Lars Eidinger dans Richard III (source) |
Je n’avais jamais vu Richard III sur scène et j’ai toujours eu des difficultés à lire la pièce. Aussi la mise en scène de Thomas Ostermeier est une belle surprise, une véritable réussite théâtrale. C’est avec aisance que l’on entre dans cette intrigue touffue, pleine de personnages, d’intrigues complexes, tant le metteur en scène a l’art d’éclairer notre lecture, de dévoiler l’essentiel, de nous mettre au coeur du drame, au coeur de l’humain. Ici pas provocations inutiles, tout sert l’action, tout révèle le sens.
Et d’abord le sens politique et philosophique, une magistrale réflexion sur le pouvoir, sur la domination d’un seul sur les autres (rappel de l’essai de La Boétie Discours de la servitude volontaire ou le Contr'un). Nous sommes aux racines mêmes du mal. Par la force du langage, le tyran manipule ceux qui l’entourent et parvient à ses fins soit par la fascination qu’il exerce ou en flattant la cupidité et l’orgueil de ses ministres qu’il tient en laisse, soit par la peur. Du fait que la langue soit allemande et les costumes du XX siècle, nous pensons à Hitler, bien sûr, mais aussi à Staline, Mussolini pendu à un crochet de boucher à la fin de la guerre comme Richard III dans la mise en scène de Ostermeier et bien d’autres au cours des millénaires de l’Histoire. Mais au-delà des exemples que nous connaissons c’est bien sûr l’universel que révèle Shakespeare magnifiquement servi par Ostermeier. Le comédien, Lars Eidinger, qui incarne le rôle fait voir toutes les facettes de ce personnage monstrueux et pourtant humain par sa souffrance et ses faiblesses. Il incarne avec brio Richard III jusque dans son corps déjeté, contrefait; il est tout à tour le misérable en proie au doute et et le roi sanguinaire, affamé de pouvoir.
Thomas Ostermeier met aussi en relief le drame de la différence, de l’exclusion. Richard III devient un monstre au niveau psychologique parce qu’il l’est au niveau physique. Infirme, bossu, il est exclu des fêtes, de la joie, de l’amour. Le comédien transmet cette souffrance, ce sentiment d’abandon et de solitude. Et lorsque le metteur en scène le dénude, ce n’est pas gratuit, c’est pour mieux nous faire ressentir cette déréliction, la petitesse de celui qui va devenir si grand en se hissant au-dessus des autres par l’usurpation et le meurtre. Lars Eidinger met en relief par son jeu subtil et plein de sensibilité cette souffrance mais aussi la révélation que Richard III va avoir de lui-même, ce moment clef où il séduit lady Anne et où il comprend alors son pouvoir sur les autres et la puissance de la parole. Ainsi par l’intermédiaire du comédien et de la mise en scène nous est révélée la complexité de ce Richard III de Shakespeare et l’on comprend alors pourquoi, depuis le XVI siècle, il a pu fasciner les spectateurs et devenir un personnage dont on n’a jamais fait le tour.
Tous les acteurs sont au diapason, aucune faiblesse dans la distribution. La scénographie fort belle avec ses lumières, ses projections vidéos, l'utilisation de marionnettes, présente un décor étagé ou l’espace est chargé de sens. Pendant la fête qui clôt « l’hiver de notre déplaisir », la fin de la guerre des Deux Roses, des York et des Lancaster, Richard est en bas sur la scène, tandis que les autres s’amusent, s’agitent, montent et descendent joyeusement d’un niveau à l’autre, soulignant ainsi son isolement. Plus tard, les victimes de Richard III disparaissent par une porte, toujours la même, en hauteur (la Tour de Londres?) et c’est du haut de la scène aussi que Marguerite la prophétesse lance sa malédiction sur Richard III et ses complices qui se trouvent au-dessous d’elle, en position de faiblesse.
Je n’ai pu juger de la traduction en allemand de Marius Von Mayenburg que Thomas Ostermeier a voulu en prose plutôt qu’en vers et dans une version légèrement écourtée mais j’ai aimé que Lars Eidinger reprenne certains passages en anglais.
Un grand bonheur théâtral!
J'ai pensé à toi en écoute le Masque et la Plume dimanche. Ils ont beaucoup aimé ce Richard III et pas du tout Le Roi Lear .. vous êtes en phase.
RépondreSupprimerOui, au moins je ne suis pas la seule !
SupprimerCette photo est très belle.
RépondreSupprimerDepuis que j'ai lu ton billet sur le Roi Lear, j'ai été à l'affut des critiques et elles n'ont pas été fameuses (passé à la télé)... Enfin... bien contente pour toi que tu aies vu une belle adaptation pour ce Richard III.
Il a de mauvaises critiques dans l'ensemble .
SupprimerCette pièce est ardue la mise en scène doit être claire je te recommande le film look ingénieur for Richard pour un mot creux d hiver
RépondreSupprimerJe verrai le film. La mise en scène de Ostermeier éclairait la pièce.
SupprimerLe mélange des langues ne gênait pas la compréhension ?
RépondreSupprimerJ'ai regretté de ne pas l'avoir vu sur arte...
C'est aussi une pièce que je n'ai aps lu mais le rappel de la Boétie ( que j'avais adoré) me fait penser que c'est une pièce que je vais aimer comme les autres de Shakespeare ! La mise en scène a l'air de t'avoir plu, ça compense la déception du roi Lear !!!
Non c'était en allemand et une fois ou deux il a dit un passage en anglais.
SupprimerDécidément, nous n'arriverons pas à nous accorder sur les Shakespeare de cette année:-). J'ai trouvé ce Richard III boursouflé, sans propos, pompier, en un mot nul, et je suis sorti de la représentation très en colère. Franchement, je ne comprends pas l'ovation du public. Et je ne vois pas surtout pourquoi ce qui est apprécié ici est justement ce que l'on a reproché au roi Lear de Py - sauf peut-être que Py avait un propos, lui, situé quelque part entre Eschyle et les jansénistes, une lecture dont on peut discuter de la pertinence, mais enfin une lecture. Je ne retiendrai rien en revanche de la mise en scène d'Ostermeier, qui ne m'a rien appris sur le personnage, ni sur la pièce.
RépondreSupprimerDécidément nous n'avons pas les mêmes goûts! Franchement, je ne peux pas suivre un Olivier Py qui "tord" la pièce pour parvenir à parler ... d'autre chose que de la pièce et qui passe à côté de l'essentiel comme tu le dis toi-même! D'autre part, je ne vois pas le jansénisme de Py et en plus je ne comprends pas ce que cela peut apporter à Shakespeare ? Ce que j'ai aimé dans la mise en scène de Ostermieir c'est que rien n'est gratuit, tout sert la pièce; c'est que l'acteur n'a pas besoin de hurler pour exprimer et que, même en allemand, j'ai pu entendre et apprécier les nuances de la voix et les sentiments qu'il faisait passer.
SupprimerIl est si bon de lire une telle revue sur une mise en scène contemporaine.
RépondreSupprimerOn comprend pourquoi rien n'est tel que de voir les pièces soi-même quand on lit le commentaire de Cleanthe.
Oui, ce qui est sûr, c'est que toutes les opinions sont possibles et tant mieux!
SupprimerJe ne suis pas très fan des pièces très longues et qui plus est surtitrées... je ne suis pas sûre que j'aurais apprécié, même si la mise en scène paraissait intéressante.
RépondreSupprimerElle n'est pas très longue, juste 2H30 environ. Ce qui fait la richesse du festival c'est que l'on peut voir des metteurs en scène et des acteurs de toutes les nationalités. Bien sûr, j'aurais préféré voir un Shakespeare en anglais mais j'aurais eu besoin des surtitres aussi. Dans Antoine et Cléopâtre, la langue portugaise était très musicale et j'ai aimé.
SupprimerSi tout se passe bien, je vais voir un "Richard III" à la rentrée... mais mis en scène par Thomas Jolly.
RépondreSupprimerTu nous en parleras? j'aimerais beaucoup voir d'autres mises en scènes de Richard III maintenant que je connais la pièce.
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