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mercredi 8 octobre 2025

Каракачани : En Bulgarie, les karakatchans, un peuple nomade d'origine grecque

Plovdiv : Maison du docteur Chamakov  Zlati Boyazhiev  : Каракачани : Karakatchani
 

Un petit article pour les curieux. 

En visitant la maison du docteur Chamalov et l'exposition  du peintre de Plovdiv, Zlati Boyadzhiev, deux très grands tableaux ont attiré mon attention. Sobrement intitulés Каракачани : Karakatchani, ils m'ont intriguée car je ne connaissais pas cette ethnie et aucun renseignement n'était donné à propos de ces oeuvres.  

 Le Dictionnaire bulgare de l'Académie bulgare des sciences donne la définition suivante du terme : Каракачани :  Karakatchani  :

... petite population de la péninsule balkanique, parlant un ancien dialecte grec du nord et habitant les pâturages de haute montagne des montagnes du Pinde, du Shar, du Pirin, du Rila, des Rhodopes, de la Stara Planina et de la Sredna Gora en été, et les champs de Thrace et les régions côtières de la péninsule en hiver.

Ce sont des bergers qui vivent de leurs moutons dont ils vendent la viande, le lait et la laine. Ils ont été longtemps nomades avant d'être obligés de se sédentariser. Ils se fixaient dans les montagnes en été et en hiver gagnaient les plaines de Thrace jusqu'à la mer Noire.
 

Chaque année, de nos jours, le dernier vendredi et le dernier samedi d'août, se déroule le Festival national des Karakatchans de Bulgarie. Il se déroule à Karandila, un parc près de Sliven, et est organisé par la Fédération des sociétés culturelles et éducatives des Karakatchans de Bulgarie.

Ces oeuvres ont été peintes par Zlati Boyadzhiev en 1971/1972 à une époque où les Karakatchans, du moins certains d'entre eux,  étaient encore nomades si j'en crois ce tableau : 

 

Plovdiv : Maison du docteur Chamakov  Zlati Boyazhiev  : Каракачани : Karakatchani

 
 
Les bergers et leurs troupeaux se déplacent séparément. Le reste des hommes et des femmes avec les chevaux chargés de leurs biens font route à pied. Sur la peinture de Boyadzhiev on voit des femmes juchées sur les chevaux, les plus âgées, peut-être, une mère, des enfants.

 

Berger Karakatchan (détail)
 

  

 Les origines des Karakatchans

 
Plovdiv : Maison du docteur Chamakov  Zlati Boyazhiev  : Каракачани : Karakatchani (détail)
 
 
Ces renseignements sont extraits de l'article intitulé : Origine, mode de vie et moyens de subsistance des Karakachans de Stanislas Valevdont je cite le début. A lire  ICI 

"Il existe différentes versions de l'étymologie du nom des Karatkachans. L'une d'elles affirme qu'il viendrait du turc « karakacan » ou « kirkacan ». Ces mots ont la même signification : « Celui qui part vers les terres incultes » ou « celui qui quitte la forêt » . L'autre version affirme que leur nom viendrait du turc « kara », qui signifie noir, et « kachan », qui signifie pauvre. Leur langue dériverait de la forme populaire du grec « koinè »."

Il existe plusieurs théories sur l'origine des Karakatchans. L'une d'elles affirme qu'ils habitent les Balkans depuis des millénaires. Selon cette thèse, ils vivaient à l'origine dans la région du Pinde, en Grèce centrale, et plus précisément dans le massif d'Agrafa, où se trouve la ville de Ioannina. Sous la domination ottomane, ils résistèrent aux esclavagistes, ce qui les poussa à subir une répression massive. C'est pourquoi, au début du XIXe siècle, ils quittèrent leurs terres et adoptèrent un mode de vie semi-nomade.

Les Karakachans se trouvent du Péloponnèse à travers la Thessalie et la Grèce du Nord jusqu'à la Bulgarie, l'actuelle République de Macédoine, l'Albanie, Andrinople, la Thrace et les terres d'Asie Mineure.

L'une des histoires les plus incroyables sur leur origine raconte qu'ils furent les derniers défenseurs de Constantinople. Leurs aînés décidèrent alors d'exprimer leur deuil en portant des vêtements noirs. Cette couleur fut également transmise à leurs troupeaux. "

 
Le costume des karakatchans

 


"Les vêtements traditionnels des Karakachans se distinguent par leur originalité et reflètent leur culture matérielle, bien qu'ils aient également emprunté à d'autres vêtements nationaux. Les matières traditionnelles utilisées pour les coudre sont la laine et le coton. La couleur noire prédomine, ce qui explique probablement leur nom de Karakachans.

Le costume féminin Karakachan est à la fois hivernal et estival, ce dernier étant sans manches. Les vêtements sont superposés : la longue chemise blanche en coton se porte à l'intérieur. Elle possède des manches trois-quarts bordées de broderies cousues. À son extrémité inférieure, près des chevilles, elle est ornée de dentelle abondante, le plus souvent noire. D'autres manches coupées en laine sont portées par-dessus les manches de la chemise."

Les karakatchani portent des vêtements où domine le noir parce que, fuyant la domination turque, ils se seraient enfuis de leur région d'origine, les montagnes de Pinde en Grèce, et auraient choisi  cette couleur en signe de protestation et de deuil.  Karakatchan vient de Kara qui veut dire noir, on l'a vu, mais Katchan peut aussi signifier fugitif.

 

Le chien berger karakatchan

 

Le chien karakatchan


 Le karakatchan est un chien élevé par les bergers Karakatchans. C'est un gros chien, très fort, qui n'hésite pas à s'attaquer au loup ou à l'ours pour protéger son troupeau dans les montagnes et les forêts des Balkans. On l'appelle aussi l'égorgeur de loup. Il n'abandonne jamais son troupeau et est prêt à le défendre contre tout danger. Il a failli disparaître au moment de la nationalisation des biens voulus par les communistes en Bulgarie, qui a dépossédé les bergers de leurs moutons.

 

 

Le chien karakatchan


Le cheval Karakatchan


 

Le cheval karakatchtan


Le karakatchan est une race de petits chevaux très rustiques, solides, habitués à porter de lourdes  charges pendant les transhumances. Au moment de la nationalisation les chevaux ont été tués. En 1994 il n'en restait plus que 30. Un programme de sauvegarde mis en place depuis a permis de préserver la race.

 

 Le mouton karakatchan

  

Le mouton karakastan


Le mouton karakatchan représente la plus ancienne race du sud-est de l'Europe étant donné qu'elle remonte au mouton primitif de Thrace, "le Tsekel". C'est un mouton de montagne qui est très proche du mouflon avec ses cornes enroulées et sa laine rugueuse. On dit que les bergers Karakatchans éliminèrent la couleur blanche pour ne garder que les moutons noirs.


Le mouton karakastan






samedi 13 septembre 2025

Odon Von Horvath : Un fils de notre temps


 

  

 Odön Von Horvath

Nationalité : Hongrie 
Né(e) à : Fiume, Autriche-Hongrie , le 09/12/1901
Mort(e) à : Paris , le 01/07/1938
Biographie : 

Né dans une famille noble et catholique, mais aux idées libérales, Ödön von Horváth avait du sang hongrois, croate, tchèque, allemand. Sa nationalité était linguistique : l'allemand, sa langue maternelle. 

Détenteur d'un passeport hongrois, Odön von Horvath se défend toute sa vie d'une appartenance à une nation :"Le concept de partie falsifié par la nationalisme, m’est étranger. Ma patrie, c’est le peuple."

En 1933 il ajoute :  « Notre pays, c’est l’esprit. » 

Fils d'un diplomate austro-hongrois, il grandit dans différentes villes : de Belgrad à Budapest en passant par Vienne, Presbourg et enfin Munich, où il décide de poursuivre des études de germanistique.

Il quitte la ville, sans diplôme, pour s'installer à Murnau et se consacrer entièrement à l'écriture. Près d'un an plus tard, il part pour Berlin où une maison d'édition lui offre un contrat qui lui permet de vivre de sa plume. En 1931, il obtient le prix Kleist pour sa pièce 'Légendes de la forêt viennoise'. Il rejoint Vienne qu'il quittera à son tour pour échapper aux représailles du national-socialisme

Horváth a su en particulier renouveler la tradition du théâtre populaire pour en développer une veine critique, qui n’a rien perdu de son actualité. Von Horváth se réfugie à Paris le 26 mai 1938 avec son amie Wera Liessem pour rencontrer Robert Siodmak et discuter de l'adaptation cinéma de « Jeunesse sans Dieu.» 

Le 1er juin, alors qu'il se promène sur les Champs-Élysées, une tempête déracine un marronnier et une des branches le tue devant le théâtre Marigny

Auteur de dix-sept pièces de théâtre et de trois romans, Odön von Horvath dénonce le fascisme dans ses dernières œuvres. (Wikipédia)

Un fils de notre temps

Comment peut-on adhérer à l’idéal nazi ? Comment un jeune homme né libre peut-il accepter de perdre sa liberté, d’adhérer à une discipline qui ressemble plutôt à un lavage de cerveau? Comment peut-il être amené à tuer ceux qui, hier, lui ressemblaient, comme lui, pauvres, chômeurs, sans avenir, désespérés ?

C’est avec une grande lucidité que, devant la montée du nazisme, Odon Von Horvath écrit  Un fils de notre temps, un livre qui "urge" qui urge"
Van Horvath y décrit la société allemande dont l'économie va très mal après la défaite et le traité de Versailles de 1918, et où le sentiment de la revanche à prendre sur l’humiliation ressentie ne cesse de grandir.

Le chômage touche une grande partie de la population, avec tous ses maux, la faim, la pénurie de logement, le manque de vêtements, le froid, la misère et par dessus tout la perte de l’estime de soi. A force de pointer à la soupe populaire, de vivre d’aumônes, de voler pour manger, le personnage qui parle à la première personne dans ce roman, ne veut plus. Il refuse de continuer ainsi :

«  Je suis un homme honnête, pourtant, et ce n’est que le désespoir de ma situation qui m’a fait bailler ainsi, comme un roseau sous le vent, six sombres années durant. Le chemin penchait toujours plus et mon coeur était toujours plus triste. Oui, j’étais devenu amer. »

Le voilà donc soldat et heureux : il n’a plus faim,  il a un uniforme neuf,  un capitaine qui lui tient lieu de père (le sien, il ne l’apprécie guère !) et surtout il  est est fier de lui-même, de sa vie où tout est réglée, où l’ordre règne, de ses capacités de tireur. Il est prêt  à remplir le rôle qu’on lui demande de tenir car « la patrie ne va bien que si elle se fait craindre c’est à dire quand elle possède une arme affûtée. Et cette arme, c’est nous.  ». 
« Mais un soldat n’est pas un assassin »
leur lance leur capitaine horrifié par les crimes commis par cette armée transformée à machine à tuer et qui ne respecte pas la  déontologie. Quand on est soldat, il faut bien apprendre à tuer ! Quand on est soldat, il faut perdre son bras… pour rien et être exclu comme un chien. Bien vite, le désenchantement s’installe. Et le soldat exhorte un enfant qui le regarde mourir : 

« Et quand tu sera grand, ce sera peut-être une autre époque, et tes enfants te diront : ce soldat n’était qu’un vulgaire assassin - alors, ne m’insulte pas aussi.
Comprends donc : il ne savait pas que faire d’autre, il était un fils de son temps. »


Ce court roman écrit dans un style dépouillé, tranchant, résonne comme un cri en 1940 face à la montée des violences et de l'idéologie nazie mais il est toujours aussi actuel et nous éclaire aussi sur nous-mêmes et sur notre époque, celle de toutes les intolérances, des génocides et des guerres d’expansion qui ravagent le monde.
 

mardi 22 juillet 2025

Shakespeare : Le songe d'une nuit d'été

Arthur Rackham : Puck et Titania
  

Je devais aller voir Macbeth pour participer au challenge de Cléanthe mais je n'ai pas pu. Par contre j'ai assisté à deux représentations de le Songe d'une nuit d'été  qui m'ont particulièrement déçue. Je reprends ici tout en le complétant ce que j'avais déjà écrit sur cette pièce pour le challenge Shakespeare il y a quelques années pour mieux faire comprendre ma déception.


La  pièce de Shakespeare Le songe d'une nuit d'été était à l'origine intitulée Le songe de la nuit de la Saint Jean. Une bizarrerie puisque Shakespeare place le déroulement de sa pièce au mois de Mai (mid summer).
 L'universitaire Ernest Schanzer donne une explication : il s'agit de la date de la première représentation du Songe donnée pour célébrer la nuit de la Saint-Jean. Ce qui reste étonnant, pourtant, c'est que le dramaturge ait tenu à placer l'action la veille du premier Mai. Certes, ces deux nuits, dans les croyances élizabéthaines, étaient toutes deux considérées comme propices à la magie, à l'apparition des êtres surnaturels. Cependant c'est à la Saint Jean que les fleurs cueillies cette nuit-là ont un pouvoir magique capable de susciter des rêves amoureux et de frapper les gens de folie. Or, constate Ernest Schanzer  "la folie amoureuse n'est-elle pas, en effet, le thème essentiel du songe d'une nuit d'été ?".
Quoi qu'il en soit, la pièce est bien nommée puisque toutes les scènes se déroulent la nuit sauf peut-être la première scène de l'acte 1 et encore est-elle placée aussi sous le signe de la lune..

L'intrigue 

La scène se passe à Athènes et dans un bois voisin.

Thésée, le duc d'Athènes et Hippolita vont fêter leur mariage dans quatre nuits, à la nouvelle lune.  Mais Egée, un vieux courtisan,  vient se plaindre de sa fille Hermia qui refuse d'épouser Démetrius, le prétendant qu'il lui a choisi. Hermia aime Lysandre et veut se marier selon son coeur.  Héléna, la fille de Nedar, elle, aime Démetrius qui lui préfère Hermia. Telle est la situation, inextricable, lorsque les deux amoureux, Hermia et Lysandre décident de fuir.  Ils seront suivis, contre leur gré, par Héléna et Démétrius. Les quatre jeunes gens se perdent dans la forêt pendant cette nuit de folie et vont être les jouets des fées.

Pendant ce temps, des gens du peuple, artisans de la ville, décident de monter une pièce sur la mort de Thisbée et de Pyrame pour la représenter au mariage de Thésée et Hippolita. Ils espèrent s'attirer les bonnes grâces du roi. Ils s'éloignent dans la forêt guidé par Lecoin, le charpentier qui s'est improvisé metteur en scène. La troupe à l'intention de répéter à l'abri des regards et il va leur arriver à eux aussi bien des mésaventures.

Dans la forêt vit le peuple des fées : La reine Titania, entourée de ses elfes, est en rivalité avec Obéron, le roi des fées. Il lui réclame un enfant qu'elle lui a volé. Elle refuse et Obéron jure de se venger avec l'aide de Puck ; il demande à ce dernier d'aller cueillir une fleur magique dont le suc déposé sur la paupière d'une personne la rend amoureuse du premier visage aperçu lors de son réveil.

Avec cette fleur commence la folie amoureuse de cette nuit d'été : Titania tombera amoureuse de Bottom (Navette), le tisserand, affublé d'une tête d'âne ; les quatre jeunes gens eux aussi vont changer de soupirants et voir se nouer et dénouer leurs amours, au gré des caprices des fées.


Une comédie tragique : l'Homme est-il libre ?


Le songe d'une nuit d'été est une comédie. Elle présente effectivement des personnages franchement comiques, en particulier la troupe de théâtre des artisans, ridicules à souhait dans leurs prétentions. Les personnages vont jouer une tragédie en se prenant très au sérieux; c'est ce qui va provoquer le rire car nous assistons à une parodie sans que les acteurs en soient conscients. Ils craignent même de faire peur aux dames ! Ce sont des personnages de farce et celle-ci est à son comble quand Bottom se retrouve avec une tête d'âne. Shakespeare a toujours aimé mener une réflexion sur le théâtre dans ses pièces, soit pour révéler la vérité comme dans Hamlet, soit pour rappeler que la vie, le monde entier, est un théâtre comme dans Macbeth ou Le marchand de Venise.  Ici, le théâtre dans le théâtre permet de jouer sur le grotesque tout en dénonçant la sottise et la vanité humaines. Il est aussi frappant de constater que le thème de Pyrame et Thisbé répond à l'intrigue du Songe, une histoire d'amour contrarié et d'amants séparés. A l'astre de la lune qui veille sur la pièce, répond la lune factice, une lanterne, des comédiens amateurs.

Cependant la pièce a un fond tragique et même si le spectateur rit, il reste conscient de la cruauté des jeux amoureux qui se déroulent devant lui. Quand le suc de la fleur magique détourne l'amour de Lysandre et de Démétrius vers Héléna, Hermia devient pour eux un objet de mépris. Il n'y aucune compassion pour la jeune fille qui doit essuyer des insultes :

"Moi me contenter d'Hermia ! Jamais ! Comme je regrette les heures d'ennui passées auprès d'elle. C'est Héléna que j'aime, non Hermia !  Qui ne voudrait changer une corneille contre une colombe ?(...)

"Va-t-en tartare moricaude, va t'en ! au diable médecine répugnante, au diable vomitif dégoûtant!"

Les rapports entre  hommes et femmes sont donc d'une grande violence  même si leur caractère excessif nous rappelle que nous sommes dans la comédie. Il n'en reste pas moins que Hermia soudainement délaissée est désemparée, humiliée et malheureuse. Héléna qui ne peut croire au revirement des deux jeunes gens, est tout aussi blessée par ce qu'elle croit être une raillerie. La souffrance des deux femmes est bien réelle.

Hermia : Jamais si fatiguée, jamais si malheureuse, trempée par la rosée, déchirée par les ronces, je ne puis me traîner ni avancer d'un pas.

Mais les relations entre femmes ne sont pas meilleures même si elles sont parfois plus subtiles. Hermia se fâche lorsque Héléna dit et répète qu'elle est "petite" ! Est-elle trop susceptible ? La "gentille" Héléna  a-t-elle une intention blessante ou, au contraire, dit-elle cela innocemment ?  Nous restons ainsi dans la comédie mais Shakespeare nous montre une nature humaine bien noire. 

Il est vrai que les personnages magiques eux-mêmes ne sont pas plus sages, témoins la dispute entre Titania et Obéron, les facéties de Puck, et ils ont, comme jadis les dieux de l'Olympe, tous les défauts des humains, à moins que ce ne soit le contraire ! Cependant leur guerre, leur colère ou leurs décisions, s'ils peuvent nous faire rire, ont un retentissement sur l'ordre du monde et sur la destinée des hommes. 

Le pauvre laboureur voyait ses champs croupis,
Et dans les prés noyés le parc est sans troupeaux,
Car le bétail malade a nourri les corbeaux.
Le mail où l’on jouait ? La fange l’a couvert !
Nos yeux, sans la trouver, cherchent la place où fut
Le sentier qui courait sous les gazons touffus.]
Les hommes ont perdu leurs saintes nuits d’hiver ;
Plus d’hymnes de Noël ! Et, pâle et refroidie,
La lune, reine de la mer,
Répand partout les maladies !
Voilà ce qu’ont fait nos querelles !
Les saisons se battent entre elles ! 

Le givre aux lèvres froides pose
Ses baisers sur le cœur des roses,
Et, misérable moquerie,
L’hiver grelottant a placé
Sur son crâne glacé
Des couronnes fleuries !]
Oui, l’été, le printemps et l’hiver et l’automne
Échangent leur livrée ! Et le monde s’étonne
Du désordre des éléments !
Telle est notre œuvre !…  

La pièce est donc aussi une réflexion et pas des moindres sur la liberté de l'homme face à la divinité. Ce sont les Fées qui tirent les ficelles et les êtres humains apparaissent bien vite comme des marionnettes soumises à leurs caprices. Obéron tout puissant et Puck, en commettant des erreurs, tiennent entre leurs mains la clef de leurs sentiments et décident de leur avenir. Doit-on penser que Shakespeare penche vers le déterminisme voire la prédestination dans cette Angleterre qui a rompu avec le catholicisme? Ce serait peut-être aller bien loin et encore une fois, comme il s'agit d'une comédie, Shakespeare nous invite à ne pas trop nous poser de questions et à considérer tout cela comme un rêve ! (même si celui-ci vire parfois au cauchemar !). Pourtant l'on peut avoir de sérieux doutes quant à la liberté de l'Homme en voyant Le Songe d'une nuit d'été, même si ce dernier est persuadé du contraire !


La folie amoureuse 

 

Titania et Bottom

Car le pessimisme de Shakespeare s'exprime dans cette peinture de la folie amoureuse. Lysandre peut passer de l'amour d'Hermia à celui d'Hélène puis revenir à Hermia ; Titiana s'énamoure d'un monstre à tête d'âne et le tient pour le plus beau des êtres.  Si l'on peut changer ainsi de partenaire, si l'on peut s'aveugler sur les mérites de celui qu'on aime, si le caprice préside au choix, si les êtres sont interchangeables, alors l'amour réel existe-t-il ?
Il faut remarquer que c'est au moment où Lysandre agit avec le plus d'inconséquence qu'il invoque la raison pour expliquer qu'il n'est plus amoureux d'Hermia mais de Héléna : 

C'est la raison qui gouverne la volonté de l'homme et la raison me dit que vous êtes la plus précieuse.
 

On voit l'ironie de Shakespeare ! Et la conclusion paraît évidente. L'amour n'est qu'une création de l'esprit, il s'apparente à la folie et l'un ne va pas sans l'autre.
 

La féérie, la fantaisie

Obéron et Titania dans la belle représentation de Le songe et the Fairy Queen de Purcell 

 

Enfin la pièce est magnifique par sa poésie et sa beauté lyrique. Elle peint les sortilèges de la nuit :

Il nous faut nous hâter, seigneur des elfes, car les rapides dragons de la nuit fendent les nuages en plein vol et voyez briller là-bas la messagère de l'aurore. A son approche les fantômes qui errent çà et là s'assemblent pour regagner les cimetières..

Elle est éclairée dès le début par un clair-obscur onirique, celui de la lune et la nuit; des ombres s'agitent, éphémères, dans l'obscurité. Rien n'est solide, rien n'est vrai et les fées qui peuplent la forêt sont "des esprits" qui s'évanouiront à l'approche du jour à l'exception, peut-être, d'Obéron, le Seigneur des elfes qui peut braver les rayons de l'aurore.

La fantaisie de la pièce est remarquable dans la façon de traiter le thème féérique avec ses personnages majestueux comme Titania ou Obéron,
 

"Je connais un tertre où fleurit le thym sauvage, où croissent les primevères et les tremblantes violettes, le foisonnant chèvrefeuille, l'églantine, les douces roses musquées le recouvrent d'un dais; C'est là, parmi ces fleurs, que Titania s'endort un moment la nuit bercée par les danses et les délices avec ses  elfes au nom délicieux, entités de la Nature et qui participent à son entretien et à sa survie :  Toile d'araignée, Phalène, Graine de moutarde, Fleur de pois... 
Puis vous partirez durant le tiers d'une minute, les uns pour aller tuer les vers dans les boutons des roses musquées; les autres pour guerroyer contre les chauves-souris ."

et avec Puck, ce Robin le diable, malicieux, farceur et parfois un peu redoutable pour les pauvres êtres humains égarés dans la forêt :

Tu dis vrai? Je suis ce joyeux vagabond nocturne. J'amuse Obéron et le fais sourire quand métamorphosé en jeune pouliche, je hennis pour tromper le gros cheval bourré de fèves…"

Puck est un personnage de la mythologie celte, et s'il n'est pas entièrement méchant, il est tout de même  capable de farces cruelles.

 La Fée à Puck

Si vos manières ne m’abusent,
Galopin,
Cervelle matoise,
Vous êtes le fameux Robin
Bon Enfant qui s’amuse
À lutiner les villageoises !

C’est vous qui répandez le lait des cruches pleines ;
Détraquez le moulin au milieu du labeur ;
Mettez la vieille hors d’haleine
Quand elle bat son beurre ;
C’est par vous que s’évente
Et que s’aigrit la bière...

 

Puck : Reynolds
  

 Le théâtre dans le théâtre : le burlesque

 

Les artisans qui jouent la pièce de Pyrame et Thisbé sont les personnages grotesques, des acteurs qui ne se rendent pas compte de leur nullité et qui sont très fiers d'eux-mêmes.  Réflexion sur le théâtre, sur les mauvais comédiens ? Le plus vaniteux - qui se croit capable de jouer tous les rôles - est bien sûr Bottom et ce n'est pas étonnant que ce soit lui qui soit puni, devenu un monstre à tête d'âne.  Si sa mésaventure fait rire, Ann Witte dans son article sur Shakespeare et le folklore de l'âne écrit que parmi les métamorphoses de la pièce "le symbolisme érotique de l'âne se retrouve dans des traditions qui mettent en valeur les rites de fécondité liés à ce animal, tantôt emblème de sottise et de paresse, tantôt symbole du "bas matériel et corporel"( bottom) ) qui incarnait la puissance maléfique."

Ainsi même dans la partie comique de la pièce, nous sommes donc toujours dans le registre de la féérie  et des personnages inquiétants avec l'âne Bottom.


Une pièce très riche dont on ne peut épuiser le sujet.  Je l'ai déjà vue plusieurs fois dans des mises en scène très différentes. C'est la première pièce que j'ai vue au théâtre à l'âge de 13 ans. Et j'en garde un souvenir ébloui. Elle fait partie de mes comédies shakespeariennes préférées avec La nuit des rois et Beaucoup de bruit pour rien.

 

C'est pourquoi j'ai été très déçue par les deux représentations que j'ai vues cette année; l'une où le metteur en scène a simplifié l'action pour la mettre à la portée de ses comédiens qui paraissaient tout juste sortis de l'école.

Une autre interprétée par de jeunes comédiens qui remplacent par leur énergie ce qu'ils ne sont pas capables de rendre par leur talent. Tout est joué sur le même registre, comique, si bien que l'on distingue à peine ce qui est du domaine de la parodie théâtrale donnée par les artisans, du reste de la pièce. Bien sûr, un spectateur qui ne connaît pas la pièce peut rire et s'en satisfaire puisqu'il n'attend rien de plus. Je le comprends. Mais il n'est pas étonnant, ensuite, qu'il la considère comme une comédie légère et mineure dans l'oeuvre de Shakespeare. Toute réflexion est écartée et où est passé le beau texte lyrique de l'écrivain ? Cela me fait mal de voir comment l'on appauvrit un texte si riche !


Participation  à Escapades en Europe (avec un mois de retard pour le  thème de Shakespeare) chez Cléanthe


mardi 15 avril 2025

Yordan Raditchkov : Les récits de Tcherkaski


Dans Les récits de Tcherkaski, Yordan Raditchhkov (1929-2004)  met en scène les paysans d’un village bulgare imaginaire qui ressemble beaucoup à celui où il est né, Kalimanitsa, dans le nord-ouest de la Bulgarie.

J’avoue que j’ai d’abord été un peu déstabilisée par les récits de Yordan Raditchkov et qu’il m’a fallu un moment pour m’y faire.

C’est d’abord par la forme qu’ils m’ont surprise, l’écrivain procède par répétitions au cours d’un même récit. L’histoire présente une structure récurrente mais agrémentée de variantes, d’ajouts, de développements différents, retournant au début pour progresser et repartir vers la suite.  Yordan  Raditchkov donne ainsi l’impression d’oralité, l’impression d’un conte raconté de loin en loin, d’une bouche à l’autre, le soir à la veillée, ce qui donne lieu chaque fois à des fioritures selon l’imagination du conteur. L’écrivain explique qu'il a à coeur de  « légaliser le discours populaire parlé. Non seulement le discours populaire parlé mais aussi la manière dont le peuple construit ses histoires. »

Ainsi le conte intitulé Janvier dans lequel des chevaux pleins de terreur font irruption dans le village sans leur maître mais avec un loup mort dans leur traîneau. D’autres villageois décident de partir à leur tour pour chercher le disparu mais les chevaux reviennent  sans eux avec un loup mort dans le traîneau et ainsi de suite. Métaphore de la Mort ? Peut-être ? Mais aussi impression d’être plongé dans un univers absurde qui est une autre caractéristique de ces récits.

 On dit de lui qu’il est un Kafka bulgare. Absurde le voyage dans Paris a un jour de congé, lorsque Gotsa Guerasov part à Paris en train, avec ses jambières et son couteau, ses amis lui disent de faire attention aux françaises car elles ont des culottes de dentelle, sa femme lui conseille de mettre un pull over (Un pull over ! un truc de bonne femme), les cochons regardent les paysans aiguiser leur couteau d’un oeil féroce et dévorent les poules. Enfin, le train part et traverse tous les pays européens mais quand Gotsa arrive à Paris, la ville est vide et il n’aperçoit que la Tour Eiffel :

-Et il n’y a rien d’autre ?
-Bien sûr que si ! dit le conducteur. Mais aujourd’hui Paris a un jour de congé


 Et Gotsa Guerasov retourne au pays sans avoir vu Paris pour tuer les cochons avec son couteau, des cochons qui  n’ont pas l’intention de se laisser faire et qui le regardent encore plus férocement.

On peut parler aussi à propos des  des récits de Tcherkaski de « réalisme magique » mais qui n’a rien à voir avec celui des oeuvres latino-américaines.  La magie vient ici des légendes, des croyances, de l’imagination paysannes, un pays peuplé par des petits personnages étranges comme Le Tenèts« être  humain qui, après sa mort, ne va nulle part mais reste parmi nous », créatures magiques qui font le travail à ta place, traire les vaches, actionner le métier à tisser et même, depuis que Raditchkov l’a rencontré, c’est lui qui écrit ses oeuvres tandis qu’il se la coule douce. Mais il y a aussi Le Verblude, une créature fantastique qui peut prendre toutes les formes, issue de l’imagination de l’auteur.

 Bien sûr, tous ces récits sont souvent teintés d’humour et contiennent aussi une dimension sociale. Dans la postface, Marie Vritna-Nikolov, la traductrice, écrit  « Cette magie intérieure à l’homme, est liée à la vie paysanne ; elle a disparu de notre monde moderne trop riche en objets de toutes sortes pour stimuler notre imagination. Le paradoxe souligné par Raditchkov est que la pauvreté matérielle engendre une richesse imaginaire, tout un monde merveilleux qui disparaît sous le flot de l’abondance matérielle. »
 C’est peut-être ce que signifie la conclusion du récit Paris a un jour de congé : «  Il était sûr que tout s’était passé ainsi, parce qu’il l’avait pensé ou bien qu’il l’avait désiré. Quelles pensées ne nous viennent-elles pas à l’esprit entre deux soupirs de tempête et que ne désire-t-on pas ? »  Le paysan  sait bien que jamais il ne verra Paris, que ce voyage, il est trop pauvre pour le faire autrement qu’en imagination !

Mais nous dit la postface il existe aussi une dimension politique dans ces récits qui étaient présentés comme des fables - apparemment absurdes, grotesques et inoffensives- pour la censure. Les lecteurs de l’époque ne s’y trompaient pas et au-delà de la fable cherchaient le deuxième degré. (Je suis comme les censeurs, je n’ai  souvent lu les oeuvres qu’au premier degré, je l’avoue !).  Raditchkov confie que si au lieu de Paris, il avait, comme il le désirait,  parler de Moscou, la réaction aurait été violente.  Et c’est vrai que si c’était Moscou a un jour de congé, à l’époque du totalitarisme soviétique, cette ville vide, morte, que l’on ne peut voir, et cette conclusion, Que ne désire-t-on pas ?  prendraient un autre sens !  
De même dans Le printemps arrive, si on lit ce dialogue plein d'humour au second degré lorsque le camarade président s’indigne que la rivière ait autant de méandres.

-«  Cette rivière doit être corrigée ! dit le président.  Pourquoi tant de méandres pour une seule rivière ?
- c’est une vieille rivière, camarade président, dit Gotsa Guerasov
-Je sais bien qu’elle est vieille !
-Elle est là depuis l’époque turque, camarade président . »

Le pouvoir veut même "corriger" la nature, lui dicter sa loi et il faut excuser la rivière d'être ce qu'elle est ! J'ai bien aimé d'ailleurs que l'excuse sa fasse sur le dos des Turcs !  

Enfin de tous ces récits un peu burlesques, avec une logique décalée, toujours étonnante, mais dans un style magnifique, surgit la poésie liée à la Terre si étroitement mêlée à la vie des paysans juchés sur leur charrette, dans la brume, que l’on ne sait distinguer l’une de l’autre comme dans Humeur farouche :

« Tout cela roulait en eux profondément, tantôt froid, tantôt bleuté, tantôt revêtu de lumière et tremblant de chaleur, tantôt irisé, tantôt d’un vert estival : cela roulait, tournait dans un mouvement circulaire et silencieux, et les hommes sentaient les gouttes suinter de ce tourbillon et tomber sur leur coeur, régulièrement, tranquillement, et à chaque contact, ce coeur se serrait, puis relâchait ses muscles avant de se serrer encore, puis se relâchait à nouveau en diffusant une vibration dans les veines, et les coups étaient comme un écho qui ne pouvait jamais être absorbé et qui ne mourait jamais, tout comme ne mouraient pas le mouvement des roues devant eux, la rotation de la Terre et du soleil.

une nature douée de vie L’arbre vert … 


"L’arbre vert pointait, hérissé comme un porc-épic, à croire qu’il se dressait contre la forêt entière : une vraie petite bête féroce qui piquait dès que quelqu’un tentait de le toucher.. «  Il est sauvage, dit mon père, mais nous allons l’apprivoiser ! ». C’était le printemps ; les tortues sortirent à l’air libre, elles se mirent à promener d’un air important leurs grandes maisons à travers la clairière, le loup changea de nouveau de fourrure et les arbres commencèrent à verdir. "


Yordan Raditchkov (1929-2004)


 

 

"Né en 1929 dans le village de Kalimanitsa, dans le nord-ouest de la Bulgarie. Souffrant de tuberculose, il se voit obligé de suivre une longue convalescence dans une station thermale et dans son village natal.
Journaliste et membre des comités de rédaction de plusieurs journaux, membre de la commission des scénarios de la Cinématographie nationale bulgare, Yordan Raditchkov publie en 1959 un premier recueil de récits, Le cœur bat pour les hommes, suivi de plusieurs autres recueils de récits et de romans. Sa première pièce de théâtre, Remue-ménage, date de 1967. Viennent ensuite les pièces Janvier (1973), Lazaritsa (1978), Tentative d'envol (1979), Les paniers (1982).
En 1980, son roman-récit de voyages Les cours obscures est traduit en français et publié chez Gallimard. Les textes de Raditchkov sont traduits dans plus d'une vingtaine de langues. Ses pièces sont jouées dans plusieurs pays, dont la Suède et la Finlande.
Il est titulaire du prix Georges Dimitrov, l'une des plus hautes distinctions bulgares. En 1994, il reçoit le prix italien Grinzane Cavour pour le meilleur livre étranger.
Yordan Raditchkov est considéré comme un classique vivant de la littérature bulgare.
"




mercredi 5 mars 2025

Kapka Kassabova : Elixir dans la vallée à la fin des temps


 

Kapka Kassabova avec Elixir dans la vallée à la fin des temps nous emmène en Bulgarie, dans les montagnes des Rhodopes, au coeur de la vallée où coule le Mesta et où vivent les Pomaks, ce peuple enraciné dans la terre, musulman mais non turcophones. Le pays des 742 plantes médicinales. Dans ces paysages encore sauvages malgré l’exploitation intensive qui eut lieu pendant la période communiste, tout paraît connecté, les sommets, les gens et les plantes si bien que l’on y sent quelque chose de « l’ancien temps »

"La Bulgarie, comme je l'ai découvert, est un des premiers pays exportateurs de plantes médicinales et culinaires. Nombre d'entre elles sont toujours récoltées dans la nature, et le bassin de la Mesta est une plaque tournante dans ce secteur du fait de sa richesse écologique : trois chaînes de montagnes, une superposition de plusieurs microclimats, le tout quasiment épargné par l'industrie. Et même par la mécanisation ou la modernité jusque dans les années 1950. L'Etat communiste exploita ensuite la vallée au maximum ".

Dans cet ouvrage, Kapaka Kassabova, écrivain bulgare, installée en Ecosse, part à la recherche de son enfance, des souvenirs de sa grand-mère qui l’a initiée à la cueillette des plantes et à leur savoir, en quête de cet élixir qui est le titre de son ouvrage et dont la composante essentielle est « l’émerveillement » . Mais ajoute-t-elle  : « C’est à vous de le chercher ». « Tout ce que je sais, c’est que notre Terre le fabrique dans son chaudron, en permanence, partout, et que vous faites partie de la recette insensée ».
Elle entre en contact avec les derniers cueilleurs, détenteurs de ce savoir ancestral : les guérisseuses, magiciennes ou sorcières, ou encore saintes, Stoyna, Vanga qui sont vénérées, mêlant christianisme et paganisme. Rocky est l’ensorceleur, Emin, celui qui murmure à l’oreille des chevaux, Tatie Salé est une charmante sorcière au nez crochu et aux yeux chafouins. Tout le pays baigne dans la magie et l’animisme, ce qui n’empêche pas pourtant une approche réaliste des souffrances du peuple Pomak et des difficultés économiques qu’il continue à éprouver.
Dans ce pays, l’Histoire paraît déposer différentes strates qui se superposent pour former un tout mais l’on peut sentir la présence de chacune de ces périodes en restant attentifs : Qui vit sans la nature oublie. Qui vient en pareil endroit se souvient. »

Nous nous intéresserons ici, en particulier, à la Grèce antique si étroitement liée au Rhodopes dont elle est limitrophe, dans ce pays qui vit naître Orphée et où se trouve la grotte ouvrant sur les Enfers. Les plantes entretiennent avec la mythologie des liens étroits : le pissenlit nourrit Thésée et lui donne la force de s’attaquer au minotaure, l’Iris, déesse de l’arc-en-ciel est l’alchimiste originelle, archétype de la Tempérance, figure ailée munie de deux coupes, l’Atropa belladonne évoque les trois Parques, la première déroule le fil, la deuxième le tisse, la troisième Atropa la coupe…
Mais d’autres époques apparaissent.  Les différentes croyances se mêlent,  les formules rituelles, la magie changent d’époque, la samodiva, la nymphe des bois de ce pays n’a rien de bienveillant et change d’apparence  à sa guise, héritière de  la Grecque Thracé, fille du Dieu Oceanos.

Les Rhodopes : les massifs de Pirin et Rila

C’est ainsi que l’écrivaine nous invite à cette communion avec la nature qui ne peut se faire que par l’écoute et le respect. Tout y est musique. La Nature de Kapka Kassabova est bruissante de vie, de paroles, d’incantations :  les fourmis chantent, les pierres, les fleurs, les arbres parlent, révèlent leurs secrets à ceux qui savent les écouter.
La montagne jouait ses variations pour nous. Le Pirin était un conteur virtuose, avec ses fleuves, ses sources, sa palette de verts, ses ruines et ses fantômes.

 La rumeur de la forêt sans cesse en mouvement est « un pas de danse du soleil sur la mousse », les astres appellent, l’arbre sacré, le chinar, vibre, le géranium confie ses pouvoirs à la guérisseuse Vanga « Je sers à calmer les nerfs. Faites-le savoir autour de vous, il me dit. »  Rocky l’Ensorceleur lui confie «  Toutes les plantes sont amour. Mais tu dois apprendre à parler leur langue. Voilà c’est tout pour cette fois. J’espère que ce n’est pas trop tard. ».

Outre la connaissance des plantes médicales, Elixir est un hymne à la nature, un panier de goûts et de saveurs, un enchantement des yeux et des oreilles,  un appel à tous les sens, à la vie. Et j'aime ce style poétique !

La lune semblait pétrie de beurre baratté. Je sentais la sève monter dans les pins, comme le sang afflue vers l'épiderme. Aux phases de pleine lune, tout ce qui est là est doublement là.

« Mon dos absorbait la chaleur du sol et je me muais en ver de terre. Le bruissement de la forêt de haricots verts, l'odeur de résine du tas de bois, le sirop de pin de Zaidé dans le bocal, les hirondelles décrivant en silence des cercles sur les cimes – tout frémissait dans la lumière telle une toile d'araignée, puis volait en éclats à mon réveil, visage brûlé, soleil éclipsé ».

Vanga : « Pas de fleurs coupées surtout, précisait-elle. Elles sont comme des enfants aux mains tranchées… Apportez-moi une plante vivante. »

 

Voir le billet de Miriam Ici 

 

 


 

jeudi 21 novembre 2024

Maria Turstschaninoff : Nevabacka, terre des promesses


"Au loin, de l'autre côté de la tourbière, il distingua une créature à longues pattes et au cou interminable, comme un serpent. A y regarder de plus près, elles étaient plusieurs. Grises et noires, elles s'envolaient, leurs ailes déployées et leurs pattes oscillant dans les airs.
Les grues cendrées dansaient sur la tourbière. Les ailes tendues les unes vers les autres, le cou courbé, elles criaient et approchaient, le garçon ne fit aucun bruit, retenant son souffle. Jamais il n'avait vu un tel spectacle."

Nevabacka formé de deux mots, l’un finlandais neva, les marais, l’autre en suédois backa, la colline, désigne la ferme et la forêt où se déroule l’action du roman de Maria Turstschaninoff, en Ostrobotnie, à l’est de la Finlande.

Maria Turstschaninoff, finlandaise de langue suédoise, écrit un roman historique puisqu’il commence au XVII siècle et se termine de nos jours, mais qui est aussi un conte nourri de légendes traditionnelles, un poème en prose amoureux de la nature, des forêts et des animaux et qui plonge le lecteur au coeur même de la vie et de la beauté mystérieuse et sauvage.

Un soldat, Matts Rak, reçoit du roi, comme récompense de ses bons services militaires, une terre éloignée et sauvage qu’il appellera Nevabacka et qu'il s’efforcera de défricher, de labourer et de rendre fertile en bon fermier qu’il jamais cessé d’être malgré la guerre qui avait fait de lui un soldat. Sur son domaine s’étend une grande tourbière et des marais que le jeune paysan se propose d’assécher. Mais dans ces lieux se cache le peuple des forêts, celui qui échappe au christianisme et que le peuple révère et craint. La fée de la Tourbière - manifestation des croyances populaires, allégorie de la forêt et plus généralement de la nature toute puissante ? -  lui interdit de toucher à la tourbière et lui donne un fils en cadeau comme une compensation pour son obéissance. Nous suivons les différents membres de la famille issus de ces deux ancêtres, au cours d’une longue remontée dans les siècles où l’on passe de croyances primitives en des éléments surnaturels qui imposent le respect, à un monde où L’Eglise combat le surnaturel, punit ceux qui y croient et, à notre monde contemporain qui maltraite la nature et l’exploite au nom d’une économie efficace et productive.

Le réalisme du récit nous amène à partager la dure vie de ces paysans dans la ferme Nevabacka, qui, pour être la plus grande et la plus riche de la région, n’en exige pas moins un travail pénible mais la présence de la nature, de sa beauté majestueuse, baigne le roman d’une aura magique.

"Je me suis installée sur un arbre couché et, ma chère Charlotte, j'ai été saisie par la beauté de ce moment. D'abord, le ciel est devenu rouge, presque écarlate, avec des tâches roses et jaunes. Puis le soleil s'est levé à l'horizon et les rayons ont traversé la forêt, ornant les ombres des arbres de gravures dorées. Je n'ai jamais écrit de poèmes, mais à ce moment-là, mon âme en est devenu un."

 Les personnages se succèdent dans des récits qui semblent  indépendants les uns des autres mais qui sont reliés par des liens de parenté. L’existence éphémère de chacun forme un grand Tout, à la fois au niveau familial mais aussi à la dimension du pays, célébrant ainsi l’âpre beauté de la Finlande. Les personnages attachants et le style de l’auteure, poétique, font de ce roman une belle lecture.

vendredi 13 septembre 2024

Normandie : Honfleur, Le Vieux Bassin, la Lieutenance, la jetée et l'église Sainte Catherine (1)

Louis-Alexandre Dubourg :  Les bains de mer à Honfleur

 
Louis-Alexandre Dubourg :  Les bains de mer (détail)


Quelle belle découverte que le port de Honfleur  avec son vieux bassin cerné par de maisons hautes aux façades d'ardoises grises alternant avec la couleur, ses vieilles rues aux maisons à pans de bois, sa Lieutenance, son musée Eugène Boudin !  La ville est située sur la côté sud de l'estuaire de la Seine, face au Havre. Une ville au riche patrimoine, vivante, accueillante.


Autour du vieux Bassin

Honfleur le vieux bassin

Honfleur le vieux bassin


Honfleur le vieux bassin

Honfleur : Eugène Boudin le vieux bassin


Honfleur : ancienne église Sainte Etienne : musée de la marine


Honfleur : Musée ethnographique et ancienne église Sainte Etienne

Attention tous les musées de Honfleur sont fermés le mardi !

 

La Lieutenance


François-Louis Français  : La lieutenance (musée Eugène boudin Honfleur)

La lieutenance est un vestige de la fortification élevée au XIV siècle sous le règne de Charles V.  Ces bâtiments qui surmontent la porte de Caen ont été affectés du XVII siècle jusqu'à la révolution au lieutenant du roi d'où son nom.

 

 

La jetée 

Honfleur : Louis-Alexandre Dubourg La jetée (détail) Musée des beaux-arts de Honfleur
 

De nombreux peintres ont peint cette jetée. Le peintre Louis-Alexandre Dubourg fut à l'initiative de la création du musée des Beaux-Arts de Honfleur dont il fut le premier conservateur en 1868. Il naît en 1821 à Honfleur où il meurt en 1891 mais il part étudier à Paris avec le peintre romantique Léon Cogniet. Il s'est attaché à représenter sa ville et sa région. 

 

Honfleur : Alexandre-Louis Dubour La jetée (détail)

Honfleur : Alexandre-Louis Dubour La jetée (détail)


Dans son tableau La Jetée il peint la promenade habituelle des Honfleurais à l'entrée du port avec le phare sur le droite. La foule  de promeneurs montre toutes les classes sociales, les dames élégantes, les bourgeois et le peuple.

Eugène Boudin, un autre peintre de Honfleur, l'a aussi représentée à plusieurs reprises.

 

Eugène Boudin : le jetée de Honfleur


L'église Sainte Catherine

 

Honfleur Eglise Sainte Catherine Johan Jongkind


Honfleur l'église Sainte Catherine : le double chevet

L'église Sainte-Catherine est une immense église en bois à double nef et au clocher séparé comme un campanile italien, installé sur l'ancienne maison du sonneur. L'église date de la deuxième moitié du XV siècle et remplace une ancienne église détruite par la guerre de Cent ans. Elle a été reconstruite par les habitants de la ville avec du bois en provenance de la forêt de Touques et selon leurs connaissances en construction  navale.


Honfleur l'église Sainte Catherine : le double chevet


Honfleur l'église Sainte Catherine : la double nef


Honfleur Eugène Boudin : L'église Sainte Catherine


Honfleur l'église Sainte Catherine : la double nef jour de marché



Honfleur l'église Sainte Catherine le clocher : Monet ou Boudin ?


Honfleur : Le clocher séparé de l'église Sainte Catherine

Honfleur : Le clocher séparé de l'église Sainte Catherine


Johan Bartold Jongkind le marché  le clocher de L'église Sainte catherine

 

 

Honfleur : Le musée Eugène Boudin (2) samedi 14 septembre