Le Passage
Dans une nouvelle intitulée Le Passage, paru en 1919, Sibilla Aleramo reprend le récit de
 sa vie dans un texte lyrique, d’une grande beauté poétique.  
Je rappelle que l'écrivaine, mariée à 16 ans à l'homme qui l'avait violée,  écrit son premier roman Une femme,
 en 1906, après avoir quitté son mari et son enfant qu'elle n'a jamais revu. Le livre qui 
connaît immédiatement un grand succès, est traduit en plusieurs langues et Sibilla Aleramo devient une icône du féminisme dans le monde. (voir le billet  : Une femme Ici)
 Son fils 
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| Mary Casatt | 
Ô
 mon enfant, mais de ce sombre rêve, tu étais pourtant sorti, vivante 
réalité de chair, mon enfant, passion profonde de mon sang… 
Pourquoi t’ont-ils arraché de moi ? 
Tu
 étais à moi, tu étais avec mon âme la seule chose vivante de ma sombre 
jeunesse ; je t’avais fait grandir comme je grandissais moi-même, non 
pour ce jour-là, mais pour d’autres qui devaient venir… Mon enfant, et 
j’ai pu sauver mon âme de ce cauchemar, et toi, je n’ai pas pu te sauver
 ! Ils ne t’ont pas rendu à moi, bien que je te réclamasse en hurlant… 
Ils n’ont pas voulu, tu es resté loin de moi, loin de moi. Resté pour 
toujours le petit qui avait déjà presque sept ans. J’ai essayé, ma 
créature, j’ai essayé de te deviner autre, d’imaginer comment pouvaient 
être tes yeux quand tu avais huit ans, quand tu avais dix ans et douze 
ans… Je cherchais à me représenter ta taille, mois par mois, et ton 
sourire et tes cheveux… Mais ta voix, mon fils, je ne la pouvais savoir !
 Tu venais dans mon sommeil, rêve d’un rêve. Et rien d’autre, plus 
jamais. 
Son père et sa mère 
Le père de Sibilla Aleramo a abandonné ses enfants et sa mère qui a progressivement sombré dans la folie. Plus tard, elle se souvient d'eux et de leur amour disparu.
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| Le baiser Klimt | 
Cette
 nuit-là, comme j’écoutais la voix du fleuve gronder durement sous les 
arches du pont et contemplais dans mon cœur une douleur déjà indurée, 
déjà prête à devenir pierre, je me surpris à songer à ce qui avait uni 
mon père et ma mère, à leur amour. Je pensai à leurs deux jeunesses. 
J’avais été conçue dans l’extase et le délire par ces deux créatures 
alors neuves, belles, victorieuses pour moi de toute tristesse, en ce 
premier instant de moi-même. 
Baiser
 d’où je suis née, tu étais un chant qu’exprimaient pour moi deux 
amoureux, tu étais un chant total, et je t’ai emporté dans mes veines, 
écho que rien n’a jamais pu étouffer. Moi, la première-née, fruit de 
joie, fusion de deux flammes. Ils s’aimaient parce qu’ils ne se 
ressemblaient pas, parce que tout de l’un émerveillait l’autre. Et leurs
 existences se jetaient l’une vers l’autre pour moi, pour former une 
créature unique, qui vivrait la vie intégrale, la vie si diverse en eux 
deux, l’accepterait et l’aimerait dans sa totalité. Ils ne le savaient 
pas. S’ils l’avaient su, peut-être, après m’avoir vue naître, se 
seraient-ils séparés, peut-être n’auraient-ils pas voulu créer ensemble 
d’autres enfants avec un élan moindre, pour un destin moins puissant. En
 moi seule s’est transmis vraiment ce qui les accoupla : la force 
d’amour qui éternellement dissout tout mal en moi.
 Le silence

 
Hammershoi  

Le silence attend. Le silence, la plus fidèle chose qui m’ait enlacée dans la vie. 
Plus
 grand que moi, au fur et à mesure de ma croissance, il croissait, lui 
aussi, semblait toujours vouloir m’écouter ; nous nous taisions 
ensemble, et je me retrouvais toujours la même entre ses bras, sans 
stature, sans âge, créée par le silence même, peut-être par un sien 
désir immuable, ou peut-être non encore née, larve qu’il protégeait. 
Une fois encore, je suis seule, je suis loin, et autour de moi tout se tait. 
L'humilité
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| Chagall | 
L’Humilité m’environne. Profonde comme les ombres violettes dans la vallée couronnée de nuages d’argent.
Je
 suis née au milieu d’août, dans le Piémont. Mais peut-être au ciel, en 
ce mien premier matin, se tenaient suspendus de grands fantômes blancs 
et, dans la campagne d’Assise, où ma mère avait passé jeune épousée dans
 le clair vallon fleuri où je voudrais mourir, peut-être toute la 
suavité de la terre se vêtait de violettes. 
 Voir le texte  ici : https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Passage_(Aleramo) Wiki source





encore une découverte passionnante pour moi!
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