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jeudi 17 novembre 2016

John Keats : La Belle dame sans merci

Peintres préraphaélites  : Frank Dicksee (1902) La Belle dame sans merci (musée de Bristol)
Frank Dicksee (1902) La Belle dame sans merci (musée de Bristol)

La Tate Britain à Londres et le musée de la ville de Bristol présentent de nombreux tableaux préraphaélites. L’un d’eux à Bristol illustre le poème de Keats, poète romantique : La belle dame sans merci.

John Keats, poète romantique, a trouvé son inspiration dans un poème du Moyen-âge d'Alain Chartier paru en 1424 qui développe un thème traditionnel : celui de la femme belle mais impitoyable qui enchaîne l’homme dans un amour sans retour puis l’abandonne, à tout jamais absent de lui-même.

Le thème de la Belle dame sans merci apparaît souvent au cours des siècles dans la littérature et la  peinture, en particulier des préraphaélites. Ces peintres s’inspirent, en effet, du patrimoine littéraire notamment du Moyen-âge en puisant dans les vieilles légendes, dans les récits traditionnels, centres d’intérêt qu’ils partagent avec les romantiques.

La belle dame sans merci de Keats s’inscrit donc bien dans le mouvement romantique dans la mesure où il met le moyen-âge à l’honneur avec son chevalier en armes, errant pâle et solitaire dans un paysage qui incarne l’hiver des sentiments et préfigure la mort. Le chevalier est asservi à sa dame et il lui doit fidélité et dévotion. Mais l’amour et de la mort sont étroitement liés puisque au moment même où le chevalier semble pouvoir accéder à la concrétisation charnelle de l’amour, la mort apparaît avec la vision des spectres. La souffrance, l’amour éthéré et éternel sont des thèmes éminemment romantiques.

La belle dame sans merci dans notre monde actuel a pour avatar, me semble-t-il, la femme fatale des romans et des films noirs, tout aussi dangereuse pour l’homme puisqu’elle le conduit inexorablement à sa perte. 
 
Et si l’on pousse plus loin, Eve, en tentant Adam et en le faisant chasser du paradis terrestre, ne serait-elle pas la première femme fatale et sans merci de l’humanité ? C’est ce qu’ont toujours pensé les grands de l’église dont la misogynie était sans égale. La faute des femmes, toujours, je vous dis !
 

Arthur Hughes : La belle dame sans merci



Ah! qui peut te faire souffrir, chevalier en armes
Errant pâle et solitaire !
Les joncs sont desséchés au bord du lac,
Aucun oiseau n'y chante.

Ah! qui peut te faire souffrir, chevalier en armes
Si farouche et si malheureux?
Le grenier de l'écureuil est rempli,
Et la moisson est rentrée.

Je vois un lis sur ton front
Avec la moiteur de l'agonie et la rosée de la fièvre ;
Et sur la joue une rose qui se flétrit
Et se fane de même rapidement -

J'ai rencontré une dame, dans les prés,
D'une grande beauté - la fille d'une fée ; -
Ses cheveux étaient longs, ses pieds légers
Et ses yeux sauvages.


Frank Dicksee (1902) détail

Je tressai une guirlande pour sa tête,
Puis des bracelets et une ceinture qui embaumait ;
Elle me regardait comme si elle m'aimait
Et poussa un doux gémissement.

Je l'assis sur mon coursier paisible
Et ne vis rien d'autre tout le long du jour ;
Car elle se penchait de côté et chantait
Une chanson de fée.

Elle trouva pour moi des racines d'un goût exquis,
Du miel sauvage et la manne de la rosée ;
Et sûrement en langage étrange elle me dit :
Je t'aime véritablement.


Waterhouse : La Belle dame sans merci


Elle m'entraîna dans sa grotte d'elfe ;
Là, me contemplant, elle poussa un profond soupir :
Là, je fermai ses yeux sauvages et éperdus
De quatre baisers.

Et là, en me berçant, elle m'endormit
Et là, je rêvai, ah ! Malheur véritable !
Le dernier rêve que j'aie jamais rêvé,
Sur le flanc de la froide colline.


Henry Meynel



Je vis des rois pâles et des princes aussi,
De pâles guerriers - tous avaient la pâleur de la mort,
Et criaient : "La Belle Dame Sans Merci
Te tient en servage !"

Je vis leurs lèvres affamées, dans les ténèbres,
Grandes ouvertes pour me donner cet horrible avertissement ;
Et je m'éveillai et me retrouvai ici,
Sur le flanc de la froide colline.

Et voilà pourquoi je reste ici
Errant pâle et solitaire :
Bien que les joncs soient desséchés au bord du lac,
Et qu'aucun oiseau ne chante.

Les préraphaélites à la Tate Britain

 

Mariana de Sir John Everett Millais
 
 
"Le XIXe siècle anglais est dominé dans la peinture, par l’Académie Royale qui définit ce que doit être l’art et à quoi il doit ressembler. En 1848 un groupe de jeunes peintres remettent en question les principes enseignés et forment la Confrérie préraphaélite avec l’intention de revenir à une peinture plus proche de la nature, non formatée et en quête de perfection tant au niveau de la forme que de l’expression.

La peinture est enseignée sur le modèle classique italien dans lequel le peintre Raphaël fait figure de référence. Lorsque trois peintres décident de former un groupe portant le nom de préraphaélite, ils affirment leur volonté de revenir aux styles antérieurs à la renaissance classique : le gothique, pour sa pureté spirituelle qu’ils considèrent comme perdu à leur époque, et les styles primitifs flamand et italien de la première renaissance pour leur représentation réaliste de la nature.

Le groupe initial se forme autour des fondateurs John Everett Millais, William Hunt et Dante Gabriel Rossetti. Même si l’inspiration leur vient du passé, leur démarche est avant tout avant-gardiste et politiquement contestataire. La tradition et l’esprit victorien font figure de modèle à ne pas suivre. Leur style d’un extrême réalisme est souvent créé d’après nature, l’invention récente du tube de peinture leur permettant de sortir de l’atelier et de peindre en plein air. L’habitude de peindre en extérieur sera reprise par le groupe français qui donnera bientôt naissance au mouvement impressionniste."
  ( Histoire de l'art voir la suite ici)
 

John William Waterhouse : Sainte Eulalia (1885) 

Georges Frederic Watts : Hope (1866) 
Edward Coley Burne Jones : Love and the Pilgrim de Burne Jones (1896_97)
L'annonciation de Dante Gabriel Rossetti (1849_50)
Arthur Hughes : April Love

Henri Wallis : Chatterton (1856)

William Hollmann Hunt : Our english coast

 

Préraphaélites du musée de Bristol 

 


Dante Gabiel Rossetti : Louisa Ruth Herbert


John Everett Millais :  The bride of Lammermoor

Wens devant le tableau de Lucy de Lammemoor

 
Wens (du blog En effeuillant le chrysanthème), pour les intimes Francis, et pour Asphodèle Wensounet, exprime ce qu'il pense des préraphaélites ! Il ne lui manque que la parole!
 
 

 I met a lady in the meads 

 

Walter T. Crane : La belle dame sans merci (1865)

Et pour ceux qui veulent lire le texte en anglais :

O what can ail thee, knight-at-arms,
Alone and palely loitering?
The sedge has withered from the lake,
And no birds sing.

O what can ail thee, knight-at-arms,
So haggard and so woe-begone?
The squirrel’s granary is full,
And the harvest’s done.

I see a lily on thy brow,
With anguish moist and fever-dew,
And on thy cheeks a fading rose
Fast withereth too.

I met a lady in the meads,
Full beautiful, a fairy’s child;
Her hair was long, her foot was light,
And her eyes were wild.

I made a garland for her head,
And bracelets too, and fragrant zone;
She looked at me as she did love,
And made sweet moan

I set her on my pacing steed,
And nothing else saw all day long,
For sidelong would she bend, and sing
A faery’s song.

She found me roots of relish sweet,
And honey wild, and manna-dew,
And sure in language strange she said—
‘I love thee true’.

She took me to her Elfin grot,
And there she wept and sighed full sore,
And there I shut her wild, wild eyes
With kisses four.

And there she lullèd me asleep,
And there I dreamed—Ah! woe betide!—
The latest dream I ever dreamt
On the cold hill side.

I saw pale kings and princes too,
Pale warriors, death-pale were they all;
They cried—‘La Belle Dame sans Merci
Hath thee in thrall!’

I saw their starved lips in the gloam,
With horrid warning gapèd wide,
And I awoke and found me here,
On the cold hill’s side.

And this is why I sojourn here,
Alone and palely loitering,
Though the sedge is withered from the lake,
And no birds sing.




mardi 15 novembre 2016

Londres : Du haut de la Tate Modern, la Tamise


 Le séjour à Londres, avant de partir pour Bristol, a été bref mais intense et bien rempli ! Ce jour-là, j'ai pu visiter l'exposition Giorgia O'Keeffe à la Tate Modern et voir la vue splendide sur la Tamise du haut de la terrasse du musée.





Et j'ai terminé la journée au théâtre du Globe pour une représentation de Shakespeare dont je vous parlerai plus longuement. Un de mes rêves réalisé! Merci Adrienne !


Puis voir la nuit tomber sur le théâtre et sur le fleuve avec la beauté de ces lumières qui illuminent la ville.








lundi 14 novembre 2016

Fin de mon exil forcé ! Grizac, hameau lozérien


Lozère : début de l'automne

Après le vol de mon ordinateur il y a un mois maintenant, je reviens vous voir avec un nouvel ordinateur tout neuf . Et pour commencer, voici des photos pour vous montrer ce que j'ai fait pendant mon absence : Entre Lozère, Londres et Bristol.

 Grizac : un pape d'Avignon

Aujourd'hui, commençons par mon petit hameau lozérien à la fin du mois d'Octobre et début du mois de novembre : l'automne est à son début et le temps est très doux.

Le hameau de Grizac
Le donjon carré qui apparaît sous le village est celui du château de Guillaume de Grimoard  né ici  en 1309 et devenu pape à Avignon sous le nom d'Urbain V en 1362. (1310-1370). Il s'agit d'une belle ferme fortifiée qui est le fief de la famille des Grimoard. Le château a été construit vers la fin du XIII siècle par Guillaume de Grimoard, le père du pape, seigneur de Grizac. Il est accroché à un piton rocheux et domine les gorges du Ramponsel au-dessous.

Le château du pape urbain V
Il a été restauré à la fin du XX siècle par le marquis de Laubespin, descendant de la famille, et a été classé monument historique.

Le château de la famille Grimoard
Le château de la famille Grimoard : détail, le four à pain

Un chemin de randonnée Urbain V a été aménagé : Voir ici

Grizac ma maison
Et presque à la fin du village, voici ma maison. Le cheval blanc qui regarde par la fenêtre de la cuisine est en quête d'une douceur.  Au-dessus, le causse et les restes des "Bancaous", terrasses aménagées au flanc de la colline et qui, avant l'exode rural, au début du XXème siècle, étaient entièrement cultivées. 
 Grizac est construit en pays granitique et l'on y voit les boules de granit gris si caractéristiques de la région. Mais au-dessus du village existe une terre calcaire propice à la culture du froment et pour cette raison appelée le Fromental. Sa forme allongée est due, dit la légende, à la terre qu'y aurait déposée Gargantua en secouant son sabot. Et oui, le géant est passé chez nous!

Grizac : Un hameau protestant

A la fin du XVII siècle et avec la révocation de l'édit de Nantes en 1685, Grizac, dont la population est protestante, va être pris dans la tourmente des guerres de religion.  Les protestants sont soumis aux conversions forcées. Le culte est interdit. Les fidèles sont obligés pour le célébrer de se réunir en secret dans la montagne,  réunions appelées "les assemblées du désert". Le village est brûlé par les dragons de Louis XIV. C'est du Pont de Monvert, la ville la plus proche, qu'éclate la révolte des Camisards, après l'assassinat de l'abbé du Chayla en 1702.
Pour soustraire les morts aux sacrements catholiques obligatoires, les paysans protestants les enterrent en cachette dans leur jardin ou leur champ. C'est ainsi que dans mon petit cimetière familial, les cercueils étaient cachés sous un pigeonnier avant d'être ensevelis librement en pleine terre lorsque le culte a été rétabli. Les familles ont gardé le droit d'utiliser le cimetière familial à condition de ne sauter aucune génération.

Le cimetière familial et le pigeonnier
 
Enfin je termine la visite du village par une photo du célèbre Lapin de Grizac.  Et si vous me dites que vous ne voyez pas de lapin dans ces boules de granit, alors... c'est que vous n'aurez pas d'imagination !

Le lapin de Grizac

mercredi 2 novembre 2016

Virginia Woolf La promenade au phare : lecture commune



Dans Le voyage au phare  ou La promenade au phare, Virginia Woolf est au plus proche du roman autobiographique. Elle y raconte, en les transposant, ses souvenirs de la maison Talland House qu'avait louée ses parents à St Yves  en Cornouailles où elle a passé ses vacances pendant dix ans.
Dans ce roman Mr et Mrs Ramsay ont une maison sur l'île de Skye, en Ecosse. Le titre du livre est dû à une promesse faite et non tenue, du moins dans cette première partie, par Mrs Ramsay à son fils James qui rêve d'aller voir le phare.  Car il y a a trois parties dans ce roman. Dans la seconde partie, les vacances à l'île de Skye sont interrompues par la guerre et les deuils, introduisant rupture et déséquilibre dans la vie des personnages mais aussi chez le lecteur un peu dérouté par cette interruption brutale du récit et tiré sans ménagement de l'atmosphère quiète dans lequel il était plongé. Vient ensuite la troisième partie avec le retour à Skye qui rétablit l'équilibre, le voyage au phare enfin devenu possible.

Ile de Skye : Ecosse

Dans l'île de Skye, les parents sont entourés de leurs enfants mais aussi de nombreux invités qui partagent leur quotidien dans lequel le paysage, l'eau, le jardin qui descend vers la mer, apparaissent comme un cadre idyllique esquissé par un pinceau impressionniste.
Idylliques, apparemment, cette nature enjouée et cette femme si belle, Mrs Ramsay, personnage principal du roman. Elle règne dans toute sa splendeur et sa sagesse sur ses enfants et son mari en charmant tous les hommes et les femmes qui composent son entourage. L'écrivain peint avec subtilité et poésie, des personnages sortis d'un tableau de Monet, tout en petite touches délicates et nuancées. Mais lorsque l'on s'approche de près, lorsque l'on pénètre dans la pensée des personnages (car le roman ne raconte pas une histoire mais présente de nombreux points de vue), l'idylle se teinte de mélancolie et d'amertume. Tout n'est pas aussi lisse, aussi lumineux, aussi simple que cela apparaît.
Mrs Ramsay tient à son image de femme belle, sereine, dispensant sa tendresse et ses conseils autour d'elle. Mais elle est intérieurement tourmentée, voire angoissée et dans tous les cas pleine de nostalgie. Elle a toujours conscience de la fragilité du bonheur et de la rapidité du temps qui passe. Il lui faut, de plus, supporter un mari faible et irascible, qui se considère comme un génie mais qui ne serait rien sans sa femme. Celle-ci doit toujours soutenir, réconforter cet homme égocentrique, uniquement préoccupé de lui-même et de sa grandeur intellectuelle, qui s'effondre quand il sent qu'il  atteint ses limites. Il fait régner une atmosphère pesante en infligeant à tous ses conseils et sa prétendue supériorité intellectuelle.
L'autre personnage principal du roman est Lily Briscoe qui est peintre. Ses doutes sur son oeuvre, ses angoisses au moment où il faut choisir un point de vue, un cadrage, une couleur, sont ceux d'une véritable artiste dont la création est douloureuse; elle est certainement le double de Virginia Woolf. Face à Mrs Ramsay qui assume son rôle de mère, d'épouse et de maîtresse de maison, elle incarne l'artiste qui défend son indépendance; elle reste célibataire pour se consacrer à son oeuvre. Ainsi Woolf  ne voulait pas d'enfants qui l'aurait détournée de la création. Car l'art seul, pour elle, donne un sens à la vie. Lily Briscoe crée une oeuvre picturale nouvelle qui contraste avec la mode actuelle de même que  Virginia Woolf  a conscience d'inventer un nouveau genre poétique : "un nouveau .. de Virginia Woolf. mais quoi? Un nouvelle élégie?".

Ce que j'ai éprouvé en lisant ce roman? Comme d'habitude de l'admiration pour le style de l'auteure, pour la nostalgie, la poésie voilée de tristesse de cette première partie, pour la manière dont elle nous fait pénétrer dans les méandres de la pensée, dévoilant les motivations psychologiques les plus complexes. J'aime aussi la signification métaphorique de certains passages : Le mauvais temps prédit par Mr Ramsay qui empêche cette promenade en mer est une préfiguration de la guerre de 1914 et des malheurs qui vont s'abattre sur la famille. La lente dégradation de la maison dans la seconde partie correspond à la désagrégation de la famille et à la guerre qui endeuille le monde. Enfin, la métaphore qui englobe toutes les autres, celle du phare - qui est la lumière - permet à la famille de combler le vide et de reprendre le cours de la vie.

Et puis, il y a ce que j'aime moins dans Virginia Woolf, le milieu qu'elle peint et qui me paraît toujours vide, creux, uniquement préoccupé de sa propre existence, nombriliste même dans les discussions politiques. Le sentiment de supériorité que procurent à ces gens-là la subtilité de leurs pensées et la délicatesse de leur conscience morale m'irrite parce qu'ils le doivent, non comme ils le croient, à leur intelligence supérieure mais à leur aisance financière qui leur enlève le souci de ce qui est matériel.
Je sens d'ailleurs toujours cette affirmation de supériorité intellectuelle et morale chez Virginia Woolf et ses personnages ! Pas vous ?

Mais tout de suite elle se reprocha d'avoir dit cela. Qui l'avait dit? Pas elle; on lui avait tendu un piège pour l'amener à dire quelque chose qu'elle ne pensait pas. Elle leva les yeux de son tricot, rencontra le troisième rayon (le faisceau du phare) et elle eut l'impression que ses yeux étaient à la rencontre d'eux-mêmes, sondaient comme elle seule pouvait le faire, son esprit et son coeur, purifiait en l'annihilant le mensonge. Elle se louait elle-même en louant la lumière, sans vanité, étant sévère, étant pénétrante et belle comme cette lumière.

je suis donc ainsi et toujours partagée quand je lis une oeuvre de Virginia Woolf.

Lecture commune avec 

Tania Ici

Miriam Ici

Nathalie Ici

Et voilà j'ai à nouveau un ordinateur et je vais pouvoir vous lire !

dimanche 23 octobre 2016

Plus d'ordinateur !


L'escamoteur de Jérôme Bosch

Je serai absente de mon blog pendant quelques temps car je me suis fait voler mon ordinateur lors de mon voyage....  et ma kindle et mes livres ! Plus de Yaak Valley Montana ou de Cymbeline bilingue de Shakespeare !

Pour la LC Juliette Drouet, je viendrai vous lire dès que possible. Pour la LC de Virginia Woolf je publierai mon billet au début novembre et je viendrai vous voir quand j'en aurai l'occasion.


Alors à bientôt!

jeudi 20 octobre 2016

Henri Troyat : Biographie de Juliette Drouet (1806-1883)

Juliette Drouet lithographie de 1833

La biographie de Juliette Drouet de Henri Troyat est intéressante à bien des égards non seulement parce qu’elle nous conte les amours de Juliette et de Victor Hugo, liaison qui a duré cinquante ans, en nous faisant entrer dans l’intimité de Victor Hugo mais aussi parce que ce récit est ancré dans l’histoire du XIX et dans l'oeuvre et la vie du grand poète.
Juliette Drouet ou Julienne-Joséphine Gauvain de son vrai nom, comédienne, est, en effet, très impliquée dans l’oeuvre de Victor Hugo. Si elle joue le rôle de la princesse Négroni dans Lucrèce Borgia et échoue dans celui de Jane dans Marie Tudor, il y a d’autres pièces de Hugo comme celle de Marion Delorme dont elle apprend le rôle principal dans le vain espoir de se le voir confier. Quant aux recueils de poèmes d’Hugo, Les contemplations, les Orientales, la légende des siècles,  et ses romans, Les misérables, Les travailleurs de la mer, L’homme qui rit et tant d’autres, elle passe la plus grande partie de sa vie à les copier pour lui et elle les connaît parfois par coeur. Impliquée aussi par les travaux d’écriture qu’elle exécute à la demande de son amant pour apporter des témoignages de sa vie au couvent ou des émeutes dans les rues pendant la révolution qui nourrissent ses romans. D'autre part, il n’est pas rare que Hugo fasse allusion à elle d’une manière détournée dans ses romans ou qu’il lui dédie des poésies.

Victor Hugo, Jeanne et George

De plus, elle fait partie de sa vie à tous les instants. C’est elle qui le sauve en organisant son exil vers Jersey quand il est en passe d’être arrêté après le coup d’état de Napoléon le Petit. A travers Juliette, nous suivons Hugo dans tous les grands moments de sa vie privée ou publique, son implication dans la République en tant que député, sa lutte pour obtenir l’amnistie des communards, son exil orgueilleux, la mort de Léopoldine, la maladie mentale d’Adèle, l'amour pour ses petits-enfants. Nous le voyons aussi dans ses contradictions, ses bassesses, briguant avec acharnement, malgré l’avis de Juliette, un siège à l’Académie française, et plus tard à la pairie, avide d’honneurs et de reconnaissance, persuadé de son génie, image d’Epinal de lui-même que lui renvoie sa maîtresse avec ardeur et sincérité.

Grand écrivain, oui, mais comme grand amour de toute une vie, on rêverait mieux; car le grand homme -même s’il a l’air d’être un amant hors pair, enfin, quand il daigne s’occuper d’elle- , n’est pas un cadeau ! Elle passe son temps à l’attendre, enfermée, avec interdiction de sortir même pour prendre l’air, pendant qu’il court les honneurs ou d’autres maîtresses car il est affamé de chair fraîche ou pendant qu’il s’occupe de sa famille - ou, bien sûr, pendant qu’il écrit car c’est un travailleur acharné et l’écriture lui tient lieu de vie- . Quand il l’autorise enfin à sortir seule, elle s’interroge et s’angoisse :
Il est impossible d’être plus triste quand je marche seule dans les rues . Depuis douze ans, cela ne m’était jamais arrivé. Aussi je me demande ce que cela veut dire. Est-ce de la confiance? Est-ce de l’indifférence?(…)  dans tous les cas mon coeur n’est pas satisfait. (1845)

Pour Hugo, Juliette ayant eu des amants avant lui devait se réhabiliter en tant que femme et retrouver sa pureté. Mais elle n’avait pas le droit, non plus, en tant que maîtresse donc femme déchue de se montrer en public avec lui, de l’accompagner dans une visite officielle. Il fallait ménager la susceptibilité de l’épouse légitime Adèle.  Quelques échappées de temps en temps, des voyages et pour le reste l’attente. Elle le suit partout, déménageant dans des maisons pas trop éloignées de la sienne à Paris, en Belgique, à Jersey, à Guernesey. Elle vit dans son ombre toute sa vie, supportant très mal d’être trompée, torturée par la solitude, par l’abstinence car il ne vient plus la voir,
« Mais baise-moi donc, mais baise-moi donc ! J’ai faim et soif de tes caresses. J’ai le coeur brûlant et les lèvres ardentes. » (1836)

par la jalousie, la colère, le fustigeant dans des lettres vindicatives :
« J’ai eu la stupidité de me laisser mener comme un chien de basse-cour : de la soupe, une niche, une chaîne, voilà mon lot. Il y a cependant des chiens que l’on mène avec soi; mais moi, je n’ai pas ce bonheur; ma chaîne est trop fortement rivée pour que vous ayez l’intention de la détacher. »
mais toujours amoureuse, admirative, toujours repentante et finalement soumise.
Mon Victor, mon Victor, je t’aime, tu verras comme je serai raisonnable et comme je me prêterai à toutes les exigences de ton travail et à tous les ménagements que nécessite ta position d’homme politique. je suis toute prête, mon Victor, dispose de moi comme tu l’entendras : heureuse ou malheureuse, je te bénirai. » (1851)

Il faut dire qu’il l’entretenait et qu’elle était donc entièrement à sa merci même si elle a toujours voulu remonter sur scène pour gagner sa vie. Ce n’était pas une femme vénale. Mais en vain !  Hugo ne la jugeait pas assez bonne interprète pour jouer dans l’une de ses pièces et il ne lui a pas apporté son aide pour qu’elle continue son métier car il la voulait sous sa coupe, pendant qu’il courait après des jeunettes ! Mais cela aurait pu être pire ! Il aurait pu lorsqu’elle vieillit, qu’elle perd sa beauté, qu’il n’a plus aucune relation sexuelle avec elle, la jeter à la rue sans plus se soucier de son entretien. Ce qu’il n’a jamais fait! Car il s’agit malgré tout d’une vraie histoire d’amour et Juliette a été, malgré le monstrueux égoïsme de l’écrivain, son véritable amour, elle a exercé sur lui une grande influence et il ne l’a jamais reniée.

Juliette Drouet un peu avant sa mort en 1883


Ce livre nous renseigne donc aussi sur la condition de la femme et sur la scandaleuse différence de statut entre l’homme du XIX siècle qui a tous les droits et la femme qui, c’est tout simple, n’en a aucun! Il aura fallu pour changer les mentalités plus d’un siècle et demi et maintenant que, au XXI siècle, nous arrivons sinon à l’égalité du moins à une libération, voilà que cela recommence et que certains remettraient volontiers en cause le statut actuel de la femme ! Mais ceci est une autre histoire, me direz-vous? Peut-être ! Mais c’est pour expliquer quand nous lisons l’histoire de Juliette Drouet de son amant combien tout être est profondément imprégné par la mentalité de son temps. Et même un « grand homme » n’y échappe pas ! Victor Hugo dominant et égoïste, Juliette admirative et soumise, c’est un schéma qu’ils n’auront pas été les seuls à entretenir.



jeudi 13 octobre 2016

Départ à Londres

Londres, la Tamise


Ce jeudi 13 Octobre, je pars à Londres pour une semaine, retour le 20 Octobre. A bientôt !

Mais je n'oublie pas nos rendez-vous littéraire !

Le 20 Octobre  : Challenge Victor Hugo : biographie de Juliette Drouet de Troyat ou correspondance entre Juliette et Victor Hugo

Entre le 20 octobre et le 2 Novembre : LC de La promenade au phare de Virginia Woolf

lundi 10 octobre 2016

Naïri Nahapétian : Qui a tué l’ayatollah Kanuni ?


Au festival de polars de Villeneuve-lez-Avignon alors que je venais d’acheter un roman de Thorarinsson, écrivain islandais, mon regard est attiré par le bandeau  humoristique  d’un autre livre qui proclamait : Ceci n’est pas un polar suédois! Autrement dit :  ras-le-bol de la mode des polars venus du Nord ! Nous aussi on existe !
En effet, Qui a tué l’ayatollah Kanuni n’est pas un polar suédois et pour cause! Son auteure Naïri Nahapétian, française d’origine iranienne, a quitté l’Iran à l’âge de neuf ans après la Révolution islamique. Mais elle connaît bien son pays où elle retourne souvent pour des reportages.

 Le récit

Téhéran
Narek Djamshid, français d’origine iranienne et arménienne part à Téhéran pour faire un reportage sur les élections présidentielles de 2005. Il y rencontre Leila Tahibi, une féministe islamiste, candidate aux élections et l’accompagne à son rendez-vous avec l’ayatollah Kanuni. Et ils découvrent..  son cadavre ! Narkek et Leila se retrouvent tous deux en prison. Vous avouerez qu’il y a mieux comme reprise de contact avec son pays d’origine !
D’autre part, Narek qui s’est installé chez sa tante restée à Téhéran, s’aperçoit bien vite qu’il y a un secret autour de la mort de sa mère. Libéré, il veut savoir la vérité. A côté de l’enquête policière, c’est un retour dans le passé et  dans l’Histoire de l’Iran qui nous est alors proposé.

Pour lire le livre, il faut un peu rafraîchir ses connaissances sur l’histoire iranienne contemporaine mais rien de bien insurmontable. Vous trouverez aussi quelques dates clefs à la fin du livre et un lexique qui vous permettent de suivre.

Iran : Le président Ahmadinejad élu en 2005

Tout en dénonçant les excès du régime et de la dictature religieuse, l’auteure écrit pour lutter contre les idées toutes faites que les européens entretiennent sur le peuple iranien. Effectivement si le régime des Mollahs est bien tel que nous le connaissons, si les libertés sont réduites à néant et les violences nombreuses, si tout est réglementé, y compris la vie la plus intime des individus, nous  sommes amenés à faire connaissance avec un peuple qui ne manque pas d’esprit critique, d’humour et de fantaisie. La société iranienne, du moins certaines classes sociales éclairées, excelle dans l’art de dépasser les interdits, de les détourner pour se ménager des petits espaces de liberté… non sans dangers d’ailleurs !  Moment d’anthologie, ce passage où les personnages lisent des extraits du petit livre vert de Khomeiny dont ils se gaussent dans une soirée arrosée ! Incroyable ! Quand l’humour rend le quotidien plus supportable ! 
Ce qui m’a interpellée aussi ce sont les contradictions qui existent au sein de cette société : La féministe Leila, qui se présente aux élections, revendication ô combien moderne et courageuse, porte le foulard et a une conception rétrograde des rapports entre les hommes et les femmes et de l’homosexualité. Une autre femme, directrice d’un laboratoire pharmaceutique doit demander l’autorisation à  son mari  de coucher une nuit à l’hôtel pendant un déplacement.Etrange mélange entre modernisme et traditionnalisme.
Les puissances étrangères avec, en particulier, l’ingérence des Etats-Unis dans la politique de ce pays riche - le pétrole et le gaz - ne sont pas épargnées et le livre de Naïri Nahapétian dénonce leur responsabilité dans cette main-mise du pouvoir islamique en Iran.

Plus encore donc que l’histoire policière proprement dite qui m’a paru secondaire, c’est cet aspect du livre que j’ai aimé découvrir :  comprendre par l’intérieur la société iranienne et voir comment elle fonctionne.


Naïri Nahapétian est née en 1970 en Iran, pays qu’elle a quitté après la révolution islamique. Journaliste free-lance durant quelques années, elle a fait de nombreux reportages en Iran pour de nombreux journaux. Elle travaille actuellement pour Alternatives économiques, et a publié un essai intitulé "L’Usine à vingt ans", Les Petits matins, 2006.  Qui a tué l'Ayatollah Kanuni?2009  et  Dernier refrain à Ispahan,  2012.