Dans Indignation Philip Roth signe un livre  rempli d'émotion, de fureur rentrée, de révolte réprimée, sentiments à  l'image de son jeune héros, le trop gentil et trop honnête Marcus  Messner. Indignation est un roman dont le titre reflète le ton  même du récit. Indignation du jeune homme fougueux, entier, idéaliste  mais peu adapté à une société hypocrite où règne le faux-semblant des  bonnes moeurs et des apparences; indignation de l'écrivain qui dénonce  une société qui envoie ses enfants se faire tuer sur le front de Corée  s'ils ne satisfont pas à ce que l'on attend d'eux.
Marcus Messner, fils de boucher avec lequel il a  appris l'amour du travail bien fait, a dix-neuf ans quand il décide de  quitter le cocon familial dans le New Jersey et de poursuivre ses études  au Winnesburg Collège, dans l'Ohio. Nous sommes dans les années 50,  encore marqué par les morts de la guerre de 40-45, ce qui explique  peut-être la paranoïa que développe le père du jeune homme à son sujet,  une peur si violente et maladive que Marcus n'a que cette échappatoire,  partir! il veut être indépendant et grâce à son intelligence et un  travail assidu il veut réussir dans la vie. Etudiant brillant, il va  vite déchanter pourtant dans cette université où on l'oblige à suivre  des études religieuses chrétiennes alors qu'il est de famille juive et  qui plus est - c'est ce qui lui sera d'ailleurs le plus reproché -  profondément athée. Le jeune homme va vite s'apercevoir qu'il n'est pas  libre d'avoir des idées, des convictions ni même une vie privée, y  compris sexuelle. Or, Marcus sait que, s'il échoue dans ses études, il  sera renvoyé de l'université et devra partir mourir en Corée.
La force de ce roman est là figurée par cette épée de  Damoclès prête à s'abattre sur celui qui n'est pas conforme. La  rencontre de Marcus avec le doyen illustre avec une violence presque  caricaturale cette violation de la conscience, cette incroyable atteinte  à la vie privée, Marcus vomissant au sens propre comme au sens figuré  dans le bureau du doyen. Je dis caricatural car le lecteur a peine à  croire qu'une telle intrusion dans l'intimité puisse être possible. Mais  je me souviens avoir "assisté" à une scène semblable, côté filles, dans  le roman de Joyce Carol Oates : Je vous emmène et ceci au début  des années soixante. iI est vrai aussi qu'il faut se replacer dans une  époque où les jeunes n'ont aucune liberté sexuelle. Il faut savoir aussi  qu'en quittant le New Jersey, Marcus arrive dans un état  rétrograde,  l'Ohio, sous l'emprise de la religion qui s'exerce par la répression,  traditionaliste au sens de manque d'ouverture, où les préjugés raciaux  sont larvés et s'expriment par des insultes, par des ségrégations au  sein même des fraternités. L'inégalité sociale est aussi très présente  dans Indignation et l'on se demande si le doyen aurait pu exercer  une telle pression sur un fils de famille riche. Marcus est fils de  boucher kasher il combine donc deux handicaps aux yeux de cette classe  dominante : pauvre et juif! Pourtant c'est grâce à son père - un beau  personnage- avec qui il a appris à travailler dans la boucherie, qu'il  possède des qualités morales et des principes : l'amour du travail bien  fait, ne pas avoir honte de ses origines, savoir que nous sommes  responsables du moindre de nos actes et tenons en main notre propre  destin. En un mot, l'honnêteté! Et paradoxalement c'est cette honnêteté  qui le perdra.
On voit que ce beau roman est très pessimiste. Une  sorte de fatalité pèse sur le héros. Lorsqu'il tombe amoureux, c'est  d'une fille si terriblement abimée par son père qu'elle ne peut  l'entraîner que vers le malheur. La boucherie kasher et les abattoirs où  Marcus a travaillé sont comme la métaphore de sa vie et préfigurent  l'horreur des massacres en Corée, le sang versé dans toute guerre.
Philip Roth ajoute à la fin du roman une note  historique plus optimiste. Il explique comment les contestations de 68  ont provoqué des bouleversement dans l'université, une libéralisation,  l'obligation d'assister à l'office étant abolie. Pourtant, Philip Roth  écrivant sur le passé, nous rappelle un présent très proche de nous. Que  la guerre soit celle de Corée, que l'action se déroule dans les années  1950 et non maintenant, n'empêchent pas que le propos soit très  contemporain. La guerre en Irak, où sont allés mourir ces jeunes gens  des classes populaires qui voulaient gagner de quoi payer leurs études,  en est bien la preuve!
 
 
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