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samedi 4 février 2017

Elena Ferrante : L'amie prodigieuse 2 : Le nouveau nom



 Et voilà, j'ai lu le second volume de L’amie prodigieuse de Elena Ferrante :  Le nouveau nom, ce livre qui fait un tabac dans les blogs et que tout le monde commente ! Pour moi, il ne s’agit pas  d’un coup de coeur car je trouve qu'il y a parfois des longueurs et des redites mais j’apprécie beaucoup cette saga que je suis avec intérêt et plaisir parce qu’elle nous permet de pénétrer dans un quartier populaire de Naples dans les années 50 à 60 et j'y reconnais parfois des éléments de ma propre enfance toujours marquée par la guerre dans un Marseille pas encore reconstruit. Projection dans un passé et dans une ville italienne où règne la misère, la violence, la corruption. L’écrivaine fait revivre ces milieux souvent misérables, sans grand espoir d’avenir et le fait avec justesse, vérité et empathie. On sent qu’elle connaît bien ce milieu et je suis de plus en plus persuadée que le roman est autobiographique ou en partie.
Depuis que j’ai écrit ces mots, j’ai vu un  reportage aux infos sur la 2 où l’on parlait justement du mystère Ferrante pas vraiment résolu et de l’engouement autour de ce roman... Mais ce n'est pas pour cela que je lis ce roman, en fait peu m'importe qui est Elena pourvu que j'aime ce qu'elle écrit !

photographie  : Naples de Mario Cattaneo dans les années 1950
Naples de Mario Cattaneo dans les années 1950
Ce deuxième volet continue à explorer l’histoire de l'amitié complexe des deux jeunes femmes qui est le fil conducteur du récit. Elena Ferrante excelle dans la peinture de la psychologie de Lila et Lena. Elle explore avec perspicacité les sentiments avérés des deux amies mais aussi ceux qui se cachent sous l’apparence, ceux qui sont inavoués. La jalousie, l’envie, la rivalité, l’exaspération, la rancune,  les  faux-semblants, une amitié qui ressemble parfois à de la haine, une amitié avec de longues périodes d’absence, de désamour, mais pourtant qui ne peut mourir.

Il n’y a pas ellipse de temps dans ce second volume puisque l’on retrouve Lila tout de suite après son mariage. Elle a seize ans et elle découvre la réalité de la vie d’épouse. Elle est battue par son mari. Il pense ainsi la « redresser », c’est à dire éteindre en elle son besoin de liberté, corriger son anticonformisme et son caractère entier et fantasque. Mais il en faut plus pour réduire Lila à l’obéissance et à la soumission. La haine couve dans son coeur, la révolte aussi et si elle met sa belle intelligence sous éteignoir ce n’est jamais pour très longtemps.
Parallèlement, Elena poursuit ses études jusqu’à l’université. Elle s’intéresse à la politique peut-être plus pour captiver le garçon qu’elle aime que par réel intérêt. Son sentiment d’infériorité la pousse à un certain conformisme et à une soumission intellectuelle par rapport à ceux qu’elle admire. Mais peu à peu sa vision de la société s’affine. Le regard qu’elle porte sur son quartier n’est plus innocent. Elle voit en particulier ce qu’est  la condition des femmes, les brutalités qu’elles subissent de la part de leur mari mais aussi de la société. Mères épuisées, sans aucun droit, pauvres, elles perdent le goût de vivre et reproduisent le cycle de la violence auprès de leurs enfants. Elena découvre que non seulement ses études l’éloignent de ses anciens amis qui la considèrent comme une étrangère mais aussi qu’elle n’est pas acceptée par la classe sociale qui possède la culture. La bourgeoisie ne la reconnaît pas vraiment comme une de leurs et quand elle se fiance avec un jeune homme de bonne famille, elle comprend que si lui peut prétendre naturellement à un poste de professeur d’université, elle non, malgré de brillantes études !
Cet aspect du roman m’a énormément interpellée car je l’ai trouvé très vrai et pas seulement à cette époque et dans ce pays mais aussi en France et même actuellement;  ainsi si l’on est fils ou fille de « quelqu’un » on réussira toujours mieux et plus facilement que si l’on est de famille modeste. Rien ne change ! En ce sens le roman prend de l’envergure car il ne se limite pas à être seulement le récit des peines de coeur d’Elena et des déboires conjugaux de Lila (et des autres personnages). Il dénonce l’injustice sociale, la servitude des femmes, il peint des générations sacrifiées qui ne peuvent accéder au savoir, il montre que l’intelligence et le travail et l’assiduité ne sont pas à armes égales avec le pouvoir et la richesse. Il nous fait découvrir que la culture (la littérature en particulier) transforme un être mais qu’il y aura toujours une différence entre ceux pour qui c’est un dû, un phénomène naturel, et ceux qui doivent se battre pour l’acquérir.

Naples : mère 1950 nom du photographe?
Autre remarque : Certaines critiques disent que Elena Ferrante n’écrit pas bien (évidemment je ne peux juger que par la version française) et cela m’étonne car je ne sais pas ce que veut dire « mal écrire » dans ce cas précis. Quant à moi, je trouve le style efficace, direct, avec parfois une force réelle quand l’écrivaine décrit par exemple la nuit de noce de Lila, un dur apprentissage des rapports homme et femme ; ou lorsque Pinuccia mariée à Rino, le frère de Lila, découvre la gentillesse et la prévenance de Bruno Soccavo, fils d’un riche industriel et en tombe amoureuse, elle qui ne connaît des hommes que la brutalité, la vulgarité et l’épaisseur intellectuelle de son mari : tout est alors dans les non-dits;  ou encore quand  Lena « voit » pour la première fois les femmes de son quartier, comme si ses yeux se déshabituant de l’accoutumance, se dessillaient pour découvrir une triste réalité.

  Tout à coup, j’eus l’impression d’avoir vécu en limitant en quelque sorte mon regard, comme si j’étais capable de m’intéresser uniquement à nous autres jeunes filles ….
Ce jour-là en revanche je vis très clairement les mères du vieux quartier. Elles étaient nerveuses et résignées. Elles se taisaient, lèvres serrées et dos courbé, ou bien hurlaient de terribles insultes à leurs enfants qui les tourmentaient. Très maigres, joues creuses et yeux cernés, ou au contraire dotés de larges fessiers, de chevilles enflées et de lourdes poitrines, elles traînaient des sacs à commissions et enfants en bas âge, qui s’accrochaient à leurs jupes et voulaient être portés.


Vous avez dit Mal écrit ?

Voir :  Miriam ; Helène
Kathel

jeudi 2 février 2017

Maria Oruna : Le port secret



Je ne sais pourquoi  l’évocation de la guerre d’Espagne y compris dans un roman policier me touche tant … Ou plutôt je sais pourquoi  ! Le souvenir de mes grandes lectures « inolvidable »...  de Jorge Semprun à Javier Cercas, en passant par Manuel Rivas et Lydie Salvayre (Pas pleurer)  et plus récemment de Victor del Arbol (toutes les vagues de l’océan) ...

Alors voilà,  si j’ai choisi de lire Le port secret de Maria Oruna paru chez Actes Sud, c’est parce que l’enquête policière est mêlée étroitement au passé, à cette guerre d’Espagne qui ne cesse de retentir dans la mémoire vive des espagnols. Rien de plus traumatisant et d’ineffaçable qu’une guerre civile.

Olivier Gordon, britannique, espagnol par sa mère qui vient de mourir, va prendre possession de son héritage, sa maison familiale en Cantabrie. Mais les ouvriers qui en effectuent la restauration découvre le cadavre d’un bébé dont la mort remonte à la guerre civile. L’enquête de la police est mise en parallèle avec des fragments d’un journal qui nous raconte l’histoire d’une famille dont les membres sont décimés par les avions nationalistes au moment de la guerre civile. Deux personnages  émergent de ce récit, deux soeurs traumatisées par la mort de leur mère et de leur frère mais aussi par la misère qui oblige le père à séparer la fratrie restante et à "placer" ses enfants chez les riches. Amertume, rancoeur, désir d’échapper à cette condition par tous les moyens, à la dureté de la vie, vont engendrer bien des tragédies.

Pour moi, je le dis tout de suite, Maria Oruna, dont c’est le premier roman noir, n’a pas la puissance des écrivains cités ci-dessus; on est vraiment un cran en dessous quant à la profondeur, au style et à l’émotion qu’il procure. Mais récit se poursuit avec sa part de surprises, de rebondissements. Le passé et le présent se mêlent habilement. Certes, l'intrigue présente quelques invraisemblances, l'histoire d'amour est  un peu attendue, mais dans l’ensemble le polar se lit bien, et on peut se laisser emporter loin dans le passé mais aussi dans cette région d’Espagne qui a l’air si belle entre montagne et mer.

mardi 31 janvier 2017

Tom Coraghessan Boyle : Les vrais durs


Les vrais durs de TC Boyle sont tellement de vrais durs que j’ai eu beaucoup de mal  à aller jusqu’au bout de leur histoire car j’éprouvais envers eux une certaine répulsion mais… il y a d’abord le talent de conteur de Boyle qui non seulement campe des personnages puissants mais sait conduire un récit crescendo, avec une telle force que l’on se laisse entraîner. Malgré le sentiment de malaise qu’il suscite, le roman finit par nous captiver.  Et puis, il n’y aucune gratuité dans cette violence. TC Boyle peint un portrait des Etats-Unis, d’une certaine Amérique - ici la Californie- qui règle ses problèmes armes à la main et manifestent une haine viscérale de l’étranger. Ceux-là même, j’imagine, qui ont voté Trump ? Peut-être ? 

Dans la famille des vrais durs, il y a Sten Stensen, professeur puis principal de son établissement scolaire. A la retraite, lors d’un voyage en Amérique centrale, son passé d’ancien Marine, vétéran de la guerre du Vietnam, resurgit quand son groupe est attaqué par des petits malfrats. Pourtant sous la dureté, il y a l’homme et c’est tout en subtilité que Boyle explore l’humanité et les failles du personnage, son sentiment de culpabilité, son amour pour sa femme, sa peur de la vieillesse et de la décrépitude et surtout le point faible, son fils.
Et oui, son fils Adam qui ne quitte jamais son fusil. Chez lui, la violence s’allie à la maladie mentale. Il pense être la réincarnation du trappeur Colter, un « dur » du XIX siècle qui, poursuivi par les indiens, sauva sa vie en accomplissant des exploits au-delà de toute endurance humaine. On suit d’ailleurs avec beaucoup d’intérêt le récit des aventures mouvementées de ce personnage hors norme. Quant à Adam, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est complètement allumé.
Enfin Sara qui vit seule avec son chien bien-aimé et refuse tout autorité, déniant à l’état de Californie le droit de lui imposer des règles. Une illuminée? mais plus inoffensive que les précédents. En fait, son refus de l’autoritarisme se retourne contre elle.
C’est donc bien l’Amérique malade que Boyle présente sans occulter les difficultés et les désastres pour la santé, la sécurité et l’écologie que provoque l’immigration mexicaine sauvage qui s’organise en cartel de la drogue. Ils développent leur culture dans les forêts californiennes qu’ils détruisent et font circuler la drogue dans le pays par l’intérieur sans avoir à franchir de frontières. La tentation est grande de céder à la haine et aucun ne va en sortir indemne.
Un livre que je ne regrette pas d’avoir lu car il permet de comprendre l’Amérique d’aujourd’hui et peut-être aussi notre monde actuel.

samedi 28 janvier 2017

Henning Mankell : Le chinois




Le chinois concocté par Henning Mankell ( un livre policier sans son personnage fétiche Kurt Wallander) se perd dans trop de directions à la fois, une intrigue complexe avec des ramifications, toutes plus ou moins imbriquées les unes dans les autres  : D'abord, l’intrigue policière proprement dite qui commence avec la découverte en janvier 2006 du meurtre des habitants d'un village dans le Nord de la Suède, crimes odieux où le meurtrier a cherché à faire souffrir ses victimes. L’acte d’un fou? C’est ce que pense la policière Vivi Sundberg. Ou au contraire, acte prémédité, réfléchi, longuement mûri? comme le croit la juge Birgitta Roslin qui est impliquée indirectement dans l’enquête. Les parents adoptifs de sa mère sont parmi les victimes.

 L’enquête nous entraîne ensuite fort loin de la Suède, d’abord à Canton puis dans le Névada, loin aussi dans le passé, du XXI siècle, à la fin du XIX siècle. Mankell écrit alors un récit féroce de la traite des chinois aux Etats-Unis. A leur arrivée, ils sont enrôlés sur les chantiers de construction des chemins de fer par des sociétés que l'on peut qualifier d'esclavagistes. Privés de liberté, travaillant dans des conditions inhumaines et dangereuses, ils sont souvent placés sous la surveillance d'Européens, suédois, irlandais, pauvres blancs eux-mêmes immigrés, qui les mènent à la baguette et les considèrent comme des inférieurs.  Racisme, terrible exploitation économique, barbarie.

Enfin la troisième partie de l’enquête nous mène vers le dénouement dans la Chine d’aujourd’hui puis en Afrique dans une résolution plutôt  alambiquée de l'affaire.

J’ai trouvé le roman inégal, la première partie  avec la découverte du crime est correcte mais le récit qui concerne les trois frères lui est supérieur, bien écrit, avec des personnages forts. Nous sommes en empathie avec eux, San, Guo et Wu, dont le destin nous touche et nous révolte. C'est un fragment de l'histoire des Etats-Unis pas très glorieux mais intéressant qui est présenté.
Par contre, le récit sur la Chine contemporaine n’a manifestement pas inspiré Mankell. La description du pays est peu révélatrice, on dirait que Mankell ne le connaît pas et Birgitta Roslin semble plutôt s’ennuyer dans son rôle de touriste ! Quant à son enquête, elle repose sur des hasards, des coïncidences parfois tirées par les cheveux. La partie consacrée à l'Afrique ne m'a pas convaincue non plus.  J’ai donc trouvé cette partie nettement plus faible. Ce n'est donc pas, à mon avis, l'un des meilleurs livres de Mankell même s'il se lit bien.  Et c’est dommage !

Voir  :
Aifelle
 
















vendredi 27 janvier 2017

Craigh Johnson : Le cheval de discorde



Le cheval de discorde  est une nouvelle de Craig Johnson paru aux éditions Gallmeister.
Il vaut mieux, pour apprécier ce texte court et cette enquête qui n’en est pas vraiment une,  bien connaître les personnages récurrents de Graig Johnson :   le shérif Walt Longmire, sa fille Caddy et son ami Henry. Hélas ce n’est pas le cas pour moi. J’ai même eu du mal à comprendre qui était Henry, L’Ours et Nation Cheyenne!

 L’intrigue est mince. Ici, Walt marie sa fille et l’on parle beaucoup des préparatifs du mariage. Le père et la fille se lancent un défi qui ne manque pas d’humour et qui est la part la plus intéressante  de la nouvelle pour moi. Pendant les American Indian days, on vole un cheval à son propriétaire. C'est le cheval de la Discorde (j'aime bien ce titre ! ). Walt est chargé de le retrouver. Il y réussira facilement.

Je pense que la saveur de la nouvelle tient surtout dans les retrouvailles avec ces personnages qui au fil des romans doivent devenir des amis pour le lecteur. Il m’a donc manqué pour l'apprécier d’avoir lu les romans précédents mais cela m’a donné envie de m’y plonger.  Little Bird est le premier volume qui vu la naissance du personnage de Walt Longmire. Le livre a été couronné par le prix du roman noir Nouvel Obs/Bibliobs et sélectionné par LIRE parmi les meilleurs polars de l'année. Les aventures de Longmire ont été adaptées pour une série télévisée qui  a connu un grand succès. C’est donc par celui-ci que je commencerai.
A noter que la première de couverture est belle comme toujours dans les éditions Gallmeister.

Merci Aifelle.

mercredi 25 janvier 2017

Venise, la cité des Doges/ La sorcière de Venise

Voyage à Venise en décembre 2010

Je pars à Venise pour le festival le 18 Février.  Un peu peur d’être déçue, peur que  les vénitiens costumés soient peu nombreux sur la place Saint Marc, que l’évènement ne soit plus qu’une attraction touristique dépourvue de son sens et de sa beauté. Mais….
Mais Venise, je me suis promis de la connaître en toutes saisons. Mon dernier voyage remonte au mois de Décembre 2010 et cette fois-ci j’y retourne avec ma petite fille. Je veux voir ses six ans émerveillés par cette ville magique.

Avant de partir, je lui ai offert ces deux livres pour enfants.

Venise, la cité des doges



Venise, la cité des doges de Viviane Bettaëb , illustrations de Bruno Fourrure. Il s’agit d’un album de 12 pages pour les enfants de 7 à 10 ans paru aux éditions Giboulées.

« Comme si vous y étiez, entrez dans Venise, la Cité des Doges, et découvrez cette ville nénuphar. Sur les bords du Grand Canal, un palais somptueux ouvre ses portes. Une foule masquée venue admirer les jongleurs et les acrobates fête le Carnaval sur le pont du Rialto. Mais la nuit tombe. Allons vite à l'opéra de la Fenice, le grand rideau rouge se lève déjà ! »

Léonie adore les découpages en pop-up qui lui permettent de se promener dans la ville, sur la place San Marco, sur le Grand Canal avec ses palais, la Ca d’Oro ou sur la scène de la Fenice.  Par contre le texte lui passe au-dessus de la tête, trop pédago.  Elle préfère de loin, les illustrations qui ont le mérite de présenter l’extérieur et l’intérieur d’un lieu (comme la cathédrale Saint Marc) et de la familiariser avec ce qu’elle va découvrir, lui donner l’envie de la découverte.
Il est vrai, aussi, qu’en ce moment sa grande question existentielle n'est pas la date de la construction de Venise ou son histoire mais : quelle famille de verres filés vais-je acheter ? des chats ou des crocodiles?

Ce que j’ai trouvé intéressant aussi c’est la carte avec  les quartiers de la ville et le petit additif qui, à la fin du livre, forme un mini-guide de Venise.

La sorcière de Venise


La sorcière de Venise de Anne-Sophie Sylvestre (illustrations de Flavia Sorrentino) paru aux éditions Eveil et découverte est un recueil de contes sur la Befana, la sorcière de Venise, qui le jour des rois distribue des bonbons aux enfants sages et du charbon à ceux qui ne le sont pas.
 Le livre est destiné aux enfants à partir de 6 ans.


Il y a dans la ville de Venise une sorcière grande et maigre, qui a le talent de se glisser dans les cheminées pour apporter des bonbons aux enfants le jour de la fête des Rois, elle s'appelle la Befana. Je suis la Befana. Et je trouve que la vie de sorcière à Venise est extraordinairement imprévisible. Et 2 contes de sorcières : Marie Charivari ; Claire Princesse Grenouille.
Connaissant l’amour de la petite fille pour les sorcières (un jour, elle en a rencontré une vraie dans les rues d’Avignon pendant le festival) il fallait qu’elle fasse connaissance avec la Befana. En fait, elle a été immédiatement rassurée parce qu’il paraît (je ne sais pas, je ne la connais pas personnellement) que la Befana est gentille et qu’elle remplace le charbon par du réglisse. 


J’ai aimé en particulier le récit sur la Befanita, une petite fille trouvée dans la prison des Plombs par la Befana qui l’a recueillie et adoptée. C’est dommage qu’il n’y ait pas une carte de Venise dans le livre car le conte nous fait découvrir la ville et l’on pourrait suivre le parcours de la sorcière sur les toits  quand elle passe par les cheminées pour distribuer les confiseries aux enfants.
Même si le conte est intéressant, le style n’est pas très direct pour une enfant de 6 ans et nous n’avons pas lu l’histoire jusqu’au bout. Le plaisir a été de mettre un marque-page comme le font les adultes. Nous continuerons la lecture bientôt.


lundi 23 janvier 2017

Donna Leon : Un vénitien anonyme



Dans la perspective d’un voyage à Venise en février et en quête d’un livre facile à lire (j’ai eu une période de baisse de régime) voilà un titre de Donna Leon (auteure que j’ai beaucoup lue dans le passé). Il s’agit de Un vénitien anonyme, livre policier dans lequel le lecteur retrouve, bien sûr, le commissaire Brunetti.

Venise Roberto Ferruzi

Plus que Venise, c’est Mestre que nous découvrons dans cette enquête policière et vous conviendrez que la banlieue industrielle de la glorieuse cité des Doges, près des abattoirs, est une visite peu romantique. C’est là, dans un terrain vague, lieu de rencontre des prostitué(e)s que l’on découvre un travesti sauvagement assassiné. En cette période de vacances où la moitié de l’effectif de police est déjà partie, c’est à Brunetti que l’on va confier l’affaire.
Celle-ci nous mènera des milieux de prostitués masculins de Mestre à Venise dans les milieux de la banque et la société bien pensante de la bonne bourgeoisie vénitienne. En particulier cette fameuse ligue de la Moralité, dont le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle paraît un peu louche et… pas très morale !
 L’enquête permet à Donna Leon, tout en explorant les bas-fonds des la ville, de faire un portrait charge d’une société corrompue. Elle dénonce, au passage, la catastrophe écologique qui menace la cité et dont l’homme en général et les politiques en particulier sont les grands responsables. Nous sommes en été, la chaleur est abrutissante et exalte l’odeur d’égout à ciel ouvert de la lagune  :

Nous avons tué les mers et ce n’est qu’une question de temps avant qu’elles  se mettent à puer. Etant donné que la lagune n’est qu’un égout au fond de l’Adriatique, laquelle n’est elle-même qu’un égout par rapport au reste de la Méditerranée, laquelle..

Tout le monde parlait, tout le temps, de la destruction imminente de la ville, ce qui n’empêchait pas le prix des appartements de doubler tous les deux ou trois ans et les loyers d’augmenter dans des proportions qui les mettaient hors  de portée de la classe laborieuse.

Comme d’habitude, le charme de l’histoire tient au commissaire Brunetti, toujours aussi sympathique et qui tranche par son ouverture d’esprit et malgré son éducation de mâle italien sur les homophobes primaires qu’il rencontre dans son enquête. Nous suivons avec plaisir ses déambulations dans Venise sous la statue de bronze de Goldoni, Campo San Bartolomeo, au marché d’herbes du Rialto, ou dans le quartier de Dorsudoro, place Ramo Dietro gl'Incurabili chez un ami journaliste, possesseur de tableaux de maîtres italiens Ferruzi, Morandi, Guttoso.. Nous  nous attablons avec lui dans les petites trattoria où il fuit l’insalata di calamari laissée par sa femme dans le réfrigérateur.

Giorgio Morandi

Bref! une lecture agréable, peut-être pas la meilleure enquête parmi celles que j’ai lues de  cette écrivaine mais avec une recette toujours gagnante : Venise, véritable personnage de tous les romans de Donna Leon et à son commissaire Brunetti.


samedi 21 janvier 2017

Michel Bernard : Deux remords de Claude Monet

La capeline rouge de  Claude Monet portrait de Camille l'épouse de Calude Monet
La capeline rouge Claude Monet
Il (Monet) avait ressorti La capeline rouge (Camille) de sous la couverture et les empilements qui la préservaient du regard de sa seconde femme, et l’avait accrochée en bonne place, au milieu d’un mur de son atelier, à hauteur de son regard. Chaque jour après le petit déjeuner, après le déjeuner, en été après le dîner, quand il entrait dans l’atelier, il voyait la petite silhouette dans la neige, derrière la vitre de leur maison d’Argenteuil, tourner sa tête vers lui, au-dessus de la bouche ronde que le froid avait pâlie, les deux petites taches noisette et bleutées de ses yeux plonger dans les siens.

Lorsque Claude Monet, quelques mois avant sa disparition, confirma à l’État le don des Nymphéas, pour qu’ils soient installés à l’Orangerie selon ses indications, il y mit une ultime condition : l’achat un tableau peint soixante ans auparavant, Femmes au jardin, pour qu'il soit exposé au Louvre. À cette exigence et au choix de ce tableau, il ne donna aucun motif. Deux remords de Claude Monet raconte l’histoire d’amour et de mort qui, du flanc méditerranéen des Cévennes au bord de la Manche, de Londres aux Pays-Bas, de l’Île-de-France à la Normandie, entre le siège de Paris en 1870 et la tragédie de la Grande Guerre, hanta le peintre jusqu’au bout.»  quatrième de couverture
Gallimard  La table ronde Michel Bernard.


Michel Bernard, en écrivant ce livre d’amour et d’admiration sur Monet ne signe pas une nouvelle biographie du peintre mais brosse un tableau des débuts de l’impressionnisme et peint la grandeur de l’Art lorsqu’il exige un tel don de soi de la part de l’artiste. 
Monet, l’homme inquiet, en proie au doute et au remords, est un artiste dont l’exigence par rapport à son art est totale. L’art est pour lui source de bonheur et plénitude mais tout autant d’angoisse et de doute.
Quels sont donc ces deux remords dont il est question dans le titre un peu mystérieux?

 Frédéric 

Femmes au jardin de Claude Monet avec Camille Monet et Frédéric Bazile
Femmes au jardin de Claude Monet
Le premier remords me paraît très clairement décelable car sa source prend naissance dans la première partie de l’oeuvre intitulée : Frédéric. D’une manière un peu déroutante quand on s’attend à une étude sur Monet, le livre commence avec le peintre Frédéric Bazile, un météore dans le ciel des impressionnistes. Disparu trop jeune mais très doué, le peintre n’a pu atteindre la renommée de ceux qui lui ont survécu, ses amis Monet, Renoir. Fils d’une riche famille de Montpellier, il reste indissolublement lié à Monet dont il était l’ami mais aussi l’aide et le soutien financier pendant les périodes de vaches maigres.
Cette première partie raconte la quête entreprise par Gaston Bazile, le père de Frédéric, sur le champ de bataille pendant la guerre de 1870 contre les prussiens pour retrouver le corps de son fils. C’est un des moments très forts du roman.
Si Frédéric était engagé volontaire, Monet, lui, avait fui la guerre, refusant de s’engager et s’était exilé en Angleterre. « Rien  n’aurait pu empêcher cette tête de lard, ce fou de couleurs, fier, obstiné, sûr de sa main et de son destin; Rien, ni la guerre, ni l’opinion des autres. »
On comprend  alors que la mort de Frédéric hantera la vie de Claude.
Quand son ami lui avait acheté Femmes au jardin, le regret de Monet de se séparer de son tableau avait été atténué par la certitude qu’il s’en allait chez un connaisseur, un camarade à l’oeil clair et la main sûre, un artiste.

Camille

Claude Monet : la dame en robe verte  Camille,  modèle et épouse de Monet
Camille ou la dame en robe verte de Claude Monet
 Dans la seconde partie, Camille qui posa pour La Femme à la robe verte, premier grand succès du peintre, fut d’abord le modèle de Claude Monet, avant de devenir sa femme.  Camille fut le grand amour de l'artiste et lui donna par sa force de caractère, son humeur égale, sa compréhension, la sérénité nécessaire pour poursuivre son oeuvre. Cette période de bonheur fragile, avec la naissance des enfants et le partage d’un amour commun, est traversé  par les orages de la Commune et les difficultés financières, les dettes, le harcèlement des créanciers. P5354 la robe verte
Et puis la longue maladie de Camille, son dépérissement inéluctable, ses souffrances…  L’angoisse de Claude Monet , « sa répulsion instinctive de la mort » , la peur de se trahir devant elle, l’éloignent de celle qui sera toujours son grand amour.  Le second remords de Monet?

Claude 

Autoportrait au béret de Claude Monet 1886
Autoportrait au béret de Claude Monet
La troisième intitulé Claude est la période de Giverny, le remariage avec Alice, l’acheminement vers la cécité, la vieillesse, son amitié avec Clémenceau. Et puis le don de ces deux tableaux Nymphéas et Femmes au jardin  dont le dernier est si intimement lié à son ami Bazile et à son épouse Camille.

Ce j’ai le plus aimé dans ce livre  

Les nymphéas de Claude Monet

J’ai beaucoup aimé l’originalité de cette biographie romancée dans le choix d'un point de vue : les deux remords étroitement liés à l’oeuvre de Monet. j’ai aimé cette manière d’aborder le thème par le biais, par le détour. J’ai aimé la force des portraits de ces trois personnages centraux :  Frédéric, Camille et Claude, pris dans un enracinement inextricable entre l’amitié et l’amour, entre la vie et la mort et toujours, toujours, en rapport avec l’art qui est la source, l’énergie mais aussi la justification de la vie.
Au niveau pictural le roman nous permet aussi de connaître l’histoire de quelques oeuvres magistrales de Monet que Michel Bernard analyse avec finesse et qui nous permettent de comprendre et sentir la rapport du peintre avec les êtres et surtout avec la nature.

Merci à Aifelle pour le prêt de ce livre et sa longue patience liée à mon absence dans ce blog. 

dimanche 1 janvier 2017

Bonne année 2017

Clarence Gagnon : peintre québécois illustration de Maria Chapdelaine

Pour la nouvelle année, partons pour rêver un peu, avec Clarence Gagnon, peintre québécois (1881-1942) dans les paysages de neige de l'hiver canadien.

Bonne Année 2017





VidéoYou tube : Clarence Gagnon et l'Hiver

vendredi 23 décembre 2016

Joyeux Noël

Pekke Halonen, peintre finlandais


 Un paysage de neige pour vous souhaiter un joyeux Noël et de bonnes fêtes en famille et avec vos amis. Beaucoup de joie à tous !

Je suis en  Lozère avec enfants et petits enfants et je vous dis à bientôt, au mois de Janvier!

mardi 20 décembre 2016

Victor Hugo : Torquemada


Torquemada est un drame en quatre actes et en vers de Victor Hugo écrit en 1869 et publié en 1882  en réaction à de nouveaux pogroms en Russie. Il fait partie du recueil Théâtre en Liberté qui  rassemble 4 drames et 5 comédies. Nous avons déjà lu ensemble la pièce Mangeront-ils au cours d'une lecture commune pour le challenge Victor Hugo. 
Torquemada n'a jamais été donnée du vivant de l'auteur. Le moine dominicain Tomás de Torquemada (1420-1498) qui fut le premier inquisiteur est un personnage historique.

L'intrigue

Tomas Torquemada, premier inquisiteur espagnol
Le moine espagnol Torquemada, considéré comme hérétique, est emmuré vivant. Il  est délivré par don Sanche et doña Rosa, de jeunes gens purs et innocents qui ont été élevés ensemble et ont découvert l'amour qu'ils ont l'un pour l'autre.  Pris de pitié pour le sort affreux qui attend le moine,  ils le délivrent.
Torquemada part à Rome où il obtient l'absolution du pape et revient en Espagne pour y fonder l'inquisition.  Cependant le roi Ferdinand amoureux de Rosa veut la séparer de son amoureux. Il les envoie au couvent et cherche à tendre un piège à don Sanche pour le tuer. Son premier ministre, le comte de Fuentel, les délivre et les confie à Torquemada. Celui-ci reconnaît en eux ses deux sauveurs  mais lorsqu'il apprend que ceux-ci l'ont délivré à l'aide d'une vieille croix pour soulever la pierre de sa prison, il décide de sacrifier leurs "corps" sur le bûcher pour sauver leurs "âmes".

Le sens

Avec le personnage de Torquemada, Hugo critique avec virulence le fanatisme religieux et l'intolérance. Au personnage de Torquemada qui fonde la religion sur la peur, il oppose saint François de Paule, un ascète, un saint, pour qui la religion ne peut reposer que sur l'amour.
Sa critique du pouvoir monarchique s'exerce à travers les personnages de Isabelle et Ferdinand d'Espagne, les rois catholiques, personnages tout aussi implacables.



Il y a dans cette pièce tardive de Victor Hugo (il avait quatre-vingt ans quand il la publie)  de grands moments où les vers flamboyants rappellent le jeune romantique Hugo. Le personnage de  l’inquisiteur espagnol est un personnage impressionnant. Il incarne le fanatisme porté à la plus haute puissance car Torquemada va jusqu’au bout de sa logique et de sa foi pervertie. Puisque brûler des corps, c’est sauver des âmes, il tient la promesse qu’il a faite aux jeunes gens en les « sauvant » c’est à dire en les livrant au feu.

L'inquisition Espagnole

La critique au moment de la parution en 1882  a reproché à Hugo ses erreurs en ce qui concerne l'histoire et la psychologique. Dans La Revue des deux mondes Louis Ganderax écrit  :

« L’interprétation du poète, si éloignée qu’elle soit de la vérité historique, l’est encore plus de la vraisemblance humaine : elle est justement contraire à la psychologie du chrétien. Comment un chrétien pourrait-il croire qu’en brûlant un hérétique, il le sauvera contre son gré ? Pour que la douleur de la chair profite à l’esprit, il faut que l’esprit l’accepte et l’offre au Seigneur ; le supplice n’a pas la valeur morale du martyre, et le ciel n’admettra pas ce racheté malgré lui.
Donc ce Torquemada n’est ni vrai, ni possible ..…  »  

 Louis Ganderax semble oublier que le fanatique ne raisonne pas comme un être normal. De plus, si comme il le dit, le personnage perd en vérité psychologique, il gagne, je pense, au point de vue dramatique. Le poète a voulu faire de ce moine un symbole du fanatisme religieux, il a voulu frapper les esprits en créant un personnage monstrueux dont le raisonnement échappe à la part d’humanité que chacun porte en soi. L'Histoire nous apprend que ces raisonnements existent ! Torquemada me fait penser à Savonarole à Florence et plus près de nous à Hitler. De ce fait, ce moine illuminé a une telle force qu’il met en relief tout ce qu’il y a d’atroce dans l’Inquisition. Il représente tout ce que hait Victor Hugo, l’intolérance, la haine de l’autre, l'atteinte à la liberté, le rejet de ceux qui n’obéissent pas à la norme, la volonté de domination des esprits. Torquemada n’est plus un homme, c’est un monstre et l’on pourrait en dire autant des autres personnages, les rois catholiques : Isabelle et Ferdinand qui représentent le pouvoir monarchique absolu …  ou presque absolu car les souverains doivent se courber devant le pouvoir religieux.

Quant à la vérité historique, Louis Ganderax a certainement raison. Victor Hugo a une grande connaissance de l'Espagne, un pays qu'il a visité, qu'il aime, et sa culture est immense.  C'est pourquoi ses didascalies sont très précises sur le décor et les costumes mais elles trahissent avant tout une  préoccupation esthétique et poétique.  Lorsque la vérité historique le gêne, il la sacrifie volontiers à l'Idée ou au Sens qu'il veut donner. C'est avant tout un poète, un visionnaire et il écrit ici un texte engagé qui dénonce les abus de pouvoir de l’église et de la royauté. La pièce est  évidemment une démonstration et parfois elle l’est un peu trop à mon goût ! je n’ai pas aimé par exemple le passage ou Torquemada rencontre Saint François de Paule et la discussion théologique qui s’ensuit et qui est trop démonstrative. De plus  cette scène ne sert pas l’intrigue, elle l’arrête.
   Pourtant Victor Hugo voulait que le drame peigne le « vrai» , soit conforme à « la nature », en mêlant comme dans la vie, « le sublime au grotesque », « le bien et le mal », « le tragique et le comique". Mais le drame finalement a été bien autre chose du moins chez Victor Hugo. La conception antithétique de la vie, le noir et le blanc, l’ombre et la lumière, qu’il développe dans toute son oeuvre, romans, poésies, dessins, et pas seulement dans le théâtre, a été animée par le souffle du grand poète. Loin de refléter la réalité, le drame frappe l’imagination, l’exalte, donne une dimension décuplée à l’intrigue d’où naît la beauté.
 Finalement Louis Ganderax a raison sur certains points mais pour moi sa critique passe à côté de ce qu'est le drame hugolien ! Ce qu'il y a de bien c'est qu'il ne pourra pas me répondre et me mettre en difficulté.  Après tout le pauvre homme a écrit cela en 1882 (ICI La revue des deux mondes), il y a prescription ! Et il fallait un certain courage pour critiquer Victor Hugo, vénéré comme un prophète, à l’époque ! 

Lecture commune  avec :

Miriam, Nathalie , Margotte 






vendredi 9 décembre 2016

Estelle Fenzy : Rouge vive


Quand j’ouvre un recueil de poèmes, je lis un texte choisi au hasard. Je ne veux pas les découvrir dans l’ordre, méthodiquement. Je préfère « goûter » les images qui se lèvent devant mes yeux, les émotions qui s’éveillent en moi à la lecture d’un premier poème, isolé, je veux sentir s’il existe en lui-même.
C’est ce que je fais avec Rouge vive de Estelle Fenzy. Et l’alchimie a lieu. Ce premier poème me touche, me transporte dans un ailleurs que je connais bien, dans Ma montagne, la Lozère :  Images  très précises que ma mémoire a engrangées, des cordes à linge emmêlées et des draps qui s’envolent par delà les prés ou s'enroulent autour des fils de fer barbelés « quand le vent souffle fort ».


Quand le vent souffle fort
chaque fois j’entends
les linges les cordes battant
claquant les draps les chemises

Mon coeur tissu fragile
se déchire

à l’écho des combats
dans les cotons tremblants


Il y a quelque chose de très beau, très vrai dans cette scène. On « entend » : le bruit, le « souffle du vent » mais aussi le mouvement, l’agitation, la violence du drap soulevé, presque arraché, puis qui retombe  en "claquant". On voit :  les chemises se tordent, se dressent, s’abattent brusquement. Il y a un ressenti physique, le froid, la brutalité. Je ne suis pas seulement spectatrice de la scène mais partie prenante, je peux même imaginer les détails, précisément. J’aime glisser peu à peu du paysage extérieur au paysage intérieur symbolisé par le coeur. Les "cotons" (j’adore ce pluriel si réaliste, cette épaisseur des choses ) entraînent la métaphore du " tissu" singulier comme une antithèse, si fin, si  "fragile "  qui risque de se déchirer sous les assauts extérieurs de la vie. De cette simplicité du style, de cette économie du mot, naît l’émotion, de cette image qui pourrait être banale parce que quotidienne, celle du linge agité par le vent, naît la profondeur :  "combats" menés contre soi-même ou conflits qui agitent les hommes entre eux, les font s'entretuer ? Les deux, sans doute.

Linge séchant au vent : Caillebotte
Alors je continue ma lecture; je tourne les pages dans un sens ou dans l’autre et peu à peu je distingue deux voix* qui s’élèvent, distantes, mais qui paraissent se répondre et où il est question de roses sauvages, d’amour et de mort, de sang sur la neige... Les gouttes de sang sur la neige toujours associées à la femme comme le fait Perceval méditant sur la beauté de Blanchefleur ; ou encore la reine qui se pique le doigt à une aiguille et imagine le visage de sa future enfant blanche comme la neige, aux joues rouges comme le sang. Je m’enfonce dans le mystère d’un récit, chanson d'amour et de mort qui paraît de tous les temps, qui évoquent les lais du moyen âge, les contes de notre enfance.

Je suis la dépossédée

Mon promis est mort à la guerre
j’étais encore fille

je suis venue dans ce village
verser dans des jarres vides
mon chagrin


Musique à la fois douce, triste et cruelle.

 Je cherche à pénétrer l'énigme de ce récit étrange. L'évidence s'impose ! Et oui, les poèmes de  Rouge vive  d'Estelle Fenzy nous racontent une histoire. Je reprends ma lecture depuis le début. C'est ainsi qu'il faut lire ce recueil !

D’un côté un homme silence, un homme paria, rejeté par la société :  La solitude/ mon manteau/ m’accompagne tout le jour/ me caresse quand je dors.
petit garçon blessé par la vie, devenu adulte : « Je suis né dans ce village /à l’engrais des tempêtes ».

Puis une rivière aux rosiers sauvages; et ce sont ces roses couleur du sang qui consolent, fascinent, on le comprend, mais aussi blessent et ont l’attrait de la mort.

De l’autre une fille dont le fiancé est mort à la guerre (à moins qu’elle ne revive le traumatisme vécu par sa mère et par bien des femmes avant elle : "depuis des millénaires/ mon histoire se raconte"

Il est mort loin d'ici
Dans les montagnes 
au Nord de mon pays.

le sang sur la neige a gelé

Eclosion d'incarnat.
Karine Rougier  : Rouge vive
Et puis la rencontre, la première vision que l’homme et de la femme ont l’un de l’autre. Légèreté, innocence de la jeune fille en mouvement, apparition à la Giono pour peindre la beauté virile de l'homme-nature ? Mais non ! Des fausses notes viennent troubler cette harmonie; ces portraits ne sont pas ceux qu'ils paraissent être de prime abord car la beauté semble toujours corrompue par la mort.… 

La première fois
elle descendait
vers la forêt

belle comme un enfant
A genoux

sur une tombe.

*
Il portait dans ses bras
des gerbes de griffures

et à sa ceinture

un faisan colleté
pendu par les pieds.


Max Chagall : bouquet de roses à la femme

 Jusqu'à cette fin surprenante qui est à l’image du titre Rouge vive :  Rouge la rose "carmin" ou "grenat", rouge le sang de la guerre, les "braises" de la forêt dans l’ardeur de la passion, rouge le sang de la virginité, et "le feu de sa robe" , et son sourire, et sa bouche… Ici, même les ombres sont "écarlates ".

Et vive? pourquoi ce féminin ou l’on attend le masculin?  Parce que vive caractérise autre chose que le rouge ? Vive comme la jeune fille qui crie sa « révolte dans les buissons de houx » ou comme la rivière où poussent les roses sauvages. Vive comme l'évidence de l'amour: « j’ai vu un homme/ j’ai vu la vie ».
Ou vive au sens d'être vivant ? Vive antithèse de la mort, de la guerre, du malheur qui jamais ne s’efface, des blessures de l’enfance qui jamais ne guérissent ? Vive parce que Eros rime toujours avec Thanatos? 

Veux-tu que 
ce soir 
je t'amène
là ou poussent
les roses sauvages ?

Parce que comme la chanson Where the wild roses grow de Nick Cave cité en exergue et qui a inspiré Estelle Fenzy : Toute beauté doit mourir  ?

Un très beau recueil dont le langage poétique, épuré, va droit à l’essentiel et donne essor à  l'imagination, un régal de mots et d'images !

Le recueil est paru aux éditions AL Manar de Alain Gorius. J'aime aussi ce livre en tant qu'objet. Les beaux dessins en noir et blanc de Karine Rougier interprètent les poèmes avec sobriété.

 Refrain de la chanson de Nick Cave

Là où poussent les roses sauvages

Ils m'appellent La Rose Sauvage
Mais mon nom était Elisa Day
Je ne sais pas pourquoi ils m'appellent ainsi
Car mon nom était Elisa Day



*Dans le recueil, le changement de voix est indiqué par la graphie : la voix masculine est en style courant, la voix féminine en italique



lundi 5 décembre 2016

Bath : sur les traces de Jane Austen

Bath : musée de Jane Austen Jane Austen center: N° 40 Gay Street
Jane Austen center: N° 40 Gay Street

Lors de ma visite en Angleterre, à Londres puis à Bristol, une visite s'est imposée ! La ville de Bath que j'avais déjà découverte il y a quelques années, sur les traces de Jane Austen. Je voulais compléter ma visite en allant voir la maison de la célèbre écrivaine.
Jane Austen à Bath
La cathédrale de Bath

 Le premier séjour à Bath de Jane Austen qui vivait dans le Hampshire remonte à 1797 avec sa mère et sa soeur Cassandra où elle loge au N° 1 Paragon Buildings. Elle y restera six semaines. Elle y retourne ensuite en 1799, invitée par son frère Edward qui venait y prendre les eaux.  Elle habite au 13 Queen Square pendant deux mois et a déjà en tête l'écriture de Northanger abbey. C’est dans cette ville, en effet, que Catherine Morland va tomber amoureuse et va recevoir la leçon amère d’une société hypocrite où l’amitié se mesure à la hauteur de la rente annuelle ou au montant de la dot.  C'est là aussi qu'elle écrit Les Watson, roman resté inachevé. Plus tard, Jane Austen placera à Bath l’intrigue de Persuasion. 

Voir Northange abbey 1 ICI  

Voir mon billet sur Northanger abbey 2 à Bath ICI 
Ce n’est qu’en 1801 que le père de Jane, le révérend George Austen, décide de se retirer à Bath où il meurt en 1805. En 1806, Jane quitte la cité dans laquelle elle a peu séjourné finalement mais qui a eu une grande influence sur son oeuvre et dans sa vie. Ses parents se sont mariés à Bath et son père y est enterré.


Le Centre Jane Austen de Bath

Le centre Jane Austen est installé au n°40 de Gay Street dans une maison semblable à celle qu’elle a habité au n°25 pendant quelques mois après la mort de son père. Elle avait dû déménager pour un appartement moins cher. Le musée est assez vieillot de conception avec beaucoup de panneaux à lire mais pour les amoureux de Jane Austen il évoque bien des souvenirs et présente un intérêt certain.

La famille Austen

On y voit des images de sa famille et de ses amis, un plan de Bath avec tous les endroits où elle a habité, des présentations et une analyse de ses romans, un mannequin portant une robe de l’époque, un bureau avec un encrier et une plume d’oie. 

Parmi ces documents, le portrait de Tom Lefroy, le premier amour de Jane mais qui n'a pas eu de suite.


... et Harris Bigg-Wither, frère de ses amies. Plus jeune que Jane, il la demande en mariage pendant un séjour qu'elle fait chez eux avec Cassandre. Jane accepte et la famille amie des Austen, fait un bon accueil à Jane malgré sa modeste dot. Mais après une nuit de tourment,  Jane est convaincue qu'elle n'aime pas assez Harris pour l'épouser. Le matin, elle rompt ses fiançailles. Devant la consternation de la famille elle prend rapidement congé et part en toute hâte avec sa soeur.
 
Harris Bigg-Wither


robe de mariée

Les revenus des familles à l'époque de Jane Austen

Parmi les documents les plus intéressants figurent le montant comparatif des revenus familiaux et ce que cela représente à l'époque de Jane. Quant il se marie, le révérend Austen a 100 Livres de rente annuelle et une terre de 200 acres qui lui rapporte 100 L de plus. Avec 200 L,  il peut prétendre appartenir à une classe sociale distinguée, de petite noblesse ou petite bourgeoisie (gentility)  mais avec un style de vie très modeste. Plus tard, quand ils viennent s'installer à Bath, George Austen a 700 livres, ce qui permet à la famille une certaine prospérité. Ils auront une voiture que le père abandonnera car il trouve la dépense trop onéreuse.
Avec 300 livres un célibataire vivait confortablement mais James, le frère de Jane, qui est marié, peut avoir avec cette rente deux serviteurs mais ne peut entretenir une voiture pour sa femme ni un meute de chiens de chasse pour lui-même.
Dans Northanger abbey, Isabelle Thorpe est désappointée d'appendre que, si elle se marie avec le frère de Catherine Morland, celui-ci n'aura que 400 livres. Avec ce revenu on peut avoir un cuisinier, une bonne et un serviteur. Mais Isabelle vise plus haut.

Dans Pride and Préjudice Mr Bennet a 2000 livres par an, une rente coquette qui lui permet de tenir son rang dans la gentry campagnarde (haute bourgeoisie, noblesse titrée ou non). Cependant avec cinq filles à marier, l'économie familiale doit  être stricte. Tandis qu'avec un revenu de 4000 livres, Darcy appartient à la classe supérieure qui peut  se permettre de vivre dans le confort et le luxe.

Le portrait de Jane Austen

Jane Austen : Portrait de Jane peinte par sa soeur Cassandre
Portrait de Jane peinte par sa soeur Cassandre

On ne connaît la jeune femme que d’après le portrait de sa soeur Cassandre qui, aux dires de sa famille et de ses amis, n’était pas ressemblant.  En 2002, Melissa Dring membre de la société des artistes médico-légale de la police a été chargée de produire un nouveau  portrait de Jane en cherchant à être au plus près de la vérité. Elle avait déjà exécuté un portrait de Vivaldi - dont on ne connaît aucune représentation fiable - pour un cinéaste qui voulait tourner un documentaire sur le musicien.

Elle s’est appuyée sur les nombreuses descriptions faites par ses amis ou sa famille entre 1802 et 1806 et elle explique qu’elle  a de plus «cherché des ressemblances avec les autres Austens, en commençant par ses parents avec leurs longs nez distincts ».  Jeanne, née en 1775,  est la septième des huit enfant et la deuxième fille de George Austen et Cassandra Leigh. Les portraits de ses frères et le profil de Cassandre en médaillon ont permis de dégager des traits distinctifs de la famille Austen.
                                                               
Reverend George Austen, père de Jane

Son frère Edward
Melissa Dring a tenu compte de la classe sociale de Jane et l’a vêtue d’une robe de mousseline tachetée de rouge que Jane a achetée et décrite dans une lettre à sa soeur. Et surtout, la peintre a voulu donner « une expression complexe d’amusement », de moquerie, une vivacité qui témoigne de son humour et des « idées qui bouillonnent dans sa tête ».  Et voilà Jane qui apparaît devant nous telle qu'elle a pu être il y a de cela plus de deux siècles !

Le nouveau portrait de Jane Austen
Jane Austen




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