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jeudi 17 mars 2022

Henrik Sienkiewicz : Les chevaliers teutoniques

 

Les chevaliers teutoniques
 

Les chevaliers teutoniques de Henrik Sienkiewicz est un roman qui  entraîne le lecteur  dans une grande fresque historique épique, haletante, servie par un style qui amplifie et magnifie les exploits guerriers et nous laisse voir les grandes chevauchées des chevaliers dans les plaines, sus à l’ennemi, la sauvagerie des batailles et des épées qui tranchent, découpent, taillent dans les chairs, traversant les armures, abattant  hommes et chevaux. Un temps de guerre et de sang, de famine et de misère pour le peuple, un temps de gloire et de bataille pour les chevaliers qui gagnent leur fortune à la pointe de leurs armes, un temps où l’amour courtois et le raffinement du sentiment le disputent à la violence du rapt et de la mort. Une lecture intense et prenante qui nous en apprend beaucoup sur la Pologne, ce qui était parfait pour mon voyage  à Cracovie en Juin 2021.

Les personnages

Affiche du film d' Aleksander Ford : Skyszko et Danusia

Le récit se construit autour de quelques personnages que nous suivons et à qui nous allons nous intéresser : Zbyszko de Bogdaniec est un jeune chevalier, orphelin, élevé depuis l’âge de 13 ans sur les champs de bataille par son oncle Mathieu, un valeureux guerrier. De la vie, il ne connaît que la guerre et un code d’honneur inculqué par son oncle. Et c’est peu de dire que son comportement immature et sa méconnaissance du monde le conduiront à se conduire d’une manière un peu primaire et sotte… mais généreuse et courageuse. Il rappelle le jeune Perceval de Chrétien de Troyes à ses débuts dans la chevalerie. Finalement, il est assez sympathique et il finit par mûrir.

Zbyszko et Mathieu se rendent à Cracovie pour le baptême de l’enfant de la reine Hedwige et du roi Jagellon. En chemin, au milieu de la foule qui afflue vers la capitale, Zbyszko fait connaissance de la ravissante Danusia qui est encore presque une enfant, suivante de la duchesse d’Anne de Mazovie. Le jeune homme en tombe amoureux et devient son chevalier servant. Elle est fille du célèbre Jurand de Spychow, ennemi implacable des chevaliers teutoniques qui ont tué son épouse, la mère de Danusia. Obéissant au serment qu’il a fait à Danusia de rapporter un trophée de plumes de paon, Sbyszko attaque l’ambassadeur du roi Jagellon, le chevalier teutonique Kuno von Lichtenstein et il est pour cela condamné à mort. Danusia le sauvera en le revendiquant comme époux selon une tradition ancestrale. En attendant la maturité de la jeune fille, les deux jeunes gens sont fiancés. Mais bien des obstacles et de cruelles épreuves vont se dresser devant eux. Après leur mariage, les chevaliers teutoniques enlèvent Danusia. Un grande partie du livre décrira la quête douloureuse et tragique du jeune chevalier à la recherche de sa bien-aimée.

L’Histoire de la Lituanie et la Pologne face aux chevaliers teutoniques

Ladislas II Jagellon, roi de Pologne, grand duc de Lituanie

Nous sommes au Moyen-âge dans une période qui s’étend de 1399 à 1410. La Pologne et de la Lituanie réunies se rebellent contre les chevaliers teutoniques, ordre guerrier et religieux qui sème la terreur dans les populations en brandissant la croix et les reliques sacrées. Installés en Allemagne, sans cesse, les chevaliers  annexent les pays voisins, pillant, rasant, exterminant, effaçant les frontières.

A cette époque le grand duché de Lituanie est l’un des derniers à  se convertir au christianisme à l’instigation du grand duc Jagellon en 1386.  Celui-ci épouse la reine de Pologne Hedwige d’Anjou  et devient roi de Pologne sous le nom de Ladislas II Jagellon. Dans le roman, Sbyszko et Mathieu se rendent à Cracovie, alors la capitale, pour les fêtes célébrant le baptême de la fille du roi et de la reine en 1399. Mais Hedwige meurt après son accouchement et le bébé aussi. Hedwige était réputée pour sa piété et sa bonté et considérée comme une sainte par le peuple. Elle fut canonisée en 1997. 

 

Hedwige Jagellon, reine de Pologne

"Hedwige entra par la porte de la sacristie. A sa vue, les chevaliers les plus proches des stalles, bien que la messe ne fût pas commencée, s'agenouillèrent aussitôt, lui rendant involontairement les honneurs dus à une sainte. Zbyszko les imita, car personne, dans toute cette assemblée, ne doutait qu'il eût devant lui véritablement une sainte, dont l'image ornerait en son temps les autels. (...) On disait que le contact de ses mains guérissait les malades. Les infirmes des mains et des pieds recouvraient leurs forces en mettant les vieux vêtements de la reine. Même l'orgueilleux Ordre teutonique la vénérait et craignait  de l'offenser."

Le grand duché de Lituanie et la Pologne ne forment donc plus qu’un grand territoire et cette alliance va lui permettre de tenir tête aux chevaliers.
(Ce n’est que plus tard, en 1569, que la Lituanie et la Pologne formeront La République des Deux nations qui sera rayée de la carte en 1792).

Ladilas II reste roi de Pologne jusqu’à sa mort en 1434. En 1401 le conflit avec les chevaliers teutoniques reprend. Il s’achèvera par la défaite de l’Ordre à la bataille de Grunwald en 1410 appelée aussi bataille de Tannenberg par les Allemands. C’est tout cela que nous décrit l’écrivain  et c’est aussi à  cette date et avec cette victoire que Henrik Sienkiewicz termine son roman.

Cracovie :  Le monument de  Grunwald

Les chevaliers teutoniques est une oeuvre publiée en 1900 au moment où la Pologne est toujours sous la coupe des Allemands et des Russes. Il s'agit donc d'un roman nationaliste dans lequel Henrik Sienkiewicz montre le désir de  revanche de son pays et son aspiration à la liberté.

Ce monument, avec la statue équestre de Ladislas II Jagellon,  qui commémore la victoire de la Pologne sur les chevaliers teutoniques à la bataille de Grunwald, est considéré comme le symbole de la résistance à l'Allemagne. Il a été détruit par les nazis lorsqu'ils ont occupé la Pologne en 1939 et reconstruit en 1976.

Cracovie monument de Grunwald

 La bataille de Grunwald

"Comme des lions furieux, les plus terribles chevaliers des deux armées se ruèrent sur place, et l'on eut dit qu'une tempête se déchaînait autour de l'étendard. Hommes et chevaux se battaient dans un monstrueux tourbillon; on voyait des bras tendus, des épées se choquer, des haches tournoyer; l'acier grinçait sur le fer. Fracas, gémissements, hurlements sauvages d'hommes transpercés, volaient dans un tumulte effroyable, comme si tous les réprouvés avaient tout à coup poussé des clameurs du fond de l'enfer. La poussière s'élevait et il n'en sortait que des chevaux aveuglés de terreur, sans cavaliers, les yeux sanglants et la crinière folle.

Mais cela dura peu. Pas un seul Allemand ne sortit vivant de cette tourmente et, au bout d'un instant, l'étendard sauvé flottait au-dessus des contingents polonais. Le vent le secoua, le déploya et il s'épanouit, splendide, comme une fleur immense, présage d'espoir, signe de la colère de Dieu pour les Allemands et de victoire pour les chevaliers polonais."


Jan Matejko : La bataille de Grunwald 

 Le monument à la bataille de Grunenwald est le symbole de la résistance à l'occupation allemande pendant la guerre de 1940

Archives du musée-usine de Oskar Schindler

Les allemands ne s'y trompent et détruisent le monument qui sera réédifié après la guerre.


Archives du musée-usine de Oskar Schindler


La tête de la statue du roi de Pologne Ladislas II Jagellon


Hommage au peintre Jan Matejko



lundi 14 mars 2022

Josef Rufin Wybicki et Adam Mickiewicz : La mazurka de Dabrowski, Hymne national de la Pologne

Jan-Henrik Dabrowski
 

J'ai découvert La Mazurka de Dabrowski  en lisant Pan Tadeucz de Mickiewicz (voir ICI). Ainsi, au début du poème, le jeune Tadeucz revient, après avoir fait ses études universitaires, dans sa maison natale où il revoit toute son enfance : 

Même la vieille horloge verticale à carillon

Dans sa vieille armoire à l'entrée d'un renfoncement il reconnut,

 Et avec une joie enfantine il tira sur son cordon,

 Pour entendre cette vieille mazurka de Dabrowski.

De même à la fin de l'oeuvre, en 1812, quand tous les militaires polonais se préparent à partir à la guerre contre la Russie, il y a une fête, suivie d'un concert, donnée en l'honneur des fiançailles de Tadeucz et Sozia en présence du général Dabrowski lui-même. C'est le juif Jankiel, fervent patriote polonais, merveilleux musicien, cymbaliste, qui redonne son heure de gloire à ce chant :  

Le coup était si bien donné, était si puissant,

Que les cordes résonnèrent telles des trompettes d'airain,

Et de ces trompettes vers le ciel s'envola l'air bien connu,

la marche triomphale : " La Pologne n'a pas encore péri!"

Marche Dabrowski vers la Pologne!"

Et tous de reprendre en choeur le " Marche Dabrowski" !

 

 La Mazurka de Dabrowski : hymne national de la Pologne

de Josef Rufin Wybicki

La Pologne n’a pas encore péri,
Tant que nous vivons.
Nous reprendrons par le sabre,
Ce que la violence étrangère nous a pris.

Marche, marche Dąbrowski,
De la terre italienne vers la Pologne;
Sous ta direction,
Nous nous unirons avec la Nation. (bis)

Nous passerons la Vistule,
nous passerons la Warta,
Nous serons Polonais.
Bonaparte nous a donné l’exemple,
Comment nous devons vaincre.

Marche, marche Dąbrowski,
De la terre italienne vers la Pologne;
Sous ta direction,
Nous nous unirons avec la Nation. (bis)

Comme Czarniecki vers Poznań
Après l’invasion suédoise,
Pour sauver la Patrie,
Revint par la mer.

Marche, marche Dąbrowski,
De la terre italienne vers la Pologne;
Sous ta direction,
Nous nous unirons avec la Nation. (bis)

Larmes aux yeux,
Un vieux dit à sa jeune fille,
« Écoute ! Il semble que les Nôtres
Battent le tambour. »

Marche, marche Dąbrowski,
De la terre italienne vers la Pologne;
Sous ta direction,
Nous nous unirons avec la Nation. (bis)

 

Jan-Henrik Dabrowski

Jan-Henrik Dabrowski
 

La mazurka porte le nom du général Dabrowski, un des héros de la Pologne. C’est à lui que l’on doit, en 1796, la formation des légions polonaises qui servaient dans l’armée française. A l’époque de la création de ce qui est devenu l’hymne national polonais, les légions polonaises aidaient l’Armée révolutionnaire française de Bonaparte pendant les campagnes militaires en Italie en attendant de pouvoir combattre leurs ennemis pour délivrer la Pologne. Mais pendant longtemps Napoléon les a considérés comme chair à canon les envoyant combattre à Haïti pendant la révolte des esclaves,  en Italie et en Allemagne. 

Enfin, en 1806, la guerre franco-prussienne a redonné espoir aux patriotes. Napoléon Bonaparte a demandé à Dąbrowski et Wybicki d’aller aider l’armée française dans les parties de la Prusse peuplées par des polonais. Ainsi, en Novembre 1806, les deux généraux arrivent à Poznań et sont accueillis par les habitants chantant ce qui deviendra l’hymne national polonais.

De plus, après l’insurrection de Grande-Pologne en novembre 1806 et la victoire de Napoléon contre les forces prusses à Friedland en 1807, Napoléon Bonaparte décide de fonder un nouvel Etat polonais : Le grand duché de Varsovie (qui disparaîtra avec lui), création qui est loin de répondre aux espoirs du peuple.  Cependant avec la déclaration de guerre contre la Russie, en 1812, les patriotes reprennent courage. On sait comment cela se terminera.

 

La Bérezina

Josef Rufin Wybicki : L'auteur de la Mazurka de Dabrowski

Josef Rufin Wybicki

Josef Rufin Wybicki est un officier, homme politique et écrivain polonais. Chargé d'organiser les légions polonaises de l’Armée d’Italie commandée par le général Bonaparte, il écrit les paroles de ce chant, en 1795, pour donner courage aux soldats polonais exilés de leur pays. C'est ce qui explique qu’il fasse allusion à Bonaparte dans ce texte car les Polonais avaient foi en lui pour retrouver l'indépendance de leur pays rayé de la carte par les trois grandes puissances qui se l'étaient partagé, La Russie, l'Allemagne, l'Autriche..  
On ne connaît pas l'auteur de la musique. Ce chant a été chanté en Pologne pendant tout le XIX siècle surtout pendant les soulèvements nationaux qui se sont soldés par des échecs et qui ont obligé de nombreux polonais à l'exil.  En 1918, la Pologne devient un état indépendant. En 1919, elle choisit les couleurs de son drapeau mais ce n'est qu'en 1927 que la Mazurka de Dąbrowski devient l’hymne national polonais.
 

Stefan Czarniecki : Héros polonais du XVII siècle

Stefan Czarniecki

Stefan Czarniecki est un noble polonais né en 1599 et mort en 1665. Commandant militaire, voïvode de Kiev, il a participé à de nombreuses batailles en particulier contre les Russes et les Suédois. Dans l'hymne national il est question de Czarniecki et son nom est lié à la ville de Poznan, située au bord de la Warta, à l'ouest de la Pologne. 
C'est une allusion à la guerre polono-suédoise qui a eu lieu  de 1665 à 1668. En se retirant de la Pologne, l'armée suédoise envahit le Danemark. En raison de la coalition contre les Suédois qui l'unit aux Danois, le commandant polonais et sa division composée de six mille guerriers à cheval, basés à Poznan, gagnent le Danemark et traversent le détroit à cheval, héroïque traversée hivernale jusqu'à l'île d'Als.

Stefan Czarniecki : la traversée

 

 

La Mazurka de Dąbrowski

samedi 12 mars 2022

Adam Mickiewicz : Pan Tadeucz et Cracovie

Cracovie : la place du marché par Josef Mehofer

 Je n'ai pas eu le temps l'année dernière de vous parler de mon voyage dans la charmante ville de Cracovie en Juin 2021. Une petite échappée entre deux confinements. Mais il est temps de le faire ici à l'occasion du mois de la littérature des Pays de l'Est d'Eve et de Patrice. Pour préparer ce voyage avant mon départ, j'ai lu Pan Tadeusz, Messire Thaddée, considéré comme le chef d'oeuvre du poète polonais Adam Mickiewicz. J'apprends que celui-ci s'est exilé en France en 1829 pour échapper à la domination tsariste qui occupe son pays et prive ses habitants de leur liberté. A ce propos, je note que Balzac met en scène ces exilés polonais à Paris au début du XIX siècle dans son roman La cousine Bette. C'est à Paris en 1834 que le poète polonais écrit Messire Thaddée.

Or, en arrivant à Cracovie sur l'immense place du marché, avec ses églises, ses palais, sa halle aux arcades voûtées, trône en plein milieu la statue d'Adam Mickievitcz, avec une foule  assise à ses pieds. Le point de ralliement de la jeunesse cracovienne, celui aussi des touristes !

Cracovie Statue d'Adam Mickievisz tombée de la nuit

Cracovie  Eglise Adalbert X siècle sur la place du Marché

Cracovie  La Basilique Sainte Marie

Cracovie L'ancienne halles au drap sur la plus grande place médiévale d'Europe





Cracovie Place du marché et statue de Mickiewicz 

Adam Mieckiwicz : Poète de l’exil et de la liberté

 
Adam Mickievicz

Adam Mickievicz, poète romantique, est  considéré comme l’un des plus grands écrivains de la Pologne dont il incarne les aspirations à la liberté et au nationalisme. Il est né en 1798 dans le Grand duché de Lituanie à Zaozie ou Novogrodek et à fait ses études à Wilno (Vilnius). Admirateur des philosophes français des Lumières, et membre d’une société secrète, il est arrêté et emprisonné puis condamné à l’exil en Russie, en 1829, par le gouvernement tsariste, évitant  de justesse la Sibérie. Il gagne ensuite l’Europe. C’est à Paris, en 1834, qu’il écrit son Pan Tadeusz, Messire Thadée, poème héroïco-comique, qui fait de lui un chantre de la liberté, incarnation de la lutte pour l’indépendance. De 1840 à 1844, il enseigne la littérature slave au Collège de France sans jamais abandonner son combat pour la cause polonaise. En 1848, il participe à la création d’une légion polonaise en Italie du Nord contre l’Autriche. En 1855, lors de la guerre de Crimée, il se rend en Turquie, à Constantinople où il meurt du choléra. Sa dépouille est ramenée en France, inhumée à Montmorency, puis transférée en Pologne, en 1890, pour être ensevelie dans la crypte des poètes, sur la colline du Château royal du Wawel, à Cracovie (Province autonome de Galicie, depuis 1866 mais encore sous contrôle autrichien).

Cracovie : Cathédrale du château royal de Wawel

 

Adam Mieckiwicz et Victor Hugo

Adam Mickiewicz par Walenty Wankowicz

Victor Hugo écrit à son propos :  "Parler de Miçkiewicz, c’est parler du beau, du juste et du vrai ; c’est parler du droit dont il fut le soldat, du devoir dont il fut le héros, de la liberté dont il fut l’apôtre et de la délivrance dont il est le précurseur.
Miçkiewicz a été un évocateur de toutes les vieilles vertus qui ont en elles une puissance de rajeunissement ; il a été un prêtre de l’idéal ; son art est le grand art ; le profond souffle des forêts sacrées est dans sa poésie. Et il a compris l’humanité en même temps que la nature ; son hymne à l’infini se complique de la sainte palpitation révolutionnaire. Banni, proscrit, vaincu, il a superbement jeté aux quatre vents l’altière revendication de la patrie. La diane des peuples, c’est le génie qui la sonne ; autrefois c’était le prophète, aujourd’hui c’est le poëte ; et Miçkiewicz est un des clairons de l’avenir.
Il y a de la vie dans un tel sépulcre.
L’immortalité est dans le poète, la résurrection est dans le citoyen.
Un jour les Peuples-unis d’Europe diront à la Pologne : Lève-toi ! et c’est de ce tombeau que sortira sa grande âme. "


Histoire : La République des Deux Nations


Si vous êtes, comme moi, ignorant de l''histoire de la Pologne, vous devez-vous demander pourquoi l'on parle de Mickiewicz comme d'un poète polonais alors qu'il est né en Lituanie ? Pour bien comprendre l’importance et le rôle d’Adam Mickiewicz, il faut savoir que jusqu’en 1795, il n’existait qu’un seul état, La République des Deux Nations ratifié par le traité de  l'Union de Lublin le 1er juillet 1569, qui réunissait Le royaume de Pologne et Le grand duché de Lituanie

La république couvrait les territoires actuels de la Pologne et d'une grande partie de l’Ukraine (royaume de Pologne), de la Lituanie, de la Biélorussie et de l'extrémité ouest de la Russie (grand-duché de Lituanie), de la Lettonie et d'une partie de l'Estonie ( Voïvodie de Livonie ). C'était un des plus grands États d’Europe et ce qui lui a permis de résister à travers les siècles à la fois aux chevaliers teutoniques, à la Russie, aux Ottomans, et aux Suédois. 

La république des Deux Nations est aussi remarquable pour avoir établi, en 1773, le plus ancien ministère de l'Éducation nationale et, quelques années plus tard, la première constitution en Europe  et la seconde au monde après celle des Etats-Unis: la Constitution du 3 mai 1791.  Mais elle n’a pu être appliquée longtemps car la guerre russo-polonaise de 1792 a entraîné son abrogation puis après les partages successifs de la Pologne (1792, 1793, 1795) entre  Russes, Prussiens et Autrichiens, la République des Deux Nations a cessé d’exister.
Bien qu'Adam Mickievitcz soit né trois ans après l'effacement de la République des Deux Nations, il se revendique comme un poète polonais, dont la terre natale est la Lituanie, dans une ville Novogrodek qui se situe dans l'actuelle Biélorussie, citoyen d'une République qui inclut aussi l'Ukraine. Il est donc aussi le poète de tous ces pays dont les frontières n'ont jamais cessé de fluctuer au cours de siècles et dont l’indépendance est toujours fragile comme nous le prouve la triste actualité.

 Pan Tadeusz : Oeuvre littéraire et politique

Antoine Bourdelle : Le pèlerin de la liberté  (Paris)

Préface de Czesław Miłosz.

"Le chef-d'oeuvre du plus grand poète de la Pologne, Adam Mickiewicz (1798-1855), le barde, le voyant, le Pèlerin dont la statue par Bourdelle se dresse près de l'Alma, Cours-la-Reine, dont une plaque, rue de Seine, indique la maison où Pan Tadeusz fut écrit, dont une médaille immortalise le profil sous ceux de Jules Michelet et Edgard Quinet pour nous rappeler que ce grand patriote et démocrate fut aussi professeur au Collège de France... 

 *J'allais demander à ceux d'entre vous qui habitent Paris, si vous connaissiez cette statue près de l'Alma mais je viens de lire un article ICI qui indique que la statue a été déplacée en 1956 sur le Cours Albert Ier.  

 
Pan Tadeusz, le poème héroï-comique dont tous les Polonais savent des passages par coeur : c'est leur Cid, leur Légende des siècles et leurs Trois Mousquetaires à la fois. Des figures inoubliables : le jeune héros, Tadeusz, clair comme le jour, le sombre Jacek, le terrible Gervais à l'épée invincible, toute une société, depuis sa haute noblesse jusqu'à ses paysans, tout un pays, la Lituanie aux aspects merveilleux, autour du " bleu Niémen " : flore exubérante, faune digne des " grandes chasses " à la Saint-Hubert ! Tout cela sur un rythme vif, sur un ton qui ne se départit jamais de tendresse et d'humour, même dans les moments tragiques. Un rêve, enfin, conçu loin de sa Patrie par un poète qui ne devait plus la revoir. "

Un hymne d'amour à la Lituanie

Le comte Horeszko et Gerwazy chassés de la maison des Soplica (Michal Andriolli)

Adam Mickievitcz écrit Pan Tadeucz comme un gage d'amour à sa patrie perdue. Exilé, il veut en montrer les beautés et les richesses mais aussi les souffrances, pays dépecé par trois grandes nations, la Russie tsariste, la Prusse et l'Autriche qui se sont taillé la part belle dans cette république, pays rayé de la carte et qui perdu son existence et sa liberté.

Le poète raconte le différend qui oppose la famille du Juge Soplica au Comte Horeszko au sujet d'un château en ruines situé à la limite de leur terre. Le Juge a convoqué chez lui, comme cela se faisait à l'époque, une cour de justice qui jugera sur place. Mais les choses vont s'envenimer entre eux car, dans le passé, le frère du juge, Jacez de Soplica a tué le sénéchal Horesko, lointain parent du comte. C'est le début d'une bataille attisée par le serviteur Gerwazy mais aussi d'une réconciliation réciproque sur le dos.... des Russes ! Le poème compte XII chapitres écrits en vers de 13 syllabes en polonais.

Gerwazy et son "canif". Assis, le "sage et triste" Maciek

J'avoue que j'ai eu un peu de mal à entrer dans la traduction proposée par Kindle. Richard Wojnarowski a choisi une traduction littérale, la plus proche du texte, ce que j'ai trouvé un peu pénible parfois et sans grâce. J'aurais préféré, à priori, lire la traduction de Robert Bourgeois à laquelle je n'ai pas eu accès sauf par ce court extrait. Jugez vous-même ! 

Pan Tadeusz  traduction Richard Wojnarowski

(Chant I — Invocation)

O Lituanie, ô ma patrie ! Tu es comme la santé

Combien il convient de t'apprécier, seul l'apprend celui

Qui t'a perdue.

Aujourd'hui ta beauté dans toute sa splendeur

Je vois et je décris, car j'ai le mal de toi

   

Pan Tadeusz  traduction  Robert Bourgeois

(Chant I — Invocation)


« Ô ma Lituanie ! Ainsi que la santé,
 

Seul qui te perd connaît ton prix et ta beauté.


Je vois et vais décrire aujourd’hui tous tes charmes,


Ma patrie ! et chanter mes regrets et mes larmes. »


Mais une fois entrée dans l'histoire, j'ai aimé ce récit surprenant qui tient un peu de l'épopée, mais aussi de la satire, qui tout en montrant une violence bien réelle, en particulier dans l'affrontement avec les russes, vire parfois à la parodie. On apprend à connaître les différents aspects de la vie de cette noblesse rurale et de ces paysans avec un luxe de détails sur leurs moeurs, leur habillement, leurs croyances, leurs divertissements. Tous des chasseurs du côté des lituaniens et capables de se disputer et même de se battre en duel pour savoir qui a le meilleur chien ou qui a repéré le gibier le premier. Des gens qui ont la tête près du bonnet, qui se querellent sans arrêt mais qui se réconcilient comme un seul homme dans leur aversion des russes (les moscales, mot péjoratif) et leur attente de Napoléon en qui ils voient le sauveur, celui qui va leur permettre de retrouver l'unité de leur patrie. Celui-ci a déjà créé le duché de Varsovie mais les polonais attendent avec espoir qu'il déclare la guerre à la Russie. Nous sommes dans les années 1811 et 1812.

Car à présent Napoléon, homme avisé et expéditif

Ne laisse guère de temps pour se consacrer à la mode et à la parlote.

A présent tonnent les canons, et à nous les vieux le coeur se gonfle

Qu'à nouveau dans le monde on parle tant des Polonais

La gloire est là, et donc la République aussi sera là !

Toujours sur des lauriers fleurit l'arbre de la liberté.

Et puis il y a la poésie de la nature, des forêts-mères mystérieuses et impénétrables, de belles descriptions des arbres de son pays, mais aussi des travaux des champs, des animaux de la forêt comme de la ferme. Des scènes marquantes, douces ou sauvages, comme la recherche des champignons ou la chasse à l'ours, un tableau haletant, féroce .

 La recherche des champignons par F Kostrezewski

Et pourtant, autour d'eux s'étendaient les forêts

 Lituaniennes, si graves et pleines de beauté !

Les merisiers entourés d'une couronne de houblons sauvaages

Les sorbiers à la fraîche pourpre pastorale,

Les coudriers semblables à des ménades avec leurs sceptres verts

Revêtus, comme de pampres, de perles de noisettes;

Plus bas, les petits des sous-bois : l'aubépine, dans les bras de la Viorne

les mûres dans les ronces blottissant leurs lèvres noires.

 Et il en est de même pour les personnages, Thaddée, le jeune étudiant, naïf et maladroit qui tombe amoureux de... il ne sait plus trop laquelle de ces beautés... Le comte, son rival, un rêveur, qui délaisse la chasse pour méditer, dessiner, admirer la nature. Les paysans se demandent s'il a toute sa tête(méditer, dessiner!)  mais ils l'aiment parce qu'il est noble, "après tout", et bon avec eux. Son romantisme quand il rencontre pour la première fois la petite Sozia fait sourire, d'autant plus que caché dans les herbes et la tête couverte par les feuillages verts, il est comparé à une grenouille.  Et puis, il y a Télimène, la coquette, calculatrice et séductrice,  et la petite Sozia qui sort à peine de l'enfance. 

 

Le comte découvrant  Sozia

Enfin de nombreux portraits de personnages vivants, sympathiques comme le Juge, oncle de Thaddée, ou farouches, tel le vieux Gerwazy, fidèle à son vieux maître le Sénéchal Horeszko, dont il veut venger la mort, attaché à verser le sang de ses ennemis; d'autres, maudits comme Jacez, ou couard et lâche comme le commandant polonais passé aux Russes, le traître ! Certains seulement désignés par leur fonction sur qui s'exerce bien souvent la satire, comme Le Substitut, le Chambellan, Le Notaire, l'Assesseur,  l'Huissier (Protazy) et le Bénédictin ; ce dernier, personnage énigmatique, joue un grand rôle dans le récit. Et enfin il y a Maciek qui prononce ce discours resté célèbre et qui encore, de nos jours, est évoqué quand la situation s'y prête dans les discussions politiques :

Insensés! Insensés! 

Insensés que vous êtes ! 

Tant qu'on délibérait de la résurrection de la Pologne

Du bien public, vous vous querelliez, insensés ?

On ne pouvait, insensés, ni discuter entre nous,

 Insensés, ni mettre de l'ordre, ni décider 

D'un chef pour vous commander, insensés !

Mais qu'on évoque

Des griefs personnels, insensés, vous vous accordez !


Jacez de Soplica, le Juge et Gerwazy




 

dimanche 27 février 2022

Isabelle Allende : L’île sous La mer


Après le Le royaume de ce monde d’Alejo Carpentier, écrivain cubain, (billet ici), j’ai lu L’île sous La mer d’Isabelle Allende, écrivaine chilienne, tous les deux réunis dans mon blog par l’époque historique qu’ils explorent dans leur livre, la révolte des esclaves à Saint Domingue, la déclaration de l’indépendance suivie de la création de la République d’Haïti.

Toussaint Louverture

Le roman d’Alejo Carpentier commence dans les années 1750 en racontant la jeunesse de Mackandal, un esclave noir dont la révolte échoue et qui meurt sur le bûcher en 1758. La première partie du roman d’Isabelle Allende débute en 1770 et finit en 1793, quelques années après la grande révolte de 1791 qui chasse les grands propriétaires terriens de leur domaine. On y rencontrera aussi Mackandal dans un retour en arrière et nous suivrons les étapes complexes de la lutte pour la libération de l’île avec tous les grands noms cette époque historique, Dutty Boukman, Toussaint Louverture, Jean Jacques Dessalines, et en écho, les bouleversements de la révolution française et l’arrivée de Bonaparte au pouvoir.
La seconde partie se passe en Louisiane de 1793 à 1810 à la Nouvelle-Orléans  vendue par la France aux américains ) ou se sont réfugiés les anciens maîtres de Saint Domingue qui, d’ailleurs, acquièrent des terres, y font travailler les esclaves ramenés d’Haïti et même en achètent d’autres. Le Monde n’a pas trop changé pour eux finalement !

Cérémonie vaudou du Bois Caïman menée par Boukman

Dans le récit, la voix de Zarité, jeune esclave vendue à l’âge de 9 ans à un maître blanc, Toulouse Valmorain, alterne avec le récit d’un narrateur extérieur qui décrit les personnages nombreux du roman et présente les riches péripéties du roman et de l’Histoire, formant une trame complexe et enchevêtrée.
Si la part de l’Histoire est importante, celle de la fiction l’est aussi beaucoup et nous suivons avec empathie le personnage de Zarité, fillette violée par son maître qui, lorsqu'elle devient mère, se voit séparée de son fils. Nous partageons avec elle l’horreur de l’esclavage, des sévices, des humiliations. Nous voyons comment les esclaves sont arrachés de leur pays avec la complicité d’Africains, comme eux, profiteurs sans scrupules qui brûlent les villages et livrent leurs « frères » noirs aux négriers. Nous les voyons traités comme du bétail, mourant sous les coups de fouet, décimés par la maladie, la faim et l’exploitation.  

Dans ce roman, si les hommes, qu’ils soient personnages historiques ou fictionnels, sont nombreux et intéressants, les femmes, surtout, esclaves ou affranchies, sont particulièrement attachantes. Isabelle Allende brosse un beau portait de Zarité, petite fille maltraitée, mère tendre et douloureuse, capable de sacrifice, d’abnégation, femme amoureuse, femme toujours courageuse et digne. Nous nous intéressons à son combat individuel pour obtenir son affranchissement et celle de sa fille Rosette. Les mulâtresses comme Violette occupe un statut à part mais sont toujours inférieures dans cette société où les blancs continuent à tenir le haut du pavé. Et puis il y a Tante Rose, la guérisseuse, la prêtresse vaudou, à la forte personnalité, qui est dotée de pouvoirs magiques et convoque les dieux et les morts à la rescousse. Le Vaudou plane sur  la révolution, secourt les réprouvés, les transporte, enflamme les esprits, et, au cours de la cérémonie du Bois Caïman menée par Boukman, déclenche la révolte.

Quant aux femmes blanches, en dehors de Pauline Bonaparte qui est un personnage fascinant, échappant aux normes de la société, elles ne sont pas épargnées. Elles sont même souvent, elles aussi, victimes : Eugénia Valmorain qui ne supporte pas le climat de Saint Domingue, est obligée de vivre dans la propriété de son mari, avec des esclaves dont elle a peur, et sombre peu à peu dans la folie. Pendant la révolution, ces femmes subissent un sort encore plus terrible que celui des hommes, violées par les esclaves avant d’être égorgées ou éventrées.

Contrairement au roman de Carpentier, L’île sous la mer, fait appel à l’empathie du lecteur, à sa participation active alors que  Le royaume de ce monde est une chronique, abrupte, sans concession des faits historiques mais avec une part de fiction. Dans L’île sous la mer ( le titre fait allusion au Paradis des esclaves morts) la part de romanesque est plus large, romanesque au sens plaisant du terme, qui nous fait vivre des aventures et nous fait partager les sentiments des personnages.

Vision historique, anti-esclavagiste, antiraciste, vision humaniste et aussi féministe, le roman d’Isabelle Allende a donc beaucoup de qualités pour captiver le lecteur. 

 

Hispaniola : Haïti et la République dominicaine

 


 

jeudi 24 février 2022

Alejo Carpentier : Le royaume de ce monde


Le hasard des recherches en bibliothèque pour répondre à l’appel du mois de littérature latino-améraine d’Ingammic, m’a amenée à emprunter le même jour deux livres Le royaume de ce monde de Alejo Carpentier, écrivain cubain, et L’île sous La mer d’Isabelle Allende, écrivaine chilienne. Or tous deux traitent de l’esclavage sous le joug des colons français, propriétaires terriens à Saint Domingue, et des révoltes d'esclaves, en particulier celle de  1791 et la révolution qui a amené à l’indépendance de Saint Domingue (1804 ) et la création de la république de Haïti.

L'esclavage à Saint Domingue

Le Royaume de ce monde

Le titre du roman de Carpentier Le Royaume de ce monde semble être en antithèse aux paroles de Jésus dans l’Evangile selon Saint Jean : Mon royaume n'est pas de ce monde, répondit Jésus. Si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour moi afin que je ne fusse pas livré aux Juifs.

Le Royaume de ce monde est conquis par la lutte, la violence et les massacres entre esclavagistes et esclaves révoltés. Non le royaume du Ciel mais celui de la Terre ! Alejo Carpentier s’appuie sur l’Histoire pour construire un récit où se mêlent des personnages ayant existé et d’autres issus de l’imagination de l’auteur comme Ti Noël, personnage fictionnel que nous suivons jusqu’à sa mort à travers les évènements qui vont bouleverser le pays. Il est l’esclave de M. Lenormand de Mezy, connu, lui, pour avoir été le maître du Mandingue Mackandal, personnage historique. Ti Noël participe aux révoltes mais finit par suivre son maître à Santiago de Cuba. Quand il reviendra dans son pays, Haïti, en homme libre, il devra alors déchanter.

 Le royaume de ce monde est un roman court qui ne laisse pas place au temps. Divisé en grands chapitres, il survole une période qui s'étend du milieu du XVIII siècle au début du XIX siècle après 1820.  L’auteur ne nous permet pas de nous attacher à un personnage, ni d’être ému par les atrocités, les humiliations, châtiments,  meurtres, des viols, dont sont victimes les africains. Il ne nous épargne pas non plus, celles commises par les esclaves pendant et après la Révolution dans une sorte d’escalade où l’humain n’a plus lieu d’exister. Le  récit pourrait donc paraître assez froid mais agit, en fait, comme un coup de poing en nous faisant découvrir la violence de l’esclavage mais aussi, la manière dont les hommes - qu’ils soient blancs ou noirs- se laissent corrompre par le pouvoir et, de victimes deviennent tourmenteurs. Ceux qui étaient esclaves, hier, se font dictateurs à vie, se proclament empereur ou roi et imposent le travail forcé aux anciens esclaves prétendument devenus libres !
Le roman est éclairé de grandes scènes baroques, de personnages hors du commun et surprenants sur lesquels plane la présence de la Mort. Car ce qui intéresse l’écrivain, c’est la peinture de la démesure, de ce qui échappe aux règles de la raison.
Ainsi évoluent des personnages hauts en couleurs, hors norme, que l’on a peine à croire réels et non issues de l'imagination délirante de leur auteur,  mais qui ont pourtant bel et bien existé !

Ainsi le personnage de Mackandal, l’insurgé noir, auréolé de légendes, maître des plantes vénéneuses, qui empoisonnent le bétail puis les maîtres comme par magie. Reconnu comme un Houngan, (prêtre vaudou), nègre marron, il convoque les dieux africains, les loas, dans les forêts tropicales, il se métamorphose en animal, en insecte, échappant - aux yeux des esclaves- au bûcher sous la forme d’un moustique pendant son exécution, en 1758, au Cap (actuel Cap haïtien). L’auteur décrit la puissance des croyances vaudous, de cette religion animiste auquel les africains sont fortement attachés et qui est une forme de résistance aux colons français qui leur imposent le baptême chrétien.

Pauline Bonaparte

Autre apparition surprenante, celle de Pauline Bonaparte, soeur de Napoléon, blanche statue d’albâtre, qui se fait masser nue par un esclave noir appelée Soliman (celui-ci est aussi un personnage récurrent dans le roman)  tandis que son mari le général Leclerc, chargé de mater la révolution en 1802, agonise de la fièvre jaune,  dans la chambre à côté. 

Le roi Henry Christophe
 

Mais le personnage le plus étonnant lorsque Ti Noël retourne dans son île, en se croyant libre, c’est le roi Henri Christophe dont on pourrait croire qu’il n'a pas  existé jusqu’à preuve du contraire tellement sa destinée est incroyable et son ambition extravagante. Esclave, il participe à la révolution. Après l’assassinat de Jean Jacques Dessalines, son prédécesseur, il prend le pouvoir dans les plaines du Nord,  se proclame roi d’Haïti et rétablit une classe nobiliaire. 

 

Tableau du palais de Sans Souci

La description de son domaine, des palais de Sans-Souci et de la Belle Rivière, et de la construction de la Citadelle Henry (citadelle La Ferrière) au sommet de la montagne est absolument étourdissante ! On y voit ce que sont devenus « les hommes libres » d’après la révolution ! La corruption par le pouvoir prend une dimension incroyable !

 La citadelle Henry ( La Ferrière)

Ti Noël put observer en route que sur tous les flancs de la montagne, par tous les sentiers et chemins de traverse montaient des files compactes de femmes, d’enfants et de vieillards; ils portaient toujours la même brique pour la déposer au pied de la forteresse que l’on construisait telle une termitière, avec ces grains de terre cuite qui sans cesse montaient vers elle, d’une saison à autre, d’un bout de l’année à l’autre. Bientôt Ti Noël apprit que ça durait depuis plus de douze ans, et que toute la population du Nord avait été mobilisée par force afin de travailler à cette oeuvre invraisemblable. Toutes les tentatives de protestation avaient été étouffés dans le sang. Tout en marchant sans arrêt, de haut en bas, de bas en haut, le nègre se prit à penser que les orchestres de Chambre de Sans-Souci, le faste des uniformes et les statues de Blanches nues qui se chauffaient au soleil sur leurs socles ornée d’entrelacs, parmi les buis taillés des parterres, étaient dus à un esclavage aussi abominable que celui qu’il avait connu à l’habitation de M. Lenormand de Mezy.


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Certains passages sont savoureux et comiques. Ainsi la scène où la seconde femme de M. Lenormand de Mezy, artiste parisienne ratée et frustrée, enveloppée dans des voiles transparents, déclame des vers de Racine devant les esclaves médusés  de son mari :
Mes crimes désormais ont comblé la mesure
Je respire à la fois l’inceste et l’imposture
Mes homicides mains, promptes à me venger,
Dans le sang innocent brûlent de se plonger.

Stupéfaits, sans rien comprendre, mais instruits par certains mots, qui, en créole également se rapportaient à des fautes dont le châtiment allait pour eux d’une simple volée à une décapitation, les nègres avaient fini par croire que cette dame avait dû commettre de nombreux délits autrefois et qu’elle se trouvait probablement à la colonie pour fuir la police de Paris, comme tant de prostituées du Cap.

Je publierai rapidement un billet sur le roman d'Isabelle Allende : L'île sous la mer
 


dimanche 20 février 2022

Honoré de Balzac : La messe de l'athée

 

La messe de l’athée est une courte nouvelle de Balzac qui met en scène le chirurgien Desplein, un homme de sciences passionné, honnête, dévoué aux pauvres, mais dont l’excentricité fait scandale dans la société ainsi que certaines incohérences dans son comportement. Cependant son génie médical n’a pas d’égal. Il se distingue par son athéisme qui ne laisse place à aucun doute, et il est, selon l’expression de Balzac, «invinciblement athée». Le second personnage est le médecin Horace Bianchon, (personnage récurrent de La Comédie Humaine) dont Desplein a été le maître. Tous deux se sont liés d’amitié. Or, un jour, Bianchon voit le chirurgien entrer dans une église, il le suit, et, à son grand étonnement, il s’aperçoit que l’athée suit la messe dans une petite chapelle. Après une enquête, il se rend compte que ce n’est pas la première fois. Pourquoi ? C’est ce qu’il apprendra de la bouche même de son ami qui lui raconte son histoire. Ce que je vous laisse découvrir.

Evidemment pour Balzac qui voit dans le christianisme « et surtout dans le catholicisme » « un système complet de répression des tendances dépravées de l’homme » et « un grand élément d’ordre social » être athée est suspect voire rédhibitoire. Mais Desplein lui est manifestement sympathique et la découverte de son histoire, dit l'auteur, doit venger le médecin des « quelques sottes accusations » que lui réserve la société jalouse de son succès. Si Balzac égratigne au passage certains personnages politiques de son siècle, tels de nouveaux Tartuffe, il devient vite évident que Desplein n’en est pas un à ses yeux.
Le récit raconté par Desplein lui-même est, en fait, une belle histoire d’amitié et de fidélité. Il nous livre le beau portrait d’un vieil homme, le troisième personnage de la nouvelle et pas des moindres, l’Auvergnat Bourgeat, modeste porteur d’eau, qui sait ce que c’est que la solidarité et le dévouement et vient en aide au jeune homme alors étudiant. Bourgeat qui devient pour lui comme un père !
Il nous parle de la misère du peuple, de l'habitat insalubre , et surtout de ces jeunes gens, ces étudiants, qui cherchent à s’élever au-dessus de leur classe sociale, en continuant leurs études, malgré la faim, le froid, l’isolement. Thème récurrent chez Balzac.
"J’étais seul, sans secours, sans un sou ni pour acheter des livres ni pour payer les frais de mon éducation médicale; sans un ami : mon caractère irascible, ombrageux, inquiet me desservait. Personne ne voulait voir dans mes irritations le malaise et le travail d’un homme qui, du fond de l’état social où il est, s’agite pour arriver à la surface."

Balzac dénonce l’égoïsme et la dureté des hautes sphères de la société parisienne :
"A Paris, quand certaines gens vous voient prêts à mettre le pied à l’étrier, les uns vous tirent par le pan de votre habit, les autres lâchent la boucle de la sous-ventrière pour que vous vous cassiez la tête en tombant; celui-ci vous déferre le cheval, celui-là vous vole le fouet ; le moins traître est celui que vous voyer venir pour vous tirer un coup de pistolet à bout portant."

Le ton enflammé et amer de la diatribe nous révèle non seulement les souffrances du personnage mais le vécu personnel de l’auteur, Balzac ayant connu, lui aussi, de difficiles débuts.

La défense de l’athée Desplein, pourtant, s’accompagne d’un regret que le catholique Balzac exprime par cette conclusion édifiante :

"Bianchon qui soigna Desplein dans sa dernière maladie, n’ose pas affirmer aujourd’hui que l’illustre chirurgien est mort athée. Des croyants n’aimeraient -ils pas penser que l’humble Auvergnat sera venu lui ouvrir la porte du ciel, comme il lui ouvrit jadis la porte du temple terrestre au fronton duquel se lit : aux grands hommes la partie reconnaissante."

Lecture commune avec Maggie ICI

Miriam : ICI  

Rachel ICI

Pativore ICI