Pages

lundi 29 janvier 2018

Henrik Ibsen : Un ennemi du peuple



Dans Un Ennemi du peuple de Henrik Ibsen, le docteur Tomas Stockmann a été nommé directeur de l’établissement des Bains de sa ville natale par le préfet Peter Stockmann, son frère. Il découvre que les eaux sont polluées par les rejets toxiques des tanneries de la ville et propagent fièvre, dysenterie et typhus. Mais lorsqu’il révèle la vérité, tous, son frère, les journaux, les petits propriétaires et bientôt le peuple, se liguent contre lui. Les travaux concernant la réfection des conduites d'eau seraient trop coûteux, trop longs et la ville ne peut se passer des revenus des Bains qui assurent sa prospérité. Tomas Stockmann va mener la bataille épaulé par son épouse parfois défaillante, sa fille Petra, un ami, le capitaine Horster … Il rassemble tout le monde dans une assemblée générale qui tourne au pugilat.

L'inspiration


Un ennemi du peuple est inspiré semble-t-il par la personnalité et la lutte de Harald Thaulow, pharmacien diplômé, qui s’est efforcé de réformer le système d’attribution des pharmacies. Celles-ci étaient accordées par privilège, héritage ou vente sans tenir compte des connaissances et des diplômes. Un apothicaire était alors un simple vendeur de médicaments même s’il n’avait fait aucune étude médicale. Thaulow a provoqué un scandale lors d’une assemblée générale pour défendre ses idées. Il  a fini par l’emporter mais l’on s’en doute s’est fait de nombreux ennemis, parmi lesquels les apothicaires n’étaient pas les moindres !
Ibsen, lui aussi, a fait scandale avec sa pièce Les Revenants qui stigmatise l’hypocrisie sociale et religieuse et fait allusion à la syphilis, sujet tabou. De là à être traité d’ennemi du peuple, il n’y a qu’un pas.  Ibsen met beaucoup de lui-même dans le personnage principal de la pièce, le docteur Stockmann, qui va représenter ses idées politiques.

Un ennemi du peuple est considérée comme une grande pièce d’Ibsen après La Maison de poupée et Hedda Gabbler. Il paraît que le metteur en scène allemand Thomas Ostermeïr a fait une belle mise en scène de Un ennemi du peuple. Qui sait ? il m’aurait peut-être réconciliée avec la pièce ? Car je ne l’ai pas aimée.

Une pièce démonstrative

 

Mise en scène de Claude Stratz Théâtre national de la Colline
D’abord les personnages :  ou ils sont flous, peu développés tant au niveau psychologique qu’au niveau de l’intrigue comme Petra ou Horster, ou complètement inutiles comme les fils de Tomas Stockmann. Ils sont des fonctions et non des êtres de chair dans une pièce qui est avant tout démonstrative et porteuse d’un message.
Le personnage du docteur Stockmann lui-même est assez caricatural. Sa naïveté quand il pense être porté en triomphe par ses concitoyens est d'une stupidité confondante. Il paraît que c'est comique mais il ne m'a pas fait rire, au contraire ! Cependant, il ne faut pas oublier que Henrik Ibsen a voulu faire de Un ennemi du peuple une comédie.

Un thème très actuel mais ...

 

Au festival d'Avignon : Thomas Ostermeier

Rien n’est plus actuel que le thème de cette pièce à notre époque où la survie de la planète est en jeu ! On pourrait multiplier les exemples ! Je m'attendais donc à ce que Ibsen pourfende les gouvernants, le capitalisme,  tous ceux qui défendent leurs propres intérêts au détriment de la santé des autres et de l’environnement.  Mais  les propos tenus par le "bon"  docteur ont pris un autre tour et m'ont surprise. Certes, il est courageux et se sacrifie pour que la vérité éclate. Il se retrouve sans travail, sans logement dans une ville qui ne veut plus de lui. Mais sa conception de la démocratie est atterrante !

Premier choc : lorsqu’il considère que dans son poste précédent, dans le Norland, ( région norvégienne qui englobe Bodo, Troms, les îles Lofoten et Vesteralen …) les hommes sont  au niveau des animaux.

"J’ai passé plusieurs années dans un horrible trou perdu, là-haut dans le Nord. Parfois, en rencontrant les hommes qui y vivaient comme un amas de pierres, j’ai pensé qu’un vétérinaire leur aurait été plus utile qu’un homme comme moi" 

Deuxième choc : " La majorité n’a jamais le droit pour elle, vous dis-je !(…)  je pense que nous sommes tous d’accord pour dire qu’il y a une majorité écrasante d’imbéciles sur cette terre. Mais, nom d’un chien, on ne peut pas accepter que les imbéciles gouvernent les intelligents !
La majorité a le pouvoir - mais elle n’a pas raison. C’est moi qui ai raison, moi et quelques autres; de rares hommes isolés. La minorité a toujours raison."

Troisième choc : Stockmann compare les hommes au chiens et conclut que d’un corniaud, "vulgaire chien plébéien" "dégoûtants et mal élevés " et d'un caniche "descendant d’une belle lignée", c’est toujours le caniche qui l’emportera et sera le plus intelligent  !

De choc en choc, je n’ai plus trop su ce que Ibsen voulait défendre et j’ai trouvé très aristocratique et anti-démocratique sa vision du peuple. Contrairement à ce que je pensais au début de la pièce, effectivement Ibsen-Stockmann est un ennemi du peuple, non parce qu’il veut faire fermer les bains pour des raisons sanitaires mais parce qu’il est plein de mépris pour lui.
D’ailleurs la découverte qu’il révèle à la fin de la pièce est empreint de cette esprit élitiste et supérieur :

"Le fait est, voyez-vous  que l’homme le plus fort du monde est le plus seul"

Tout en moi s'est révulsé  à cette lecture même si, finalement, il décide d’éduquer le peuple et d’instruire "les corniauds" - "ils peuvent avoir des têtes remarquables"- pour leur donner les possibilités de "chasser les loups" .

Vous admettrez que la pensée de Ibsen est complexe, à la fois  conservateur et libéral. Il s’est mis à dos la gauche norvégienne par sa conception élitiste de l'homme supérieur et les classes dirigeantes et cléricales dont il dénonce l'égoïsme et l'hypocrisie.

A cette pièce politique, je préfère ses pièces psychologiques qui n’en sont pas moins inscrites dans une société et en dénonce les travers.

Mes billets

La maison de poupée ICI et ICI

La cane sauvage ICI

La dame de la mer ICI

Hedda Gabler ICI

Peer Gynt de Ibsen et Grieg ICI

11 commentaires:

  1. Je ne connais que Maison de poupée, il faudrait que je prenne le temps de découvrir le reste!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est vraiment une très bonne pièce mais j'aime beaucoup aussi La dame de la mer moins connue sur le même thème et La cane sauvage.

      Supprimer
  2. Je m'arrêterai donc à "La maison de poupée" que j'avais aimé lire.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il y en a d'autres intéressantes. Voir ci-dessus. Et Hedda Gabler même si le personnage est antipathique est une pièce très marquante.

      Supprimer
  3. J’ai déjà beaucoup de mal à lire du théâtre , donc je suis certaine que je ne lirai pas cette pièce et je n’irai pas la voir jouer non plus.

    RépondreSupprimer
  4. J’ai déjà beaucoup de mal à lire du théâtre , donc je suis certaine que je ne lirai pas cette pièce et je n’irai pas la voir jouer non plus.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est vrai, c'est difficile de lire le théâtre et puis l'on n'imagine pas toujours très bien ce que la mise en scène peut apporter. En même temps si on veut connaître certaines pièces, on est bien obligé de les lire quand elles ne sont pas souvent jouées. Et pourtant, au festival d'Avignon on a l'occasion de voir beaucoup de spectacles.

      Supprimer
  5. J'ai vu cette pièce avec mes élèves, et j'en ai retenu d'abord, comme tu le soulignes, son actualité étonnante : principe de précaution sanitaire contre intérêts financiers, médias corrompus, c'est bien de notre temps. L’aveuglement du Dr, qui d’une première réaction civique bascule dans une folie destructrice, est aussi excessif que ce qu’il dénonce. Ibsen a poussé son histoire de rivalité entre frères jusqu’au burlesque – je me souviens des rires lors de la scène sur « le caniche et le corniaud » où le protagoniste se ridiculise totalement – et montre que « qui veut faire l’ange fait la bête ». Du coup, la pièce ouvre au débat sur plein de sujets et pousse à réfléchir sur la place de l’individu dans la société. Lorent Wanson, qui l’avait mise en scène au Théâtre National à Bruxelles, disait que c’était « une pièce sans héros ». En bref, je considère Ibsen, ni politiquement correct à son époque ni à la nôtre, comme un écrivain qui a l’art de pousser à l’interrogation et au débat.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci pour cette explication très intéressante. Je n'avais pas vu que la scène du corniaud pouvait être traitée de cette manière. Du coup, ces expressions m'ont irritée et pas du tout fait rire. Si on prend le personnage du docteur au sérieux, on découvre bien vite qu'il est insupportable !
      Je sais que Ostermeier l'a traitée comme une pièce engagée, subversive, en faisant participer les spectateurs au spectacle; mais comme il n'hésite pas à couper des scènes et même à réécrire, je ne sais pas comment il est parvenu à faire passer cet odieux et benêt personnage ! Alors qu'au départ, c'est lui qui a raison et qui représente l'honnêteté et la résistance à la corruption de l'argent !

      Supprimer
  6. La vision du peuple n'est pas un choc pour moi : on retrouve la même théorie chez les philosophes antérieurs. Chénier, Flaubert montrent ces mêmes aspects dans leurs oeuvres...

    RépondreSupprimer
  7. Je ne connaissais pas du tout cette pièce d'Ibsen ! C'est vraiment un auteur fascinant. Les citations sont assez stupéfiantes en effet... Enfin, une œuvre que j'aimerais bien découvrir, encore. Avec une mise en scène d'Ostermeïr, encore plus car j'aime beaucoup son travail...

    RépondreSupprimer

Merci pour votre visite. Votre message apparaîtra après validation.