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mardi 21 mars 2023

Alexandre Pouchkine : Сказка о царе Салтане : Le conte du tsar Saltan

Illustration Ivan Bilibine : Conte du tsar Saltan : La princesse cygne et l'île Bouaïana
   

"Le Conte du tsar Saltan, de son fils, glorieux et puissant preux le prince Gvidon Saltanovitch et de la très-belle princesse-cygne " : voici le titre complet du conte merveilleux  d'Alexandre Pouchkine qu'il a publié en 1832.  Il  s'agit d'un conte traditionnel issu du folklore russe mais de nombreux contes dans le monde reprennent le thème des deux soeurs jalouses qui cherchent à se venger de la troisième plus chanceuse, épouse du prince.

Le conte du tsar Saltan de Pouchkine est l'un des contes les plus célèbres en Russie. Nicolaï Rimski Korsakov et son librettiste Bielski ont adapté l'oeuvre de Pouchkine pour créer un opéra  Сказка о царе Салтане portant le même titre.

 

Ivan Bilibine :  le tsar choisit Militrissa pour épouse, les deux autres comme cuisinière et tisseuse

Trois sœurs rêvent à leur avenir dans une modeste isba  : que ferait chacune d'elle si elle était tsarine ?   L'une dit qu'elle préparerait un grand festin, l'autre qu'elle tisserait des vêtements somptueux, la troisième, la belle Militrissa, qu'elle donnerait un bogatyr (preux-chevalier) à son tsar bien-aimé. Le tsar Saltan qui passait près de chez elles les entend. Il décide d'épouser la troisième et engage les deux autres comme cuisinière et tisserande.

 


Mais le tsar doit partir à la guerre. Il laisse son épouse enceinte. Celle-ci accouche bientôt d'un beau petit garçon, le tsarévitch, Guidon, qui grandit à une vitesse prodigieuse. Les deux sœurs, jalouses, avec l'aide de leur mère Babarikha, envoient un message à Saltan pour lui dire que sa femme a accouché d’un monstre. 

La Babarikha est la mère des trois soeurs, mais elle tient le rôle de la marâtre des contes de fées quand elle devient complice de ses deux filles pour faire obstacle à la troisième. Elle est aussi une femme- marieuse. Le tsar répond en demandant qu'on attende son retour pour décider du sort de l'enfant mais les méchantes femmes substituent le message du tsar à un autre qui ordonne d'enfermer la tsarine avec son enfant dans un tonneau et de les jeter à la mer. La mer a pitié de l'enfant et la mère et le tonneau échoue sur une île lointaine nommée Bouïana ... 

 

Ivan Bilibine : la ville merveilleuse sur l'île Bouïana

Le tsarévitch Guidon devenu un beau jeune homme sauve un cygne poursuivi par un vautour. Le cygne lui explique qu'elle est une princesse et que le vautour qu'il vient de tuer est un sorcier. En signe de reconnaissance, la princesse-cygne fait surgir une ville magnifique sur l'île. Le bogatyr Gvidon en devient le roi puis comme il languit de son père, elle le transforme en moustique ou en bourdon pour qu'il puisse voyager caché dans un navire de marchands jusqu'à sa patrie natale.  

 

Bilibine :  Le prince Gvidon transformé en moustique

Par trois fois le tsar entendant vanter les merveilles du royaume merveilleux et de son roi Gvidon par les marchands veut se rendre dans l'île mais Babarikha et les deux sœurs le dissuadent.

La première fois en affirmant que la merveille n'est pas cette ville sur une île lointaine mais un écureuil enchanteur qui croque des noisettes d'or au coeur d'émeraude.

La seconde fois en affirmant que la merveille n'est pas cette ville lointaine mais trente trois bogatyrs- frères, des géants jeunes et braves,  issus des vagues de l'océan.

La troisième fois  en affirmant que la merveille n'est pas cette ville lointaine mais une princesse si belle que

Le jour, elle éclipse le soleil

 La nuit elle éclaire toute la terre

Le croissant brille sous sa tresse

Et une étoile illumine sa jeunesse

traduction Tetyana Popova-Bonnal

Chaque fois le cygne réalisera le voeu du prince pour obtenir l'écureuil, les trente trois guerriers,  mais pour la princesse, ce ne sera possible que par un véritable amour.

 

Bilibine :  Arrivée du tsar et la méchante mère Babarikha

La quatrième fois, quand il entend vanter les merveilles de l'île et apprend le mariage du Gvidon avec une belle princesse, le tsar décide de partir. Lorsqu'il arrive sur l'île, il reconnaît son épouse, la belle Militrissa, fait connaissance de son fils Guidon marié à la  princesse qui se cachait sous l’apparence du cygne. Le conte se termine dans la joie. 

 

 Une oeuvre en vers musicale

Le tsar Saltan et les trois soeurs :  miniature de Palekh

 

Cette oeuvre est une petite merveille, un bijou brillamment ciselé,  un récit vivant, animé, poétique, amusant. Le poète l'a rédigé en vers de sept ou huit syllabes dans une langue populaire, savoureuse, joyeuse, avec des personnages proches du folklore russe. On a l'impression que les vers sont chantés.

Le rythme des  heptasyllabes accentués sur les syllabes impairs  (1/3/5/7 ) est, en effet, très musical, et le retour des mêmes vers dans les situations qui se répètent créent un rythme interne que l'on attend comme un refrain. Ce qui nous rappelle que le conte est destiné à être oral,  un conte que l'on lit aux enfants et dont les répétitions sont attendues avec joie.

 

 Un conte merveilleux

Peintres de Palekh :  Dans son palais de cristal, L'écureuil croque une noix/ une noix d'or par ma foi

 

Le conte est une belle histoire d'amour, celle du prince Gvidon et de la princesse-cygne, un récit qui fait intervenir le rêve, la magie, le fantastique. Il obéit au schéma classique du conte traditionnel : à partir d'une situation initiale perturbée par des méchants, le héros ou l'héroïne devra rétablir l'équilibre, aidé en cela par des adjuvants magiques, humains, animaux, ou objets. Il s'agit de contes initiatiques qui permettent au personnage principal (auquel l'enfant s'identifie) de passer de l'enfance à l'âge adulte. La magie ne suffit pas et il faut faire preuve de courage, de débrouillardise, d'intelligence, de bonté.

Dans ce conte tout est en double. Il y a deux couples le Tsar et Mélitrissa et Gvidon et la princesse-cygne  dont l'équilibre est  pareillement  détruit par l'intervention d'éléments déclencheurs qui viennent rompre l'équilibre :  

Militrissa et le tsar Saltan séparés par la guerre vont être victimes de la jalousie des deux soeurs et de la mère. C'est le tsarevitch Gvidon qui les réunira.

Comme dans de nombreux contes, la princesse est transformée en animal, ici en cygne : Gvidon tue le magicien qui la poursuivait métamorphosé en vautour. Il aide la princesse-cygne qui l'aidera à son tour.

 Le cygne va se poser

Sur les bords dans un fourré.

Il s'ébroue et se secoue,

en princesse se dénoue :

Une étoile entre les yeux,

Un croissant d'or aux cheveux (...) 

Traduction Ivan Mignot

Le prince doit prouver sa bravoure mais a besoin pour réussir d'adjuvants magiques : Le cygne réalise ses voeux pour le récompenser. Ils sont au nombre de trois, l'écureuil qui assure la richesse de tous les habitants de l'île; les trente bogatyrs qui assurent la sécurité de l'île et la princesse-cygne qui permet à l'amour de triompher.


Peintres de Palekh : La princesse est majestueuse et bonne

 Un conte plein d'humour

Peintres de Palekh: la fête de retrouvailles

Mais le Merveilleux est étroitement mêlé à l'humour qui tient à des personnages burlesques dont la fonction est double :  semer des embûches sur le chemin des héros et héroïnes mais aussi faire rire telles les deux soeurs et la mère Babarikha et aussi, parfois, le tsar lui-même !  

Enfin,  autre source de comique, le moustique. Ainsi lorsque  les méchantes soeurs se font piquer par le moustique ou bourdon et deviennent borgnes, l'une de l'oeil droit, l'autre de la gauche ou quand il s'agit de la Babarikha :

Il bourdonne et fait des rondes, 

 Il se pose sur son nez bien rond.

Notre héros pique le nez 

Et une ampoule y apparaît.

Là encore l'alerte commence 

En mettant la défiance

AU secours ! Attrapez-le !

Ecrasez la bête féroce ! 

 Traduction De Tatyana Popovna -Bonnal  Les contes de  fée de Pouchkine Edition bilingue  ou une autre traduction

Il va tourner autour d'elle

se met sur le nez d'icelle

Une cloque vient marquer

 aussitôt le nez piqué.

De nouveau c'est la panique 

 Et puis la chasse héroïque : 

Au secours, attrapez-le,

Dieu du ciel, écrasez-le,

Tu vas voir, attends, vil traître (...)

 Traduction de Ivan  Mignot  Les contes de Pouckine  Le tsar Saltan peinture de Palekh

Comique aussi dans l'agitation qui suit les piqûres de l'insecte car la scène est traitée avec un grossissement épique que les deux traductions préservent bien "La bête féroce !" "Vil traître !"  "chasse héroïque", "Panique ", "alerte" ...  qui contraste dérisoirement avec  la taille de la bête féroce.

Le dénouement aussi est joyeux et enlevé  : l'on y voit le tsar fêter dignement ses  retrouvailles  avec la Tsarine et son Tsarevitch (pas de punition pour les méchantes)  mais on doit porter au lit le tsar  à moitié ivre.

 денъ прошел - царя салтана

 уложили спать вполньяна

я там был ; мед, пиво пил 

 усы лищь обмовил

 La traduction mot à mot dit ceci : 

 Le jour passe - le tsar Saltan

Est mis au lit à moitié ivre

 J'étais là;  j'ai bu du miel, de la bière (hydromel ?)

 Mes moustaches seules j'ai mouillées.  

 

 Quelles traductions choisir ?

Je vous propose deux traductions  qui s'opposent et témoignent de deux positions très divergentes face au fait de traduire. Laquelle préférez-vous ? 

Doit-on rester  proche du texte et, dans la cas où il s'agit de vers, ne pas respecter la métrique ? celle de  Tetyana Popovna-Bonnal

La journée passe et Saltan énivré

 fut tout de suite couché.

J'y étais, j'ai bu l'hydromel 

 Seule ma moustache fut mouillée.

Traduction Popova-Bonnal dans Les contes de  fée de Pouchkine Edition bilingue

  Ou la traduction d'Ivan Mignot qui s'éloigne du texte (tout en respectant l'esprit)  mais garde la versification et utilise l'heptasyllabe comme le vers pouchkinien et la rime.

Le soir, il fut sur sa couche 

Ivre comme une vraie souche

J'y étais et j'ai bien bu

Ne m'en demandez pas plus.

Traduction Ivan Mignot Les contes de Pouchkine  Le tsar Saltan peinture de Palekh   


Les éditions  et les illustrations

 


1) Traduction en vers proche du texte et juxtalinéaire de Popova-Bonnal Les contes de  fée de Pouchkine Edition bilingue    

Illustration couverture Ivan Vanestiv :  Ivan Tsarevitch chevauche le loup gris 1889


 


 2) Traduction Ivan Mignot en vers heptasyllabes Les contes de Pouchkine  Le tsar Saltan  ma traduction préférée.

Peinture de Palekh  Editions медный всадник : Le cavalier de bronze.  J'ai acheté ce livre à Saint Pétersbourg. Je ne sais pas si on le trouve en France.

Palekh :  Les illustrations, splendides,  sont des peintures d'icônes sur bois laqué, provenant de la ville de Palekh devenue centre de la miniature sur laque. Collections privées ou musée russe de Saint Petersbourg, ou musée Pouchkine.

 


3) Vous pouvez aussi lire ces contes aux Editions Albin Michel  jeunesse illustrés par Ivan Bilibine  d'après une réédition de 1906. traduction en vers de  Henri Abril. Je n'ai pas lu cette traduction mais les illustrations de Bilibine sont enchanteresses.

 Ivan Bilibine est né en 1876.  Il est peintre et illustrateur. Formé sous la direction  du grand maître Ilia Répine, il réalise en 1899 ses premiers travaux graphiques et ses premières illustrations de contes populaires russes : il trouve là son domaine de prédilection, dont il ne se départira plus et qui caractérise son oeuvre. Ivan Bilibine s'est fait aussi connaître comme décorateur d'opéra. 

 


4) Keisha  a lu ces contes aux éditions Ginkgo  ICI


 Et bien sûr l'auteur de ces  contes

 Alexandre Pouchkine

Peinture de Palekh : Pouchkine  quatrième de couverture Editions le cavalier de bronze


 

                                                       Le Tsar Saltan :  Opéra de Rimski Korsakov le vol du bourdon





jeudi 16 mars 2023

Jurica Pavicic : La femme du deuxième étage

 

La femme du deuxième étage de Jurica Pavicic, écrivain croate : Bruna se marie avec Frane qui est marin. Les jeunes époux vont habiter au deuxième étage de la maison familiale de Frane, juste au-dessus de l’appartement d’Anka, la belle-mère de Bruna. C’est un très mauvais arrangement car le couple va devoir cohabiter avec cette femme autoritaire, maniaque et revêche, qui humilie sa belle fille et la considère, malgré ses efforts, comme paresseuse et incapable. Sa belle soeur Mirela n’est pas plus chaleureuse envers elle. Quand son mari part en mer, Bruna, désormais sous la coupe d’Anka, n’a que son travail à l’extérieur pour bénéficier d’une relative liberté. Mais lorsque Anka est victime d’une attaque cérébrale et qu’elle reste paralysée, le drame va éclater. Mirela, la fille d’Anka, privilégie sa carrière, le fils s’oppose à ce que sa mère aille dans un institut spécialisé mais repart en mer. C’est donc à Bruna d’assumer, en plus de ses heures de bureau, la lourde charge d’une femme impotente qu’elle n’aime pas et qui le lui rend bien.

Je ne dévoile rien en parlant de drame puisque dès la première page nous savons que Bruna est en prison et qu’elle a commis un meurtre. Le roman alterne d’ailleurs entre des chapitres qui décrivent la vie en prison, d’autres qui sont un retour dans le passé et racontent l’histoire de Bruna et d’autres encore, les années d’après la prison.

Ce qui qui intéresse l’auteur, c’est l’analyse du meurtre. Il cherche à comprendre et à mettre en évidence les ressorts qui ont poussé une femme « normale », qui n’a rien de monstrueux, jeune, amoureuse, pleine d’espoir, à détruire une vie et à être détruite. Il étudie le lent glissement qui va la conduire au meurtre presque malgré elle, prise au piège de la soumission, prisonnière des non-dits, d’une vie vaine et sans espoir, et surtout de l’égoïsme des autres. Chacun est occupé par ses propres soucis, son travail, son désir de réussite. Même la mère de Bruna ne s’est pas préoccupée de savoir si sa fille allait bien.
Tout en se livrant à cette analyse, Jurica Pavici présente une radioscopie de la société croate d’après-guerre où l’économie qui reprend ne l’est que sur des bases factices, ouverte à un tourisme qui détruit toutes les vraies richesses du pays, n’apportant pas la prospérité à ses habitants mais enrichissant les sociétés capitalistes, la maffia et les déjà riches.

Le car pénètre dans les faubourgs (de Split) et Bruna note les changements. Là où était situé autrefois le chantier de déconstruction navale, ce sont maintenant des immeubles de locations et de vacances. A la place de l’usine de chlorure de vinyle, il y a un centre commercial. A la place du port de pêche, elle découvre une marina, et dans la marina, des grappes de yachts coûteux aux vitres teintées et aux lignes agressives. A la place du transbordement, c’est encore une marina. A la place de l’usine de tuyaux en béton, même chose. Là où il y avait auparavant des ateliers et des entrepôts, ce sont désormais des salons d’expositions de concessionnaires automobiles ou des agences de Rent-Car et Ship Management….


Une société où la situation des femmes n’a rien d’enviable, témoin, la vie de Bruna, mais aussi celle de Suzana, l’amie restée fidèle de Bruna, qui a pourtant poursuivi des études de pharmacologie et végète dans un petit emploi sans intérêt. Là encore le bouleversement apporté par la guerre n’est pas source de mieux-être :
« … les Slovènes l’ont jetée dehors, au bout de huit ans, comme des porcs, sans aucun préavis, pendant une vague de restructuration. Elle pense à son nouveau boulot, une petite boîte stupide de commerce à la noix, où le patron n’en sait pas la moitié d’elle question travail. »

Dans l’île où travaille Bruna se dresse une façade d’église baroque « grandiose  et mensongère » restée inachevée. Elle cache derrière elle une église petite et misérable. Cette façade est une métaphore des civilisations et de la vie, mais aussi de la Croatie nous dit Jurica Pavicic: « Elle nous raconte la seule vérité qui vaille : elle nous dit comment finissent les ambitions humaines. Comment les gens, les villages, les peuples échafaudent des plans et des projets immenses, comment ils imaginent des constructions fastueuses, et de tout cela, il ne reste que des façades. »

J’ai apprécié L’eau rouge le premier roman de l’auteur dont l’action déroule en Croatie pendant le guerre et montre la destruction de la Yougoslavie et le début de l’après-guerre. Dans La femme du deuxième étage, c’est la Croatie actuelle que présente l’auteur. Ce n’est pas réjouissant et pourtant c’est un oeuvre où l’on sent, au-delà de la tristesse et de la mélancolie, l'empathie de l’auteur pour ce personnage en souffrance, solitaire et replié sur lui-même. 

J’ai beaucoup aimé ce deuxième livre de Jurica Pavicic, peut-être plus encore que le premier, parce j’ai été sensible à son rapport nostalgique au temps qui passe et nous mène inexorablement à la mort. Je me suis sentie concernée par sensibilité à l’éphémérité des choses et des êtres, encore exacerbée par l’expérience de la guerre qui a détruit un monde existant sans en proposer un meilleur.

Sa définition de la vie : « Cette succession d’anecdotes chaotiques »  et les pensées de Suzana m’ont interrogée et touchée : "Et elle se demandait si sa vie et celle de Bruna, aurait été différente s’il n’y avait pas eu cette fête d’anniversaire Chez Zorana. Si elle n’était pas allée la chercher en voiture….  Si ce matin là ou tel autre elle avait marché sur le trottoir de droite plutôt que sur le trottoir de gauche. Tant de bifurcations, des dizaines et des centaines de bifurcations, tant de noeuds indénombrables, denses et opaques comme dans un jeu vidéo ultra-complexe, qui l’ont conduite au point où elle est maintenant."

Ce questionnement, qui, par-delà l’expérience individuelle, atteint l’universel, est passionnant. Oui, il est vertigineux de contempler tous les chemins qui se sont ouverts ou s’ouvrent devant nous au cours d’une vie et combien notre existence aurait pu être différente si…  mais ce SI nous renvoie à la question primordiale, sommes-nous vraiment libres de nos choix à partir du moment où nous ne connaissons par les tenants et les aboutissants ? Un choix, peut-être, mais faussé à l’origine, et dont on n’est finalement pas vraiment maître.

C’est ce que constate Bruna : « Tout aurait été différent si nous n’étions pas allées là-bas. Suzana avait raison, évidemment. Mais, comme il arrive souvent quand quelqu’un a raison, ni elle, ni Bruna, ne pouvaient rien faire de ce constat. »


Un beau roman prenant et nostalgique  !

 


 

lundi 13 mars 2023

Mikhaïl Lermontov : Смерть поэта : La mort du Poète

La mort du poète : duel de Alexandre Pouchkine et de Georges d'Anthes
 

En 1837, Alexandre Pouchkine le grand poète russe se bat en duel contre un officier français de l’armée du tsar, alsacien, Georges-Charles Heeckeren d’Anthès qui courtise sa femme Natalia Gontcharova. Celle-ci, coquette, suscite la jalousie du poète mais rien ne semble indiquer qu’elle ait eu réellement une liaison avec l’officier. Cependant la rumeur circule, des lettres anonymes sont envoyées à Pouchkine, les affronts, les provocations, les railleries contre le mari trompé se succèdent. Pouchkine provoque d’Anthes en duel. Celui-ci est militaire, il sort de l'école de Saint Cyr. Il est le premier à tirer et ne rate pas sa cible. Il l'atteint au ventre. Pouchkine ne mourra qu'au bout de deux jours dans d’atroces souffrances. 

 

Natalia Gontcharova : belle et frivole


La lettre anonyme abjecte envoyée à Pouchkine


Quand Alexandre Pouckine meurt, Mikhail Lermontov a 23 ans.  Il ne lui reste plus que quatre ans à vivre et l’émotion qu’il éprouve à l’annonce de la mort de Pouchkine est si violente qu’il prend sa plume et écrit dans l’urgence et la fièvre les 56 premiers vers de ce beau poème intitulé La mort d’un poète qu’il adresse au tsar Nicolas 1er en hommage au poète assassiné. Il réclame vengeance auprès du tsar.

Vengeance souverain, vengeance !
Que la supplique monte jusqu’à toi
Soutiens le droit et punis l’assassin
Fais que son châtiment de siècle en siècle
Proclame la justice en l’avenir
Et fasse la frayeur des criminels

 

Alexandre Pouchkine

Tout en rendant compte de la grandeur du poète, il déplore que les commérages malveillants sur son honneur l'ait poussé à la mort. Il accuse l'hypocrisie de ceux qui, responsables de la fin du poète, feignent de s'en émouvoir. Mais il affirme aussi que Pouchkine a été humilié, persécuté "dès ses débuts" et on verra pourquoi.

Le poète est tombé, prisonnier de l’honneur,
Tombé calomnié par l’ignoble rumeur,
Du plomb dans la poitrine, assoiffé de vengeance ;
Sa tête est retombé en un mortel silence.
 Hélas ! sous le poids des offenses,
     L’aède élu s’est affaissé,
     Comme avant, contre l’arrogance
     Des préjugés, il s’est dressé.
     Le chœur des louanges confuses
     Est vain comme sont vains les pleurs
     Et les pitoyables excuses.
     Le sort a voulu ce malheur...
     Or, c’est vous qui, dès ses débuts,
     Persécutiez son pur génie,
     Pour en rire, attisant sans but
     La flamme où couvait l’incendie.
     Il n’endura pas le dernier
     Cruel outrage à sa personne.

     Son flambeau, hélas ! s’éteignait
     Flétrie son illustre couronne...

dans la traduction de Katia Granoff (Editions Gallimard (Poésie), 1993)

ou  dans la traduction de la poétesse Marina Tsvetaïeva

Sous une vile calomnie
Tombé, l’esclave de l’honneur!
Plein de vengeance inassouvie,
Du plomb au sein, la haine au cœur.
Ne put souffrir ce cœur unique
Les viles trames d’ici-bas,
Il se dressa contre la clique.
Seul il vécut – seul il tomba.
Tué! Ni larmes, ni louanges
Ne ressuscitent du tombeau.
Tous vos regrets – plus rien n’y change,
Pour lui le grand débat est clos.
Un noble don vous pourchassâtes –
Unique sous le firmament,
Incendiaires qui soufflâtes
Sans trêve sur le feu dormant.
Tu as vaincu, humaine lie!
Triomphe! Ton succès est beau.
A terre le divin génie,
A terre le divin flambeau!

Par la suite, j'utilise la traduction de Katia Granoff parce que je la préfère.


Georges d'Anthes, l'assassin de Pouckine

Dans le passage suivant, Lermontov réclame la punition du coupable. Il  accuse tous les étrangers venus en Russie pour briguer les honneurs et faire une carrière militaire de mépriser la Russie, et, dans le cas de d'Anthes, de ne pas même avoir conscience qu'il vient de tuer le Génie russe en la personne d’Alexandre Pouchkine. 
       
      Son meurtrier a froidement
     Braqué sur lui l’arme fatale.
     Un coeur vide bat calmement,
     N’a pas tremblé la main brutale.
     Quoi d’étonnant ? Venu d’ailleurs,
     Il trouvait chez nous un refuge
     Pour capter titres et bonheur,
     Comme d’autres nombreux transfuges.
     Il raillait, en les méprisant
     La voix, l’esprit de notre terre ;
     Sa gloire, il ne la prisait guère
     Et dans ce funeste moment,
     Ni lui, ni d’autres ne savaient
     Sur qui sa main s’était levée...

Pour comprendre ceci, il faut savoir que Pouchkine est considéré comme "le père" de la littérature russe. C’est le premier écrivain moderne à écrire en langue russe en employant la langue populaire, vivante, riche,  savoureuse, (beaucoup écrivait en français, la langue à la mode à l’époque ou en russe en imitant les écrivains étrangers), en remettant à l’honneur les coutumes du peuple russe, en donnant la parole aux paysans, aux "nianias", les nourrices des enfants nobles, qui perpétuent les contes, les croyances et les chants traditionnels russes. Tous les grands écrivains russes, en particulier Tolstoï et Dostoeivsky, lui sont redevables. Il redonne sa dignité et sa grandeur non seulement à la langue mais aussi à tout un peuple en révélant sa beauté et sa vitalité alors dédaignées.
 

Les vers de Lermontov sont aussitôt repris par les amis de Pouchkine,  Ivan Tourgueniev, Vassilisi Joukovsky et tant d'autres … et font grand bruit dans la société où ils provoquent une vive émotion. Ils sont aussitôt recopiés par dizaines de milliers d’exemplaires, et circulent de main en main et sur toutes les lèvres. Les milliers de personnes qui se pressent devant la demeure du poète mourant, défilent devant son cercueil et assistent à son enterrement, les connaissent par coeur.

Mikhaïl Lermontov

C’est donc ce poème qui fait connaître Lermontov et le rend célèbre mais c’est la deuxième partie rédigée plus tardivement, dans un moment de rage véhémente, qui va lui attirer de graves ennuis.
Dans la première partie, on l'a vu, Lermontov accusait déjà les hypocrites qui avaient poussé Pouchkine au duel, en faisant circuler le bruit que sa femme Natalia Gontcharova lui était infidèle mais il ne les nommait pas.


Arrachant sa couronne à ce génie altier,
Ils mirent sur son front la couronne fantôme,
Où l’épine acérée est unie au laurier,
Et qui blessait sa tête à des pointes d’acier ;
Et ses derniers instants, ils les empoisonnèrent
De murmures moqueurs, ô railleurs ignorants !
Il mourut assoiffé de vengeance exemplaire
Et cachant le dépit d’un espoir décevant.

Mais dans les vers qu’il ajoute, non seulement il accuse les ennemis de Pouckine mais il les nomme : ce sont les courtisans proches du tsar, sinon le tsar lui-même, la noblesse et ses rejetons dégénérés qui ne sachant pas reconnaître le Génie, le poursuivent de leur haine, de leurs mesquineries, bafouent son honneur, se moquent de lui et lui rendent la vie impossible.  Et il appelle sur eux la vengeance divine puisqu’il semble que l’on ne peut pas l’attendre du pouvoir ! Il va plus loin encore puisqu’il les accuse d’attenter à la liberté.
Or, il faut savoir que Pouchkine, dès les débuts, a été victime de la dictature tsariste. Alexandre 1er le condamne pour des écrits « séditieux » et il évite de justesse la Sibérie. Exilé, il voyage pendant six ans entre le Caucase et la Crimée avant d’obtenir sa grâce en 1826. N’étant pas dans la capitale, il évite ainsi d’être compromis dans l’insurrection de Décembre 1825 menée par ses amis Décembristes dont il se sent proche. Mais il tombe sous la censure directe du tsar Nicolas 1er qui surveille personnellement tous ses écrits et lui donne même des conseils d’écriture ! Il doit justifier tous ses déplacements auprès des autorités.  Il n'a pas le choix, sa docilité ou l'exil en Sibérie ! La société liée au pouvoir tsariste est donc bien telle que la décrit Lermontov ! C’est ce qu'il décrit dans le Bal masqué et aussi dans son chef d’oeuvre Un héros de notre temps.

Ô vous, ô descendants des ancêtres fameux,

Fameux par leur bassesse et par leur infamie,
Vous foulez à vos pieds les restes des familles
Que la chance offensa dans ses joies et ses jeux.
Le trône est entouré de votre cercle avide,
Bourreaux des libertés, du génie, ô perfides,
Vous qui vous abritez à l’ombre de la loi,
Devant vous tout se tait, la justice et le droit ;
Il est un tribunal, ô favoris du vice,
Vous n’échapperez pas à l’ultime justice !

La médisance et l’or, cette fois, seront vains,
Dieu connaît la pensée et les pas des humains,
Et tout votre sang vil ne pourrait effacer
Le sang pur du poète, injustement versé.

 
Traduit du russe par Katia Granoff

J'ai souligné quelques vers ci-dessus pour mettre en relief l'audace (et l'imprudence) de ces déclarations ! On peut imaginer l’effet que firent ces derniers vers sur le Tsar et son entourage immédiat directement visés par le mépris de Lermontov dans un pays où la liberté est fortement réprimée depuis l’insurrection de Décembre 1825, où les privations des libertés sont étouffantes, la censure toujours présente, la répression sévère réduisant la noblesse à l’oisiveté et l’ennui.

 Lermontov et son ami, Sviatloslav Raievski, qui a diffusé largement ces vers, furent jugés. 

Raievski est exilé en Carélie. Officier dans l’armée russe, Lermontov est expédié au Caucase pour la seconde fois. Un duel l’y avait déjà envoyé une première fois. Là, il se battit contre les tchétchènes pendant les combats qui opposent la Russie expansionniste aux peuples caucasiens.
 

Peinture de Mikhail Lermontov * : Piatigorsk

Mais c’est en vain désormais qu’il demande l’autorisation de quitter l’armée, c’est en vain que sa grand-mère qui l’a élevé, riche aristocrate, implore son retour à Saint Petersbourg. Le tsar ne lui pardonna jamais et refusa même de reconnaître les décorations gagnés au combat, de plus le succès de Un héros de notre temps écrit pendant son séjour au Caucase l’irritait profondément. Lorsque Lermontov mourut à Piatigorsk, tué en duel par Nikolai Martynov, en 1841, le tsar exprima sa satisfaction : « A un chien, une mort de chien » déclara-t-il en privé. 

Nikolai Martinez défia Lermontov en duel parce que celui-ci  se moquait  de lui en le caricaturant.  Mais il semble qu'il ait été aussi encouragé par la noblesse proche du tsar qui voulait régler son compte au poète. Lermontov tirait toujours en l'air lors de ses duels. Nikolai Martinov, lui, a tiré pour tuer.  C'est ce que j'ai lu mais je ne sais pas si c'est avéré.

 *Lermontov était un dessinateur, caricaturiste et peintre amateur de talent. Il est bon musicien et joue du piano et du violon. Il a une érudition qui le rend supérieur à tous ceux qu'il fréquente. On imagine sans peine par la valeur de ses premières oeuvres quelle place il aurait eu dans la littérature russe s'il avait vécu.  Mais il a aussi un caractère épouvantable, il a la satire mordante, caricature ceux qu'il n'aime pas et ils sont nombreux ! Ombrageux, il est prompt à chercher querelle et ne transige pas sur ce qui a trait à l'honneur !  Il se sent profondément décalé par rapport à la société et non seulement il n'a pas peur de la mort mais il la recherche. C'est un homme en souffrance. En fait comme Arbenine et Petchorine, les personnages de sa pièce et de son roman, il méprise cette société vide, inactive, arrogante et cruelle, avide de ragots et qui se nourrit de scandales,  mais il ne peut s'en passer !


Peinture de Mikhail Lermontov *: Caucase

 

*Georges d'Anthès fut jugé mais ne fut pas inquiété. Il rentra en France. Plus tard, il soutint le coup d'état de Napoléon III et en bon valet de son maître, il fit une carrière politique florissante et devint sénateur. Encore un de ceux qui ont envoyé Hugo en exil ! Il a tout pour me plaire, cet homme !


Georges d'Anthès sénateur





vendredi 10 mars 2023

Mikhail Lermontov : Le bal masqué

Décor pour le Bal masqué :  Alexandre Golovine 1917
 

Mikhaïl Lermontov a écrit Le bal masqué en 1835 mais la pièce a été refusée quatre fois par la censure. Il a donc dû reprendre chaque fois le texte et a rédigé quatre versions différentes, de trois ou quatre actes selon le cas. On ne connaît de nos jours que la version deux et quatre. C'est cette dernière que j'ai lue. C'est peut-être à cause de ces réécritures que j'ai parfois eu l'impression d'incohérence ou de décousu, en particulier au niveau des personnes secondaires qui souvent disparaissent un peu trop rapidement sans que l'on comprenne vraiment quelle était leur fonction. Je propose ici un résumé de la pièce mais simplifié.

 

Décor : la salle du bal masqué Alexandre Golovine 1917

Eugène Arbenine est un noble, riche et depuis peu heureux (autant que peu l'être un russe de cette classe sociale à cette époque). Il vient de se marier et on ne l'a pas vu depuis longtemps dans les salons aristocratiques ou les salles de jeux. 

Dans sa jeunesse brillante et dissipée, il a joué, séduit des femmes qu'il a rejetées, incapable d'éprouver un véritable amour. Il participe comme Petchorine, le héros de notre temps, à ce « mal du siècle », ce « romantisme à la russe », cet ennui qui annihile la volonté, rend incapable d'agir, de ressentir des sentiments vrais. 

Moi j'ai vagabondé, joué, été volage et libertin, j'ai travaillé... J'ai connu l'amitié et les amours perfides. Les honneurs ! Je ne les ai jamais cherchés ! Quant à la gloire je ne l'ai point trouvé... Riche ou sans argent, j'ai souffert de l'ennui toujours et partout ."

Il est le fidèle miroir d'une société riche et raffinée mais oisive et inutile, où  sévissent la médisance et, le conservatisme, une société prisonnière d'un pouvoir autocratique rigide, le tsar Nicolas 1er, qui réprime toute liberté de pensée et toute velléité de révolte. Celle des Décembristes qui voulaient obtenir une constitution date de 1825 et a été sévèrement punie. Mais à présent Arbenine est plus âgé, il a rencontré Nina, l'a épousée et l'aime et cette fois, il est sincère.

La pièce commence dans la salle de jeux où Arbenine qui a renoncé aux jeux de hasard sauve le prince Svezditch de la ruine en disputant et en gagnant une partie pour lui. Le prince lui est donc redevable, ce qui rendra sa trahison encore plus grave.

 

Le costume de Nina : Alexandre Golovine 1917

 

Dans les scènes suivantes les deux hommes se rendent au bal masqué. Le prince est abordé par un masque féminin qui lui accorde ses faveurs mais qui ne veut pas lui donner son nom. Nous apprendrons vite que c'est la baronne, le deuxième personnage féminin de la pièce, amoureuse du prince, mais qui tient à sa réputation et dissimule sa véritable identité. Le prince réclame un gage et la baronne lui donne un bracelet qu'elle a ramassé par terre, perdu par une autre femme masquée. Or, cette dernière n'est autre que Nina. Et comme le prince manque de discrétion, il montre ce bracelet à Arbenine qui reconnaît celui de son épouse. Il ne doute pas que sa femme lui est infidèle. La société est vite au courant de la prétendue disgrâce d'Arbenine qui décide de se venger.

Il empoisonne l'innocente Nina. La scène de l'empoisonnement où la pauvre femme meurt dans la souffrance, est pathétique et les cris répétés de Nina «je veux vivre», son extrême jeunesse, son innocence rappellent celle où Desdémone meurt tuée par Othello.

J'ai la tête en feu. Je ne me sens pas bien. Approche-toi de moi et donne-moi ta main. Tu sens comme brûle ma main. Pourquoi ai-je mangé cette glace au bal ? J'ai dû prendre froid. Tu ne crois pas. Puis quand elle comprend que son mari l'a condamnée :

Tu ne vas pas me faire mourir dans la fleur de l'âge ! C'est impossible. Ne te détourne pas. Cesse de me torturer, sauve-moi, éloigne de moi la peur. Regarde-moi !...

Oh ! La mort est dans tes yeux !

Mais la baronne prise de remords, vient avouer la vérité à Arbenine qui comprend que Nina était innocente et devient fou.

Quant au prince qui est un traître, Arbenine lui a réservé un sort pire que la mort. Il le soufflette et refuse de se battre en duel avec lui, le déshonorant aux yeux de la société et en faisant un paria.

Oui, ton honneur ne te reviendra pas ! La barrière est rompue entre le bien et le mal. Le monde entier avec mépris, se détournera de toi, tu suivras désormais le chemin du réprouvé, tu connaîtras la douceur des larmes de sang et le bonheur de tes proches sera lourd à porter pour ton âme.

La philosophie désenchantée de la pièce est bien celle d'une société où la vie n'est pas considérée comme un bien à défendre et où les jeunes gens meurent très jeunes, tués en duel pour de stupides querelles comme deux des plus grands écrivains de la littérature russe : Pouchkine mort à 39 ans et Lermontov lui-même, mort à 27 ans

 La vie n'est précieuse que si elle est belle ! Or, l'est-elle longtemps ? La vie c'est comme un bal. Tu tournes, joyeusement, tout est clair et limpide... Tu rentres, tu enlèves le déguisement fripé. Tu oublies tout, tu te sens à peine fatigué. Mais il vaut mieux lui dire adieu tant qu'on est jeunes, tant que l'âme en porte pas encore  la chaîne de l'habitude. Vanité inhumaine !



Écrivain et poète  russe (Moscou 1814 – Piatigorsk, Caucase, 1841).

Orphelin de mère, il est élevé dans la propriété de sa grand-mère, qui le tient éloigné de son père. Il entre en 1827 à la Pension noble de Moscou, où il s'enthousiasme avec ses condisciples pour la poésie du jeune Pouchkine, celle des poètes décabristes et les idéaux qui l'inspirent. Il écrit ses premiers poèmes, les Tcherkesses et le Prisonnier du Caucase (vers 1828). Lorsque Nicolas Ier ferme cette institution trop libérale en 1830, il poursuit ses études à l'Université, d'où il est exclu en raison de ses prises de position contre certains professeurs conservateurs. En 1832, il entre dans les hussards de la garde. Il continue cependant d'écrire, travaille au Démon et termine Hadji Abrek (1833). Affecté comme officier à Tsarskoïe Selo, il découvre la vie mondaine, qui lui inspire la pièce Un bal masqué (1835) et un roman inachevé, la Princesse Ligovskaïa (1836). Il réagit à la mort de Pouchkine par des vers violents contre son meurtrier (la Mort du poète, 1837), ce qui lui vaut d'être envoyé au Caucase comme simple soldat. Mais son poème l'introduit à la direction du Contemporain, journal de Pouchkine, où il publie un poème, Borodino (1837). Le Caucase exerce sur son caractère et sur son œuvre une influence énorme. Il revient à Saint-Pétersbourg, termine son Démon (1841), collabore à la revue les Annales de la patrie, où paraissent des récits qui entreront dans Un héros de notre temps (Bella, Taman, le Fataliste, 1939), et fréquente le milieu littéraire et les salons. Il reste cependant un esprit frondeur et, à la suite d'un duel avec le fils de l'ambassadeur de France, il est arrêté et à nouveau exilé, cette fois avec exclusion de la garde et à un endroit dangereux du Caucase, alors que Un héros de notre temps (1839-40) est publié et obtient un grand succès. Il prend part à des combats sanglants, qu'il décrit dans ses poèmes. En 1840 paraît un recueil de ses vers, pour lequel il n'a retenu qu'un petit nombre de poèmes. Un duel, provoqué par une querelle avec son camarade Martynov dans des conditions assez obscures, met fin brutalement à la carrière du plus « pictural » des romantiques (il était un excellent dessinateur amateur). (source Larousse)





lundi 6 mars 2023

Katherena Vermette : Les femmes du North End

 

Le hasard des recherches sur les étagères de la médiathèque Ceccano a voulu que je trouve coup sur coup deux livres consacrés aux amérindiens. L’un de Louise Aldrich Celui qui veille qui se passe dans le Nord Nevada ICI; l’autre d’une écrivaine canadienne Katherena Vermette Les femmes du North End qui se déroule à Winnipeg, la capitale du Manitoba, et dont c’est le premier livre.

North End est un quartier de Winnipeg jadis réservé aux immigrants qui y ont construit de belles maisons avant que s’y installent les autochtones, autrement dit la classe sociale la plus défavorisée de la population canadienne, bien au-dessous des ouvriers, un quartier pauvre où vivent « des familles nombreuses, des gens bien, mais aussi des gangs, des prostituées, des drogués, et toutes ces grands et magnifiques maisons s’affaissent et fatiguent à l’image des vieilles personnes qui vivent encore à l’intérieur ».

Si vous prenez le temps de regarder la carte satellite de Winnipeg, la description des lieux est si précise que vous y retrouvez la fameuse « brèche » dont parle l’écrivaine -le titre anglais est "The break"- avec les pylônes à haute tension :
Les grands pylônes métalliques de la compagnie Hydro ont dû être installés plus tard. Immenses et gris, ils se dressent de chaque côté de ce terrain, soutenant deux câbles lisses et argentés qui s’élèvent au-dessus de la plus haute maison. Ils se succèdent sur deux cents mètres environ entre et encore, filant loin vers le Nord. Et ils vont peut-être même jusqu’au lac. Quand ma Stella et sa famille ont emménagé près d’ci, Mattie, sa petite fille, les a surnommés les « robots », un nom très bien trouvé.

C’est que ce quartier est le sujet du roman, en quelque sorte, puisque les lieux participent au drame qui va se jouer et témoignent du déterminisme social qui est aussi racial. Le racisme quotidien marque les amérindiens d’une manière indélébile et concerne aussi les métis si bien qu’il est très difficile d’y échapper. Même les mariages mixtes sont un échec, car, quelque part et peut-être même inconsciemment, celui des deux qui n’est pas indien se sent supérieur. C’est ce qui se passe pour Tommy, le jeune policier métis.

Comme le titre français le précise, c’est par les femmes d’une même famille que Katherena Vermette aborde le récit. De la Kookom, la grand-mère Flora, à ses filles Cheryl et Lorraine, ses petites-filles Louisa, Paulina, Stella et arrière-petite fille Emily.*

Emily n’a jamais embrassé un garçon. Romantique, elle est amoureuse de Clayton et accepte son invitation pour une fête. Elle y entraîne son amie Ziggy et leur intrusion qui provoque la jalousie d’une autre fille, dans un système de gangs qu’elles connaissent mal, va dégénérer en violence. Les fillettes se retrouvent à l’hôpital, Emily, gravement blessée. Une enquête est ouverte mais entravée par la peur des représailles, les victimes comme les témoins se murent dans le silence.
Le récit explore les conséquences de cette violence tout en décrivant les conditions de vie difficiles de ces femmes, leurs liens entre elles, leurs deuils, leur  colère, leur sentiment de culpabilité, leurs relations perturbantes avec des hommes qui ne supportent pas les contraintes de la paternité et se dérobent, ou qui sont alcooliques et violents. Elles décrivent aussi leur courage et la solidarité qui les unit entre elles, l’importance de la famille. Les traditions, les mentalités des indiens qui sont conservés dans un monde qui cherche à les exclure contribuent à ce lien très fort qui les empêche de sombrer dans le désespoir. L’amour qu’elles se portent permet de vaincre la dureté de leur existence et, parfois, aussi, la rencontre d’un homme différent, aimant, qui paraît être un miracle et que l’on peine à croire sincère.

Un bon roman qui présente de beaux portraits de femmes et qui finit par l’espoir, malgré la noirceur du sujet.
On est connes mais on n’est pas foutues » lâche Paulina en brisant le silence. Et elle ajoute, avant même que sa mère lui pose la question : «  Je vais renoncer à être désespérée. Ou du moins, je vais essayer de garder espoir le plus possible. »
- C’est une très bonne résolution, dit Chéryl.
- On pourrait bien tous s’en inspirer, ajoute Rita. S’en souvenir. »


*Il m’a paru difficile d’entrer dans toutes cette filiation avant de m’apercevoir que l’auteur avait pris la peine de dresser une arbre généalogique qui aide bien ! Ne faites pas comme moi, ne le ratez pas!


 


samedi 4 mars 2023

Jurica Pavicic : L'eau rouge

 

Jurica Pavicic :  L'eau rouge.  Ce 23 Septembre 1889, Silva qui va bientôt avoir dix huit ans disparaît. Rien ne sera plus comme avant pour ses parents Vesna et Jakov, pour son frère jumeau Mate et pour Gorki Šain, le policier chargé de l’enquête. Tous vont mettre leur espoir, leur énergie pour la retrouver. Tous sont hantés par cette disparition et par l’échec de leurs investigations. Ils ne sont pas les seuls à voir leur vie bouleversée. Andrijan, le fils du boulanger, qui est le dernier à avoir rencontré Silva voit aussi sa vie basculer et même si rien n’est retenu contre lui il devient un paria dans le village.
L’enquête détermine des zones sombres dans la vie de Silva, des fréquentations dangereuses liées à la drogue. Enfin un témoignage permet de penser que la jeune fille s’est enfuie emportant son passeport et de l’argent. Mate n’abandonnera pourtant pas sa quête. Ce garçon sans histoires, gentil, sérieux, laisse tomber ses études pour prendre un travail qui, de voyage en voyage, le mènera très loin à la recherche de sa jumelle, dans des pays étrangers, détruisant au passage sa vie de couple.

Mais la Croatie est pris dans les remous de la guerre en 1991 et l’enquête policière s’estompe dans la tourmente : le départ des jeunes gens au combat, la mort, la destruction. L’ancien monde disparaît dans les ravages du conflit.
Le nouveau monde qui renaît des cendres n’est pas mieux que le précédent : à la dictature communiste succèdent les groupes capitalistes maffieux qui achètent des terrains à bas prix, exerçant pression et chantage. Ils créent des constructions hideuses qui gangrènent les côtes afin de recevoir les touristes allemands, hollandais, et bientôt de tous les pays européens. Quelle aubaine ! L’ère est au profit et à la pourriture capitaliste !

Le mérite de Jurica Pavicic a été de mêler étroitement l’intrigue policière - sans jamais l’abandonner puisque nous saurons le fin mot de l’histoire - à l'histoire de quelques hommes et femmes puis à l’Histoire collective. Une fin du monde, un bouleversement à la fois à l'échelle individuelle et à l'échelle de tout un peuple. Pavicic sait mieux que personne (je viens de lire un deuxième roman de lui) parler du temps qui passe, inexorable, irrémédiable, de l’effacement de la mémoire, de la mort qui emporte tout. 

Il en sort un livre fort, empreint de mélancolie et de désenchantement, un livre dont les personnages nous interpellent et qui nous fait découvrir les traumatismes d’un pays sacrifié à la tout puissance de groupes financiers.

L'Eau rouge s'est vu décerner cinq prix  :  en 2018 le prix Ksaver Šandor Gjalski du meilleur roman croate, et en 2019 le prix Fric de la meilleure fiction. Il a obtenu en 2021 le prix Le Point du polar européen et le prix Transfuge du meilleur polar étranger, en 2022 le prix Libra' nous.

Jurica Pavičić est un écrivain, scénariste et journaliste croate, né à Split en 1965. Il collabore depuis 1989 en tant que critique de cinéma à différents journaux. Il est l’auteur de sept romans, de deux recueils de nouvelles, d’essais sur le cinéma, sur la Dalmatie et le monde méditerranéen, de recueils de chroniques de presse...




mercredi 1 mars 2023

Jean-Claude Carrière : La controverse de Valladolid

 


Jean-Claude Carrière a écrit La Controverse de Valladolid en 1992. Le téléfilm avec Jean Louis Trintignant, Jean Pierre Marielle et Jean Carmet fut réalisé la même année.

 

 

La pièce de théâtre mise en scène par Jacques Lasalle a été créée au théâtre de l'Atelier en 1999. C'est cette pièce que j'ai lue pour découvrir le texte.

 


Jacques Weber était Bartolomé de Las Casas

Lambert Wilson : Sépulvéda

Le légat : Bernard Verley

Le supérieur : Jena Philippe Puymartin

Le colon Nicolas Bonnefoy / L'indien l'indienne Fredi Rojas/ Patricia Romero. Le bouffon Hassans dit Sasso. Le serviteur : Jean-Claude Gob. L'enfant indien en alternance Amadas Vias, Fiorella Arza. Jose Luis Lasluisa


La controverse de Valladolid



La Controverse de Valladolid a eu lieu en 1550 et en 1551 devant un collège d'ecclésiastiques à la demande de Charles Quint. Elle s'est faite autour des positions opposées de deux hommes d'église Bartolomé las Casas et Juan Gines Sépulvéda. Mais si leurs opinions sont divergentes comme nous allons le voir, il faut d'abord savoir qu'ils s'accordent, en religieux et en hommes de leur temps, sur deux points fondamentaux au départ :

1) Avec Aristote, ils sont d'accord pour dire qu'il y a des hommes nés pour être esclaves, d'autres pour dominer.

Sépulvéda : Aristote l'a dit très clairement : certains espèces humaines sont faites pour régir et dominer les autres.

2) Que tous les peuples sont nés pour être convertis au christianisme qui est une religion universelle ; c'est ce que veut le Christ.

Sepulvada : N'est-il pas établi, n'est-il pas parfaitement certain que tous les peuples de la terre, sans exception, ont été créés pour être chrétiens un jour ?

Le but de la controverse, après avoir admis que les Indiens ont une âme, est de déterminer si ce sont des esclaves « naturels », c'est à dire selon la théorie d'Aristote, s'ils appartiennent à une race humaine naturellement inférieure, des hommes nés pour obéir, ce qui justifie la guerre de conquête, l'esclavage et la conversion par la force. C'est la théorie de Sépuvélda. Ou si, au contraire, ce sont des hommes qui ne sont pas naturellement esclaves et donc qui doivent être libres et convertis par la douceur. C'est ce que pense Las Casas et c'est pourquoi il refuse le mot « conquête »« Il évoque pour moi des entrailles éparpillées, des terres volées, des militaires triomphants. Je préfère «évangélisation», « civilisation.» Il préconise la conversion par la persuasion et l'exemple du Bien.

Que peuvent-ils penser d'un Dieu que les chrétiens, les chrétiens qui les exterminent, tiennent pour juste et bon ? affirme Las Casas

Sépulvéda répond:

Ces indiens sont des sauvages féroces ! Non seulement il est juste mais il est nécessaire de soumettre leur corps à l'esclavage et leur esprit à la vraie religion !

On ne sait pas si ces deux hommes se sont réellement rencontrés pendant la controverse et ont débattu en public. Ce qui est sûr, c'est qu'ils ont échangé des lettres et se sont opposés dans leurs écrits et que c'est sur les textes de chacun d'entre eux que le débat s'est engagé. Jean-Claude Carrière tranche en les mettant face à face dans son livre car s'il se tient au plus près de la vérité historique, ce qui est important pour lui, c'est la vérité dramatique. La pièce de théâtre retient donc ce face à face.

Bartolome de las Casa

 

Frère Bartolomé las Casas

Bartolome de las Casas (1484_1566) est un dominicain. Il a d'abord exploité une encomienda  avec des esclaves sur l'île d'Hispaniola puis de Cuba où il était aumônier des troupes espagnoles, ce qui l'a enrichi. En 1514, un verset de l'Ecclésiaste lui fait prendre conscience de l'indignité de la colonisation et de l'horreur de l'esclavage des indiens maltraités et convertis de force au christianisme.

Certes Bartolomé las Casas a d'abord profité de la colonisation des terres nouvelles par les Espagnols mais sa conversion est celle d'une homme de cœur, sincère, horrifié, luttant de toutes ses forces pour sauver les peuples autochtones. C'est pourquoi il parle avec émotion, indignation de la cruauté des Espagnols, des atrocités commises « de ce spectacle d'horreur et d'épouvante ». Il dénonce le génocide de cette population soumise aux pires exactions.

J'ai vu des espagnols prendre la graisse d'Indiens vivants pour panser leurs blessures ! Vivants ! Je l'ai vu ! J'ai vu nos soldats leur couper le nez, les oreilles, la langue, les mains, les seins des femmes, oui, les tailler comme on taille un arbre ! Pour s'amuser ! Pour se distraire !

Dès lors, depuis cette conversion, il ne cessera de lutter pour les indigènes et rédige à l'intention de Charles Quint un réquisitoire contre la colonisation des peuples d'Amérique latine  : Très brève relation de la destruction des Indes. Il soulève la grave question de la responsabilité des Espagnols et dénonce leur cupidité et leur cruauté.

Depuis, c'est tout ce qu'ils réclament ! De l'or ! De l'or ! Apportez-nous de l'or ! Au point qu'en certains endroits les habitants des terres nouvelles disaient : Mais qu'est-ce qu'ils font avec tout cet or ? Ils doivent le manger ! Tout est soumis à l'or, tout ! Ainsi les malheureux Indiens sont-ils traités depuis le début comme des animaux privés de raison.

Dès la conquête, sur ordre de Cortez, on les marquait au visage de la lettre G, au fer rouge, pour indiquer qu'ils étaient esclaves de guerre. On les marque aujourd'hui du nom de leur propriétaire.

    Juan Gines de Sepulvada (1490_1573)

Juan Gines Sépulvéda

Juan Gines de Sepulvada (1490_1573) est lui aussi un  homme d'église espagnol. Il devient prêtre en 1537. Il a fait ses études dans les universités de Cordoue et Bologne et s'est spécialisée dans la philologie. Ses oeuvres Histoire de la conquête du Nouveau Monde et Des Justes causes de la guerre font de lui le défenseur de la colonisation et de l'esclavage.

On tressera des couronnes à l'Espagne pour avoir délivré la terre d'une espèce sanguinaire et maudite. Pour en avoir amené certains au vrai Dieu. De leur avoir appris tout ce que nous savons. Et surtout, on reconnaîtra nos efforts pour faire apparaître la vérité !

On notera que Las Casas est un homme d'action, un voyageur, il est le seul qui dans la l'assemblée connaît les Indiens alors que Sépulvéda est un homme d'étude, qui n'est jamais allée aux Amériques. Il est chroniqueur de l'empereur et précepteur de l'Infant, le futur Philippe II d'Espagne. Seul Las Casas connaît le Nouveau Monde, lui seul connaît bien les Indiens. Sépulvéda parle donc des Indiens par ouïe dire et prête foi parfois aux rumeurs les plus fantaisistes, légendes et croyances sans fondement. Il fait preuve de préjugés.  Ainsi, il dénie aux indiens l'intelligence, les connaissances techniques, l'accès à l'art. Or Cortez lui-même en arrivant à Mexico a écrit au Roi qu'il n'a jamais rien vu d'aussi beau et d'aussi grandiose même en Espagne !

Le sauvage n'a pas le sens du beau, nous le savons. Esclave de naissance, l'accès à la beauté lui est par nature interdit.

Las Casas rétorque en montrant que, bien que païens, les indiens ne sont pas des hommes inférieurs mais des êtres intelligents, organisés en état. Ils montrent leur supériorité dans de nombreux domaines et ceci même sur la civilisation espagnole.

Et leur système d'irrigation ? Et leur écriture ? Et leur arithmétique ? Et leur habileté dans le dessin ? Et leur avancée dans la médecine, où ils savaient mieux lutter que nous contre la douleur ! Et leur connaissance du ciel, leur calendrier qu'on dit plus précis que le nôtre !

*

Las Casas a proposé une réforme au roi en commençant par demander la suppression des encomiendas, terres livrées aux colons avec ses habitants qui deviennent esclaves, il pose la question de la reconnaissance de ceux-ci comme hommes libres travaillant pour un salaire. Mais comme ces propositions vont à l'encontre des intérêts des colons et de la couronne d'Espagne, outre que ces nouvelles lois n'ont pas été appliquées la plupart du temps, cette défense des Indiens aboutira à une autre iniquité : l'esclavage des noirs pour travailler dans les colonies espagnoles d'Amérique !