans son "Histoire du romantisme" a plaqué sur la première représentation des faits qui se sont plutôt déroulé au mois de mars, très agité.