Avis de Claudialucia
J'ai vu Kristin dans le cadre du festival In, une pièce créée par le metteur en scène Katie Mitchell et le vidéaste Leo Warner avec les comédiens du Schaubühne Berlin d'après Mademoiselle Julie de Strindberg. Et disons le tout de suite, c'est une réussite tant au point de vue de la réalisation technique que de l'esthétique du spectacle et de l'émotion qu'il procure au spectateur. Un spectacle qui combine étroitement deux arts, le théâtre et le cinéma, avec une égale maîtrise. Un coup de coeur!
Rappelons l'intrigue de la pièce de Strindberg.
Pendant la nuit folle de la Saint-Jean qui lâche la bride aux maîtres comme aux serviteurs, mademoiselle Julie séduit son domestique et/ou se laisse séduire par lui. Ils croient pouvoir bousculer les rapports de classes traditionnels, remettre en cause la hiérarchie sociale et s'imaginent s'enfuyant ensemble pour refaire leur vie au loin. Mais le lendemain de fête les ramène à eux-mêmes, chacun enfermé dans son rôle social et Julie se suicide.
Le serviteur, Jean, un jeune homme séduisant et ambitieux, beau parleur aussi, est fiancé à Christine, une servante qui joue un rôle secondaire dans la pièce. Katie Mitchell et Leo Warner s'emparent de ce personnage pour imaginer ce que la servante a vu, compris ou saisi de l'aventure entre sa maîtresse et son fiancé et quels ont été ses sentiments. Il a donc fallu, en fait, réécrire une nouvelle pièce où Kristin devient le personnage central, tout en restant le plus proche possible de celle de Strindberg.
Grâce à un ingénieux dispositif scénique, le décor de la maison de Julie qui se transforme par des panneaux coulissants entre intérieur et extérieur, on peut se rendre compte que Kristin est à même de voir et d'entendre ce qui se passe dans les pièces où elle n'est pas. Il en de même pour l'extérieur qu'elle observe d'une fenêtre. Si bien qu'elle suit, et avec quelle douleur rentrée! l'idylle qui se noue entre les jeunes gens, sans jamais pouvoir exprimer sa révolte, son humiliation, son chagrin, elle, servante soumise au pouvoir de sa riche maîtresse comme à celui de l'Homme, Jean, qu'elle sert avec dévouement.
Grâce à un ingénieux dispositif scénique, le décor de la maison de Julie qui se transforme par des panneaux coulissants entre intérieur et extérieur, on peut se rendre compte que Kristin est à même de voir et d'entendre ce qui se passe dans les pièces où elle n'est pas. Il en de même pour l'extérieur qu'elle observe d'une fenêtre. Si bien qu'elle suit, et avec quelle douleur rentrée! l'idylle qui se noue entre les jeunes gens, sans jamais pouvoir exprimer sa révolte, son humiliation, son chagrin, elle, servante soumise au pouvoir de sa riche maîtresse comme à celui de l'Homme, Jean, qu'elle sert avec dévouement.
En même temps que se déroule le drame au théâtre, celui-ci est filmé de près par plusieurs caméras qui suivent les comédiens. Le film se fait devant nous, projeté sur un écran au-dessus du décor, nous permettant d'assister à la représentation théâtrale et simultanément à la réalisation filmique! Un enrichissement certain pour le spectateur qui peut voir à la fois la scène de l'extérieur de la maison mais aussi de l'intérieur, dédoublement spatial absolument étonnant et qui nous éclaire sur les personnages. Grâce au film, le spectateur approche les comédiens de près, observe les gestes quotidiens de la servante qui confectionne un plat pour son fiancé, vaque à ses occupations, puis épie, traque avec obstination les amants. Par l'intermédiaire de gros plans sur son visage transparaissent tous ses sentiments; son silence, car la servante parle peu est plein de douleur et de reproche.
Quant au film qui se réalise devant nous, il faut d'abord souligner l'exploit technique qu'il représente, plusieurs caméras filmant au pied levé Kristin mais aussi sa doublure, et les doublures de ses mains, une Kristin démultipliée qui nous apparaît ainsi sous diverses facettes. Mais ce qui est saisissant, c'est la beauté du film, magnifié par de splendides éclairages, halos des lampes en cuivre qui crée des clairs-obscurs dignes d'un tableau de Rembrandt. Notons aussi la beauté du texte très poétique repris en allemand par une voix féminine puis masculine qui accompagne les images.
Quant au film qui se réalise devant nous, il faut d'abord souligner l'exploit technique qu'il représente, plusieurs caméras filmant au pied levé Kristin mais aussi sa doublure, et les doublures de ses mains, une Kristin démultipliée qui nous apparaît ainsi sous diverses facettes. Mais ce qui est saisissant, c'est la beauté du film, magnifié par de splendides éclairages, halos des lampes en cuivre qui crée des clairs-obscurs dignes d'un tableau de Rembrandt. Notons aussi la beauté du texte très poétique repris en allemand par une voix féminine puis masculine qui accompagne les images.
Peu à peu, nous entrons dans la peau de la servante qui devient si proche de nous que nous sentons l'émotion nous gagner, nous sommes envahis par la pesanteur qu'elle éprouve et que rien ne semble pouvoir soulager.
Avis de Wens
Katie Mitchell a décidé d'adapter la pièce de Strinberg en se plaçant le regard et l'écoute de Christine, la cuisinière que Jean le valet délaisse pour la fille de la maison, Julie.
Sur un vaste écran est projeté un film qui adopte le point de vue de Christine. Le spectateur est invité à partager son drame profond et intime, à plonger dans un univers étouffant et angoissant digne de Bergman. Pas un cri, mais simplement une attitude, un geste, un regard suffisent à trahir le désespoir et la souffrance intérieure de Christine. Magie du cinéma, on lit tous les sentiments sur le visage de l'actrice grâce aux gros plans, ce qui habituellement est pratiquement impossible à voir
au théâtre, à moins d'occuper les premiers rangs.
Mais sous l'écran, la pièce se joue, elle est filmée en direct. Jusqu'à cinq caméras en mouvement suivent les acteurs au plus près, captent leurs émotions. Le montage image s'effectue en direct avec une rigueur étonnante, tous les raccords sont exceptionnels d'une grande beauté : mouvements, gestes, regards…Ce montage nécessite plusieurs "Chistine" qui est alors doublée par d'autres actrices venant prêter, une partie de leur corps, leurs mains.
Sur un vaste écran est projeté un film qui adopte le point de vue de Christine. Le spectateur est invité à partager son drame profond et intime, à plonger dans un univers étouffant et angoissant digne de Bergman. Pas un cri, mais simplement une attitude, un geste, un regard suffisent à trahir le désespoir et la souffrance intérieure de Christine. Magie du cinéma, on lit tous les sentiments sur le visage de l'actrice grâce aux gros plans, ce qui habituellement est pratiquement impossible à voir
au théâtre, à moins d'occuper les premiers rangs.
Mais sous l'écran, la pièce se joue, elle est filmée en direct. Jusqu'à cinq caméras en mouvement suivent les acteurs au plus près, captent leurs émotions. Le montage image s'effectue en direct avec une rigueur étonnante, tous les raccords sont exceptionnels d'une grande beauté : mouvements, gestes, regards…Ce montage nécessite plusieurs "Chistine" qui est alors doublée par d'autres actrices venant prêter, une partie de leur corps, leurs mains.
Le mixage son est aussi réalisé en "live". Les quelques beaux dialogues sont enregistrés avec des niveaux sonores variables, parfois ils nous parviennent étouffés, perçus à travers une cloison ou le plancher de la chambre de Christine. En effet la perception des dialogues de Jean et Julie est subjective, nous entendons comme Christine en fonction de l'endroit où elle se trouve. Dans quelques scènes, apparaissent des voix off splendides, enregistrées par les comédiens présents sur la scène. La poignante musique originale pour violoncelle, jamais envahissante, de Paul Clark est interprétée devant nos yeux sur le plateau. Les bruitages sont réalisés aussi en direct. L'eau qui coule, le son des verres qui s'entrechoquent, le couteau qui s'enfonce dans un morceau de viande…tous ces simples bruits du quotidien soulignent l'enfermement social de Christine.
Le décor est constitué de deux pièces fermées. L'une est censée être la chambre de la domestique, le spectateur dans la salle de théâtre ne voit pas l'intérieur, il ne le verra qu'à travers l'objectif d'une caméra présente dans la chambre. Christine, très prude, enlève son corsage à l'abri des regards ; nous partageons son domaine intime où sur un mur figure en bonne place un crucifix qui souligne le caractère très religieux du personnage. La seconde pièce est la cuisine, l'intérieur n'est visible pour le spectateur que par quelques fenêtres. C'est le lieu de travail de la cuisinière, toute irruption de Jean ou de Julie dans cet espace brise l'équilibre social et moral, brise les conventions. Un couloir relie la chambre et la cuisine. Sur ce sombre corridor s'ouvrent de nombreuses portes que Christine souvent ne fait qu'entrouvrir. A travers l'entrebâillement, elle observe, écoute… parce que dans les dialogues entre Julie et Jean se joue son destin. Deux cloisons mobiles transforment la disposition du décor, et permettent de donner l'impression d'une vaste demeure, l'illusion est telle que nous en arrivons à penser que les chambres sont situées à l'étage alors que tout le décor est de plein pied. La maison n'est pas un lieu clos, elle est ouverte sur une grande rue animée, comme le montre des ombres de passants marchant devant les fenêtres. Une porte s'ouvre : des cris de joie de la fête de la Saint-Jean ou le chant d'un oiseau, la lumière du soleil pénètrent dans le lieu du drame en un terrible contrepoint.
Rarement le théâtre peut nous offrir un tel moment de bonheur, quand le plaisir de l'esprit rejoint le plaisir des sens.
Le décor est constitué de deux pièces fermées. L'une est censée être la chambre de la domestique, le spectateur dans la salle de théâtre ne voit pas l'intérieur, il ne le verra qu'à travers l'objectif d'une caméra présente dans la chambre. Christine, très prude, enlève son corsage à l'abri des regards ; nous partageons son domaine intime où sur un mur figure en bonne place un crucifix qui souligne le caractère très religieux du personnage. La seconde pièce est la cuisine, l'intérieur n'est visible pour le spectateur que par quelques fenêtres. C'est le lieu de travail de la cuisinière, toute irruption de Jean ou de Julie dans cet espace brise l'équilibre social et moral, brise les conventions. Un couloir relie la chambre et la cuisine. Sur ce sombre corridor s'ouvrent de nombreuses portes que Christine souvent ne fait qu'entrouvrir. A travers l'entrebâillement, elle observe, écoute… parce que dans les dialogues entre Julie et Jean se joue son destin. Deux cloisons mobiles transforment la disposition du décor, et permettent de donner l'impression d'une vaste demeure, l'illusion est telle que nous en arrivons à penser que les chambres sont situées à l'étage alors que tout le décor est de plein pied. La maison n'est pas un lieu clos, elle est ouverte sur une grande rue animée, comme le montre des ombres de passants marchant devant les fenêtres. Une porte s'ouvre : des cris de joie de la fête de la Saint-Jean ou le chant d'un oiseau, la lumière du soleil pénètrent dans le lieu du drame en un terrible contrepoint.
Rarement le théâtre peut nous offrir un tel moment de bonheur, quand le plaisir de l'esprit rejoint le plaisir des sens.
Là, c'est à mon tour d'avoir le regret de n'avoir pas vu ce spectacle. Ce que tu en dis confirme ce que j'en avais lu.
RépondreSupprimer@ Lire au jardin : un très beau spectacle, effectivement. je voulais le voir en même temps que Mademoiselle Julie mais je n'ai pas eu de place. Cependant, je ne regrette pas puisqu'il paraît que c'était très décevant!
RépondreSupprimer@ lire au jardin : un très beau spectacle effectivement!
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