La fosse aux vents de Roger Vercel regroupe trois volumes respectivement appelés : Ceux de la Galatée, La peau du Diable, Atalante. Tous trois sont consacrés à un personnage récurrent, Pierre Rolland, la forte tête, l’orgueilleux, que l’on voit évoluer d’un roman à l’autre de simple matelot à capitaine, au cours de son embarquement sur trois voiliers différents « aux temps héroïque des Cap-Horniers. » comme l’annonce le sous-titre du roman. La trilogie s’étend de la fin du XIX siècle à la première guerre mondiale, à une époque où les splendides voiliers, fierté de leur équipage, vont être peu à peu supplantés par les bateaux à vapeur.
Ceux de la Galatée
En 1897, le long-courrier Galatée part du port de Dunkerque livrer du charbon au Chili et retournera en s’arrêtant à San Francisco pour charger du grain.
Ce navire est commandé par le capitaine Le Gaq et son second Monnard. Il y a aussi le pilotin Jean Marquet, un adolescent que son riche père oblige à embarquer pour lui forger le caractère. Pauvre gamin en butte aux railleries de l’équipage, et formé sur le tas, sans ménagement. Le marin Pierre Rolland le prend en grippe, haïssant sa faiblesse et plein de mépris pour son ignorance. Rolland est responsable d’un accident qui risque de coûter la vie au jeune homme. Au cours du voyage au cours duquel le passage du Cap Horn se révèle être un morceau de bravoure, le second, Monnard, s'aperçoit que Pierre Rolland a l’étoffe d’un chef. Il lui propose de reprendre des études pour devenir capitaine. Il faudra vaincre l’orgueil de Rolland qui vient d’un milieu modeste, sa crainte qu’on lui fasse l’aumône, ses doutes et ses révoltes, pour que celui-ci accepte l’hospitalité du frère de Monnard, un curé, un beau personnage, et pour qu’il accepte de suivre des cours auprès du père Rémy… Mais là encore son caractère orgueilleux et peu conciliant blessent ceux qui pourtant l’ont l’aidé.
La peau du diable
Dans La peau du diable, Pierre Rolland est devenu second sur L’Antonine commandé par le capitaine Thirard. Il embarque à Port-Talbot près de Bristol, et se rend en Nouvelle-Calédonie pour charger du minerai de nickel. Le capitaine Thirard souffre d’un cancer de la gorge mais conserve jusqu’au bout sa dignité et assume ses responsabilités envers son navire malgré des souffrances atroces. Il gagne le respect de Rolland et de son équipage.
Atalante
Le capitaine Pierre Rolland est d’abord commandant de l'Argonaute mais son second, Fourment, doit débarquer suite à un accident survenu lors du voyage aller. À l'arrivée en France, le lieutenant Gicquel qui a fait fonction de second depuis l'accident, invite le capitaine Rolland au mariage de sa soeur. C’est là que Rolland rencontre Geneviève, la soeur de la mariée. Rolland qui, jusqu’alors, n’estimait pas les femmes, est séduit par l’intelligence et la finesse de la jeune femme. Il l'épouse avant d'embarquer à bord de l'Atalante, en partance du Havre pour San Francisco. Malgré les réticences de Rolland, Geneviève embarque avec lui. Elle est persuadée que, comme sa mère l’a fait avant elle, elle pourra suivre son mari dans ses voyages au long cours et éviter les séparations et l’attente qui sont le sort habituel des femmes de marin.
Les personnages
Vercel a le don de créer des personnages complexes, vrais, rudes, parfois primitifs, et de nous faire partager leur vie, comprendre leur mentalité.
Je dois dire que j’ai trouvé Pierre Rolland extrêmement antipathique. Il méprise les femmes tout en se servant d’elles pour ses besoins sexuels. Et même lorsqu’il trouve une femme qu’il admire assez pour l’épouser, il la méprisera dès qu'elle lui paraît en état de faiblesse, victime du mal de mer et sa santé s’étiolant. Et que dire du racisme manifesté par Rolland envers les canaques que les missionnaires s’efforcent d’instruire - en vain- d’après lui : « Tout ce qu’ils parvenaient à loger dans ces cervelles primitives leur demeurait aussi étranger que le dressage des chiens savants ». C’est assez abject !
Il a, bien sûr, des qualités, sa compétence, son endurance, son courage et sa loyauté envers ses chefs, ses hommes et son navire mais comme le disent ses pairs, capitaines comme lui, même s’ils le respectent, ils ne pourront jamais se lier d’amitié avec lui.
L’épouse de Pierre Rolland qui embarque avec lui sur l’Atalante est une belle figure féminine, fine, intelligente, courageuse, qui fait ressentir d’autant plus l’incapacité de son mari à éprouver de l’empathie, et met en relief d'une manière révoltante son égoïsme, son mépris des femmes et des faibles.
Un roman d’aventure et un hommage aux marins disparus
Les trois volumes se lisent comme des romans d’aventures et, si l’on est parfois noyé sous le flot du vocabulaire de la navigation à voile, la narration, vivante, nous entraîne dans des aventures dangereuses et passionnantes.
Vercel décrit la vie des Cap-Horniers, et la richesse de la description, la connaissance des manoeuvres complexes à effectuer, tout donne au lecteur l’impression que l’auteur est un marin chevronné, qui a vécu bien des aventures extrêmes en haute mer. Or, il n’en est rien, il n’est allé qu’une fois en mer sur un bateau de pêche et n’a jamais effectué de voyages au long cours, ce qui rend encore plus incroyable sa maîtrise de la navigation à voiles, sa documentation des conditions de travail effroyables des Caps-Horniers, sa compréhension de la mentalité des marins du bas de l’échelle à la fonction la plus haute de capitaine. C’est que pour écrire ces romans il a rencontré de vieux marins qui ont vécu la fin de ces temps héroïques, collecté leurs souvenirs, leurs aventures, il s’est nourri de leurs récits, de leurs croyances, de maintes anecdotes. Il a vécu à travers eux les difficultés du métier mais aussi ressenti la fierté de ces hommes qui étaient conscients de la beauté et des qualités de leur navire qu’ils aimaient d’amour et qu’ils voyaient sur le point de disparaître au profit de la navigation à vapeur qui allait les remplacer. Ils étaient à la fois victimes de conditions de vie éprouvantes, de l’exploitation exercée sur eux par des armateurs qui les payaient mal et les accablaient de travail. Ils étaient parfois révoltés, ombrageux, prompts à prendre la mouche. Ils étaient aussi les héros orgueilleux d’un quotidien qui ressemblait bien à une épopée que Roger Vercel a su rendre d’une manière magistrale.
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Chez Moka 540 pages |
Chez Sibylline 540 pages |
Parfait pour ce Book trip, on dirait. L'occasion de ressortir des raretés.
RépondreSupprimerDes raretés qui ne le furent pas toujours ! Grandeur et décadence des écrivains !
SupprimerBonjour ClaudiaLucia
RépondreSupprimerTu m'apprends l'existence de cette édition en un volume de 540 pages de cette trilogie que je possède en 3 tomes. Je l'avais chroniqué lors de l'édition précédente du Book trip en mer. Ma grand-mère m'avait offert le premier lors de sa sortie en livre de poche, et je m'étais offert les deux suivants en vieilles occasions quelques années plus tard (ils ne sont jamais parus en LDP). Je te trouve bien sévère en tout cas: tu laisses biens des aspects plutôt positifs de la personnalité de Pierre Rolland dans l'ombre, je pense que la vie ne lui a guère fait de cadeaux non plus...
En tout cas, si tu le souhaites, tu peux aussi inscrire ton billet pour les "pavés estivaux": chez Sibylline (La petite liste) et/ou chez Moka!
Je ne me trouve pas sévère ! Qu'il ait eu une mère blanchisseuse et pauvre ne l'autorise à mépriser les femmes comme il le fait tout en se servant d'elles, à s'amuser à "faire la course" avec les steamers pendant que sa femme meurt à cause de lui ou à mépriser les canaques en qui il voit une race inférieure !
SupprimerMerci de me signaler les pavés !
SupprimerJe découvre!
RépondreSupprimerVercel c'est l'auteur de Remorques adapté par Grémillon au cinéma avec Jean Gabin, dialogue de Prévert.
SupprimerCoucou. Contente de te retrouver après des vacances bien méritées et visiblement de bien belles lectures
RépondreSupprimerVacances de blog aussi car je n'arrivais pas à entrer dans mon blog... je ne sais pourquoi.
Supprimerah tiens, moi j'ai des problèmes pour laisser des commentaires sur certains blogs
SupprimerRoger Vercel et ses romans maritimes! Pas trop my cup of tea mais il faut de tout pour faire une bibliothèque. :-)
RépondreSupprimerMoi j'aime bien les romans maritimes. L'année dernière pour ce challenge j'avais relu Edouard Peison avec plaisir.
SupprimerAh Vercel le retour pour le book trip en mer, super ! Ta d loi du cine l'avait proposé à deux reprises l'année dernière et il me tentait assez, donc merci pour le rappel.:) Bon, c'est sûr qu'aujourd'hui, on a une lecture plus critique des moeurs d'une époque et donc des oeuvres d'autrefois (et de leurs auteurs^^). En tout cas, côté maritime, c'est tout bon.;)
RépondreSupprimerOui ! Mais le personnage reste antipathique !
Supprimerun vrai roman d'aventures!
RépondreSupprimerEt quelles aventures ! Le passage du Cap Horn à lui seul est inoubliable !
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