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lundi 14 avril 2014

Bordeaux : Festival Itinéraires des photogaphes voyageurs


Kike Aspano Geometrias en equilibrio : Institut Cervantes


Olivier Brossard In a deeper road : Galerie Arrêt sur l'image

Joanna Chudy Silesian Ulysses : Voyageurs du monde

Ma visite de Bordeaux se termine avec ce billet sur Itinéraires des photographes voyageurs, festival qui était en fait le but de mon voyage. Je vous  ai présenté en tête de ce billet trois images pour lesquelles j'ai eu un coup de coeur mais ce ne sont pas les seules! La 24 ème édition de ce festival 2014 organisé par Nathalie Lamire-Fabre et par Vincent Bengold réunit du 1er au 30 Avril, 14 photographes sur le thème du voyage. 


Nathalie Lamire-Fabre, Alain Juppé, et Vincent Bengold :  vernissage Salle capitulaire Cour Mably

Vendredi 4 Avril en soirée et pendant toute la journée du samedi 5 jusqu'à 20H nous avons assisté aux vernissages de ces expositions en présence des artistes. La découverte des images accrochées dans dix lieux différents s'alliaient ainsi à la visite de la ville hors des sentiers battus. Un véritable marathon culturel, passionnant et enrichissant, tant il permettait de rencontrer des tempéraments artistiques divers, tant la démarche de chacun était singulière :  
... du documentaire comme celui de Thierry Girard, au Japon après le Tsunami (Après le fracas et le silence)... 


Thierry Girard : Après le fracas et le silence : Salle capitulaire Cour Mably

... du témoignage écologique comme Terrain vague d'Emmanuelle Coqueray. Ce qui est frappant dans certaines images d'Emmanuelle Coqueray, c'est l'importance attachée à la couleur, au rendu de la matière. Vues de loin les images peuvent évoquer la beauté de la nature, nous projeter dans un ciel étoilé ou dans l'abstraction, vues de près elles révèlent l'horreur : matériaux polluants, poisons, incendie, dépotoirs...


Emmanuelle Coqueray : Terrain vague :  Actimage
Emmanuelle Coqueray : Terrain vague

... à la résolution d'une crise intérieure avec My white désert de Zaïda Kersten,

Zaïda Kersten  My white desert : Espace Saint Rémi

Zaïda Kersten, à la suite d'une crise intérieure s'isole pendant un long hiver dans une île ensevelie sous la neige, en Laponie, dans une petite cabane sans confort. Avouez que l'on croit lire un roman de Nature Writing, Désolations de David Dann ou Indian creek de Pete Fromm! Mais le mal-être, la solitude l'amènent au bord de la folie dont peu à peu elle parvient à émerger jusqu'à se reconstruire. j'ai beaucoup aimé toutes ses photographies en noir et blanc. Le format choisi, très petit, nous oblige à nous pencher sur la photo afin de pénétrer  à l'intérieur de la cabane et dans son intimité. Repliée sur elle-même comme dans une caverne, elle hiberne, à moins qu'elle ne cherche protection, foetus dans dans l'obscurité du ventre maternel? Puis les images de l'extérieur, ces grands espaces blancs, ces aurores boréales, la rencontre d'un animal solitaire, le départ en traîneau... 

Zaïda  Kesrten : My white desert

... jusqu'à la construction d'un Mirage de Bastien Dessolas et Kristof Guez, tous deux partis au Maroc, pour faire naître le "mirage" à l'aide de rayons laser qui rendent insolites les splendides paysages nocturnes.


Kristof Guez et Bastien Dessolas Mirage  : grilles jardin public


 Kristof Guez et Bastien Dessolas Mirage  : grilles jardin public
Kristof Guez et Bastien Dessolas Mirage

... ou à ce qui s'apparente à un journal de bord  : Jean-Michel Leligny explore la réalité de la France  dans son parcours intitulé : 2°20 ou la France par le milieu. Se donnant pour but de suivre le méridien de Paris (2°20) qui trace une ligne "par le milieu" du pays, il s'astreint à photographier chaque jour au cours de son voyage les paysages et les gens qu'il rencontre. Mais fidèle à son métier de journaliste il écrit sur ses photographies, véritable journal de bord que l'on suit avec intérêt. Pour lui, une photo n'a de sens qu'avec un texte. Il met aussi en regard de ses images, des titres du journal Le Monde sur l'économie, le système bancaire, la mondialisation et le décalage entre ces extraits sur le monde "d'en haut" et celui "d'en bas" est tel que jamais, on le comprend, le fossé ne sera comblé.


Jean Michel Leligny : 2°20 ou La France par le milieu : Le rocher de Palmer

Jean Michel Leligny : 2°20 ou La France par le milieu

J'ai été  fascinée,  donc, par cette diversité des regards et des voyages. Si certains ont arpenté les pays lointains (Japon, Laponie, Silésie, Maroc, Portugal),  d'autres ont trouvé près de chez eux l'espace à explorer . 
Ainsi Julie Bourge qui traque les ombres sur les murs de sa ville, révélant la beauté de la quotidienneté dans ce qui nous entoure ou Olivier Brossard qui filme de sa voiture pendant les interminables embouteillages qui le ramènent chaque jour chez lui, dessinant des paysages et une ville en noir et blanc surprenants et poétiques.

Julie Bourges  Umbra
Julie Bourges  Umbra

Olivier Brossard In a deeper road

Pour Andrea Schmidtz dans sa Vision de Dusserdolf,  c'est le paysage banal de sa ville natale qui se  se métamorphose sous la neige, les arbres aux fins rameaux noirs dénudés semblent tracer des signes mystérieux, des dessins géométriques dans la blancheur ouatée, semblables aux empreintes de petites pattes d'oiseaux dans la neige.


Andrea Schmidtz  Vision : Le rocher de Palmer
Andrea Schmidtz  Vision : Le rocher de Palmer

 D'autres artistes partent en voyage à partir d'une oeuvre littéraire comme Marine Lanier, avec La vie dangereuse de Blaise Cendrars.

Marine Lanier : La vie dangereuse 2013

Marine Lanier La vie dangereuse : Espace Saint Rémi



Marine Lanier La vie dangereuse




Aurélia Frey avec Variations suit les traces de George Sand et de ses contes de grand mère ou des légendes berrichonnes. Elle construit ainsi un monde de brumes et de clairs-obscurs, univers fantastique propice aux ombres et aux créatures issues de l'imagination populaire, passage de l'autre côté des choses, du concret à l'abstrait, du réel à l'imaginaire.


Aurélia Frey  Variations :  Marché de Lerme

Aurélia Frey  Variations

Aurélia Frey  Variations

Il faut ajouter que le voyage extérieur reflète toujours un paysage intérieur, révélant une personnalité, une identité. D'autre part, au cours de cette visite, les artistes nous ont fait part de leurs préoccupations esthétiques, philosophiques et techniques, très éloignées les unes des autres, que j'ai trouvées fort intéressantes. Yannick Vigouroux nous expliquant, quant à lui, que contrairement à beaucoup d'entre eux, il a renoncé aux moyens techniques sophistiqués pour revenir à un appareil plus rudimentaire, à la recherche de l'aléatoire. Je pensais en les écoutant à tous ceux qui affirment que la photographie en tant qu'art est à la portée de tous voire qu'elle n'est pas un art!

Yannick Vigouroux, Littoralités
Yannick Vigouroux Littoralités : Arrêt sur l'image


Et encore une pleine brassée d'images

Joanna Chudy Silesian Ulysses : Voyageurs du monde

Joanna Chudy Silesian Ulysses


Malala Andrialavidra Echoes, fragments : Porte 44 MC2A
Malala Andrialavidra, Echoes, fragments


Kike  Aspano : Geometrias en equilibrio Institut Cervantes


Kike  Aspano : Geometrias en equilibrio

Olivier Brossart : In a deeper road : Arrêt sur image galerie

Olivier Brossart : In a deeper road : Arrêt sur image galerie




Itinéraires photographes voyageurs

10 lieux • 14 expositions
Du 1er au 30 avril 2014

Vendredi 4 Avril
    •    18h30 > Rocher de Palmer à Cenon – Jean Michel Léligny et Andrea Schmitz

Samedi 5 Avril
    •    9H30 > Act’Image – Emmanuelle Coqueray
    •    10H30 > Grilles jardin public – Bastien Dessolas et Kristof Guez
    •    11H15 > Voyageurs du Monde – Joanna Chudy
    •    12H00 > Salle Capitulaire Cour Mably – Thierry Girard et Julie Bourges
    •    14H30 > Marché de Lerme – Aurélia Frey
    •    16H00 > Institut Cervantes – Kike Aspano
    •    17H00 > Espace St Rémi – Marine Lanier et Zaida Kersten
    •    18H30 > PORTE 44 MC2A – Malala Andrialavidrazana
    •    19H30 > Arrêt sur l’Image – Olivier Brossard et Yannick Vigouroux

vendredi 11 avril 2014

Marie de Gournay : Egalité des hommes et des femmes suivi de Grief de dame


En visitant le château de Michel de Montaigne j'ai rencontré aussi sa "fille d'alliance", Marie Le Jars de Gournay (1565_1645), femme de lettres, héritière et éditrice de son oeuvre. Et, bien sûr, apercevant en librairie l'essai qu'elle a écrit sur Egalité des hommes et des femmes suivi de Grief de dame, je n'ai pas pu ne pas "craquer" et je l'ai acheté!

  Egalité des hommes et des femmes (1622)

 

Marie de Gournay

Dans son essai Egalité des hommes et des femmes Marie de Gournay affirme qu'elle n'essaiera pour réfuter "l'orgueilleuse préférence que les hommes s'attribuent" de démontrer la supériorité des femmes : quant à moi fuyant tout extrémité, je me contente de les égaler aux hommes, la nature s'opposant à cet égard autant à la supériorité qu'à l'infériorité.

C'est donc en philosophe qu'elle aborde cette question d'autant plus grave que les femmes souffrent d'une absence de liberté totale et du mépris dans lequel elles sont tenues par leurs homologues masculins.
Toute sa démonstration est là :  il n'y a pas de supériorité des uns sur des autres mais des différences purement biologiques qui n'impliquent aucune hiérarchie entre les sexes, l'égalité reposant donc sur le spirituel. Et elle s'appuie pour sa démonstration sur les philosophes anciens, sur Montaigne,  les Pères de l'église et les Saintes Ecritures.
Au surplus l'animal humain n'est homme ni femme à le bien  prendre, les sexes étant faits non simplement, ni pour constituer une différence d'espèce, mais pour la seule propagation. L'unique forme et différence de cet animal ne consiste qu'en l'âme raisonnable.
Le fait que les femmes n'atteignent pas aux honneurs et au pouvoir comme le font les hommes ne tient donc pas d'une infériorité naturelle mais peut être attribué à deux faits : D'une part, les femmes sont le plus souvent tenues à l'écart de l'instruction et de la fréquentation du monde. Si elles pouvaient, elles aussi, recevoir la même éducation, ces différences seraient comblées :
Et conséquemment, pourquoi leur institution (éducation) aux affaires et aux lettres à l'égal des hommes ne remplirait-elle pas la distance vide qui paraît d'ordinaire entre les têtes d'eux et d'elles?
D'autre par les hommes s'attribuent les meilleures places en appliquant le droit du plus fort mais en basant leur supériorité uniquement sur ce droit, ils se ravalent au niveau de la bête.
 Et si les hommes dérobent à ce sexe, en plusieurs lieux, sa part des meilleurs avantages, ils ont tort de faire un titre de leur usurpation et de leur tyrannie, car l'inégalité des forces corporelles plus que spirituelles ou des autres branches du mérite, est facilement cause de ce larcin et de sa souffrance (du fait que l'on accepte)- forces corporelles qui sont, au reste, des vertus si basses que la bête en tient plus par-dessus l'homme que l'homme par-dessus la femme.
 La supériorité que les hommes s'attribuent ne tient donc qu'à la tyrannie qu'ils exercent sur l'autre sexe mais n'a aucune justification philosophique.
Brillante et érudite démonstration qui prouve que Marie de Gournay n'avait rien à envier à la plupart des hommes de son temps.

Grief de dame

 

Michel de Montaigne

Quand elle écrit Grief de dame paru en 1626, Marie de Gournay a soixante et un ans; elle est attaquée de toutes parts par des hommes de lettres ou de pouvoir, jaloux, pleins de suffisance et de mépris, qui critiquent non pas ses idées et ses oeuvres qu'ils ne lisent pas mais son physique et son célibat.  Grief de dame est donc un écrit virulent. On sent l'auteure excédée de se heurter sans cesse à la suffisance et à la boursoufflure vaniteuse d'hommes qui n'ont de savants que le nom. La mauvaise foi, le mépris masculin et la vacuité de leurs démonstrations de force l'ont mise hors d'elle et le ton est résolument pamphlétaire. La dame montre ainsi qu'elle a la dent dure et qu'effectivement certains de ces messieurs, illustres en leur temps mais de nos jours tombés dans l'oubli, faisaient bien d'esquiver le débat car ils n'auraient pas eu le dessus.
Heureusement, nous dit Séverine Auffret qui préface le livre : "... depuis Montaigne lui-même, et à partir de Just Lipse, leur ami commun, Marie de de Gournay pratique le grand art de l'amitié, particulièrement avec un certain nombre d'hommes, "libertins érudits" de préférence, tels Théophile de Viau, Gabriel Naudée, et enfin la Mothe le Vayer, qui sera l'ami-complice de toute sa vie."

Bienheureux es-tu, lecteur, si tu n’es point de ce sexe, qu’on interdit de tous les biens, le privant de la liberté et même qu'on interdit encore à peu près de toutes les vertus, lui soustrayant  les charges, les offices et fonction publics, en un mot en lui retranchant le pouvoir en la modération duquel  la plupart des vertus se forment, afin de lui constituer pour seule félicité, pour vertus souveraines et seules, l'ignorance, la servitude et la faculté de faire le sot si ce jeu lui plaît.

 Bienheureux, derechef, toi qui peux être sage sans crime, ta qualité d'homme te concédant, autant qu'on les défend aux femmes, toute action de haut dessein, tout jugement sublime, et parole juste, et le crédit d’en être cru, ou pour le moins écouté.

Et je ne peux m'empêcher de citer encore un passage pour montrer combien le style de Marie de Gournay est pittoresque, combien elle sait manier l'ironie, et combien elle a l'art du portrait satirique quand elle brosse l'attitude des hommes face à une débatteuse :

Et il n'y a si chétif qui ne me rembarre avec l'approbation de la plupart des assistants, avec un sourire seulement, un hochet, ou quelque plaisanterie ou quelque petit branlement de tête, son éloquence muette disant : "c'est une femme qui parle." 
Tel se taisant par mépris ravira le monde en admiration de sa gravité, qu’il ravirait d’autre sorte, peut-être, si vous l’obligiez de mettre un peu par écrit, ce qu’il eut voulu répondre aux propositions et répliques de cette femme, si elle eût été homme. Un autre arrêté de sa faiblesse à mi-chemin, sous couleur de ne vouloir pas importuner son adversaire, sera dit victorieux, et courtois ensemble. Celui-là disant trente sottises, emportera toutefois le prix encore par sa barbe. 



jeudi 10 avril 2014

Une brassée d'images (4) Le château de Michel de Montaigne


La tour de Montaigne : au premier étage sa chambre, au dernier sa bibliothèque et son lieu de travail.

Je ne pouvais aller à Bordeaux sans aller rendre une visite de courtoisie à Michel de Montaigne en son château d'Eyquem situé non loin, en Dordogne, au nord du bourg de Saint-Michel-de-Montaigne. Les parties les plus anciennes du château remontent au XVe siècle. Le fief fut acquis en 1477 par Ramon Eyquem riche commerçant de Bordeaux. Son petit-fils Pierre Eyquem de Montaigne (1495-1519), qui fut maire de Bordeaux, et père de Michel, l'a agrandi et fortifié.
Autour d'une vaste cour se répartissent le château et les ailes des dépendances. L'entrée principale est constituée par le châtelet qui flanque la tour de Montaigne du XVIe siècle. Une première transformation a été réalisée à partir de 1860 par Pierre Magne, ministre de Napoléon III, qui rehaussa le corps de logis principal dans le style néo-médiéval. En 1885 un incendie provoque la reconstruction du château dès l'année suivante à partir de ses fondations.
Le parc XIXe organisé à l'occasion de la reconstruction du château laisse encore lisibles les éléments de la composition ancienne du jardin conçue par Michel de Montaigne.
Je le découvre en ce début Avril, paré d'un écrin de verdure qui dans ce printemps précoce commence à se couvrir de fleurs, prairies émaillées de pâquerettes, parcs aux arbres séculaires, large ouverture sur la plaine ensoleillée. Calme et beauté que ne viennent même pas troubler les quelques rares visiteurs qui nous accompagnent.

Vue sur la vallée de la Lidoire au Nord


Une visite printanière

 La tour historique : "la librairie"


La tour de Montaigne est d'époque alors que le corps du bâtiment ne l'est pas


Le corps du bâtiment, privé, emprunte à toutes les époques

La tour vue du parc


La tour vue de la cour intérieure







La Tour vue de l'intérieur  du châtelet



Face à la tour de Montaigne, séparé par le toit des communs, la petite tour de l'épouse de Montaigne, Françoise de Chassaigne (1544-1627) qui assista son mari dans dans la gestion du domaine. 


La tour de Françoise de Chassaigne située à l'Est

Visite-pèlerinage, visite émouvante pour tous ceux qui admirent son oeuvre et s'en nourrissent. Imaginer la vie quotidienne de Michel de Montaigne à partir de ce lieu, de cette tour où il travaillait et des dépendances du château qu'il apercevait de sa fenêtre, prendre conscience de l'inconfort, du froid qui régnait dans ses appartements ouverts aux quatre vents,  se replonger dans une époque révolue où règne la violence et la barbarie des guerres de religion et où son plus immédiat voisin peut se révéler comme un ennemi, toucher du doigt l'érudition du Sage, l'activité de son esprit si ouvert, si en avance sur son époque, dans sa bibliothèque maintenant vide de ses livres. Un rare plaisir....

 La chapelle

 

La chapelle : fresque de Saint Michel terrassant le dragon. Par un conduit auditif percé dans la muraille, Montaigne, malade,  pouvait écouter la messe de son lit dans sa chambre située au premier étage.

 La chambre

 

La chambre de Montaigne

Une petite niche  où il se réfugiait pour se protéger des courants d'air et pour échapper aux "fâcheux" qui venaient lui rendre visite
En hiver j’y suis moins continuellement car ma maison –comme son nom l’indique- est juchée sur un tertre et n’a point de pièce plus ventée que celle-ci.  J’aime que son accès en soit pénible, tant pour le fruit de l’exercice que j’en retire que pour en éloigner la foule.



Le coffre de Montaigne où son journal  de voyage fut retrouvé

La librairie de Montaigne

 

Gravure représentant la bibliothèque de Montaigne avec ses livres

La librairie du Montaigne (à laquelle mon blog doit son titre!) est sa bibliothèque :

Ma librairie est l’une des plus belles librairies de village. Chez moi je m’y réfugie souvent, et d’une main j’y supervise mon train de maison. Depuis sa porte je vois sous moi mon jardin, ma basse-cour, ma cour et la plupart des autres corps de bâtiment de ma maison. Là je feuillette tantôt un livre, tantôt un autre, sans ordre ni but précis, à pièces décousues. Tantôt je rêve, tantôt je dicte et enregistre, tout en me promenant, les songes qui me viennent.


La bibliothèque au troisième étage






La forme de ma librairie est ronde et n’a de plat que ma table et mon siège. Elle m’offre, en une ligne courbe et d’un seul regard, tous mes livres rangés à cinq degrés tout autour. Elle possède trois vues aux riches et libres perspectives, et un diamètre de 16 pas.





Montaigne avait fait graver des maximes d'auteurs grecs et latins sur les poutres

Maximes sur les poutres de la bibliothèque

Statue dans la bibliothèque


C’est là mon siège : j’essaie d’en être le seul maître, et de soustraire ce coin unique à la communauté à la fois conjugale, filiale, et civile. Malheureux, à mon avis, celui qui n’a chez lui aucun lieu où être à soi, où se faire particulièrement la cour, où se cacher. Et je trouverais beaucoup plus supportable d’être toujours seul que de ne pouvoir l’être jamais.

 Montaigne à Bordeaux

 

D’abord magistrat, Montaigne s’implique dans la vie politique en tant que conseiller à la cour des aides de Périgueux, puis maire de Bordeaux. À partir de 1571, il se retire dans son château natal et notamment dans sa « librairie » où il se consacre à la rédaction des « Essais », qu’il ne cessera de retravailler, corriger et enrichir jusqu’à sa mort.


Statue place des Quinconces à Bordeaux

Statue de la place des Quinconces à Bordeaux

 

Les Essais

Au lecteur

C'est ici un livre de bonne foi, lecteur. Il t'avertit, dés l'entrée, que je ne m'y suis proposé aucune fin, que domestique et privée. Je n'y ai eu nulle considération de ton service, ni de ma gloire. Mes forces ne sont pas capables d'un tel dessein. Je l'ai voué à la commodité particulière de mes parents et amis : à ce que m'ayant perdu (ce qu'ils ont à faire bientôt) ils y puissent retrouver aucuns traits de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent, plus altiére et plus vive, la connaissance qu'ils ont eue de moi. Si c'eût été pour rechercher la faveur du monde, je me fusse mieux paré et me présenterais en une marche étudiée. Je veux qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention et artifice : car c'est moi que je peins. Mes défauts s'y liront au vif, et ma forme naïve, autant que la révérence publique me l'a permis. Que si j'eusse été entre ces nations qu'on dit vivre encore sous la douce liberté des premières lois de nature, je t'assure que je m'y fusse très volontiers peint tout entier, et tout nu. Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre : ce n'est pas raison que tu emploies ton loisir en un sujet si frivole et si vain. Adieu donc ; de Montaigne, ce premier de mars mil cinq cent quatre vingts.

mardi 8 avril 2014

Brassée d'images, Bordeaux : Exposition Tomoaki Suzuki au Musée d'art contemporain (3)

Adam

L'exposition de l'artiste japonais Tomoaki Suzuki réunit vingt cinq statues de ce sculpteur dans les anciens entrepôts Lainé de Bordeaux, rénovés et devenus depuis 1973 le Centre d'art plastique contemporain de Bordeaux (CAPC).

Lucy et Simba

Le lieu tout d'abord me surprend par sa taille, ses arcades et sa nef centrale flanquée de deux bas-côtés comme une cathédrale, sa luminosité, tout ce qui confère à cet ancien entrepôt des denrées coloniales une dimension spirituelle que l'on n'attend pas d'un tel lieu.

La "nef" de l'entrepôt


La nef en plongée
 Au milieu de cette immense nef, de toutes petites statues en bois, d'un réalisme étonnant, (j'apprendrais plus tard que Tomoaki Suzuki travaille d'après des photos), semblent se déplacer, vaquent à leurs occupations, sans un regard l'un vers l'autre, entièrement préoccupés d'eux-mêmes.

Kadeem et Kyrone

Mel

Quand nous pénétrons dans la nef et tournons autour d'eux, notre rapport à l'espace s'infléchit. Alors que les proportions du bâtiment faisaient de nous des personnages insignifiants, nous voici devenus  à l'écart de ses minuscules créatures de bois, des géants. Nous entrons au royaume de Lilliput, nous prenons conscience de la fragilité de ces personnages. Comme le Micromégas de Voltaire nous vivons, à nos dépens, l'expérience de la relativité.


De minuscules créatures


Une géante chez les Lilliputiens

Pourtant il y a une telle force en eux que nous avons l'impression d'une existence qui se déroule en dehors de la nôtre, dans une totale indifférence de ce que nous sommes. Si bien que pour nous mettre à leur niveau, c'est nous qui nous retrouvons... à genoux!

A genoux devant les petits

Tomoaki Suzuki fait "de la photographie en sculpture" et est le témoin des "faunes lookées de Londres"* où il vit depuis 1999, portant sur eux "un regard anthropologique". Chaque sculpture témoigne de l'identité d'un personnage mais aussi de son époque..  L'artiste a peint avec une telle précision ses statues que chacune est caractérisée par des détails d'une précision extrême. C'est pourquoi il ne peut produire que quatre à cinq sculptures par an.



Tomoaki Suzuki : détail

Tomoaki Suzuki : détail

Et finalement, en nous mettant à leur niveau, nous découvrons qu'ils sont bien vivants, dotés d'une personnalité, car dit Tomoaki Suzuki : "l'apparence et la personnalité sont, pour moi, une seule et même chose. Je n'adhère pas à l'idée que la personnalité serait saisissable au-delà de l'apparence. Les détails eux m'intéressent. Car en les observant précisément, j'arrive à percevoir la complexité de la personnalité du modèle".

Zezi

Zezi

Cédric

Emma

Adam

Yasouyo

Et enfin Marina, ma chouchou, parce qu'elle correspond le plus à mes yeux à ce que dit Tomoaki Suzuki de ses modèles : "Les gens cools sont ceux qui ont pris le risque de se planter alors qu'ils voulaient accomplir quelque chose"


Marina

Marina

Marina

Marina

J'exprime le présent à la surface d'une sculpture traditionnelle


Ma production est un marquage temporel





* Alexis Vaillant commissaire en chef du CAPC