Et voilà, j'ai lu le second volume de L’amie prodigieuse de Elena Ferrante : Le nouveau nom, ce livre qui fait un tabac dans les blogs et que tout le monde commente ! Pour moi, il ne s’agit pas d’un coup de coeur car je trouve qu'il y a parfois des longueurs et des redites mais j’apprécie beaucoup cette saga que je suis avec intérêt et plaisir parce qu’elle nous permet de pénétrer dans un quartier populaire de Naples dans les années 50 à 60 et j'y reconnais parfois des éléments de ma propre enfance toujours marquée par la guerre dans un Marseille pas encore reconstruit. Projection dans un passé et dans une ville italienne où règne la misère, la violence, la corruption. L’écrivaine fait revivre ces milieux souvent misérables, sans grand espoir d’avenir et le fait avec justesse, vérité et empathie. On sent qu’elle connaît bien ce milieu et je suis de plus en plus persuadée que le roman est autobiographique ou en partie.
Depuis que j’ai écrit ces mots, j’ai vu un reportage aux infos sur la 2 où l’on parlait justement du mystère Ferrante pas vraiment résolu et de l’engouement autour de ce roman... Mais ce n'est pas pour cela que je lis ce roman, en fait peu m'importe qui est Elena pourvu que j'aime ce qu'elle écrit !
Ce deuxième volet continue à explorer l’histoire de l'amitié complexe des deux jeunes femmes qui est le fil conducteur du récit. Elena Ferrante excelle dans la peinture de la psychologie de Lila et Lena. Elle explore avec perspicacité les sentiments avérés des deux amies mais aussi ceux qui se cachent sous l’apparence, ceux qui sont inavoués. La jalousie, l’envie, la rivalité, l’exaspération, la rancune, les faux-semblants, une amitié qui ressemble parfois à de la haine, une amitié avec de longues périodes d’absence, de désamour, mais pourtant qui ne peut mourir.
Il n’y a pas ellipse de temps dans ce second volume puisque l’on retrouve Lila tout de suite après son mariage. Elle a seize ans et elle découvre la réalité de la vie d’épouse. Elle est battue par son mari. Il pense ainsi la « redresser », c’est à dire éteindre en elle son besoin de liberté, corriger son anticonformisme et son caractère entier et fantasque. Mais il en faut plus pour réduire Lila à l’obéissance et à la soumission. La haine couve dans son coeur, la révolte aussi et si elle met sa belle intelligence sous éteignoir ce n’est jamais pour très longtemps.
Parallèlement, Elena poursuit ses études jusqu’à l’université. Elle s’intéresse à la politique peut-être plus pour captiver le garçon qu’elle aime que par réel intérêt. Son sentiment d’infériorité la pousse à un certain conformisme et à une soumission intellectuelle par rapport à ceux qu’elle admire. Mais peu à peu sa vision de la société s’affine. Le regard qu’elle porte sur son quartier n’est plus innocent. Elle voit en particulier ce qu’est la condition des femmes, les brutalités qu’elles subissent de la part de leur mari mais aussi de la société. Mères épuisées, sans aucun droit, pauvres, elles perdent le goût de vivre et reproduisent le cycle de la violence auprès de leurs enfants. Elena découvre que non seulement ses études l’éloignent de ses anciens amis qui la considèrent comme une étrangère mais aussi qu’elle n’est pas acceptée par la classe sociale qui possède la culture. La bourgeoisie ne la reconnaît pas vraiment comme une de leurs et quand elle se fiance avec un jeune homme de bonne famille, elle comprend que si lui peut prétendre naturellement à un poste de professeur d’université, elle non, malgré de brillantes études !
Cet aspect du roman m’a énormément interpellée car je l’ai trouvé très vrai et pas seulement à cette époque et dans ce pays mais aussi en France et même actuellement; ainsi si l’on est fils ou fille de « quelqu’un » on réussira toujours mieux et plus facilement que si l’on est de famille modeste. Rien ne change ! En ce sens le roman prend de l’envergure car il ne se limite pas à être seulement le récit des peines de coeur d’Elena et des déboires conjugaux de Lila (et des autres personnages). Il dénonce l’injustice sociale, la servitude des femmes, il peint des générations sacrifiées qui ne peuvent accéder au savoir, il montre que l’intelligence et le travail et l’assiduité ne sont pas à armes égales avec le pouvoir et la richesse. Il nous fait découvrir que la culture (la littérature en particulier) transforme un être mais qu’il y aura toujours une différence entre ceux pour qui c’est un dû, un phénomène naturel, et ceux qui doivent se battre pour l’acquérir.
Autre remarque : Certaines critiques disent que Elena Ferrante n’écrit pas bien (évidemment je ne peux juger que par la version française) et cela m’étonne car je ne sais pas ce que veut dire « mal écrire » dans ce cas précis. Quant à moi, je trouve le style efficace, direct, avec parfois une force réelle quand l’écrivaine décrit par exemple la nuit de noce de Lila, un dur apprentissage des rapports homme et femme ; ou lorsque Pinuccia mariée à Rino, le frère de Lila, découvre la gentillesse et la prévenance de Bruno Soccavo, fils d’un riche industriel et en tombe amoureuse, elle qui ne connaît des hommes que la brutalité, la vulgarité et l’épaisseur intellectuelle de son mari : tout est alors dans les non-dits; ou encore quand Lena « voit » pour la première fois les femmes de son quartier, comme si ses yeux se déshabituant de l’accoutumance, se dessillaient pour découvrir une triste réalité.
Depuis que j’ai écrit ces mots, j’ai vu un reportage aux infos sur la 2 où l’on parlait justement du mystère Ferrante pas vraiment résolu et de l’engouement autour de ce roman... Mais ce n'est pas pour cela que je lis ce roman, en fait peu m'importe qui est Elena pourvu que j'aime ce qu'elle écrit !
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Naples de Mario Cattaneo dans les années 1950 |
Il n’y a pas ellipse de temps dans ce second volume puisque l’on retrouve Lila tout de suite après son mariage. Elle a seize ans et elle découvre la réalité de la vie d’épouse. Elle est battue par son mari. Il pense ainsi la « redresser », c’est à dire éteindre en elle son besoin de liberté, corriger son anticonformisme et son caractère entier et fantasque. Mais il en faut plus pour réduire Lila à l’obéissance et à la soumission. La haine couve dans son coeur, la révolte aussi et si elle met sa belle intelligence sous éteignoir ce n’est jamais pour très longtemps.
Parallèlement, Elena poursuit ses études jusqu’à l’université. Elle s’intéresse à la politique peut-être plus pour captiver le garçon qu’elle aime que par réel intérêt. Son sentiment d’infériorité la pousse à un certain conformisme et à une soumission intellectuelle par rapport à ceux qu’elle admire. Mais peu à peu sa vision de la société s’affine. Le regard qu’elle porte sur son quartier n’est plus innocent. Elle voit en particulier ce qu’est la condition des femmes, les brutalités qu’elles subissent de la part de leur mari mais aussi de la société. Mères épuisées, sans aucun droit, pauvres, elles perdent le goût de vivre et reproduisent le cycle de la violence auprès de leurs enfants. Elena découvre que non seulement ses études l’éloignent de ses anciens amis qui la considèrent comme une étrangère mais aussi qu’elle n’est pas acceptée par la classe sociale qui possède la culture. La bourgeoisie ne la reconnaît pas vraiment comme une de leurs et quand elle se fiance avec un jeune homme de bonne famille, elle comprend que si lui peut prétendre naturellement à un poste de professeur d’université, elle non, malgré de brillantes études !
Cet aspect du roman m’a énormément interpellée car je l’ai trouvé très vrai et pas seulement à cette époque et dans ce pays mais aussi en France et même actuellement; ainsi si l’on est fils ou fille de « quelqu’un » on réussira toujours mieux et plus facilement que si l’on est de famille modeste. Rien ne change ! En ce sens le roman prend de l’envergure car il ne se limite pas à être seulement le récit des peines de coeur d’Elena et des déboires conjugaux de Lila (et des autres personnages). Il dénonce l’injustice sociale, la servitude des femmes, il peint des générations sacrifiées qui ne peuvent accéder au savoir, il montre que l’intelligence et le travail et l’assiduité ne sont pas à armes égales avec le pouvoir et la richesse. Il nous fait découvrir que la culture (la littérature en particulier) transforme un être mais qu’il y aura toujours une différence entre ceux pour qui c’est un dû, un phénomène naturel, et ceux qui doivent se battre pour l’acquérir.
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Naples : mère 1950 nom du photographe? |
Tout à coup, j’eus l’impression d’avoir vécu en limitant en quelque sorte mon regard, comme si j’étais capable de m’intéresser uniquement à nous autres jeunes filles ….
Ce jour-là en revanche je vis très clairement les mères du vieux quartier. Elles étaient nerveuses et résignées. Elles se taisaient, lèvres serrées et dos courbé, ou bien hurlaient de terribles insultes à leurs enfants qui les tourmentaient. Très maigres, joues creuses et yeux cernés, ou au contraire dotés de larges fessiers, de chevilles enflées et de lourdes poitrines, elles traînaient des sacs à commissions et enfants en bas âge, qui s’accrochaient à leurs jupes et voulaient être portés.
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