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jeudi 8 mai 2025

Villeneuve-lez-Avignon : Le Fort Saint André, l'abbaye et l'exposition Gustave Fayet en Provence

 Le fort Saint André : Office du tourisme Ici 






 

Le Fort Saint André : un peu d'Histoire

En face d’Avignon, sur le mont Andaon, de l’autre côté du Rhône, se dresse le Fort Saint André érigé en 1292, avec ses remparts et ses tours massives et impressionnantes. La construction de ce Fort ordonnée par Philippe le Bel pour tenir tête au pouvoir papal se fait autour de l’abbaye des Bénédictins qui s’y étaient établis dès le X siècle autour du tombeau de Sainte Casarie.

 

Le Fort saint André : les tours jumelles


AU XVI et XVIII siècle une communauté de moines de la Congrégation Saint Maur s’installe à Saint André et  agrandit le monastère qui se dote d’un nouveau bâtiment conventuel soutenu par de grandes voûtes.

 

Cour du palais Abbatial du XVIII siècle

 

Un délice de fleurs et de senteurs

Se promener dans ce joli jardin qui croule sous les fleurs, faire provision de couleurs et de senteurs... un délice ! 

Palais abbatial : de larges voûtes  glycines, seringa

 

A la révolution, les moines sont chassés, l’abbaye est vendue, en partie détruite et passe de main en main.

 


 

 Un panorama éblouissant

 

Pendant des années quand mes filles étaient enfants, l’abbaye était fermée, mais nous montions jusqu'au Fort pour admirer la vue splendide sur la plaine et sur le palais des Papes d'Avignon

 

Vue du Fort Saint André sur la plaine de l'Abbaye et Avignon, le palais des Papes dans le lointain

Le jardin à l'italienne 

 Au début du XX siècle, Gustave Fayet, artiste peintre et mécène,  rachète l'abbaye et l’offre en résidence à son amie Elsa Koeberlé, une poétesse alsacienne, qui l’entretient et crée avec une amie le jardin à l’Italienne.


Jardin de l'abbatiale à l'Italienne


Jardin de l'abbatiale à l'Italienne


Jardin à l'italienne : Diane chasseresse


Par la suite, l'abbaye est restaurée et entretenue par les descendants de Gustave Fayet, en particulier par Roseline Bacou, petite-fille du peintre, conservatrice du Louvre, qui restaure les vestiges et crée un jardin méditerranéen et par les arrière-arrière-petits enfants, Marie et Gustave Viennet..


Jardin de L'abbatiale : le jardin méditerranéen


Jardin de L'abbatiale : le jardin méditerranéen


L'exposition Gustave Fayet en Provence ( 1865-1925)

 

Gustave Fayet : Madame Fayet et sa fille Yseut

Pour le centenaire de sa mort, l'exposition Gustave Fayet est installée dans les corridors voûtés et l’ancienne cuisine du XII siècle du palais abbatial. D’origine languedocienne, Gustave Fayet naît le 20 mai 1865 à Béziers dans une famille de négociants en vin établie à Béziers depuis la fin du 17e siècle. Il est initié à la peinture et au dessin par son père Gabriel et son oncle Léon, tous deux artistes et amateurs d’art éclairés. Il meurt à Carcassonne en 1925.



Cuisine du palais abbatial


Cuisine du palais abbatial


 Viticulteur, il devient collectionneur et acquiert des oeuvres de Degas, Monet, Pissaro et surtout d'Odilon Redon et de Paul Gauguin qui étaient ses amis. Il possédait près d'une centaine d'oeuvres de Gauguin.

L'exposition présente des aquarelles sur le thème de la Provence, de la mer.

 

Gustave Fayet : Petite maison (aquarelle)

 

Gustave Fayet (aquarelle)

 

 

Gustave Fayet : Les falaises (aquarelle)

 

Gustave Fayet : rangée d'oliviers (aquarelle)

 

 

L'exposition nous permet aussi de découvrir de très belles peintures à l'huile qui reflètent l'influence de Van Gogh, de Gauguin, des impressionnistes puis, avec Odilon Redon, une évolution marquée vers le symbolisme.


Gustave Fayet : Les pins rouges


Gustave Fayet : Voiles latines

 

Gustave Fayet : cyprès et bord de mer
 

 

Gustave Fayet : feu du ciel


Du 01 mars au 30 octobre 2025

« GUSTAVE FAYET EN PROVENCE » ABBAYE SAINT-ANDRÉ, VILLENEUVE-LÈS AVIGNON

Exposition : 1 mars – 30 octobre 2025 VOIR ICI

L’exposition de l’abbaye Saint-André, en réunissant pour la première fois l’œuvre provençale de Gustave Fayet, interroge le regard que pose l’artiste sur cette terre d’élection qui, plus qu’un simple motif, brille par ses multiples résonances intimes, artistiques et littéraires. De ses racines beaucairoises à son attrait pour la littérature régionaliste ou l’œuvre de van Gogh, c’est au prisme de son histoire familiale, de son imaginaire littéraire et de sa culture visuelle que sera comprise la Provence de Gustave Fayet. A l’instar de Fontfroide ou d’Igny, l’abbaye Saint-André tient une place primordiale dans l’univers artistique de Gustave Fayet. Acquise en 1916, ce lieu devient le véritable point d’ancrage de ses séjours en Provence. Des Alpilles à Toulon, en passant par la Camargue, le paysage provençal et son soleil irriguent en motifs, couleurs et lumière le moment le plus fécond de sa carrière de peintre et créateur. Loin des affaires viticoles, il y consacre de longues périodes au moment précis où il commence à se faire connaître, dans les années 1920, dans le champ des arts décoratifs. Un riche ensemble de 122 dessins, aquarelles, peintures et livres illustrés sera présenté.

Commissariat d’exposition : Elodie COTTREZ, Historienne de l’Art. Gustave et Marie VIENNET


mardi 6 mai 2025

Anton Dontchev : Les cent frères de Manol

 

 

Les cents frères de Manol est un roman dans lequel Anton Dontchev décrit l’islamisation forcée des populations chrétiennes en Bulgarie, dans les montagnes des Rhodopes, à la fin du XVII siècle. 

Ce roman est aussi un hommage à la Nature, une ode à ces montagnes à la fois sauvages et protectrices pour ceux qui la connaissent et lui appartiennent, au plus près de la grotte d’Orphée où l’on jette les chiens errants qui hurlent à la mort de manière lancinante. Le printemps et surtout l’automne, somptueux, avec ses couleurs rougeoyantes que les femmes imitent pour tisser leurs tapis et teindre leurs vêtements, sont d’une beauté toujours renouvelée.

« La vallée d’Elindenya faisait penser à ces parures de verre coloré enrobé de cristal. L’air était si pur que j’avais l’impression de toucher la montagne en tendant la main. Là où il n’y avait que deux couleurs, on en voyait à présent flamboyer des dizaines… Sur la masse d’acier bleu noir des forêts de sapin apparaissaient çà et là les taches de rouille des hêtres aux feuilles rougissantes, mais seulement au bas des versants. Sur les hauteurs, la muraille sombre se dressait vers le ciel, réfractaire à l’automne et au pourrissement. Le soleil ne se levant plus assez haut pour éclairer les versants abrupts au nord, les forêts couvrant ceux-ci ne se départaient plus de la robe violette et noire de l’ombre. »

 Nous sommes à l’époque du siège de Candie (La Crète, ville Héraclion) commencé en 1648  qui oppose les Turcs aux Vénitiens et aux français venus leur prêter main forte. Le grand Vizir Ahmed Pasha Kropulu prend la ville de Candie en 1669 à la grande satisfaction du sultan Mehmed IV, portant l’empire ottoman à son apogée. Pour briser toute résistance extérieure, les chrétiens des montagnes des Rhodopes en Bulgarie, alors sous le joug turc, sont islamisés de force.

Dans Les cents frères de Manol, Anton Dontchev offre un récit à deux voix qui propose deux points de vue opposés. D’une part, celle du pope Aligorko qui raconte ce qui se passe dans la population bulgare. D’autre part, la vision de celui que l’on appelle le Vénitien qui accompagne l’armée turque venue convertir les bulgares. Le Vénitien est en fait un noble français islamisé, fait prisonnier par les Turcs au siège de Candie. Il a dû choisir lui aussi entre la mort et la conversion si bien que même s'il est du côté des Turcs, les sentiments que lui inspirent les chrétiens martyrisés transparaissent car rien, dit-il, n’a pu éradiquer la foi ancienne.
Le roman commence avec l’enfance de Manol, comme une légende issue pourtant d’une triste réalité   : de jeunes bulgares sont amenés par les Turcs loin de leur pays, les garçons pour devenir des janissaires, les filles pour servir dans les harems. Parmi elles, une jeune épousée avec son bébé qu’elle ne peut plus nourrir. Elle le dépose sur une branche d’arbres pour qu’une biche le nourrisse. C’est Karamanol, le Haïdouk*, traqué par les Turcs, qui le trouve et l’emporte  à travers les forêts : « Toujours est-il que Karamanol descendit en cent villages et cent mères nourrirent son petit protégé ». Karamanol, avant de mourir, confie l’enfant au père Galouschko qui « l’appela  Manol du nom de son père nourricier, et lorsque l’enfant eut grandi on commença à l’appeler Manol aux cent frères ». Une légende qui prend une dimension épique et dont les héros, nobles et courageux, Manol en tête, sont des bergers qui tiennent tête à l’oppression turque, choisissant le supplice et la mort plutôt que de trahir leur foi, certains se cachant dans les montagnes et échappant  à leurs  poursuivants. L’emprisonnement des chrétiens dans le Kanak*, leur résistance héroïque, les supplices qui leur sont réservés, donnent au roman un caractère dramatique grandiose mais les peurs et les défaillances des autres, la faim qui vrille les ventres, le froid qui transperce, la mort qui rôde autour d’eux, soulignent leur fragilité et nous touchent d’autant plus. 

 
Les cent frères de Manol compte un grand nombre de personnages que ce soit du côté bulgare, Manol et ses fils, le jeune Mirtcho  et Momtchil qui finira par incarner aux yeux des Turcs et à lui seul la résistance, la farouche et altière Elitza, Sveda séductrice et fourbe, le père Galouschko dont le fils est devenu janissaire … que ce soit du côté turc. Ainsi le Bey Karaïbrahim, complexe et tourmenté, à la tête d’une armée de cent cavaliers est, lui aussi, face à Manol, un homme hors du commun, et de même l’aga Suleyman, maître du Konak* de la vallée,  pragmatique et retors, qui comprend que, pris entre deux feux, les bergers et l’armée de Karaïbrahim, son temps est fini.  Ce sont des personnages pleins de vie, parfois de fureur, de cruauté, de doute,  de souffrance, mais aussi de joies, d’amour, des êtres humains que nous sentons proches de nous malgré leur dimension héroïque. Mais ce sont aussi des symboles. A travers eux, à travers les « cent frères », Anton Dontchev décrit tout un peuple attaché à sa culture, à ses racines, à ce qui fait son identité, tout un peuple résistant pour rester lui-même et conquérir la liberté mais qui n’est pas encore parvenu à mâturité pour y accéder.

« Karaïbrahim disait qu’être seul, c’est être fort. Selon moi, il aurait dû dire : c’est devenir une bête féroce. L’homme ne vit pas seul. Il lui faut choisir : vivre seul ou vivre avec son prochain. Karaïbrahim voulait être seul et rompre tous les liens avec les autres. Alors que les bergers faisaient tout pour rester ensemble. » La solidarité comme preuve d'humanité.

Un très beau livre, magnifiquement écrit !


*Haïdou : un hors-la-loi, ici, dans ce contexte, vu du côté bulgare, un rebelle, révolté contre les Turcs
 

*Konak : palais, résidence des riches turcs

 


 

vendredi 2 mai 2025

Jules Verne : Paris au XX siècle

 

 

Le roman d’anticipation Paris au XX siècle que Jules Verne a  écrit en 1860  n’est paru à titre posthume qu’en 1994. Il a été refusé par son éditeur Hetzel peu après la publication de Cinq semaines en ballon. J’ai lu la lettre de refus et je me suis dit que l’éditeur était bien méchant envers le pauvre jeune écrivain. J’étais décidée à bien l’aimer, ce roman !… Et bien non, il m’a agacée !

Hetzel explique à Jules Verne que son livre est raté parce que personne ne pourra croire à toutes les « prophéties » qu’il  présente pour décrire Paris dans le Futur. Et pourtant, ce qu’imagine Jules Verne est parfois extravagant mais jamais autant, finalement, que la réalité. Par exemple, il n’a pas prévu que l’on réduirait certains problèmes techniques par l’infiniment petit et non par le gigantisme, pour les machines qui ressemblent à l’ordinateur, la calculatrice, la photocopieuse. Que Paris soit devenu un port par l’aménagement d’un canal et la création de docks, que les véhicules y circulent proprement - voitures à hydrogène- sans émettre de vapeur (et oui pas de pollution), métros grâce à un système d’air comprimé, après tout, pourquoi pas ? Le moteur à air comprimé était déjà inventé et Verne voyait loin à l’adaptant aux transports, même s'il délirait un peu en utilisant les catacombes pour y stocker l’hydrogène ! Bref ! Tout cela cela ne me gêne pas !

Comme dans tout roman de science-fiction, Jules Verne critique la société de son temps à travers la présentation du futur, il prend à parti le matérialisme d’une époque tournée vers les sciences et qui accorde peu d’attention à la spiritualité et à la culture. Là aussi, c’est ce que l’on attend ! Mais cette critique trop répétitive, trop appuyée, frôle la démesure et finit par être lassante. Il n’a pas tort, pourtant, Jules Verne, lorsqu’il prévoit l’abandon du latin et du Grec dans les lycées au profit des chiffres, des mathématiques, mais il n’a plus aucune nuance quand il prévoit que les écrivains, Hugo, Balzac, Stendhal… seront tous tombés dans l’oubli.

« - Que désirez-vous, monsieur, lui dit l'employé, chef de la Section des demandes.

- Je voudrais avoir les œuvres complètes de Victor Hugo, répondit Michel.
L'employé ouvrit des yeux démesurés.
- Victor Hugo, dit-il Qu'est-ce qu'il a fait?
- c'est un des plus grands poètes du XIXe siècle, le plus grand même, répondit le jeune homme en rougissant. »


Tout est vu, raconté ou décrit pour servir son propos !  On dirait  un roman à thèse et il finit par être maladroit et lourd.

Le personnage principal, Michel, est un jeune étudiant fort en thème, c’est à dire bon à rien, selon les critères de son oncle, financier, qui l’élève et veut faire de lui un comptable  alors qu’il se veut poète. Heureusement, Michel  a un ami, musicien, un oncle du côté maternel qui est archiviste-bibliothécaire, un professeur de latin-grec doté d’une fille, l’adorable Lucy. Histoire d’amour forcément !  Il existe des gens sauvables, tout de même ! Mais les personnages sont si caricaturaux, si manichéens, (l’oncle, le cousin), si démonstratifs,(les jeunes gens) que l’intérêt est réduit. Ils  manquent de vie et d'étoffe.


Au fond, Jules Verne reste un visionnaire dans ce livre  mais le récit est plat et sans grand intérêt littéraire si ce n'est qu'il est une curiosité !

 Voir Patrice ICI

 



mardi 29 avril 2025

Var : Domaine du Rayol

Domaine de Rayol
 

 Après un petit séjour dans le Var me revoici avec quelques images de ma visite du Domaine de Rayol.

 

Vue du Domaine de Rayol


Situé sur la commune de Rayol-Canadel-sur-Mer, les pieds dans l’eau face aux îles d’Hyères, le Domaine du Rayol est un espace naturel protégé, témoin du paysage exceptionnel de la Corniche des Maures et du patrimoine architectural du début du XXe siècle. 



 


 


 

 

Sur 7 hectares, le paysagiste Gilles Clément a imaginé Le Jardin des Méditerranées, une mosaïque de jardins évoquant diverses régions du monde au climat méditerranéen. Les jardins du Domaine du Rayol constituent un véritable « index planétaire » des régions du monde biologiquement semblables et pourtant si éloignées. 

 


 


A l’origine couvert de maquis et de pinède, le domaine se divise à présent en plusieurs parcelles évoquant la végétation des régions du monde de climat méditerranéen : le bassin méditerranéen bien sûr mais aussi l’Australie, l’Afrique du Sud, le Chili, la Californie, les Canaries ; et des paysages à climat plus aride ou subtropical : le Mexique, l’Asie, la Nouvelle-Zélande, l’Amérique subtropicale… voir ici

 


 

 


 






mercredi 23 avril 2025

T C Boyle : Parle-moi



Dans Parle-moi,  T C . Boyle  présente  un récit qui ressemble beaucoup à l’histoire vraie du bébé chimpanzé Nim élevé par la famille Lafarge comme l’un de ses enfants puis abandonné lorsque l’on n’eut plus besoin de lui, l’expérience scientifique étant arrivée à son terme et les subventions coupées. Comme Nim, le chimpanzé Sam connaît plus d'une centaine de mots et peut les lier dans des combinaisons différentes, il ressent des émotions et parvient à les exprimer, comme un enfant, il n’aime pas aller à l’école et étudier, il aime faire des farces et rire, adore les câlins, la pizza, les bonbons, le coca et les jouets et surtout il ne se voit pas comme un chimpanzé mais comme un être humain.
 

Sam passe à la télévision, ce qui plaît beaucoup au professeur Guy Shomerhorn qui espère ainsi booster sa carrière et recueillir les honneurs. Mais le chimpanzé appartient au grand patron Moncrief, un personnage suffisant, antipathique et sans empathie.  Lorsque l’apprentissage du langage est remis en cause, Montcrief ne traite plus Sam comme un enfant d’humain mais l’enferme dans une cage pour la reproduction avec d’autres primates qu’il vend ensuite à des laboratoires pour des expériences médicales. La seule qui éprouve une réel amour pour Sam, sans calcul et sans égoïsme, c’est Aimee, l’étudiante et la maîtresse de Guy, qui comprend le désarroi du chimpanzé privé d’un seul coup de tout ce qui faisait sa vie, de l’affection, des soins, des privilèges de son statut d’enfant-roi, enfermé avec des « bestioles noires » qui lui font peur, ne savent pas parler et en qui il ne se reconnaît pas. L’humaniser pour le rejeter ensuite, comme il est fait dans le roman pour Sam et dans la réalité pour Nim,  est une action irresponsable.

 Les humains minimisent les acquis linguistiques de Sam, son intelligence, refuse de voir les ressemblances existant entre son espèce et la nôtre, pour ne pas être dérangé et pouvoir continuer à l’utiliser sans se sentir coupables. Le reconnaître dans son individualité et sa personnalité, en effet, c’est admettre que l’homme n’a pas le droit d'abuser de lui et qu'il faut des lois pour le protéger. Quand je faisais mes études de Philo, on nous apprenait que les animaux n’avaient pas d’intelligence et d’émotions, qu’ils agissaient uniquement par instinct. Les éthologues ont bien fait évoluer les mentalités mais les préjugés ont la vie dure surtout quand il s’agit de défendre les intérêts des laboratoires pharmaceutiques.

 Ce roman, très proche donc de la réalité, pose les limites de notre responsabilité envers les autres espèces. Il soulève des questions d’éthique, en particulier, sur la manière dont nous nous comportons envers les primates qui partagent 98%  de notre patrimoine génétique. Le chimpanzé est très proche de nous. Il  éprouve comme nous bien des émotions communes, l’amour, la joie, la tristesse, la colère, la jalousie, l’humour, la culpabilité, la honte, et à ce titre la manière dont Sam (ou Nim) est traité tient de l’esclavagisme, de l’exploitation et de la cruauté. 

Mais il ne faut pas nier, non plus, qu’il ne peut pas aller contre sa nature. C’est aussi lui manquer de respect que de vouloir le détacher de son espèce, en faire un étranger aussi bien chez les siens que chez les humains. C'est une vérité qu'Aimee est bien obligée d’admettre lorsqu’elle vole Sam à son propriétaire pour le libérer et s'occuper de lui, dans une cavale qui ne peut que mal se terminer.

Un roman intéressant et qui a le mérite de nous faire réfléchir ! 


Voir l'article sur Nim : Le chimpanzé qui se prenait pour un enfant



lundi 21 avril 2025

T kingfisher : Nettle et bones

 

 

J’avoue que le texte de la quatrième de couverture  tout en me faisant rire m’a donné une furieuse envie de lire ce livre :

Ce n’est pas le genre de conte de fées où la princesse épouse une prince.
C’est celui
où elle le tue


Fanja aussi y est pour quelque chose qui en parle ICI. Notons que le roman a eu le prix Hugo du meilleur roman 2023 ainsi qu’une multitude d’autres prix..

Once upon the time…. Entrons dans ce conte de fées subversif où, vraiment, on dit non à la femme considérée comme une poule pondeuse et poussée dans l’escalier par un prince pas si charmant si elle ne fait pas l’affaire.  Des poules, d’ailleurs, des vraies, il en est question dans le conte et pas des moindres comme comme la dénommée (et bien nommée) Démon.  Mais la petite poule rousse du conte traditionnel (même si elle n’est pas possédée par un démon) a, elle aussi, un caractère affirmée ! Donc, méfiez-vous des poules !  Mais n’anticipons pas !  Sachez pourtant que le livre est dédié  « à ces oiseaux rares que sont les poules fortes et indépendantes » !

Dans un tout petit royaume ( mais important parce qu’il a un port commercial), entouré par les royaumes du Sud et du Nord qui le convoitent tous les deux, la reine, mère de trois filles, donne son aînée, la douce Damia, au Prince du Royaume du Nord, Vorling. Elle obtient ainsi la protection du prince. Quelque temps après le mariage, la jeune femme meurt accidentellement.
Et maintenant Kania, la seconde, une fille intelligente et avisée, épouse le prince. Marra, la petite dernière, elle, est envoyée au couvent parce qu’elle est la troisième sur la liste, « en réserve de la royauté », si jamais Kania n’avait pas d’enfant ou si elle mourrait : Sait-on jamais ? Ce serait son tour d’épouser Vorling !
Mais lorsque Marra revoit Kania à l’occasion du baptême de sa fille suivi bientôt de la mort du bébé, elle comprend que le prince, violent, obsédé par le désir d’un héritier (mâle, bien sûr,) bat sa femme et la retient prisonnière. Pour rester en vie, Kania enchaîne les grossesses qui l’épuisent. Elle sait que lorsqu’elle aura un fils, elle perdra toute valeur et le prince se débarrassera d’elle ! Marra apprend aussi que Vorling a tué Damia qui ne pouvait pas avoir d’enfant.

Féminicide(s) au pays des contes de fées ! Que peut on faire contre un souverain tout puissant, intouchable, dont rien, aucune loi, ne peut arrêter la violence et les meurtres ?  Le tuer. Et comme dans tout bon conte de fées, la jeune fille se met en quête d’adjuvants magiques, la Dame-poussière qui sait parler aux morts (et ses poules); sa marraine-fée qui ne sait accorder qu le don de bonne santé à ses filleules, faible créature (?) mais ne vous y fiez pas ! Enfin, une autre aide, humaine et non-magique comme Fenris, un chevalier sans peur et sans reproches (presque !), un costaud qui sait fendre des bûches et oui, c’est utile, pour obtenir gite et couverts et qui sait manier l’épée !  Ce qui prouve qu’on aime aussi les hommes ici ! Et Marra, en particulier, n’est pas insensible à son charme ! Ah! Ah !  
Il lui faut aussi accomplir trois épreuves impossibles, coudre une cape en tissu de fil de hibou et de cordelettes d’orties, fabriquer un chien d’os avec les os de plusieurs chiens morts et faire prisonnier un clair de lune dans un pot en argile.
Et la voilà enfin prête à affronter le prince Vorling et sa fameuse marraine-fée douée de pouvoirs extraordinaires, à la manière de la fée-sorcière de Disney et qui maintient la puissance de la dynastie depuis un millénaire.

Nettle and Bone se lit avec beaucoup de plaisir. L’imagination de T. Kingfsiher semble sans borne, les aventures s’enchaînent, l’humour est toujours présent. La manière de réinterpréter les contes de fées traditionnels est amusante, savoureuse, comme lorsque la marraine-fée de Marra rappelle le danger qu’il y a d’oublier d’inviter une marraine à un baptême. La visite de la cité des morts est fantastique à souhait et plus proche cette fois-ci de la mythologie nordique ou de Tolkien que du conte traditionnel.

Bref ! Une agréable lecture très mouvementée !


samedi 19 avril 2025

Roberto Bolano : Le troisième Reich

 

J’ai lu, dans Télérama, que le livre 2066 de l’écrivain chilien Roberto Bolano était considéré comme l’un des plus importants de la littérature du XX ième siècle. Ni ma bibliothèque, ni ma librairie ne le possédant, j’ai acheté un peu au hasard un autre roman de lui intitulé : Le troisième Reich


Un jeune allemand Udo Berger est en vacances avec sa petite amie, Ingeborg, sur la Costa Brava. Il connaît bien l’hôtel où il descend, sur le Paseo Maritimo, puisqu’il y venait en vacances, pendant des nombreuses années, avec ses parents. Il y a dix ans de cela. Dès son arrivée, il reconnaît Frau Else, la propriétaire de l’établissement, une belle femme qui a provoqué ses premiers émois d’adolescent.
Udo Berger, avec son ami Conrad, est un passionné de jeux de guerre, champion d’Allemagne, et écrit dans les fanzines, gagnant ainsi un peu d’argent pour compléter le salaire qu’il gagne pour un travail qu’il n’aime pas. Dès qu’il arrive dans sa chambre, il se fait installer une grande table pour étendre son jeu et noter les règles et les variantes en vue d’un article.

Udo est très amoureux de la belle Ingeborg et espère que les premières vacances qu’il passe avec elle consolideront leur relation naissante. Mais dès le début, un malaise s’immisce entre eux. Ingeborg aime passer des heures sur la plage alors que lui reste dans sa chambre avec son jeu, se lie avec un couple allemand, Charly et Hanna, fait connaissance de deux espagnols d’une moralité douteuse que Udo surnomme non sans raison Le Loup et l’Agneau. Elle traîne Udo dans des boîtes de nuit, de bar en bar et tous finissent plus ou moins ivres.  Charly, surtout, qui semble se débattre avec ses démons. De plus, elle a honte de l’addiction aux jeux de Udo peut-être parce que ce jeu n’est pas anodin. Le troisième Reich met en scène la deuxième guerre mondiale au cours de laquelle Udo (qui représente sans complexe l’Allemagne) cherche à infléchir le cours de l’Histoire en amenant Hitler à remporter la victoire.  Il y a aussi Le Brûlé, loueur de pédalos, un personnage énigmatique rendu monstrueux par les cicatrices de ses brûlures sur le visage et le corps. Il parle espagnol mais semble étranger. Chilien, peut-être ? Mais c’est moi qui le suggère. L’on n’en saura rien !  Il restera mystérieux mais il va accepter de se battre contre Udo et contre le troisième Reich.

Udo Berger tient son journal et nous découvrons les faits de son point de vue. Peut-être est-ce pour cela que les personnages nous échappent, que nous ne les comprenons pas vraiment et que le récit est à la fois étrange et inquiétant. Nous ne sommes pas placés du point de vue du narrateur omniscient mais d’Udo à qui beaucoup de choses sont cachées quand il est enfermé dans sa chambre, lui-même prisonnier de ses fantasmes et de ses addictions. Les gens semblent se croiser sans se rencontrer. Le viol, la violence, la domination s’invitent dans les rapports amoureux. Udo est souvent la proie de cauchemars qui débordent dans la vie quotidienne, effaçant les frontières entre le jeu, le rêve et la réalité. Le malaise ne cesse de s’intensifier jusqu’au dénouement tragique pour l’un d’entre eux, et lorsque tout semble résolu, quand le jeu se termine, la vie n’est plus pour Udo qu’une illusion.

« J’ai dit à Conrad que, à bien y réfléchir et pour tout résumer, nous étions tous pareils à des fantômes qui appartenaient à un état-major fantôme s’exerçant sur des plateaux de jeu de guerre. Les manoeuvres à l’échelle. Tu te souviens de Von Seeckt ? Nous avons l’air d’être ses officiers, nous nous jouons de la légalité, nous sommes des ombres qui jouent avec des ombres; »

Faut-il prendre le jeu comme une allégorie de la vie ? Faut-il y voir le combat toujours renouvelé du Mal  - symbolisé par les armées et idéaux nazis - , et du Bien, une bataille incessante  où l’un ou l’autre gagne et perd tour à tour ? Udo est-il pro nazi ?  Le Brûlé a-t-il un intérêt personnel à relever le défi lancé par Udo ?

Le troisième Reich est le second livre écrit par Bolano en 1989 et édité à titre posthume. Ce roman est l’oeuvre d’un grand écrivain. Il ne peut laisser indifférent et laisse libre cours à l’interprétation. On a l’impression de ne pas avoir tout compris, d’avoir été abandonné au milieu d’un non sens et ces personnages fantomatiques nous égarent encore plus ! Parfois on a l’impression qu’il ne se passe rien; de faire du sur place, en proie à un malaise persistant. J’ai rarement senti un tel désabusement, une telle angoisse, un tel désespoir dans une oeuvre !


J’ai lu dans Babelio la critique de Apoapo qui n’a pas aimé le livre. "Songez encore à un jeu de guerre sur plateau, éponyme du roman, qui commence à avoir du poids seulement à partir de la moitié de celui-ci, mais dont il serait vain de chercher des correspondances avec la fabula – c'eût été trop satisfaisant pour le lecteur… - même lorsqu'une liste de plus d'une page (328) de noms et surnoms de généraux nazis (réels ou imaginaires ? je n'ai pas eu le coeur de vérifier…) est jetée en pâture sans suite et sans raison. le déroulement du jeu ne reproduit ni des étapes textuelles (lesquelles ?!) ni celui de la véritable Seconde Guerre mondiale."

 Je vous renvoie à son texte ICI

 

Chez Je lis je blogue

 

jeudi 17 avril 2025

Connie Willis : Sans parler du chien


 

Sans parler du chien de Connie Willis est un récit qui fait suite au roman Le grand livre, voyage temporel pour étudier le Moyen-âge lors de la grande peste !  Dans Sans parler du chien, nous sommes au XXI ème siècle et nous continuons à voyager dans le temps mais cette fois-ci au XXème siècle, juste avant le raid aérien nazi qui détruisit la cathédrale de Coventry en Novembre 1940.

 L’historien Ned Henry est chargé par l’opiniâtre lady Schrapnell qui veut reconstruire la cathédrale de Coventry à l’identique, de retrouver la potiche de l’évêque. Ce qui n’est pas simple étant donné l’imprécision du retour dans le passé. Quand on arrive, par exemple, après ou pendant le bombardement au lieu d’arriver avant !
A force de faire la navette entre les deux époques, Ned Henry subit un énorme déphasage, c’est pourquoi pour échapper à la terrible lady, on l’envoie à l’ère victorienne, à la fin du XIX siècle. Théoriquement, il  doit se reposer dans cette époque paisible, mais aussi, il lui faut accomplir une mission à laquelle il n’a rien compris, déphasage aidant. Et le voici en train de canoter sur la Tamise avec un étudiant sympathique, Terence, et son fantasque professeur, ( coup de chapeau à Trois Hommes dans un bateau de Jerome K. Jerome), le voici qui rencontre l’arrière, arrière, arrière grand-mère de Lady Schnappel, Tossie, une blonde et délicieuse victorienne, aussi sotte que belle, qui a une révélation devant la potiche de l’évêque. Ce qu’elle confie à son journal. Journal qui tombe entre les mains de sa petite, petite, petite fille, Lady Schrapnell. Oui, toujours elle !  Ce qui explique son idée fixe à propos de la susdite potiche ! Rien n’est simple et tout se complique et d’autant plus quand Ned Henry comprend ce que l’on attend de lui : Il doit corriger une dangereux paradoxe temporel causé par une de ses collègues, Harriet, qui a ramené un chat d’une de ses expéditions.  Or, il se trouve que le chat, Princesse Arjumand, est une chatte et que c’est l’animal de compagnie de l’inénarrable Tossie ! Ajoutez à cela que Ned Henry a, sans le vouloir, empêché la rencontre de Terence avec celle qui devait devenir sa femme, empêchant par suite logique la naissance de leur fils, un jeune homme qui devait devenir un héros de la défense aérienne britannique, dramatique absence qui risque de favoriser ainsi la victoire du troisième Reich ! Catastrophe ! Il va falloir tout réparer et, bien sûr, retrouver la potiche de l’évêque !  Vous avez dit repos ?

Ce roman qui exploite un thème de science-fiction récurrent* : - que se passerait-il dans l’avenir si quelqu’un modifiait un tant soit peu le passé ? - présente parfois quelques longueurs mais est souvent hilarant ! Le déphasage de Ned Henry, les jeux de mots, les quiproquos, les personnages, les ridicules de la société victorienne avec ses séances de spiritisme, tout concourt à nous faire rire. Connie Willis a un humour renversant et nous conte une histoire complexe et enchevêtrée dont la conclusion ne manque pas de sel !

 Prix Hugo et prix Locus 1999

 * je me souviens toujours du roman de Barjavel, Le voyageur imprudent, qui présente le problème suivant : un voyageur dans le passé tue celui qui sera son grand-père mais avant que celui-ci ne soit marié et ait un enfant. Donc, le voyageur n'a pas pu naître. Oui, mais s'il n'est pas né, il ne peut pas tuer son grand-père...

 

La cathédrale de Coventry en ruines et nouvelles cathédrale

La cathédrale Saint Michel de Coventry a bien été  détruite lors d'un raid aérien le 14 Novembre 1940 mais elle n'a pas été reconstruite à l'identique comme dans le roman ! Au contraire, l'architecte, Basil Spence, a voulu conserver les ruines et a construit un bâtiment moderne à côté d'elle.

 

 

 

 

Printemps chez Moka

Chez Moka (535 pages)


mardi 15 avril 2025

Yordan Raditchkov : Les récits de Tcherkaski


Dans Les récits de Tcherkaski, Yordan Raditchhkov (1929-2004)  met en scène les paysans d’un village bulgare imaginaire qui ressemble beaucoup à celui où il est né, Kalimanitsa, dans le nord-ouest de la Bulgarie.

J’avoue que j’ai d’abord été un peu déstabilisée par les récits de Yordan Raditchkov et qu’il m’a fallu un moment pour m’y faire.

C’est d’abord par la forme qu’ils m’ont surprise, l’écrivain procède par répétitions au cours d’un même récit. L’histoire présente une structure récurrente mais agrémentée de variantes, d’ajouts, de développements différents, retournant au début pour progresser et repartir vers la suite.  Yordan  Raditchkov donne ainsi l’impression d’oralité, l’impression d’un conte raconté de loin en loin, d’une bouche à l’autre, le soir à la veillée, ce qui donne lieu chaque fois à des fioritures selon l’imagination du conteur. L’écrivain explique qu'il a à coeur de  « légaliser le discours populaire parlé. Non seulement le discours populaire parlé mais aussi la manière dont le peuple construit ses histoires. »

Ainsi le conte intitulé Janvier dans lequel des chevaux pleins de terreur font irruption dans le village sans leur maître mais avec un loup mort dans leur traîneau. D’autres villageois décident de partir à leur tour pour chercher le disparu mais les chevaux reviennent  sans eux avec un loup mort dans le traîneau et ainsi de suite. Métaphore de la Mort ? Peut-être ? Mais aussi impression d’être plongé dans un univers absurde qui est une autre caractéristique de ces récits.

 On dit de lui qu’il est un Kafka bulgare. Absurde le voyage dans Paris a un jour de congé, lorsque Gotsa Guerasov part à Paris en train, avec ses jambières et son couteau, ses amis lui disent de faire attention aux françaises car elles ont des culottes de dentelle, sa femme lui conseille de mettre un pull over (Un pull over ! un truc de bonne femme), les cochons regardent les paysans aiguiser leur couteau d’un oeil féroce et dévorent les poules. Enfin, le train part et traverse tous les pays européens mais quand Gotsa arrive à Paris, la ville est vide et il n’aperçoit que la Tour Eiffel :

-Et il n’y a rien d’autre ?
-Bien sûr que si ! dit le conducteur. Mais aujourd’hui Paris a un jour de congé


 Et Gotsa Guerasov retourne au pays sans avoir vu Paris pour tuer les cochons avec son couteau, des cochons qui  n’ont pas l’intention de se laisser faire et qui le regardent encore plus férocement.

On peut parler aussi à propos des  des récits de Tcherkaski de « réalisme magique » mais qui n’a rien à voir avec celui des oeuvres latino-américaines.  La magie vient ici des légendes, des croyances, de l’imagination paysannes, un pays peuplé par des petits personnages étranges comme Le Tenèts« être  humain qui, après sa mort, ne va nulle part mais reste parmi nous », créatures magiques qui font le travail à ta place, traire les vaches, actionner le métier à tisser et même, depuis que Raditchkov l’a rencontré, c’est lui qui écrit ses oeuvres tandis qu’il se la coule douce. Mais il y a aussi Le Verblude, une créature fantastique qui peut prendre toutes les formes, issue de l’imagination de l’auteur.

 Bien sûr, tous ces récits sont souvent teintés d’humour et contiennent aussi une dimension sociale. Dans la postface, Marie Vritna-Nikolov, la traductrice, écrit  « Cette magie intérieure à l’homme, est liée à la vie paysanne ; elle a disparu de notre monde moderne trop riche en objets de toutes sortes pour stimuler notre imagination. Le paradoxe souligné par Raditchkov est que la pauvreté matérielle engendre une richesse imaginaire, tout un monde merveilleux qui disparaît sous le flot de l’abondance matérielle. »
 C’est peut-être ce que signifie la conclusion du récit Paris a un jour de congé : «  Il était sûr que tout s’était passé ainsi, parce qu’il l’avait pensé ou bien qu’il l’avait désiré. Quelles pensées ne nous viennent-elles pas à l’esprit entre deux soupirs de tempête et que ne désire-t-on pas ? »  Le paysan  sait bien que jamais il ne verra Paris, que ce voyage, il est trop pauvre pour le faire autrement qu’en imagination !

Mais nous dit la postface il existe aussi une dimension politique dans ces récits qui étaient présentés comme des fables - apparemment absurdes, grotesques et inoffensives- pour la censure. Les lecteurs de l’époque ne s’y trompaient pas et au-delà de la fable cherchaient le deuxième degré. (Je suis comme les censeurs, je n’ai  souvent lu les oeuvres qu’au premier degré, je l’avoue !).  Raditchkov confie que si au lieu de Paris, il avait, comme il le désirait,  parler de Moscou, la réaction aurait été violente.  Et c’est vrai que si c’était Moscou a un jour de congé, à l’époque du totalitarisme soviétique, cette ville vide, morte, que l’on ne peut voir, et cette conclusion, Que ne désire-t-on pas ?  prendraient un autre sens !  
De même dans Le printemps arrive, si on lit ce dialogue plein d'humour au second degré lorsque le camarade président s’indigne que la rivière ait autant de méandres.

-«  Cette rivière doit être corrigée ! dit le président.  Pourquoi tant de méandres pour une seule rivière ?
- c’est une vieille rivière, camarade président, dit Gotsa Guerasov
-Je sais bien qu’elle est vieille !
-Elle est là depuis l’époque turque, camarade président . »

Le pouvoir veut même "corriger" la nature, lui dicter sa loi et il faut excuser la rivière d'être ce qu'elle est ! J'ai bien aimé d'ailleurs que l'excuse sa fasse sur le dos des Turcs !  

Enfin de tous ces récits un peu burlesques, avec une logique décalée, toujours étonnante, mais dans un style magnifique, surgit la poésie liée à la Terre si étroitement mêlée à la vie des paysans juchés sur leur charrette, dans la brume, que l’on ne sait distinguer l’une de l’autre comme dans Humeur farouche :

« Tout cela roulait en eux profondément, tantôt froid, tantôt bleuté, tantôt revêtu de lumière et tremblant de chaleur, tantôt irisé, tantôt d’un vert estival : cela roulait, tournait dans un mouvement circulaire et silencieux, et les hommes sentaient les gouttes suinter de ce tourbillon et tomber sur leur coeur, régulièrement, tranquillement, et à chaque contact, ce coeur se serrait, puis relâchait ses muscles avant de se serrer encore, puis se relâchait à nouveau en diffusant une vibration dans les veines, et les coups étaient comme un écho qui ne pouvait jamais être absorbé et qui ne mourait jamais, tout comme ne mouraient pas le mouvement des roues devant eux, la rotation de la Terre et du soleil.

une nature douée de vie L’arbre vert … 


"L’arbre vert pointait, hérissé comme un porc-épic, à croire qu’il se dressait contre la forêt entière : une vraie petite bête féroce qui piquait dès que quelqu’un tentait de le toucher.. «  Il est sauvage, dit mon père, mais nous allons l’apprivoiser ! ». C’était le printemps ; les tortues sortirent à l’air libre, elles se mirent à promener d’un air important leurs grandes maisons à travers la clairière, le loup changea de nouveau de fourrure et les arbres commencèrent à verdir. "


Yordan Raditchkov (1929-2004)


 

 

"Né en 1929 dans le village de Kalimanitsa, dans le nord-ouest de la Bulgarie. Souffrant de tuberculose, il se voit obligé de suivre une longue convalescence dans une station thermale et dans son village natal.
Journaliste et membre des comités de rédaction de plusieurs journaux, membre de la commission des scénarios de la Cinématographie nationale bulgare, Yordan Raditchkov publie en 1959 un premier recueil de récits, Le cœur bat pour les hommes, suivi de plusieurs autres recueils de récits et de romans. Sa première pièce de théâtre, Remue-ménage, date de 1967. Viennent ensuite les pièces Janvier (1973), Lazaritsa (1978), Tentative d'envol (1979), Les paniers (1982).
En 1980, son roman-récit de voyages Les cours obscures est traduit en français et publié chez Gallimard. Les textes de Raditchkov sont traduits dans plus d'une vingtaine de langues. Ses pièces sont jouées dans plusieurs pays, dont la Suède et la Finlande.
Il est titulaire du prix Georges Dimitrov, l'une des plus hautes distinctions bulgares. En 1994, il reçoit le prix italien Grinzane Cavour pour le meilleur livre étranger.
Yordan Raditchkov est considéré comme un classique vivant de la littérature bulgare.
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