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samedi 1 octobre 2016

Pierre Lemaître : Au revoir là-haut



Il m’en aura fallu du temps pour lire Au revoir là-haut de Pierre Lemaître, prix Goncourt  2013 qui est dans ma PAL depuis ce temps-là !
Et bien au moins l’on ne pourra pas dire que je suis dans l’actualité et que je n’ai pas eu le temps de réfléchir.
J’ai beaucoup aimé Au-revoir là haut car il nous montre toutes les horreurs de la guerre et pas seulement des combats puisque le roman commence quand finit le conflit en 1918. Non, il nous montre l’Après et cela n’a rien de réjouissant.
L’Après c’est ce qu’il advient des combattants comme Albert, caissier dans une banque avant la guerre, et qui ne retrouve pas son travail à son retour, obligé de gagner sa vie avec toutes sortes de petits boulots et à vivre dans la misère. Dans l’Après les « héros » sortis du peuple et encore vivants deviennent encombrants.
Mais pas le lieutenant de Pradelle, noble ruiné, qui a su profiter de la guerre pour se faire un tremplin et épouser la fille d’un grand industriel Mr Péricourt. La richesse et les honneurs sont pour lui qui qui n’a pas hésité à tuer ses hommes ou à les faire tuer pour gagner ses médailles.
Quant au fils de Péricourt, Edouard, gueule cassée, qui a failli mourir pour sauver Albert, il préfère passer pour mort plutôt que de rejoindre ce père qui l’a toujours rejeté, grand bourgeois qu’il méprise, milieu social dont il dénonce l’hypocrisie.
Et puis il y a les profiteurs, ceux qui vont s’enrichir sur les sépultures des soldats tombés ou sur les monuments aux morts qui fleurissent dans toute la France. Les spéculations les plus affreuses ont lieu sur les dépouilles des héros. Le charnier de la grande Guerre engraisse tous ceux qui vont exploiter la mort à leur profit.

C’est avec virulence que Pierre Lemaître fait le portrait de la pourriture qui gangrène la classe dominante; c’est avec lucidité qu’il dénonce la lâcheté, l’hypocrisie et l’enrichissement de tous ceux qui tirent des profits de la guerre. 
Le roman est très bien écrit, d’une plume évocatrice qui fait naître des images et nous submerge de terreur et d’émotion : ainsi la scène où Albert est enseveli dans un trou d’obus et se retrouve nez à nez avec la tête d’un cheval ou encore ces passages fiévreux, à l’hôpital, qui décrivent la douleur physique et morale d’Edouard qui a eu le visage emporté par un éclat d’obus.
Un roman très fort, une dénonciation de la guerre et de ceux qui en vivent et en tirent profit, un récit qui ne peut laisser indifférent.

PS : Dans mes discussions avec Wens (blog en effeuillant la marguerite), nous avons eu des divergences sur ce livre. Je vous en fais part car il est intéressant d’avoir des points de vue différents. Si Wens est d’accord pour louer la force de l’écriture, il trouve que Pierre Lemaître force trop le trait; pour lui le lieutenant Pradelle est une caricature. Ce dernier cumule trop de turpitudes sur sa seule tête : aristocrate déchu et corrompu, meurtre de ses propres soldats, trafic des cercueils, vie dépravée.. Un peu plus de mesure sur ce personnage aurait renforcé la critique sociale.

jeudi 29 septembre 2016

Festival du Polar 2016 à Villeneuve-lez-Avignon



Le festival du polar 2016 de Villeneuve-Lez-Avignon a lieu du vendredi 30 septembre au dimanche 2 Octobre. Le thème retenu cette année est  : Le vert broie du noir

Voilà les renseignements que j'ai pu lire dans le programme de ce douzième festival du polar http://chartreuse.org/site/12e-festival-du-polar

Et d'abord ce qu'en écrit Pascal Dessaint, auteur associé de ce festival  :

"C’est difficile, plus encore aujourd’hui qu’hier, d’envisager le Polar comme une simple figure de style. L’époque est aux tourments, à la déraison, à la perte des repères. Écrire un polar n’est pas seulement écrire une histoire, c’est aussi une idée, un point de vue sur le monde, un engagement. Sur la planète Polar, je préfère le roman noir, celui que l’on dit social. J’aime moins les histoires de
flics que celles qui mettent en scène des humains que le système a broyés. Il me semble que parmi toutes les qualités, le Polar doit avoir celle de témoigner des souffrances, de s’indigner. Le Polar, c’est un regard sur le désastre, la nécessité d’en parler. Le Polar est une littérature critique et responsable.
Le Polar est pour reprendre une citation de Jean Rouaud « une boîte noire enregistrant en permanence les bruits du monde ». Il parle ainsi depuis longtemps de la Nature. Les paysages inspirent les auteurs, la faune et la flore qui les peuplent aussi. À tort, on dirait que c’est nouveau. Il y a une longue tradition, on pense à Edward Abbey, James Lee Burke, Carl Hiaasen ou Trevanian.
La Nature est un thème récurrent du Polar et, évidemment, il est question des dommages qui lui sont causés. Il faut dire que la planète va mal et que c’est beaucoup à cause de nous. Et dès que ça va mal, souvent, il faut bien un témoin, il y a un auteur de Polar pour raconter, les tragédies industrielles, les effets du réchauffement climatique, la misère humaine qui en résulte, l’appauvrissement de notre
monde... les sujets sont innombrables et angoissants. Il n’y a pas d’autre choix. La boîte noire... Ça serait bien qu’elle puisse alerter et nous servir non pas après mais avant la catastrophe. "

Pascal Dessaint partage sa vie entre le nord de la France où il est né en 1964 et Toulouse où il vit aujourd’hui, deux univers qui nourrissent son inspiration.Ses romans ont été récompensés par plusieurs prix importants dont le Grand Prix de la littérature policière, le Grand Prix du roman noir français, le Prix Mystère de la Critique et le Prix Jean-Amila Meckert. En 1999, il publie Du bruit sous le silence, premier polar dont l’action se déroule dans le monde du rugby. Depuis Mourir n’est peut-être pas la pire des choses(2003), tous ses livres sont sous le signe de la nature malmenée. Il évoque la catastrophe AZF de Toulouse dans Loin des humains

Un plateau international d'auteurs


Un auteur de Nature Writing chez Gallmeister : Bruce Holbert ICI

Oui, je sais je vais faire envie à certaines blogueuses mais les éditions Gallmeister et un auteur de Nature Writing Bruce Holbert seront là!  Petit clin d'oeil à Keisha! 

Mais bien d'autres écrivains encore à rencontrer ou à découvrir : aux côtés des auteurs français et francophones dont Barbara Abel (Belgique), Franck Bouysse, Hervé Claude, Sandrine Collette, Marin Ledun, Michaël Mention, Colin Niel, le festival du polar aura la chance d’accueillir à nouveau des auteurs étrangers : Bruce Holbert et Jax Miller (États-Unis), Mimmo Gangemi (Italie), Monica Kristensen (Norvège), Deon Meyer (Afrique du Sud), Arni Thorarinsson (Islande).

La présence de deux éditeurs



Depuis 2006, les Éditions Gallmeister se consacrent à la découverte des multiples facettes de la littérature américaine, devenant ainsi l’unique éditeur français à se spécialiser exclusivement dans ce domaine. Figurent dans son catalogue des écrivains américains emblématiques du Nature Writing et des auteurs tels que Craig Johnson (présent lors de l’édition 2015) ou Bruce Holbert, invité de cette édition du festival. Olivier Gallmeister viendra parler du Gang de la clé à mollette d’Edward Abbey paru dans les années 70 : ce grand roman épique de l’Ouest américain est une dénonciation cinglante du monde industriel, hommage à la nature et hymne à la désobéissance civile. Côté français, c’est la collection Territori des Éditions la Manufacture de livres qui sera mise à l’honneur à travers la présence de deux auteurs de la collection et d’une exposition photographique à partir des couvertures de romans.

35 auteurs seront réunis à la Charteuse et dans différents lieux de Villeneuve pendant le festival.

Le prix 2016

La chartreuse de Villeneuve lez Avignon
Le prix 2016 sera décerné lors de l’inauguration du Festival, le samedi 1er octobre à 11h30, à l’un des auteurs suivants.  Sélection 2016 :

L’innocence des bourreaux
de Barbara Abel (Belfond)
-
La dame de pierre
de Xavier-Marie Bonnot (Belfond)
-
La revanche du petit juge
de Mimmo Gangemi (Le Seuil)
-
Dedans ce sont des loups
de Stéphane Jolibert (Le Masque)
-
Quelqu’un à tuer
d’Olivier Martinelli (La Manufacture de livres)
-
Les infâmes
de Jax Miller (Ombres Noires)
-
Obia
de Colin Niel (Rouergue noir)
-
Le crime, histoire d’amour
d’Arni Thorarinsson (Métaillé)
-
Et justice pour tous
de Michaël Mention (Rivages)

Le programme

La chartreuse de Villeneuve lez Avignon
Tables rondes avec les écrivains, dédicaces, théâtre,  cinéma.. Et en plus visite de la Chartreuse de Villeneuve pour ceux qui le souhaitent.

mercredi 28 septembre 2016

Philippe Jaccottet : l'enfant dans ses jouets...



L’enfant, dans ses jouets, choisit, qu’on la dépose
auprès du mort, une barque de terre :
le Nil va-t-il couler jusqu’à ce coeur?


Longuement autrefois j’ai regardé ces barques des tombeaux
pareilles à la corne de lune.
Aujourd’hui, je ne crois plus que l’âme en ait l’usage,
ni d’aucun baume, ni d’aucune carte des Enfers.

Mais si l’invention tendre d’un enfant
sortait de notre monde,
rejoignait celui que rien ne rejoint?

Ou est-ce nous qu’elle console, sur ce bord?


Philippe Jaccotet Leçons dans A la lumière d'hiver Poésie/Gallimard






Philippe Jaccottet, né le 30 juin 1925 à Moudon, est un écrivain, poète, critique littéraire et traducteur suisse vaudois. Philippe Jaccottet s'installe, avec sa famille, à Lausanne en 1933. Son enfance est déjà marquée par l'écriture… (wikipedia)

lundi 26 septembre 2016

Diane de Margerie : A la recherche de Robert Proust



A la recherche de Robert Proust de Diane de Margerie paru chez Flammarion pour la rentrée littéraire 2016 part d’un constat : le petit frère de Marcel, Robert, (moins deux ans les séparaient) n’existe pas dans La Recherche du temps perdu. Le narrateur Marcel y est devenu fils unique. Certaines scènes familiales qui impliquaient Robert, comme celle décrite dans Contre Sainte Beuve à propos d’un chevreau, transposée dans La Recherche du temps perdu, n’ont désormais, qu’un acteur, lui-même.

Diane de Margerie scrute donc les rapports entretenus par les deux frères depuis leur enfance à travers des photographies, des témoignages, des lettres de l’auteur ou de ses amis, et des études littéraires. Mais bien sûr, La Recherche est à  la base de cet essai. L’analyse révèle l’intimité de Marcel et de son frère, nous dit qui se cache derrière les personnages de l'oeuvre et éclaire d’un jour nouveau le roman.


Robert et Marcel Proust

Marcel a sans conteste reçu un choc à la naissance du petit frère, lui qui avouera  plus tard dans une lettre à un ami qu’il  est « jaloux à chaque minute  à propos de rien ». Sa maladie, son asthme qui se déclarera à l’âge de neuf ans, peut être considéré comme une manière de capter l’attention et les soins maternels. Marcel réagit en étant d’une douceur quasi maternelle envers son frère, en protégeant son cadet durant la petite enfance comme s’il voulait prendre la place de la mère, manipuler son affection. Puis les deux frères s’éloignent l’un de l’autre à l’adolescence et bientôt le petit frère va se marier, devenir chirurgien et plus tard entretenir un rapport inversé avec Marcel, fragile, malade, qu’il appelle alors « mon petit ». Trahison originelle qui tue chez Marcel le mythe de  de la fraternité… et de la famille car son père lui aussi médecin, en entretenant une complicité étroite avec Robert, exclut Marcel, considéré comme « nerveux » « hypersensible ».

"Le mot trahison qui revient des dizaines de fois dans La Recherche évoque irrésistiblement pour moi l’époque où Marcel s’est trouvé comme « remplacé » par la naissance d’un second fils, puis l’inévitable détachement quand le petit frère quitte la protection de l’aîné en même temps que ses boucles et ses jupes. "

Proust en conclut que les liens familiaux ne peuvent qu’être brisés à cause des trop grandes ressemblances qui divisent les familles. Or, comme le constate Diane de Margerie, le parallèle entre les frères Proust s’accompagnent d’abord de forts contrastes :
Si tous deux ont une grande intelligence, une vive curiosité intellectuelle, l’égocentrisme de Marcel tourné vers lui-même, sa maladie, ses intérêts, son oeuvre, contraste avec le dévouement, le désintéressement, l’ouverture de Robert ouvert aux autres pour soulager leurs souffrances.
Pourtant, malgré ces différences, les frères ont des points communs. Tous les deux s’intéressent au détail, à l’anormalité, aux relations entre le corps et l’esprit, l’un à travers « le scalpel de l’écriture », l’autre « à travers le bistouri ». Tous deux ont pour intérêt commun : « de décortiquer l’âme et le corps » « d’étudier la maladie -  la maladie  de l’amour comme celle de la chair. ».

Il faut constater d’ailleurs l’importance des termes de médecine dans l’oeuvre de Marcel qui a été initié par la fréquentation des milieux médicaux à la table de son père et le nombre de médecins qui peuplent La Recherche, comme le docteur Cottard ou le docteur du Boulbon, Marcel s’inspirant de praticiens qu’il a fréquentés. On constate aussi une défiance de l’écrivain pour la médecine et les médecins -il refusera de se faire soigner-. Dans La recherche les portraits ironiques qu’il brosse d’eux lui permettent de régler ses comptes avec son père et son frère, et montrent la supériorité de l’homme d’art sur l’homme de science : " La résurrection possible, l’espoir d’immortalité ne sont permis qu’à l’artiste".  Ainsi la mort de Bergotte « il était mort. Mort à jamais? Qui peut le dire? »

Enfin si Robert est absent de La Recherche, constate Diane de Margerie, il y figure pourtant sous les traits d’un personnage Robert de Saint Loup qui apparaît tout au long du roman.

« Oui, Saint Loup est vraiment le frère idéal auquel Marcel-le-narrateur peut songer à loisir à travers le silence observé sur le frère réel. »

Voilà donc un aperçu de ce court essai (150 pages) intéressant et riche, que je n’ai fait que résumer. Il y est aussi question, bien sûr, des rapports entre les perceptions corporelles et la mémoire, de la différence entre le souvenir et la mémoire, de la culpabilité envers la mère, de l'homosexualité, de Céleste qui fut la garde malade et l’amie de Marcel, des similitudes entre Flaubert et Marcel, entre les frères Proust et les frères James (Henry et William) et de bien d’autres personnages réels ou fictifs côtoyés ou créés par Marcel Proust… Un régal!

dimanche 25 septembre 2016

Richard Adam : Watership Down



Watership down de Richard Adams a été publié en 1972 et a connu un succès international. Il est aujourd’hui réédité pour cette rentrée littéraire 2016 aux éditions Monsieur Toussaint Louverture.

Hélas! je n’ai pas eu la chance de lire ce livre quand j'étais jeune sinon je suis sûre que j’en aurais gardé un souvenir ébloui comme l’a fait Keisha. ICI
En tant qu’adulte, j’ai été un peu gênée au départ parce que j’ai cherché pendant un bon moment à lire ce livre au second degré.

Que représentent les lapins sinon le monde des hommes? Une société d’abord patriarcale, placée sous les ordre du Maître Padi-Shâ, dans la première Garenne, Sandleford, où règne l’inégalité sociale et où vivent les jeunes lapins, héros de ce roman : Hazel, son frère Fyveer, Bigwig, Pypkin et les autres. 
Puis, lorsque ces derniers s’enfuient de ce lieu menacé par les hommes, ils fondent une garenne située dans une colline au nord du Hampshire, Watership Down, démocratie dont Hazel est le chef, librement choisi par ses amis pour ses qualités intellectuelles et humaines.
Enfin, ils ont à lutter contre la Garenne Effrefa et son terrible chef le colonel Stachys qui règne en tyran sur la population. Sous prétexte de sécurité, les habitants perdent leur liberté et doivent se soumettre à une dictature militaire implacable.


Watership Down, lieu où se déroule le roman et où vit Richard Adam

L’histoire peut se lire ainsi mais Richard Adam lui-même se défend d’avoir voulu faire de ce roman "une parabole ou une allégorie ". Pour lui c’est "une sacrée bonne histoire " qu'il racontait à ses deux filles pendant un trajet en voiture et  c’est ainsi qu’il faut la lire. Alors j’ai retrouvé mon âme d’enfant et je suis vraiment entrée dans ce récit d’aventures, une épopée à la taille des lapins en butte à tous les dangers et d’abord les Vilous, renards, hermines, belettes, chats… Une épopée peuplée de monstres terribles comme le Kataclop (tracteur) ou une autre bête terrifiante, « grosse comme un shaar Kataclop »  (le train), démoniaques inventions des humains. Car ce sont les hommes qui restent les plus grands prédateurs et se servent de leur pouvoir pour dominer les animaux comme nous le voyons dans la garenne Primerol, première étape où s'arrêtent nos amis lapins.. On vibre devant tous les dangers auxquels échappent les héros, on s’attache à eux comme à n’importe quel personnage humain. Le langage est aussi un plaisir du roman. Certains « étrangers » qui deviennent leurs amis, la mouette, le mulot, parlent d'une manière pittoresque alors que nous, lecteurs, nous parlons lapin couramment. 

Mais au-delà de l’aventure, les thèmes développés sont intéressants, la solidarité, l’amitié, le courage, le chagrin de l’exil, le mal du pays, les mythes des origines .. et puis la nature est toujours présente et déjà, oui, le sentiment écologiste qui dénonce la destruction de la nature par l’homme, lutte que Richard Adam continue à mener aujourd'hui à l'âge de 96 ans.  Et même si les lapins nous rappellent les êtres humains, l'auteur évite un anthropomorphisme trop poussé en s’appuyant sur des connaissances réelles du monde animal.

Un très beau roman donc que pourraient lire tout enfant ou ado bon lecteur et ses parents pour le plus grand plaisir de tous, un roman à partager en famille.

Voir une analyse très complète ICI  chez le profPlatybus

et aussi Grominou qui a adoré  ICI

vendredi 23 septembre 2016

Emily St John Mandel : Station Eleven


J’ai déjà beaucoup lu ou vu des livres ou des films décrivant la fin de la civilisation après une catastrophe et la situation de ceux qui survivent : Ravages de Barjavel ou Malevil de Robert Merle pour ne citer qu’eux.
Aussi j’avais peur de cette impression de déjà (trop) connu dans le roman Station Eleven d’Emily St John Mandel, jeune écrivaine canadienne. Mais le livre est placé sous le signe de Shakespeare puisque l’épidémie qui va décimer 99% de la population terrestre a lieu le jour suivant la mort de l’acteur Arthur Leander. Or, celui-ci s’écroule sur scène, victime d'une crise cardiaque,  au milieu de la représentation du Roi Lear. Alors ma curiosité a été piquée.

Mathieu rebuffat Nîmes après la fin du monde ICI
Bien sûr, j’ai retrouvé dans Station Eleven des situations récurrentes à tous les romans d’anticipation qui explorent ce thème et ceci est inévitable. La fin de la civilisation s’accompagne toujours d’un retour à la loi du plus fort. Et contrairement à la philosophie rousseauiste, comme l’homme est naturellement mauvais, il va s’emparer par la force de ce qu’il désire pour assurer sa survie, son confort (même relatif) et son plaisir! L’enfant et la femme sont une proie pour ces prédateurs. Le roman post-cataclysme développe donc, avec ce retour à la nature primitive, le mythe du chef qui est en général un homme. Souvent la femme, du moins chez les deux écrivains précédemment cités, occupe une place secondaire, importante surtout pour la survie de l’espèce !  Par contre, la femme chez Emily St John Mandel apprend à se défendre seule comme Kirsten, à combattre et à jouer du couteau, s’il le faut. De plus, elle aussi peut-être détenir l’autorité ! Ainsi la chef d’orchestre de la petite troupe autour de laquelle se rallient musiciens et acteurs. Ce qui est entièrement nouveau.
Le rôle de la religion est aussi un thème très présent. Dans Station Eleven le fanatisme est un moyen de manipulation et de contrôle du pouvoir. Le Prophète, nouveau gourou, s’empare d’une petite ville et soumet ses habitants.
Et puis, bien sûr, l’on retrouve dans toutes ces oeuvres la souffrance liée à la disparition d’êtres chers mais aussi du monde ancien. Ceux qui s’en sortent le mieux ce sont les enfants qui n’en ont plus le souvenir. Le regret lancinant des bienfaits de la civilisation disparue taraude les esprits : l’absence d’électricité qui plonge les nuits dans une obscurité angoissante, la lutte pour trouver à manger, la disparition des transports, du téléphone, d’internet qui abolissaient les distances, l’insécurité des villes et des chemins infestés de voleurs de tueurs. Et cette nostalgie donne une coloration au roman qui nous fait regarder d’une autre manière notre civilisation. Un point de vue différent qui nous permet d’en voir les aspects positifs et non, comme nous le faisons souvent à l’heure actuelle, ce qu’il y a de négatif. Nous prenons conscience de la facilité de notre vie liée aux sciences. Là aussi le roman va à l'encontre des idéologies qui critiquent le progrès, l'asservissement de l'homme à la machine.

Matthieu Rebuffat : Nîmes après la fin du monde l'autoroute  ICI
Mais la vraie réussite de ce roman, c’est d’avoir fait d’une petite troupe de comédiens itinérants le symbole insubmersible de la civilisation. En effet, les personnages d’Emily St.John Mandel sont des artistes. Ils se déplacent de ville en ville dans des voitures tirées par des chevaux, comme Molière, et oui, pour donner leur spectacle musical et théâtral. Ce sont eux qui maintiennent l’espoir, l’émotion, la beauté et redonnent un sens à la vie, de même qu'ils rendent aux survivants leur statut d’êtres humains. Pourquoi? «  Parce que survivre ne suffit pas ».
« Ce qui a été perdu lors du cataclysme : presque tout, presque tous. Mais il reste encore tant de beauté : le crépuscule dans ce monde transformé, une représentation du Songe d’une nuit d’été sur un parking dans la localité mystérieusement baptisée Saint Deborah by the Water avec le lac Michigan qui brille à cinq cent mètres de là. »
Et si les comédiens interprètent uniquement des pièces de Shakespeare, « c’est parce que les gens veulent ce qu’il y avait de meilleur au monde »
Et tant qu’il y a de la beauté sur cette terre, tant que la vie intellectuelle subsiste, la civilisation peut reprendre ;  témoin le renouveau avec la création d'un musée, d'un journal et la réapparition timide de l'électricité. Un livre assez optimiste, finalement.

Enfin, l’originalité du roman, c’est cette construction savante de récits conçus non comme des retours dans le passé, mais comme des espaces temps qui font coexister le présent et le passé ou même parfois anticiper l'un par rapport à l'autre. La vie de l’acteur Arthur Leander, de son fils Tyler et de ses trois épouses, sa mort, l’enfance de Kirsten et sa vie actuelle se déroulent en parallèle… Et entre passé et présent émerge un personnage très beau, celui Miranda, la première femme de Leander, une artiste elle aussi, qui écrit et dessine une bande dessinée. Elle y raconte une histoire de survie après la fin d’une civilisation, récit dans le récit, fil conducteur entre le passé et le présent et entre les personnages, en particulier entre Kirsten et Tyler, tous deux très jeunes au moment de la catastrophe.
Un roman bien écrit et intéressant qui trouve sa place auprès des bons romans illustrant ce genre.



jeudi 22 septembre 2016

Paul Verlaine : Soleils couchants

Soleil couchant en Lozère
Soleil couchant en Lozère

Une bonne nouvelle pour les amateurs de poésie, Asphodèle reprend La poésie du jeudi dans son blog  à partir du mois d'octobre. Et elle commence aujourdhui, en douceur, avec un poème de Verlaine.  Je la rejoins avec Soleils couchants vers d'un poète qui est parmi mes préférés. 

Faisons donc de ce jeudi  une journée Verlaine. Venez nous rejoindre en publiant une poésie de Verlaine aujourd'hui ou dans les deux jours qui suivent et laissez vos liens dans les commentaires. Je les transmettrai à Asphodèle.

Soleils couchants

Une aube affaiblie
Verse par les champs
La mélancolie
Des soleils couchants.

La mélancolie
Berce de doux chants
Mon coeur qui s'oublie
Aux soleils couchants.

Et d'étranges rêves,
Comme des soleils
Couchants, sur les grèves,
Fantômes vermeils,

Défilent sans trêves,
Défilent, pareils
A de grands soleils
Couchants sur les grèves.

mardi 20 septembre 2016

Victor Hugo : Mangeront-ils? Lecture commune


 
J'ai vu cet été au festival d'Avignon 2016, la représentation de la pièce de Victor Hugo : Mangeront-ils? par la compagnie des Barriques. (voir mon billet ICI).  Ce qui m'avait donné envie de lire la pièce.
 

Mangeront-ils? Aïrolo et Zineb Compagnie des barriques photo Luca Lomazzi
Mangeront-ils? appartient au recueil Théâtre en liberté composé de quatre drames et cinq comédies en vers ou en prose. Ecrites par Victor Hugo pendant son exil à Guernesey, éditées en 1869 à son retour en France, ces pièces n’ont jamais été jouées sur scène du vivant de l’auteur.

Mangeront-ils? est une histoire d’amour contrarié, celle de Lord Slada et de Lady Janet obligés de se réfugier dans l’asile d’une église à moitié en ruines, sur l’île de Man, pour échapper au Roi, amoureux de Lady Janet qu’il veut pour épouse. Mais dans l’enceinte de ces ruines ne poussent que des plantes vénéneuses et coule une rivière aux eaux empoisonnées. Les deux amants ne peuvent s’échapper et sont condamnés bientôt à mourir de faim et soif. C’est alors que le voleur au grand coeur Aïrolo les prend sous son aile et part chercher de la nourriture pour eux dans la forêt où vit la sorcière Zineb. Celle-ci a cent ans et se sent proche de la mort. Pourchassés par le tyran, le bandit et la sorcière vont faire alliance contre celui-ci.

Le drame romantique : entre comédie et tragédie 

 

Lady Janet et Aïrolo :  Serge Reggiani dans une mise en scène pour la TV
 
 
Il s’agit d’un drame romantique en deux actes qui pratique le mélange des genres prôné par Victor Hugo. La pièce commence donc comme une tragédie avec un despote cruel qui veut se saisir de la jeune femme et tuer son mari mais elle finit en véritable comédie. Dans le deuxième acte, l’on voit en effet Aïrolo mener par le bout du nez le tyran crédule et sot, le couvrant de ridicule et parvenant à le chasser du trône.
A ce mélange des genres correspond celui des styles. Le contraste entre les déclarations d’amour nobles et lyriques de Lord Slada et les préoccupations de Lady Janet crée un effet comique alors que la situation des jeunes gens n’est rien moins que tragique :
Lord Slada
Mets sur ton front ta main. Je suis ton protégé.
Déesse, inonde-moi de ta lumière.
Lady Janet, à part.
J’ai
une faim!

A l’expression du bel amour romantique répondent les exigences les plus terre à terre. La « déesse » a l’estomac vide et lord Slada est bien obligé, lui aussi, d’avouer qu’il est soumis aux mêmes contingences terrestres! C’est ce que souligne la réplique de Aïrolo :
Oui, c’est le paradis de s’aimer de la sorte,
Mais toutefois un peu de nourriture importe;
Vous êtes, j’en conviens, deux anges, mais aussi
Deux estomacs ; daignez me concéder ceci.

D’où le titre réaliste de la pièce, Mangeront-ils? qui résume l’enjeu de l’action, les jeunes gens étant condamnés soit à mourir de faim, soit à périr de la main du roi pour Slada et au mariage forcé pour Janet. Mais ce titre est aussi un moyen pour Victor Hugo de dénoncer la misère du peuple qui souffre de faim pendant que le Roi fait ripaille. Car la pièce se veut un pamphlet contre la tyrannie et les grands de ce monde qui se rient de la souffrance des humbles.
 

 Contre l'arbitraire et l’injustice sociale  : un hymne à la liberté

 

Le Roi et son conseiller : Mise en scène de Beno Besson à Lausanne
 
Victor Hugo dans son exil continue donc à mener son combat contre Napoléon III et à dénoncer le despotisme. Le roi de la pièce est un homme qui vit dans l’opulence au dépens du peuple. Mess Tityrus son conseiller l’encourage dans cette voie : 
 
Roi, plaisirs, tournois, galas, combats, vous pouvez vous donner toutes vos fantaisies,
le peuple paie.

Il aime le pouvoir mais aussi les richesses, la bonne chère mais il en jouit d’autant plus devant ceux qui n’ont rien. 
 
J’approuve cette estrade,
Il sied qu’un roi qui mange ait d’en bas pour témoins
le reste des mortels qui mangent beaucoup moins.

C’est un être médiocre qui veut soumettre les autres, les plier à son arbitraire. Il aime faire souffrir, torturer, jouer au chat et à la souris en donnant de l’espoir pour mieux plonger son ennemi dans le désespoir. Il est prompt à condamner ceux qui lui résistent et Victor Hugo s'élève ici, encore une fois, contre la peine de mort.
 
Mess Tityrus
Pour jouer de la sorte avec l’espoir, l’effroi,
La mort, la vie, il faut, vois-tu bien être roi.
Aïrolo à part
Il suffit d’être tigre.

La charge satirique dirigée contre le roi est forcée. Victor Hugo en fait un fantoche, une sorte de pantin habilement manipulé par Mess Tityrus. Imbu de lui-même, il est non seulement méchant mais sot. Il refuse de croire en Dieu, il se proclame supérieur à lui mais il tombe dans la superstition et pourchasse Zineb pour qu’elle lui dise son avenir. Sa crédulité imbécile alliée à son égocentrisme et sa lâcheté le ridiculise.

Face à lui, Aïrolo incarne la figure du peuple, l'amour de la liberté et dénonce l’injustice sociale qui commence par celle de la naissance.
 
Ah! je vaux bien les rois,
Car j’ai la liberté de rire au fond des bois.
Mon chez-moi c’est l’espace, et Rien est ma patrie.
Voyez-vous la naissance est une loterie;
Le hasard fourre au sac sa main, vous voilà né.
A ce tirage obscur la forêt m’a gagné.

Il est celui qui lutte pour que le peuple mange et pour que celui-ci ait doit au bonheur : 
 
Je livre la bataille immense de la faim
Contre le superflu des autres.

L’homme ayant égaré le bonheur, je le cherche.

Avec Aïrolo, l’on retrouve le thème du bandit, du proscrit, du marginal rejeté par la société, thème cher à Victor Hugo. Il est un Jean Valjean, un Gwinplaine, un Hernani en rébellion contre l’ordre établi, un humble qui ne se soumet pas, un homme avec sa part d’ombre et de lumière. 
 
Possesseur de zéro, que j’en sois le voleur,
ça fait rire. Je suis le pire et le meilleur.

Aïrolo se révèle supérieur au roi car c’est un être libre, qui accepte la mort plutôt que de servir et de s’humilier. 
 
Après tout j’aime autant la corde que la chaîne,
Et la mort que la geôle. Un noeud qui pend d’un clou,
Et qu’on serre une fois pour toutes à mon cou
Me délivre d’un tas de choses que j’évite.

Il n’est corrompu ni par le pouvoir ou les honneurs, ni par l’argent. Il place les valeurs spirituelles et la liberté au-dessus de tout. Il a un certain panache et comme les héros romantiques de Hugo, il l’exprime  avec superbe : 
 
ll ne me convient pas de vous divertir, prince,
Et d’être la souris quand vous êtes le chat.
 
 

Fantastique, Superstition, Religion : "Je lis Dieu sans lunettes"

Les amoureux dans le cloître abandonné : décor de la mise en scène de La Fine Compagnie et Les Estropiés

 
Le fantastique est l’une des composantes discrète de la pièce avec la présence de la sorcière Zineb mais l’on verra que Victor Hugo laisse malicieusement planer un doute sur les talents divinatoires de Zineb. Et l’on est témoin du scepticisme d’Aïrolo lorsqu’il reçoit le talisman de Zineb censé lui assurer une longue vie de cent ans. L’auteur critique les superstitions absurdes. Le roi de Man qui se place au-dessus du Christ et de Dieu mais sombre dans l’obscurantisme, en est bien puni.
En fait, brigand ou sorcière, les deux personnages sont avant tout des êtres proches de la nature, vivant en symbiose avec elle. Incarnation du dieu Pan ou de Puck, Aïrolo est enfant de la Grèce et de Shakespeare… 
 
 Je suis l’âme sereine à qui Pan s’associe
 
Quant à Zineb, si elle est sorcière, elle n’est pas semblable aux sombres apparitions de Macbeth. Elle serait plutôt cousine du Petit Monde des bois, celui du Songe d’une nuit d’été, parentes des fées, suivantes de Titiana. Personnage malicieux mais sans méchanceté, elle est du côté des êtres qui ont besoin d'elle, les animaux comme le pigeon blessé ou les humains innocents.

De plus, le personnage de Zineb permet à Victor Hugo de dénoncer le fanatisme, les bûchers allumés par l’Eglise pour mettre à mort ces pauvres femmes qui sont surtout des êtres de la nature, connaisseuses des plantes et guérisseuses.
A côté de la satire du despotisme, Victor Hugo se livre effectivement à une critique en règle de l’Eglise prompte au fanatisme, prête à appuyer les puissants quand cela l’arrange mais constituant un contre-pouvoir redoutable dès que l’on touche à ses biens ou à ses privilèges.
 
Mais si vous touchez un jour à l’église, à ses droits, à ce cloître inutile,
Ah! bien, c’est pour le coups que, dans toute cette île,
On entendra sonner le tocsin jusqu’au ciel.

Pour Hugo qui croit en Dieu mais n’aime pas le clergé, Aïrolo représente la religion débarrassée des prêtres, la vraie foi pure et sincère. C’est ce que le jeune homme exprime d’une manière extrêmement pittoresque :
 
 « je lis Dieu sans lunettes ».
Faut-il vous compléter mon portrait? Braconnage,
Et clef des champs. Pensif, je dédaigne de loin
Le juge, plus le prêtre; et je n’ai pas besoin
De vos religions, je lis Dieu sans lunettes.
 

Une célébration de la Nature :  entre lyrisme et grotesque

 

La forêt, le très beau décor de la mise en scène de Laurent Pelly à Marseille Théâtre de la Criée
 
 
Il y a de très beaux passages dans cette pièce, de grands moment poétiques où le lyrisme s’élève comme une musique éthérée pour célébrer la beauté de la nature, l’amour de la liberté, de l’espace. Ainsi lorsque Aïrolo parle de sa vie dans la forêt :
 
A ce tirage obscur la forêt m’a gagné.
Joli lot. C’est ainsi que parmi la bruyère
Où Puck sert d’hippogriffe à la fée écuyère,
Enfant et gnome, étant presque un faune, j’échus
Comme concitoyen aux vieux arbres fourchus.
Dans l’herbe, dans les fleurs de soleil pénétrées,
Dans le ciel bleu, dans l’air doré, j’ai mes entrées.

Parfois  le style se fait plus familier, plus proche et l’humour affleure  : 
 
Mon patrimoine est mince. Errer dans les sentiers,
C’est là mon seul talent; je plains mes héritiers.
 
Mais une fois encore il alterne avec des vers d’une poésie simple et pure évocatrice de cette nature qui est sa vraie richesse :
 
Voyons que laisserai-je après moi?
Regardant autour de lui.
Cette dune,
Ce sapin, les roseaux, l’étang, le clair de lune,
La falaise où le flot mouille les goémons,
La source dans les puits, la neige sur les monts,
Voilà tout ce que j’ai.

Très beau aussi le moment ou Zineb remercie Aïrolo de l’avoir aidée non parce qu’il lui a sauvé la vie mais parce qu’il lui  a donné plus encore, une mort digne, en accord avec sa vie, en phase avec la nature :
 
Ecoute je te dois la mort sombre et tranquille,
La mort douce et profonde au fond des bois cléments,
Parmi ces rocs sacrés, mystérieux aimants,
Sous les ronces, au pied des chênes, sur la mousse,
Dans la sérénité de l’obscurité douce
La mort comme les loups et comme les lions,
Je te dois loin des peurs et des rebellions,
L’évanouissement dans la bonne nature.

Triviales par contre les réflexions d’Aïrolo sur les amoureux
 
Le coeur  a ses bonheurs, l’estomac ses misères,
Et c’est une bataille entre ces deux viscères.
Lequel l’emportera? L’estomac.
 
Et franchement vulgaires ses pensées exprimées en « franglais » (et oui, déjà!)  devant la belle Janet endormi pour qui il éprouve du désir  :
 
J’en suis incandescent.- que n’ai-je
le droit d’offrir un kiss à ce biceps de neige.
 
Toujours ce fameux mélange des styles qui réclame du comédien incarnant Aïrolo d’avoir à la fois un tempérament comique, une certaine truculence et un penchant vers le lyrisme, une manière d’exprimer la nostalgie assortie d’une gaité un peu triste, un équilibre léger et subtil entre deux extrêmes. Une pièce qui demande donc une remarquable interprétation. Quant à la scénographie, j'ai pu voir en faisant des recherches dans le net combien cette pièce avait donné lieu à de très belles créations et décors variés.

 

 LECTURES COMMUNES RAPPEL

Pour le 20 Octobre 2016 :  Lettres de Juliette Drouet ou biographie de Henri Troyat :  Juliette Drouet  OU Juliette Drouet : Mon grand petit homme, mille et une lettres d'amour (Gallimard) OU  tout autre livre de correspondance entre Drouet-Hugo
Miriam, Margotte, Claudialucia

Pour le  20 Novembre 2016 :  BIOGRAPHIE DE VICTOR HUGO  : Un été avec Hugo de Laura El Makki (Equateurs/ Parallèles) OU Victor Hugo de Sandrine Filipetti (livre de poche) Ou Olympio ou la vie de Victor Hugo de Maurois. Bref! une biographie de Hugo au choix.

Miriam, Nathalie, Claudialucia, Eimelle (?), Margotte

LECTURES COMMUNES : AUTRES PROPOSITIONS

Je propose de continuer notre exploration du Théâtre en Liberté (livre de poche Folio Gallimard) dans le cadre du challenge Victor Hugo, du challenge romantique et aussi du Challenge Tous en Scène d'Eimelle pour la fin 2016 et  l'année  2017 : en alternant drames et comédies

Pour le 20 Décembre : un drame : Torquemada

Margotte,  Miriam, Nathalie, claudialucia,

Je proposerai plus tard le tableau  les lectures à partir de janvier 2017.




lundi 19 septembre 2016

LC Victor Hugo : Rappel



Demain rendez-vous pour la lecture commune de Victor Hugo, la pièce de théâtre : Mangeront-ils?


 

dimanche 18 septembre 2016

James McTeer II : Minnow



Minnow  paru aux éditions du Seuil sous la marque Editions du sous-sol, est un roman qui a tout du conte traditionnel dont il épouse la structure. Nous sommes en Caroline du Sud. Un petit garçon Minnow  part à la recherche d’un médicament pour sauver son père mourant.  Il ne doit aller que jusqu’à la ville la plus proche mais sa rencontre avec un sorcier vaudou le Dr Crow va changer son destin. Ce dernier lui promet un médicament à condition qu’il poursuive sa route dans les Sea Islands à la recherche de la tombe de Sorry George, un ancien sorcier très puissant, réputé pour avoir tué une cinquantaine de personnages grâce à ses sortilèges. Mais personne ne sait où est cette tombe, c’est à Minnow de la découvrir. L’enfant est averti que l’esprit du grand sorcier qui veille dans l’au-delà, fera tout pour l’en empêcher. Il va devoir affronter de graves dangers. En chemin, il recevra de l’aide et un ami sous la forme d’un petit chien.

Il s'agit donc d'un conte, impression renforcée par l’atmosphère fantastique que représentent les paysages eux-mêmes, les marais saturés d’humidité, à l’air épais, les forêts inquiétantes, la faune sauvage et parfois aussi les rencontres avec les hommes dangereux ou amicaux. Fantastique aussi la présence du Vaudou, des incantations, des sortilèges, des fantômes qui  accompagnent le voyage du gamin. Et puis, il y a aussi un contraste qui frappe l’imagination entre l’enfant si petit, si fragile (Minnow signifie petit poisson ou fretin en français, ce qui n'est pas sans rappeler là encore les Petit Poucet, Poucette et Tom Pouce des contes) et l’immensité de ces terres, les dangers démesurés qu’il rencontre, les actes héroïques qu’il accomplit, traversée de fleuve ou d’une baie à la nage, combat avec un alligator ou un sanglier fou furieux, rencontre avec des brigands, lutte contre les éléments déchaînés et puis le froid, la faim, la peur, les maladies et les blessures…

Mais alors que le conte traditionnel qui se déroule dans un lieu et à une époque intemporels est symbolique, le roman de James Mcteer est bien ancré dans un lieu réel et un temps précis. Le conte décrit le passage de l’enfance à l’âge adulte. Il s’agit d’un récit d’initiation où l’on ne craint jamais pour la vie du personnage. Le roman Minnow qui est aussi un quête initiatique n’a plus rien, lui, de symbolique. Minnow sera marqué dans sa chair à tout jamais par les épreuves qu’il doit subir même s’il ressort de l’épreuve grandi et plus fort. Aucune formule magique ne peut lui venir en aide. Et s’il s’agit d’un récit d’aventures, le lecteur comprend bien vite qu’il n’y aura pas d’intervention miraculeuse.

Minnow est en fait une magnifique histoire d’amour et de courage. La volonté de petit garçon ne faiblit pas car son but est de sauver son père. Tout le roman est un combat contre la Mort qui est partout présente, aux aguets, en attente. La description de l’ouragan et du raz de marée est sidérante et constitue un des grands moments de ce roman. La Mort omnipotente règne en maîtresse absolue  dans un pays ravagé et participe à la fois à l’atmosphère fantastique et en même temps horriblement réaliste. Nous quittons le conte par l'irruption de la violence et la manifestation de la force des éléments naturels. Encore que... le petit garçon y voit, lui, l'intervention maléfique par delà la tombe, du sorcier Sorry George. On voit que la lecture peut toujours se faire à des degrés différents.

Un beau premier roman bien écrit et d’une originalité surprenante. Il a obtenu le prix du premier roman de Caroline du Sud et il est sélectionné pour le prix Médicis étranger 2016.

vendredi 16 septembre 2016

John Maxwell Coetzee : Disgrâce



La disgrâce, c’est celle dans laquelle tombe David Lurie professeur de littérature à l’université du Cap pour avoir eu des relations sexuelles avec une étudiante. Révoqué, poursuivi par la presse à scandale, déchu, mis au ban de la société, il va se réfugier chez sa fille Lucy qui a une ferme non loin du Cap. Lucy vit sur cette modeste terre qu’elle cultive avec un associé noir, Petrus, dont on sent qu’il veut agrandir sa propre propriété au dépens de celle de la jeune fille. La plus grande source de revenus et la joie de Lucy, c’est son élevage canin. Mais dans les temps qui suivent l’apartheid, il est dangereux de vivre ainsi seule et femme dans un pays où les tensions sont très fortes entre les noirs et les blancs. La fille et le père subissent une agression de la part de trois jeunes noirs haineux et animés d’un désir de revanche. Si David s’en sort avec de graves brûlures, Lucy, elle, est violée. Mais elle ne veut pas porter plainte et veut conserver le bébé conçu lors du viol…

Le personnage de J M Coetze, David Lurie, est à un tournant de sa vie et il incarne aussi la fin d’une époque.
 Homme à femmes (il a divorcé deux fois et collectionne les aventures), il arrive à un âge où les belles jeunes filles ne s’intéressent plus à lui. Cette dernière aventure avec une étudiante est son chant du cygne et encore, il faut bien avouer que la belle n’est pas très enthousiaste voire consentante pour cette relation. L’aventure plutôt sordide qu’il aura ensuite avec Bev Shaw, la voisine de sa fille, dans un labo qui sert à la mise à mort de chiens malades ou errants et avec une femme sans charmes signe la fin de sa vie sexuelle.
Il faut reconnaître que David Lurie n’est pas un homme sympathique et qu’on ne le plaint pas trop! Ce n’est pas pour rien qu’il s’intéresse à Byron, lui aussi poursuivi par le scandale lié à ses relations sexuelles. Le mépris des femmes de Lurie est patent, sa condescendance envers les classes sociales inférieures ou peu cultivées et son orgueil ne le sont pas moins. Il refuse de faire amende honorable et de demander pardon à la jeune fille et quand il le fait c’est avec assez d’arrogance. Et c’est au nom de sa liberté et des droits au désir qu’il estime ne pas être coupable. Mieux vaut la mort que de renoncer à sa nature profonde, donc au désir.

Mais c’est aussi la fin d’une époque ou plutôt le début d’une autre à laquelle il ne peut s’adapter. La période post-apartheid est d’une grande violence. Le racisme, les haines, l’inégalité, n’ont pas disparu. Personne n’est vraiment en sécurité, la misère est trop forte, le bouleversement des mentalités trop intense. Les rivalités, la cupidité, le besoin de vengeance ne sont satisfaits que par le vol, le viol ou le meurtre. Si David travaille parfois sous les ordres de Petrus -  c’est alors l’ancien « boy » qui devient le patron -  il ne peut comprendre l’acceptation de sa fille, voire sa soumission vis à vis des voyous qui l'ont attaquée.  Et pourquoi s'obstine-t-elle à rester sur ce lopin de terre désolé et dangereux? Il y a un fossé entre lui et elle qui représente la génération post-apartheid.

«  Espères-tu expier les crimes du passé en souffrant dans le présent? » lui demande-t-il.

Sa fille plus tard fait écho  :
-Oui, je suis d’accord, c’est humiliant. Mais c’est peut-être un bon point de départ pour recommencer.
C’est peut-être ce qu’il faut que j’apprenne à accepter. De repartir à zéro. Sans rien. Et pas, sans rien sauf. Sans rien. Sans atouts, sans armes, sans propriété, sans droits, sans dignité.
-Comme un chien
—Oui, comme un chien.

Mais les chiens, allégories de ce pays tragique, en proie au désordre, sont faits pour être sacrifiés comme on le voit au cours du roman. A la fin, en parlant d'un chien malade qu'il aime mais qu'il envoie à la mort, David Lurie répond à  l'étonnement de Bev Shaw  :
-Je pensais que tu lui donnerais une semaine de grâce; Tu le largues?
- Oui, je le largue.

Or, Disgrâce est le dernier roman écrit par Coetze avant de quitter son pays pour l'Australie.

Un grand roman extrêmement fort tout autant que pessimiste, qui peint un pays malade, un pays qui ne semble pas pouvoir un jour surmonter ses épreuves. Disgrâce a reçu le prestigieux prix Booker en 1999.



John Maxwell Coetzee est un écrivain et professeur sud-africain, naturalisé australien et d'expression anglaise, né en 1940 au Cap en Afrique du Sud. Il est lauréat de nombreux prix littéraires de premier ordre dont le  prix Nobel de littérature en 2003. Marquée par le thème de l'ambiguïté, la violence et la servitude, son œuvre juxtapose réalité politique et allégorie  afin d'explorer les phobies et les névroses de l'individu, à la fois victime et complice d'un système corrompu qui anéantit son langage. Wikipédia.

jeudi 15 septembre 2016

Poésie : Le cirque des lettres, film d'animation dans une classe de quatrième

Le cirque des Lettres

Le cirque des lettres est un projet de film d'animation mené par une équipe pédagogique dont je faisais partie avec des élèves de quatrième il y a bien des années.
  En cours de français, nous avons travaillé à partir de poésies comme celle de Claude Roy : L'enfant qui battait la campagne  

 L'enfant qui battait la campagne
 
Vous me copierez deux cents fois le verbe:
Je n'écoute pas. Je bats la campagne.
Je bats la campagne, tu bats la campagne,
Il bat la campagne à coups de bâton.
La campagne ? Pourquoi la battre ?
Elle ne m'a jamais rien fait.
C'est ma seule amie, la campagne,
Je baye aux corneilles, je cours la campagne.
Il ne faut jamais battre la campagne :
on pourrait casser un nid et ses oeufs.
On pourrait briser un iris, une herbe,
On pourrait fêler le cristal de l'eau.
Je n'écouterai pas la leçon.
Je ne battrai pas la campagne

                                                Claude Roy

 Mes élèves ont ensuite recueilli le plus grand nombre d'expressions imagées et ont écrit des poésies et des maximes en prenant ces phrases au sens propre. Travail d'écriture, d'imagination, de poésie.
Ils ont ensuite imaginé et rédigé une histoire en réunissant toutes ces lettres animées et ces expressions prises au pied de la lettre pour raconter les aventures d'un cirque dont les artistes sont des lettres.
En cours d'art plastique, ils ont ensuite dessiné les personnages, créé les décors et avec le professeur de mathématiques ils ont appris la décomposition du mouvement en 24 images par seconde, plus ou moins selon les effets de ralenti et d'accélération.
Un intervenant extérieur est venu filmer et assurer le montage du Cirque des lettres, à une époque où il n'y avait pas le numérique. J'ai vu le film une fois et ne l'ai jamais revu.

Je viens de retrouver des poésies écrites par mes élèves sur les expressions prises au pied de la lettre. il y a de jolies réussites.

L’expression est prise au sens propre?
Alors, elle s’est bien débarbouillée !
                  
                               Claude et Eric


Partir à cloche-pied 


 L’expression est prise au pied de la lettre?
Alors, là, moi je ne suis pas d’accord
car il y a des lettres qui n’ont pas de pied !
Le O par exemple rond comme les joues
d’une petit garçon bougon
Ou le U vallée trop profonde
pour en apercevoir le fond.
Passe encore pour le A, qui, avec ses deux grandes jambes
est le chef de l’ alphabet,
Mais il y a des lettres qui n’ont pas de pied !

Je te dis que l’expression est prise au pied de la lettre !
Mais alors, dépêchons-nous !
Nous devons la rattraper
car sinon
elle risquerait
de partir à cloche-pied.
Et jamais, jamais, plus jamais,
nous ne pourrions la retrouver !

Frédéric et Christine


 Il broie du noir

Paul Gauguin : autoportrait au chevalet

Un tableau, un chevalet noir, Terre d’ombre
Un peintre triste sur un tabouret délabré
Des pinceaux gris dans un flacon d’encre moiré…
Mais soudain un orage éclate en l’artiste
Et l’âme brisée, il broie le noir, peinture du malheur
Et sur la toile déchirée, sur la toile lacérée
Il trace…
               Le visage de son amour en deuil.

                                                              Isabelle

 La nuit tombe

Van Gogh : nuit étoilée sur le Rhône 1888
                       
La nuit tombe
La nuit tombe, boum!
Est-ce qu’elle s’est fait mal?
Le jour se lève
A-t-il bien dormi?
Le soleil se couche
Bonne nuit !

Eric et Claude

Je compte les moutons

Frits Standaert : court métrage Compte les moutons

Je compte mes moutons
Dans toute ma maison
Je les vois galoper
Dans les champs et les prés.

                    Philippe et Frédéric

De quelques expression prises au pied de la lettre

Marc Chagall : le coq rouge


Celui qui voulait être le coq du village se retrouva coq au vin.

Pourquoi ne dit-on pas à celui qui veut être le coq du village d’aller se faire cuire un oeuf?

Si vous avez l’estomac dans les talons et les yeux plus gros que le ventre,
Comment voulez-vous être dans votre assiette?

Un soir ma mère dévora un livre. Quelle idée !
Il fallut la conduire à l’hôpital pour lui extraire les pages d’écriture.
Vous parlez d’une aventure !