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lundi 29 août 2011

Retour de vacances: Avignon, Marseille, Lozère, Creuse, Lille, Creuse, Lozère, Avignon

Retour à Avignon
Et me voilà de retour après des vacances bien remplies et mouvementées.

  Le mois de Juillet a été consacré au festival d'Avignon.

 J'ai vu beaucoup de pièces de théâtre que j'ai commentées dans mon blog et si  je dois faire mon palmarès, je placerais parmi mes coups de coeur, une pièce dans le IN : Kristin d'après Mademoiselle Julie de Strinberg
Une pièce pour enfants vue avec ma petite fille de 15mois : Onda prima

Départ en Lozère via Marseille

 Ruisseau lozérien

Fin du mois de Juillet ; déménagement de Marseille vers la Lozère  ma fille Aurore, la Petite Dernière qui part aux Etats-Unis pour un an.
Début août :  Avignon de nouveau pour les ultimes préparatifs du voyage puis pour la mettre à l'avion  à l'aéroport de Marseille.
Août : Retour en Lozère avec ma fille Aurélia - la Plus Grande -, Yannick  et ma petite fille Léonie

 Mi-août départ en Creuse rejoindre ma fille Amandine (la moyenne, vous vous y retrouvez? Heureusement il y en n'a que trois!))  et  Pierre pour donner un coup de main pour la restauration de leur maison.

 Une vieille maison entourée de granges dans un petit hameau creusois

Une vieille maison peuplée de fantômes, pleine de souvenirs





Robes de fillettes


Détails broderies



 Un Saint veille dans le jardin



Un habitant bien vivant de la maison (mais pas des plus actifs, il faut le reconnaître!)
photos d'Amandine

 Travaux intensifs, apéros le soir dans le jardin après le boulot devant de magnifiques couchers de soleil. Récurage des joints du plancher de la salle de bain. A genoux! Si vous n'avez pas de rhumatismes avant, vous en aurez après :  Garanti!  Pêche à l'écrevisse dans la rivière de la Creuse. Bataille rangée avec une de ces bébêtes récalcitrantes qui ne voulait pas mourir et s'est carapatée dans la salle à manger. Gâchées de ciment ou de chaux pour les forts en bras! Réfection du plancher de la grange ...  ça avance, avance! En fait, j'adore la restauration de cette vieille maison. J'aimerais pouvoir en faire plus mais je ne peux me charger que des petits travaux. Remise solennelle de La patate d'Or à mon petit neveu, vaillant combattant du Monstre Patator. Orage de grêle violent qui a détruit le si joli jardin d'Amandine; une citrouille sauvée, pourtant, pour le carosse de Cendrillon.
Un nouveau déménagement, cette fois-ci de la Creuse vers Lille et vice versa pour déménager le reste des affaires restées en garde-meuble à Lille après les études de la Petite Dernière. 1800 km en deux jours! Bravo au conducteur du camion  qui a conduit vaillamment  et sans faiblir pendant ce long voyage ( pas moi j'en aurais été bien incapable), père dévoué voire père pélican .. un peu flagada au retour à Avignon  après environ 4000 km de trajet total et deux déménagements!  En espérant qu'il va pouvoir se reposer après les "vacances" d'été!

Avec toutes ces péripéties, je n'ai pas pu m'occuper beaucoup de ma Librairie; heureusement, j'avais programmé des articles de mon ancien blog.
  Je n'ai pas  eu non plus le temps de lire énormément, vous vous en doutez! Voici les livres du mois d'août :

Rentrée littéraire avec :

Amalia Albanesi de Sylvie Tanette 











Famille modèle de David Puchner



 




Le testament de Ben Zion Avrohom de James Frey










Une LC avec Canel 

Tokyo de Mo Hayder









et un roman que je termine pour la lecture de Calypso et dont le titre doit comporter le mot soleil  :


Laurent Gaudé : Le soleil des Scorta









Et voilà pour mon été! A mon tour de venir lire vos aventures.

JMG Le Clezio : Poisson d’or



Poisson d'or de JMG Le Clézio se présente comme un conte et s'ouvre avec le proverbe nahuatl (Aztèque) : "Oh poisson, petit poisson d'or, prends bien garde à toi! Car il y a tant de lassos et de filets tendus pour toi dans ce monde."
Le poisson d'or englué dans les filets de ce monde aussi dangereux qu'un océan, c'est Laïla. Petite fille, elle a été volée à sa tribu des Ouled Halil, le peuple au croissant de lune,  qui vit dans le sud marocain dans la région de Foum Zguid. Vendue à une vieille dame, Lalla Asma, pour qui elle travaille et  qui devient à la fois sa maîtresse et sa grand-mère, elle va faire son apprentissage dans la grande ville ayant tout oublié de son enfance. Seul souvenir, celui du rapt brutal, violent, inattendu, un  grand sac qui se referme sur elle et le cri déchirant d'un oiseau noir qui marque le moment décisif de son existence où elle a été dépossédée de son identité. Car c'est cela l'histoire de Laila. A travers toutes ses aventures, ses tribulations, ses exils en France ou aux Etats-Unis, c'est une quête à la recherche de son identité car personne ne peut vivre sans racines. Comme dans un conte initiatique,  l'héroïne va devoir partir, subir de nombreuses épreuves pour réparer le manque qui lui a enlevé jusqu'à son véritable nom.
Le roman s'apparente donc à un roman d'apprentissage, à un roman picaresque aussi, car Laila dans ses voyages incessants à la recherche d'elle-même, va connaître bien des aventures difficiles, douloureuses parfois, va subir la faim, les privations, la peur, l'exploitation. Elle sera obligée pour survivre d'utiliser toutes ses ressources, de ne compter que sur elle-même, parfois sauvée, pourtant, mais jamais bien longtemps, par une main secourable. Le roman nous présente un monde qui n'est pas tendre pour les pauvres, qui écrase les faibles.
Le style de ce roman est d'une  grande simplicité. Les lecteurs qui ont aimé le Le Clézio, première manière, avec son lyrisme, ses emportements, en seront pour leur frais. La phrase coule comme de l'eau limpide; aucun effet inutile. On dirait que l'auteur essaie de s'effacer devant son personnage. Mais sous cette simplicité, quel travail contenu et maîtrisé, quelle science du récit!
Témoin cet extrait qui se situe au moment où Laila dont la grand-mère, Lalla Asma, vient de mourir, s'enfuit de la maison. Elle est accusée par Zorha, la belle-fille de Lalla Asma, d'avoir laissé mourir la vieille dame et menacée d'être livrée à la police. Elle se réfugie dans la cour d'un immeuble, chez madame Jamila qu'elle a rencontrée auparavant et qu'elle prend pour une sage-femme. Là, un marchand l'accuse d'avoir volé des raisins.
Au même moment, madame Jamila est arrivée, et les dames de l'étage se sont penchées au balcon et ont commencé à invectiver le marchand ambulant, en lui criant des injures que je n'avais jamais entendues. Et même, une des princesses, ne trouvant rien de mieux comme projectiles, lui lançait des piécettes de dix ou de vingt centimes, en lui criant :"Tiens, voilà, ton  argent, voleur, fils de chien !"Et lui restait, hébété, reculant sous les lazzis des femmes et sous la pluie de piécettes, jusqu'à ce que madame Jamila me prenne dans ses bras et m'emmène avec elle vers l'étage. Je crois que j'avais dans les mains les poignées de raisins secs que je n'avais pas lâchées, même quand le marchand m'avait tirée les cheveux et m'avait battue avec sa courroie.
Mais j'avais si peur tout à coup, ou bien c'était l'accumulation de tout ce qui était arrivé ces derniers temps, avec Lalla Asma qui était tombée sur le carreau et Zohra qui m'avait chassée en me volant les boucles d'oreilles qui m'appartenaient. Je me suis mise à pleurer dans l'escalier si fort que je n'arrivais plus à monter les marches. Et madame Jamila qui n'était pas plus grande que moi m'a vraiment portée jusqu'en haut comme si j'étais un petit enfant. Elle répétait contre mon oreille: "ma fille, ma fille" et moi je pleurais encore plus, d'avoir , le même jour, perdu ma grand-mère, et trouvé une maman.
En haut de l'escalier, les princesses (car c'est ainsi que je les appelais au fond de moi, même quand j'ai compris qu'elles n'étaient pas précisément des princesses) m'attendaient avec mille caresses et démonstrations d'amitié. Elles m'ont demandé mon nom, et  elles le répétaient entre elles : Laila, Laila. Elles m'ont apporté du thé fort et des pâtisseries au miel, et j'ai mangé tant que j'ai pu.Ensuite elles m'ont fait un lit dans une grande pièce sombre et fraîche, avec des coussins disposés par terre, et je me suis endormie tout de suite dans le brouhaha de l'hôtel, bercée par le grincement de la musique d'un poste de radio dans la cour. C'est ainsi que je suis entrée dans la vie de madame Jamila la faiseuse d'anges et de ses six princesses.
Le Point de vue de l'enfant

Ce récit se fait sous le point de vue d'une petite fille et le style qui épouse le vocabulaire et les sentiments de la fillette est le reflet de sa naïveté,  de sa vision incomplète et approximative du monde.
Un style et un vocabulaire enfantin  :
les "dames" de l'étage;  et moi je pleurais encore plus... trouvé une maman; des injures que je n'avais jamais entendues; j'ai mangé tant que j'ai pu... Lalla Asma qui était tombée sur le carreau
une vision manichéenne :
il y les bons: madame Jamila, les dames de l'étage, les princesses
et les méchants : Zorha qui m'avait chassée en me volant mes boucles d'oreilles; le marchand..
Une vision du monde qui s'apparente au conte de fées :
avec des personnages hors du commun : les six princesses, madame Jamila,  protectrices dotées d'une force extraordinaire qui font fuir l'ennemi : et lui reculait, hébété sous les lazzis des femmes,  des héroïnes capables d'accomplir des exploits : et madame Jamila qui n'était pas plus grande que moi m'a vraiment portée jusqu'en haut.. des dames parées de toutes les qualités, semblables à des marraines-fées :
la pluie de piécettes qui suggére abondance, richesse, générosité
elles m'attendaient avec mille caresses et démonstrations d'amitiés..
Un décor de conte, une caverne d'Ali Baba :
du thé fort et des pâtisseries au miel ; une grande pièce sombre et fraîche, avec des coussins disposés par terre; bercée;  la musique.....

Mais derrière l'enfant,  un autre point de vue, celui de la narratrice, plus âgée, qui corrige le point de vue de l'enfant :
car c'est ainsi que je les appelais au fond de moi, même quand j'ai compris qu'elles n'étaient pas précisément des princesses;
la faiseuse d'anges et ses six princesses...

et  l'art de l'écrivain qui suggère, qui laisse entrevoir une toute autre réalité :

La réalité des personnages :
On devine aisément qui sont ces"dames" qui se donnent en spectacle au balcon de l'étage, qui  invectivent, crient des injures grossières, envoient des projectiles, sont capables de faire reculer cet homme sous les lazzis vulgaires
Madame Djamila , accoucheuse, avorteuse, mais aussi maîtresse de la maison, patronne des filles comme le souligne le possessif : "ses" six princesses.
La réalité du décor :
un hôtel  de passe  dans un quartier populaire : un  lit improvisé à même le sol, le brouhaha, le grincement de la musique, la radio dans la cour
La réalité d'une enfance triste , misérable  et sacrifiée :
Une petite fille sans parent, qui vient de perdre son seul soutien, sa grand mère,  effrayée, chassée de chez elle, affamée,  battue... Une enfant malheureuse qui ne sait plus ce qu'elle fait, qui souffre...
Je crois que j'avais dans les mains les poignées de raisins secs que je n'avais pas lâchées, même quand le marchand m'avait tirée les cheveux et m'avait battue avec sa courroie ; c'était l'accumulation de tout ce qui était arrivé ces derniers temps; Mais j'avais si peur tout à coup; Je me suis mise à pleurer ; je pleurais encore plus..
La tendresse de l'écrivain pour ces personnages du peuple :
Car l'amour que va rencontrer Laila, ce n'est pas chez les bourgeois aisés qu'elle va le trouver, mais chez madame Jamila et ses filles. Ces femmes considérées au plus bas de l'échelle sociale vont, en effet, donner à Laila leur amour, un foyer, la sécurité. Ce sont elles qui possèdent la vraie générosité car c'est celle du coeur. C'est pourquoi les piécettes qu'elles lancent sur le marchand ambulant peuvent bien figurer aux yeux de la fillette comme une pluie d'or, l'endroit où elles installent l'enfant, un palais des Mille et une nuits, le miel et les pâtisseries, un repas merveilleux. En ce sens, elles sont vraiment les marraines d'un conte de fées pour l'enfant.
Un très beau roman, donc!


Texte publié de mon ancien blog vers celui-ci.

dimanche 28 août 2011

Saint-John Perse : A présent je vais seul…

Saint John Perse


A présent laissez-moi, je vais seul.

Je sortirai, car j'ai affaire : un insecte m'attend

pour traiter. Je me fais une joie

du gros oeil à facettes : anguleux, imprévu,

comme le fruit d'un cyprès.

Ou bien j'ai une alliance avec les pierres

veinées-bleu : et vous me laissez également,

assis, dans l'amitié de mes genoux.

Eloges XVIII 1908  Gallimard

samedi 27 août 2011

Les plumes de l'été chez Asphodèle




Et voilà le dernier jour de Les Plumes de l'été ... dernier pour l'instant! Merci à Asphodèle d'avoir animé ce jeu qui lui a donné tant de travail. Je programme ce texte et viendrai voir les vôtres lundi, dès mon retour chez moi, à Avignon. 

Les mots en H qu'il fallait intégrer aujourd'hui m'ont donné bien du fil à retordre :


HÉSITER – HURLEMENT – HUMAIN – HÉLICOPTÈRE – HIRSUTE – HÉCATOMBE – HONNEUR – HONGROISE – HASCHISCH – HARMONIE – HUMBLE – HÉRISSON – HYPOTHÈSE – HUMILIATION – HANTER – HARIDELLE – HASARD – HYÉMAL (E) ou HIÉMAL(E) – HALO.



Petites voyageuses hirsutes

Légers hélicoptères, petites voyageuses hirsutes
Humbles ailettes,
            Hésitent et volètent
Plumetis d'oie, valse de l'air
Au hasard du souffle qui guette
Hérissons de duvet candide,
            Harmonie, ô soeurs lumineuses
        
 Fleurs du pissenlit…


Quand vient l'hécatombe hiémale
vous n'êtes plus qu'une hypothèse,
L'humiliation de l'absence
 Et un hurlement qui me hante
Le halo d'un saint qui s'efface
sur la fresque du temps qui passe
Une haridelle de la vie,
le souvenir d'un souvenir
            Le souvenir d'une Harmonie,           

Fleurs du pissenlit


Quand l'humain en moi se dissout
Résine dorée
    qui m'englue
Valse hongroise puis bacchanale
Honneur perdu de mon esprit,
Haschish, mot qui crisse et qui crache
Triste est la fleur du cannabis
            Fleurs du Mal, ô fleurs ténébreuses


Alors, du Temps, les voyageuses
humbles ailettes au souffle qui guette
Plumetis d'oie, neige éphémère
Petits soleils de mon enfance
Je pense à vous...
            Harmonie, ô soeurs lumineuses

Fleurs du pissenlit





vendredi 26 août 2011

Kundera : La plaisanterie


Je viens de lire La Plaisanterie (1967) de  Milan Kundera dans une traduction révisée  par Claude Courtot et l'auteur lui-même.  Milan Kundera explique, en effet, qu'il a été horrifié par une  première traduction française qui ne respectait pas son style et même réécrivait le roman. C'est pourquoi  il a revu le texte français une première fois en 1980, une autre en 1985 avec l'aide de Claude Courtot. Dans une note à la fin de cette édition, il déplore que ce livre, sorti en France au moment de l'invasion de Prague par l'armée russe, n'ait été lu que d'un point de vue politique, dans l'éclairage de l'actualité et il ajoute : "Or aujourd'hui les rumineurs de l'actualité ont depuis longtemps oublié le Printemps de Prague ainsi que l'invasion russe. Grâce à cet oubli, paradoxalement, La Plaisanterie va pouvoir redevenir enfin ce qu'il a toujours voulu être : roman et rien que roman."
Hélas! j'ai bien peur -  pour moi qui viens de lire le livre si tôt après les révélations faites sur le passé de Kundera et sur sa possible dénonciation d'un jeune homme opposé au régime-  que l'actualité ne m'ait rejointe et c'est sous cet éclairage  politique que j'ai d'abord reçu ce roman!  Mais pas seulement! Car La Plaisanterie, on s'en rend compte assez vite, dépasse l'actualité et se révèle être une réflexion sur l'homme en général et sur le sens que celui-ci peut donner à sa vie.
Les premières questions qui viennent à l'esprit en lisant La Plaisanterie concernent les rapports de l'individu avec un régime totalitaire? Comment celui-ci est-il amené à adhérer à l'idéologie en place, sacrifiant parfois amitiés, amours, conscience? Qu'est-ce qui explique qu'une dictature puisse avoir un tel pouvoir sur l'individu? Pourquoi la délation est-elle une constante dans un tel système?
Comment ne pas voir, en effet, qu'un des thèmes centraux du récit est la trahison :
Dans La Plaisanterie, une jeune fille, Marketa, suit un stage de formation du parti. Son amoureux, un brillant étudiant communiste, Ludvik Jahn, lui envoie en guise de plaisanterie et pour se  moquer de son enthousiasme de néophyte, une carte avec quelques mots qui, pris au premier degré, font de lui un ennemi du régime. Commencent alors la mise à l'écart, l'inexorable défection des amis, leur trahison, sa condamnation lors d'un procès mené par un autre étudiant Pavel Zamenek, jusque là son ami. Ludvik, exclus du parti, interdit d'études, est envoyé à l'armée, dans un corps disciplinaire qui rassemblent les ennemis du régime, et doit travailler à la mine. Sa vie, brisée, va être désormais marquée par la haine et la vengeance. L'intérêt du roman est encore renforcé par le changement de point de vue selon que Ludvik, Héléna, Jaroslav ou Kostka présentent le récit. Cette variation de focale permet de pénétrer dans la conscience de chacun et d'avoir plusieurs visions des évènements donc plusieurs "vérités".
Nous découvrons les facettes multiples et complexes des personnages et les motivations  de leur trahison qui révélent parfois les recoins les plus noirs de l'âme humaine :  l'intérêt, l'ambition, la fascination du pouvoir, le fanastisme autrement dit la certitude d'avoir raison et l'idée que la fin justifie les moyens, la lâcheté, l'égoïsme, la peur d'être mis au ban de la société ...  mais d'autres aspects, pourtant,  sont, à priori, tout à fait positifs : La révolte contre l'injustice, l'idéalisme, la fidélité à une idée, la foi en une société meilleure...  Ainsi Marketa n'a aucune honte d'avoir montré la carte de Ludvik Jahn aux camarades de la direction qui surveillent le courrier. Communiste, elle a foi dans le parti à l'égal d'un fanatique envers sa religion. Elle juge  le jeune homme coupable donc elle le dénonce mais, par honnêteté, elle refuse de céder à la pression de Pavel Zemenek,  qui, lui,  apparaît comme un vaniteux, ambitieux qui aime plaire et qui jouit du  pouvoir qu'il exerce sur les autres. Elle est prête à soutenir Ludvik s'il s'avoue coupable, agissant selon un stéréotype romantique un peu ridicule. Mais dans tous les cas, elle reconnaît au Parti le droit de surveiller ses pensées et sa vie privée puisque la réussite du communisme et du bonheur des peuples dépendent de ce contrôle. Tout se passe, en effet,  comme si le parti s'emparait de la conscience de l'individu qui ne s'appartient plus, perd son sens critique, sa liberté et devient conformiste par obligation ou par choix. Il doit se couler dans un moule et si, comme Ludvik, il n'y parvient pas tout à fait, les séances de critiques et d'autocritiques sont là pour le remettre dans le droit chemin. C'est ainsi que Ludvik se voit reprocher des "résidus d'individualisme", "son mauvais comportement avec les femmes" "sa froideur envers autrui".
"Et comme une étrange fatalité, un tel germe veillait sur la fiche de renseignements de chacun, oui, de chacun d'entre nous."  
Le roman est donc une analyse fouillée de la manière dont un régime totalitaire broie l'individu dans une société où  la victime finit toujours par se sentir coupable et par collaborer avec son bourreau et cela quel que soit le pays ou l'origine de la dictature, communisme, nazisme, totalitarisme religieux ...  et cette desciption n'est donc pas seulement liée à l'histoire de Prague et de la Tchécoslovaquie.
Mais le roman est aussi une réflexion générale sur la vie, sur la vacuité de l'existence, la déréliction des individus dans un monde que ne semble être qu'une gigantesque farce, vision pessimiste et noire d'une société où l'amour semble impossible, où l'amitié ne peut survivre, où la souffrance est intense mais profondément inutile et surtout pas rédemptrice. Même la haine échoue car Ludvik, incapable d'aimer  -il brutalise Lucie et la perd - est animé par une haine qui reste sa seule raison de vivre mais qui lui échappe :
"Comment lui expliquer que je peux pas me réconcilier avec lui?(Zamenek) Comment lui expliquer qu'en le faisant je romprai mon équilibre intérieur. Comment lui expliquer que ma haine envers lui contrebalance le poids du mal qui est tombé sur ma jeunesse.. Comment lui expliquer que j'ai besoin de haïr""
Son ennemi a changé de camp et reconnaît ses torts, tous les idéaux de sa jeunesse se dégonflent comme des ballons de baudruche, même le vocabulaire véhiculant des idées pour lesquelles il a tant souffert, n'a plus cours. La jeune maîtresse de Zemenek juge que c'est un vocabulaire de vieux. L'art populaire qu'il a défendu avec son ami musicien Jaroslav ne rencontre que désintérêt; la jeunesse sans idéal, bruyante et vulgaire, se saoule dans les bars.
Il y a un ironie féroce dans ce roman. La vie est absurde : Ludvik passe à côté de l'amour véritable, celui de Lucie, trop habité par la haine qu'il cultive en lui. Sa "vengeance" pitoyable et mesquine envers Zemenek se retourne contre lui -encore une autre mauvaise plaisanterie- et c'est justice puisqu'il se sert d'Héléna comme d'un objet, sans avoir aucune considération pour ses sentiments. Héléna rate lamentablement son suicide. L'on ne sent aucune tendresse de l'auteur pour ses personnages. Il les maltraite constamment, les amène jusqu'au bout de leur vie pour mieux nous faire ressentir combien ils sont passés à côté d'elle en privilégiant ce qui est secondaire et non ce qui est essentiel. Ludvik en fait le constat lucide :
"Nous vivions Lucie et moi dans un monde dévasté; et faute d'avoir su le prendre en pitié, nous nous en étions détournés, aggravant ainsi et son malheur et le nôtre. Lucie si fort aimée, si mal aimée, c'est cela que tu es venue me dire au bout des ans? plaider la compasion pour un monde dévasté?"
Jaroslav lui-même, le personnage le plus sympathique du roman rate sa mort car celle-ci, non plus, n'a pas de sens "et l'idée m'envahit qu'un destin souvent s'achève avant la mort, que le moment de la fin ne coïncide pas avec celui de la mort.." 
Ce qui a paru avoir une signification se vide de son contenu et c'est en cela que La Plaisanterie rejoint l'universel car le roman pose la question qui est celle de tout homme au moment du bilan: pourquoi ai-je vécu?

jeudi 25 août 2011

La Voleuse de livres de Markus Zusak


La Voleuse de livres de Markus Zusak a reçu le prix Mille pages de la Jeunesse mais que l'on ne s'y trompe pas, ce livre n'est pas seulement destiné aux enfants, il peut être lu par tous et a une portée universelle. Il parle d'enfants de milieux modestes qui sont apparemment comme tous les autres, allant à l'école, se bagarrant avec les copains, jouant au football dans les rues du quartier, voleurs de pommes à leurs heures. Mais voilà! Nous sommes en Allemagne en 1939, les filles et les garçons sont enrôlés dans les jeunesses hitlériennes et apprennent le culte du Fürher et lorsque la guerre éclate l'apocalypse se déclenche.
Pas étonnant, alors, que ce soit la Mort qui prenne la parole et "Quand la Mort vous raconte une histoire vous avez tout intérêt à l'écouter." Le ton est donné! Surtout que nous ne sommes pas loin de Dachau et qu'il est impossible à tous d'ignorer le sort réservé aux juifs, que le père de Liesel, communiste, a disparu, que celle-ci voit mourir son petit frère dans le train qui l'amène chez des inconnus et que sa mère l'abandonne, pour la sauver, bien sûr, avant d'être déportée à son tour... mais quand on est une fillette d'à peine plus de neuf ans, peut-on accepter cela? Ce n'est pas sans souffrances qu'elle comprendra peu à peu ce qui se passe autour d'elle et pourra porter un jugement.
Pourtant Liesel, dans son malheur, va être entourée d'amour et de compréhension. Rosa et Hans Huberman, les parents adoptifs sont de magnifiques figures, extrêmement attachantes. Surtout le père, Hans Huberman, un simple ouvrier, qui entoure Liesel de son affection et lui apprend à lire. Si la petite voleuse de livres a commencé sa carrière dans le cimetière où elle a enterré son frère, (je vous laisse découvrir le titre du premier livre qu'elle a volé!) elle continuera par la suite pour satisfaire son amour de la lecture.. D'autres personnages aussi sont très réussis, d'une grande humanité, le jeune voisin, un garçon aux "cheveux jaune citron", nommé Rudy, Max, le juif que les Huberman cachent dans leur cave au péril de leur vie. C'est ce que j'aime particulièrement dans ce roman : au milieu du désespoir le plus noir, l'espoir survit grâce à l'amour. A la fin de sa vie, Liesel revoit "la longue liste des existences qui s'étaient mêlées à la sienne. Parmi elles, lumineuses comme des lanternes, il y avait Hans et Rosa Huberman, son frère, et le garçon dont les cheveux auraient à jamais la couleur du citron."
 Et puis il y a la Mort, personnage omniprésent, qui voit tout, qui sait tout de notre pauvre humanité, de notre folie, de la barbarie dont sont capables les hommes et si ses commentaires sont parfois d'un humour macabre, son récit retentit tristement, douloureusement, imprégné d'une lassitude infinie.
Ainsi l'originalité dont fait preuve l'écrivain en plaçant la Mort au centre du roman, en la choisissant comme narrateur, n'est pas gratuite. Elle renforce l'intensité dramatique du récit, elle nous permet de ne pas rester spectateur extérieur à l'action. Elle nous fait pénétrer dans les consciences, lire les pensées intimes des gens, assister sur tous les fronts, dans tous les pays en même temps, à la folie meurtrière engendrée par la terrible idéologie nazie. L'inversion des rôles, c'est la Mort qui a peur et non le contraire, pour être surprenante et humoristique, n'en est pas moins très forte. Elle permet d'accentuer encore l'horreur de ce qui s'est passé pendant la seconde guerre mondiale et cela justifie le propos général du roman qui est résumé par le jugement de la Mort sur l'Humanité :

"J'aurais voulu parler à la voleuse de livres de la violence et la beauté, mais qu'aurais-je pu dire qu'elle ne sût déjà à ce sujet? J'aurais aimé lui expliquer que je ne cesse de surestimer et de sous-estimer l'espèce humaine, et qu'il est rare que je l'estime vraiment. J'aurais voulu lui demander comment la même chose pouvait être à la fois si laide et si magnifique, et ses mots et ses histoires si accablants et si étincelants."

Un beau livre donc, au style surprenant, poétique mais non dénué d'ironie, où la tendresse alterne avec la cruauté.

A propos de La Voleuse de Livres j'ai découvert une interview très intéressante de l'écrivain australien sur le site :  Oh! éditions.
En voici un passage :
"Parlez-nous du personnage de la Mort.
Je voulais que la Mort soit à la fois différente et semblable à nous. Je voulais que la Mort fasse partie des grands éléments, au même titre que le ciel, les nuages, les arbres. Je voulais aussi qu’elle soit vulnérable. Elle a beaucoup de points communs avec les hommes, notamment leur face sombre. Une fois, je l’ai décrite effrayée par les hommes, je sais que j’avais le ton juste, bien que ce renversement de situation soit inattendu : pour une fois, c’est la Mort qui avait peur des hommes et non pas, comme c’est souvent le cas, l’inverse."
Le thème de l'amour contrepouvoir de la Mort :
"Dans La Voleuse de livres, la Mort dit nous raconter l’histoire d’une petite fille. Mais ne croyez-vous pas qu’un des messages du roman – au-delà de l’histoire – est la façon dont l’amour et la bonté peuvent avoir une sorte de pouvoir sur la mort ?
Je me suis essentiellement concentré sur le fait que l’homme porte en soi à la fois une grande beauté et une grande monstruosité, et tout notre combat est de faire émerger la beauté dont on est détenteur. Je crois, comme le dit le vieil adage, que la mort donne à la vie tout son prix. Savoir que nous ne sommes pas ici pour toujours nous fait apprécier les choses et ce sont souvent les démonstrations de bonté et d’amour qui, à la fin, nous définissent."
Voir le reste de l'interview en cliquant sur le lien:
http://www.oheditions.com/spip.php?page=interview&id_article=71



mardi 23 août 2011

Julia Leigh : Ailleurs


 Le livre de Julia Leigh Ailleurs est très serrée, condensé. Il tient plus de la nouvelle que du roman : peu de développement, pas d'analyse psychologique, pas d'explication ou si peu mais les faits bruts, denses, présentés avec une grande intensité. De cette brièveté, de cette épuration du style, naît la force du récit.
Les faits : dans une vaste demeure, en France, où vit la grand mère et ses serviteurs, arrive une femme, venue d'Australie, avec ses enfants. Elle fuit la brutalité de son mari en se réfugiant chez sa mère.  Son frère, accompagné de sa femme portant un petit "paquet" dans les bras, vient bientôt les rejoindre.
Les personnage principaux sont rarement nommés par leur prénom surtout Olivia qui est désignée comme "la femme", Andrew et Lucy comme "le petit garçon", "la petite fille". C'est presque comme s'ils étaient désincarnés ou plutôt comme s'ils étaient entre parenthèses, dans un lieu entre vie et mort, les limbes. Par contre la petite morte, l'enfant qui n'a pas eu le temps de vivre, accède au statut de personne par son prénom, Alice.
Le récit est encadré par deux paysages : L'un, aux couleurs délavées, représente "une campagne  sans relief, laide", plate. Situé au début de l'histoire, il correspond à l'arrivée de la femme avec ses deux enfants dans la demeure familiale, devant un portail fermé qui ne veut pas s'ouvrir pour l'accueillir.  L'autre, à la fin du récit, est le  jardin "animé et transformé par la lumière du soleil", au milieu des arbres taillés, des parterres de roses, de lotus; il représente le renouveau, l'espoir qui renaît en chacun d'entre eux, avec l'acceptation de la mort. il faut  en effet, ce sacrifice pour que tous puissent se remettre à vivre.
Entre les deux, une impression d'étouffement morbide, de trouble, de désespoir. Tous  les adultes sont blessés dans leur corps, dans leur âme. La plupart du temps ils sont vus à travers le regard du petit garçon, et c'est pourquoi ils paraissent  incompréhensibles, secrets. Parfois, pourtant, le narrateur permet au lecteur de surprendre des conversations qui lui donnent quelques clefs pour comprendre. L'enfant, lui, manque de repères, il est pris dans la violence de  sentiments qui le dépassent d'où  son désir de fuite pour se sauver lui et sa soeur. De là vient parfois l'étrangeté qui oblige le lecteur à suppléer par l'imagination aux lacunes volontaires du récit.
Le récit joue ainsi sur le fil du rasoir, il est toujours en suspens au bord de l'abîme et crée une sensation de malaise jusqu'au dénouement. Beaucoup de force dans ce roman!


lundi 22 août 2011

Jim Thompson : Le lien Conjugal


Le Lien conjugal de Jim Thompson est un roman noir qui offre une vision pessimiste de l'humanité : gangsters sans scrupules, meurtriers sans états d'âme, sans code de l'honneur en vigueur pourtant, à ce qu'on dit, dans le milieu. Dans ce roman, on tue celui qui fut un partenaire s'il a cessé de vous convenir ou de vous servir, ou si l'on commence à avoir des doutes sur lui... et les doutes ne manquent pas.
Carter Mc Coy, dit Doc, vient de sortir de prison et organise un braquage avec l'aide de sa femme, Carol, de son associé Ruddy Torrento et d'un "bleu" qui apprend le métier mais sera supprimé à la première occasion.
Les trois personnages vont fuir dans une course à travers les Etats-Unis qui doit les amener à franchir la frontière. Si Ruddy Torrento surnommé Crâne de Tarte en raison de sa tête aplatie, est une brute primaire mais dangereuse, marquée par une enfance aux mains de tortionnaires, Doc représente le cerveau. Il est réfléchi, intelligent, chanceux et sympathique et sait utiliser ses qualités pour gagner les gens à sa cause, endormir la méfiance. Il est très amoureux de sa femme et réciproquement; Carol n'a pas plus de scrupules que lui lorsqu'il s'agit de se débarrasser de ceux qui les gênent. Mais la méfiance va naître entre eux et ils vont arriver à avoir peur l'un de l'autre.
L'auteur témoigne d'une grande maîtrise d'écriture, en particulier, pour ne citer qu'une scène, lorsque Carol, obligée de se cacher dans une caverne, pénètre dans un boyau rocheux, long et étroit, et doit y demeurer, allongée, pendant quarante-huit heures dans une obscurité  totale. Elle est alors en proie  - et le lecteur avec elle- à une crise de panique insurmontable. Le style est si précis, si violent, faisant appel à tout le vocabulaire des sens, que nous sommes plongés dans l'angoisse, suffoquant comme si nous étions enfermée vivants dans un cercueil dont il serait impossible de soulever le couvercle.
La plus grande partie du roman est très réaliste mais finit en fable : Le manipulateur sera manipulé, trouvera plus fort que lui et recevra le juste châtiment. Ainsi, le couple Mac Coy parviendra à atteindre un pays sur lequel règne un tyran qui les oblige à dépenser toute leur fortune pour lui, les déshumanise toujours un peu plus, jusqu'au moment où, ruinés, ils finiront par être rejetés et détruits. Vision d'une société avide de profit, qui ne s'intéresse qu'aux riches, qui exploite les individus, les pousse à la consommation avant de les consommer eux-mêmes quand ils n'ont plus de raison d'être! Vous avez dit... Capitalisme?

dimanche 21 août 2011

Pablo Neruda : Oh! long Train de Nuit


Paul Delvaux : Le viaduc


Oh! long Train de Nuit
souvent
au Sud en direction du Nord,
au milieu des ponchos mouillés,
des céréales,
des bottes que la boue raidit,
en Troisième,
tu as déroulé la géographie.
C'est peut-être alors que j'ai commencé
la page terrestre,
que j'ai appris les kilomètres
de la fumée,
l'étendue du silence.
Pablo Neruda : Mémorial de l'île Noire (1964. extraits)




Les compagnons Troubadours  de  Celsmoon:
Edelwe, Mango, Abeille, Emmyne, Chrestomanci, Mariel, Laurence , Ankya, Herisson08, Anjelica , George, Uhbnji , Fleur, Esmeraldae, Armande, Satya, Zik, Lystig, Amos, Bookworm, Emma, Julien, Marie, Yueyin , Soie , Alex , Hambre , Katell , Mathilde, Schlabaya, Hilde, Saphoo, La plume et la page, Tinusia, Chrys, Roseau, MyrtilleD, Cagire, Caro[line], L’or des chambres, Violette, claudialucia, Séverine, Maggie, Sev, Azilis.

Poème publié dans mon ancien blog

samedi 20 août 2011

Tom Wolfe : Un Homme, un vrai


Tom Wolfe a dit de lui-même qu'il voulait être "le greffier du siècle" et il s'appuie pour cela sur un énorme travail de documentation. Avec son roman paru en mai 2000 sous le titre "A man in full" traduit par : "un Homme, un vrai", il rédige donc un roman réaliste à la Zola, écrivain qu'il admire et dont il a parfois les outrances mais aussi le talent, une oeuvre pourtant bien ancrée dans notre temps.
Ici, c'est la ville d'Atlanta et sa population dont Tom Wolfe dresse les actes en "greffier" méthodique. Le tableau de cette ville du Sud, marquée par son passé malgré son gigantesque effort de modernisme et sa volonté évidente de concurrencer New York au niveau culturel et économique, est minutieusement brossé. Nous sommes amenés à visiter la ville, des plus basses couches sociales aux plus hautes, des zones les plus déshéritées où survit une population noire adonnée à la misère, la drogue et la violence aux beaux quartiers habités par les Blancs et dont le luxe défie l'imagination. Et ce clivage toujours existant entre les noirs plus nombreux (le maire est noir) et les blancs minoritaires mais qui possèdent l'argent, crée une situation explosive... Et donc, sur le point d'exploser, en effet, quand Le footballeur noir, Fareek Fanon, est accusé d'avoir violé une fille blanche de la haute société.
Le personnage central est Charlie Croker, d'origine modeste, promoteur immobilier de génie, devenu une des plus grandes fortunes de la ville mais que sa mégalomanie accule à la faillite, personnage fascinant d'une puissance extraordinaire, à la fois charismatique et odieux, arriviste et vulgaire, patron exploiteur qui licencie ses ouvriers sans aucun état d'âme, incarnant dans toute son horreur les relents du passé esclavagiste de la ville, machiste, homophobe, antisémite... et pourtant incontestablement courageux. C'est à lui que l'on va proposer ce marché : témoigner en faveur de Fareek Fanon ou perdre sa fortune.
Tout autour de lui gravite une foule de personnages principaux ou secondaires dont l'histoire nous est contée dans des chapitres parallèles selon le procédé cher à Tom Wolfe .
Il y a Inman Armholster, l'homme le plus riche et le plus en vue d'Atlanta, Roger II White (Roger Too White comme l'appelle ses camarades), avocat noir à qui ses frères de race reprochent d'être trop "beige", Wess Jordan, le maire de la ville qui a perdu ses illusions (et son honnêteté) quant à la politique, Raymond Peepgass, cadre secondaire d'une des grandes banques d'Atlanta, brûlant de prendre sa revanche sur les grands de ce monde, Harry Zale, collègue de Peepgass... Tout un peuple de vautours prêts à fondre sur leur proie dès qu'ils sentent une faiblesse chez elle et une occasion de gagner de l'argent sur son dos.
Enfin, vient Conrad Hansley, qui est le seul véritable être humain de ce roman finalement très pessimiste car il décrit des rapports humains qui ne sont régis que par l'argent, une société où l'amitié n'existe pas, où seule la position sociale a de l'importance.
Victime de Charlie qui le licencie de l'usine de congélation où il travaillait, Conrad va se retrouver en prison. C'est là qu'il s'efforce de rester un homme parmi des brutes sanguinaires qui ont perdu tout sens des valeurs et qui sont dressés pour le meurtre et le viol. Paradoxalement, c'est un livre sur les stoïciens qui va sauver Conrad et c'est avec Epictète que le jeune homme trouve la force de résistance nécessaire. Au milieu de cet enfer, la voix de ce grec venu d'au-delà des siècles retentit dans sa cellule d'une façon étrangement moderne. Et ces propos infiniment beaux guident le jeune homme qui est à mon avis celui qui donne le titre au roman : Un Homme, un vrai.
Je sais que mon interprétation est très personnelle et va à contre courant des critiques qui pensent que le titre fait référence à Charlie et à son attitude finale. Pour moi, le revirement de Charlie ne suffit pas à faire de lui "a man in full" et à effacer ce qu'il est réellement. D'ailleurs sa personnalité n'a pas changé puisque l'on apprendra, dans l'épilogue, qu'il se débrouille encore à faire de l'argent avec le discours d'Epictète. Non, l'homme véritable, c'est Conrad, celui qui a le courage d'affronter les pires conditions de travail dans l'entreprise de Charlie Croker pour nourrir sa famille, celui qui préfère être envoyé en prison plutôt que de plaider coupable alors qu'il est innocent, le seul qui se porte au secours du prisonnier violé par une brute, celui qui essaie toujours d'être en accord avec sa conscience.
Si parfois Tom Wolfe m'apparaît comme un peu lourd quand il veut faire passer certaines idées, je pense qu'il possède un réel talent dans l'art de construire un univers, de faire s'entrecroiser les fils de vies qui nous paraissent toutes non seulement crédibles mais aussi passionnantes.
Certes sa conception du roman est traditionnelle mais elle est pleinement réussie. A travers cet ouvrage, la société américaine est violemment mise en cause, avec ses monstrueuses inégalités, le racisme latent ou refoulé toujours prêt à refaire surface, le capitalisme sauvage qui foule aux pieds l'individu, les milieux financiers d'une âpreté impitoyable.
De plus, Tom Wolfe a l'art de peindre certaines scènes avec une telle puissance d'évocation que j'ai été complètement captivée, incapable de me décrocher de ma lecture. Je pense, entre autres, à la description du travail dans l'unité de congélation qui apparaît comme une antichambre de l'enfer ou aux scènes de délire collectif qui ont lieu la nuit dans la prison de Santa Rita.
Un bon roman dont la lecture est vraiment prenante et qui rend compte d'une réalité américaine bien loin de l'image édifiante que l'on veut nous en donner aujourd'hui.

Les plumes de l'été chez Asphodèle



Je suis toujours en vacances jusqu'au début Septembre  et je  n'ai toujours pas internet.  Je programme donc mon texte commançant par des mots en G.
GIRAUMON – GAMBADER – GARAGE – GIVRE – GARGOUILLE – GAMBIT – GALOP – GABARIT – GLORIOLE – GALIPETTE (S) – GALLINACÉ – GRILLE – GLAND – GROTESQUE – GEMIR – GOURMAND – GODILLOT – GRAVE – GRILLON – GALIMATIAS – GIROFLE –


La ronde des mots en G

Garage, Gabarit, Grillon
déclinent leur identité,
Gambit, Godillot, Giraumon
Chantent les mots en G

Quant à moi, grotesque gargouille
de mes yeux  de gallinacé
semblables aux glands d'un chêne altier
Du haut des tours de Notre-Dame
Je vous regarde gambader.

Des galipettes dans l'herbette
Des girofles et des giroflées

Vous qui aimez tant la gloriole
Au grand galop vous avancez
Gourmands de paroles et d'ivresse
 de galimatias, de promesses

Mais quand le givre sur vos têtes
Grave, vous a blanchi le chef
Derrière la grille du Temps
C'est alors que vous gémissez!

Fini galipettes dans l'herbe
Fini girofle et  giroflées

Garage, Gabarit, Grillon
déclinent leur identité,
Gambit, Godillot, Giraumon
pleurent les mots en G.


 Jeu d'écriture d'Asphodèle

vendredi 19 août 2011

Milan Kundera : L’ignorance



L'ignorance met en scène deux émigrés d'origine tchèque, l'une, Iréna, installée à Paris, l'autre, Josef, au Danemark. Tous deux se retrouvent dans l'avion qui va les ramener à Prague après vingt ans d'exil. Dans cette Tchéquie post-communiste, ils partent à la recherche de leur passé respectif, de leur famille, de leurs amis et de leurs souvenirs.
C'est le thème du Grand Retour à la manière d'Ulysse qui lui aussi pendant vingt ans n'a eu de cesse de regagner Ithaque et de retrouver Pénéloppe, le thème de la nostalgie glorifiée par Homère mais qui, somme toute, nous dit Milan Kundera, se révèle bien décevante car il est impossible de faire revivre le passé
"On ne comprendra rien à la vie humaine si on persiste à escamoter la première de toutes les évidences : une réalité telle qu'elle était quand elle n'est plus, sa restitution est impossible."
La mémoire est incapable de ressusciter le passé car elle n'a pas de dimension temporelle. Elle est figée sur des images immobiles qui ne se déroulent pas puisqu'elles n'ont pas la durée. C'est en vain, par exemple, que Josef va essayer de faire revivre les souvenirs de sa femme disparue.
Le roman de Kundera nous livre donc une réflexion sur la mémoire humaine pour en constater la pauvreté.
"Elle n'est capable de retenir du passé qu'une misérable petite parcelette sans que personne ne sache pourquoi justement celle-ci et non pas une autre, ce choix, chez chacun de nous, se faisant mystérieusement, hors de notre volonté et de nos intérêts"
Ainsi Iréna se souvient très bien de Josef qui était amoureux d'elle et à qui elle a renoncé pour épouser son fiancé, Martin, dont elle maintenant veuve. Elle a toujours eu l'impression d'être passée à côté du grand amour. Josef, lui, ne se souvient pas du nom d'Iréna même s'il feint le contraire par politesse d'abord et peut-être aussi par calcul, plus tard, pour mieux la mettre dans son lit. Comment expliquer ses particularités de la mémoire?
"L'un se souvient de l'autre plus que celui-ci ne se souvient de lui; d'abord parce que la capacité de la mémoire diffère d'un individu à l'autre(....) mais aussi parce qu'ils n'ont pas l'un pour l'autre la même importance.
Le retour d'Iréna et de Josef dans leur pays natal est donc un échec et ils vont de même échouer dans la tentative de nouer entre eux des liens amoureux. Chacun retournera dans son pays d'accueil avec la certitude d'avoir été floué. C'est ce qu'a dû éprouver Ulysse en rentrant auprès des siens.
Alors de quoi peut-on être certain? Cerainement pas de l'avenir qui se dérobe à nous :
 Toutes les prévisions se trompent, c'est l'une des rares certitudes qu'il a été données à l'homme. Mais si elle se trompent, elles disent vrai sur ceux qui les énoncent, non pas sur leur avenir mais sur leur temps présent; Pendant ce que j'appelle la première vingtennie (entre 1918 et 1938) les Tchèques ont pensé que leur République avait devant elle un infini. Ils se trompaient mais, justement parce qu'ils se trompaient, ils ont vécu ces années dans une joie qui a fait fleurir leurs arts comme jamais auparavant. Après l'invasion russe, n'ayant pas la moindre idée de la fin prochaine du communisme, de nouveau ils se sont imaginé habiter un infini et ce n'est pas la souffrance de leur vie réelle mais la valeur de leur avenir qui a pompé leurs forces, étouffé leur courage et rendu cette troisième vingtennie si lâche, si misérable.
Donc le présent est tout aussi difficile à appréhender que l'avenir.
L'homme ne peut être sûr que du moment présent. Mais est-ce bien vrai? Peut-il vraiment le connaître, le présent? est-il capable de le juger? Bien sûr que non. Car comment celui qui ne connaît pas l'avenir pourrait-il comprendre le sens du présent? Si nous ne savons pas vers quel avenir le présent nous mène, comment pourrions-nous dire que ce présent est bon ou mauvais, qu'il mérite notre adhésion, notre méfiance ou notre haine?
Ainsi, au final, la seule certitude que nous puissions avoir est celle de notre ignorance à propos du monde qui nous entoure et de ce que nous sommes.
Je viens de noter ici ce que le roman -du moins tel que je l'ai compris et reçu- signifie pour moi; maintenant, il y a ce que j'ai ressenti. Les deux livres de Milan Kundera dont je parle dans ce blog La Plaisanterie et l'Ignorance sont riches à analyser, on a l'impression de ne pas arriver à les saisir dans leur intégralité, c'est donc un plaisir pour l'intelligence; mais pas un plaisir pour les sentiments. Le pessimisme de Kundera est tel que je referme toujours ses romans avec le moral en berne. Les personnages sont affectivement desséchés, ils n'ont aucune chance d'être heureux, de trouver un sens à leur vie. Les rapports humains oscillent entre l'indifférence ou l'égoïsme, l'envie ou la haine. Les rapports amoureux sont fichus d'avance. Les femmes, parfois, veulent y croire, sont plus sincères, mais en vain. Elles apparaissent souvent comme des victimes des hommes, ceux-ci étant particulièrement odieux. Tous sont des êtres tourmentés, enfermés en eux-mêmes, dans un monde qui n'a rien à envier à l'enfer dantesque.

jeudi 18 août 2011

Alberto Manguel : Dans la forêt du miroir

Alice et le lapin blanc John Tiennel


Imaginer, ce n'est pas mentir. Imaginer, c'est quand on raconte une histoire vraie mais on sait qu'elle est fausse me dit mon petit-neveu qui a cinq ans. Un mot d'enfant?


Oui! Mais voilà ce que je lis Dans la forêt du miroir*: Essais sur les mots et sur le monde d'Alberto Manguel et ce sera la citation de ce jeudi :

Les enfants savent ce que la plupart des adultes ont oublié, que la réalité, c'est tout ce qui nous paraît réel. Que bien qu'on ne puisse nier le monde extérieur (ainsi que l'a démontré le Dr Johnson en frappant du pied une pierre), on peut par un éclairage et un arrangement nouveaux lui donner la signification que nous voulons.
*lecture en cours
la citation du jeudi initiée par Chiffonnette.

mercredi 17 août 2011

Comment peut-on être français? de Chahdortt Djavann



 Après La Muette  de Chahdorrt Djavann, écrivaine iranienne, réfugiée en France depuis 1993, voici 
Comment peut-on être français? Ce roman en partie autobiographique raconte l'histoire d'une jeune iranienne, Roxane,  arrivant à Paris pour fuir son passé et le fanatisme religieux de son pays.


Le roman débute comme un conte et finit en tragédie dans un glissement progressif vers la tristesse et la noirceur.
C'est d'abord l'arrivée de la jeune femme et sa découverte de Paris. Elle  se sent heureuse devant tant de beauté, exaltée de se sentir si libre, de pouvoir aller tête nue dans les rues de Paris sans être sous la surveillance de la police des moeurs ou sans craindre le harcèlement et la lubricité habituels des hommes de son pays. Paris, c'est d'abord pour elle, ces grands hommes qui se nomment Hugo, Molière, Voltaire, Balzac... Paris, ses monuments historiques, ses promenades au bord du fleuve,"l'or de toitures et des statues, les reflets de la ville dans la Seine", Paris et l'abondance de ses cafés, des bistros, des restaurants, Paris et ses supermarchés  regorgeant  de marchandises qui consacrent définitivement la différence entre le tiers monde et les autres pays .
"Pour Roxane qui avait rêvé des années de cette contrée magique, qui pour y arriver avait attendu des années et traversé des frontières à pied, ça n'allait pas de soi qu'il y eût des gens qui vivaient depuis toujours à Paris, des gens qui étaient nés à Paris. Une évidence si évidente était l'étrangeté la plus étrange qui fût pour Roxane.
Comment peut-on naître à Paris?"
Puis la jeune femme se trouve aux prises aux difficultés rencontrées par les immigrés.  Une vie étriquée dans une chambre de bonne de 10m2, des petits boulots qu'elle doit multiplier pour gagner seulement de quoi survivre. Elle découvre un art de vivre léger et agréable qui lui est refusé par manque de moyen financier et aussi parce qu'elle est marquée par une éducation qui  lui refuse le droit d'être heureuse :
"Qu'y a-t-il de mal, après tout, à vouloir jouir de l'existence? La misère, que je sache, n'est pas une vertu, mais un malheur. Les tartuffes qui font de la misère vertu pensent surtout à la vertu des autres et savent quant à eux se protéger de la misère."
Roxane s'attaque à l'apprentissage de la langue française qu'elle aime mais qui lui échappe car elle voudrait la vivre par l'intérieur comme si elle était française, pour oublier son passé iranien. Ses difficultés, ses doutes, l'angoissent et la rongent inexorablement. On ne peut se renier soi-même sous peine de se perdre.  Des allers-retours  par le souvenir entre la France et l'Iran, entre présent et passé  révèlent peu à peu le vécu  la jeune femme.  Ainsi au style allègre, humoristique du début  a succédé un  ton grave désespéré  : "je courais en avant pour fuir mon passé, mais il courait plus vite que moi, il m'a rattrapée."
Et pourtant, elle aime la France et surtout Paris  "Mon coeur est à Paris. C'est à Paris que je peux vivre. ". Mais ce qui lui pèse le plus dans notre pays, ce n'est pas le manque d'argent mais la solitude :
"Pour pleins de bonnes intentions qu'ils soient, beaucoup de français manquent d'attention et vous pouvez dépérir à côté d'eux, vous consumer à petit feu et glisser insensiblement à la dernière extrémité sans qu'ils s'en aperçoivent, vous gratifiant imperturbablement le matin d'un "ça va?" sans curiosité et le soir d'un "salut!" sans attente, trop préoccupés d'eux-mêmes ou trop accablés de soucis."
Au cours de ses études, elle rencontre Montesquieu et les Lettres Persanes. Ce texte est une révélation et elle décide d'écrire à l'auteur comme au seul ami qu'elle ait en France. Le prétexte des lettres est une dénonciation du totalitarisme religieux et de la violence qui est faite aux femmes en Iran. Le comment peut-on être persan? de l'un renvoie donc au comment peut-on être français? de l'autre. Comme Charles de Montesquieu critiquaient les persans pour mieux juger de la société française de l'époque, Roxane critique les français pour mieux s'attaquer au manque de liberté de la société iranienne. Ainsi les jeunes filles ou jeunes gens peuvent être arrêtés et emprisonnés pour indécence.
 "Les attitudes coupables sont en règle générale : une mèche de cheveux de la jeune femme qui dépasse, le maquillage de la jeune femme, le rire de la jeune femme en plein milieu d'une rue, car en pays d'islam la voix de la femme doit se faire discrète, l'échange d'un regard amoureux entre les  jeunes  mariés surpris par  l'oeil attentif d'un passdaran, ou encore le fait que les jeunes mariés aient eu la vulgaire idée occidentale de se donner la main."
"Bien que tout soit interdit dans ce pays, tout y est possible. La bourgeoisie petite ou grande, les riches nouveaux ou anciens boivent de l'alcool, baisent sans être mariés (mais sans jamais l'avouer), regardent les dvd et les chaînes câblées, font des fêtes ou hommes et femmes dansent ensemble. Dans les quartiers pauvres, cent fois plus nombreux et cent fois plus peuplés, la prostitution , l'héroïne, les trafics de tout genre, les viols de tout genre et surtout le viol des fillettes font des ravages."
Toutes les lettres de Roxane ne sont pas rédigées de la même manière même si elle s'identifie constamment à la Roxane des Lettres persanes. Elle a parfois le ton naïf d'une petite fille, s'excusant de ses fautes d'orthographe. Il ne faut pas oublier que la plume est  supposée tenue par une étudiante modeste s'adressant à un grand philosophe. Mais elles prennent bien vite un ton très juste lorsqu'elle parle de notre société de consommation, de l'égoïsme et de  l'individualisme du monde occidental. Et elles empruntent le style du pamphlet, révoltée et âpre, quand elle parle du régime des mollahs, et de la condition de la femme en Iran, des malheurs du peuple iranien.
Je pense qu'aucun lecteur ne peut rester indifférent aux propos de  l'écrivain.

Article publié de mon ancien blog Ma librairie vers  celui-ci.