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samedi 14 septembre 2013

Elizabeth Gaskell : Les amoureux de Sylvia



Pour ceux qui pensent, trompés par le titre, que le roman d'Elizabeth Gaskell Les amoureux de Sylvia est une gentille histoire d'amour, détrompez-vous tout de suite. Le livre est noir et le destin de  la jeune Sylvia s'englue bien vite dans cette Angleterre de la fin du XVIII siècle, aux lois féroces, implacables pour les humbles, et au passé tragique sur fond de guerre napoléonienne.

Un roman historique noir
Nous sommes en 1796. Sylvia, une jolie paysanne, fille unique, gâtée et adulée par ses parents, aperçoit pour la première fois Kinraid, le harponneur, de retour de la campagne de pêche sur le baleinier qui le ramène dans sa ville de de Monkshaven. Elle est immédiatement séduite par ce jeune homme qui a une belle prestance, au grand dam de son cousin Philippe qui l'aime passionnément et est prêt à tout pour obtenir sa main. Située sur les côtes Nord-est de l'Angleterre, la ville est un port dont l'activité principale est  l'industrie de la pêche à la baleine. Rien d'étonnant à ce que la majorité des jeunes gens y fassent leur carrière. Ils peuvent même s'ils sont travailleurs et intelligents faire leur fortune. Mais l'Angleterre est en guerre et ses maudits français menés par Bonaparte la menace. Aussi les engagements forcés font-ils rage! Il s'agit de recruter le plus d'hommes sur les navires de sa majesté et bien souvent les baleiniers qui reviennent chez eux après de longs mois d'exil en mer tombent dans les filets des recruteurs qui les contraignent à les suivre à peine ont-ils mis le pied sur la terre ferme. Cette situation va entraîner bien des malheurs : Kinraid n'y échappera et le père de Sylvia qui ose se révolter et aider les garçons ainsi enlevés à leur famille en fera les frais. Le temps de l'insouciance et de l'amour est fini pour Sylvia.
Ancré dans une époque chaotique, le roman d'Elizabeth Gaskell a le mérite de faire revivre, à la fin du XVIII siècle, la société d'une province anglaise, dans des milieux modestes, les activités liées à la pêche, à la terre et au commerce et d'évoquer l'irruption tragique de l'Histoire.

Des personnages contrastés
L'un des intérêts de ce beau roman sont d'abord les personnages dont Gaskell mène l'analyse comme toujours avec finesse. La transformation de Sylvia, jeune coquette, heureuse de vivre,  légère voire un peu égoïste, confrontée au malheur est saisissante. Dans les romans d'initiation, les jeunes gens évoluent progressivement et la leçon qu'ils reçoivent de la vie, si elle est irréversible, est cependant plus étalée dans le temps. Dans le roman de Gaskell, la transformation de Sylvia est soudaine, violente et emporte tout sur son passage, la jeunesse et les rêves de bonheur.
Comme toujours aussi, l'écrivaine évite le manichéisme. Ses personnages ont tous des qualités et des zones d'ombre. L'attitude de Philip envers Sylvia est basse, cruelle et impardonnable mais son amour est indéfectible. Ce sentiment fait la grandeur de ce personnage par ailleurs terne, sans panache et coincé par la religion. A côté, le brillant Kinraid paraît bien léger et peu constant. Pourtant il est capable, contre tout attente, de fidélité. Mais il n'a pas, au niveau des sentiments, l'étoffe d'un héros à la différence de Philip qui paiera de ses souffrances et de sa vie l'offense faite à Sylvia.
Le pardon ne semble possible qu'à ce prix et il semble que le sentiment religieux et l'idée de la prédestination soient très présentes ici,  plus je crois que dans les autres oeuvres de Gaskell.

Un roman très pessimiste donc, avec des personnages attachants dans un contexte historique passionnant, c'est ainsi que l'on peut résumer ce livre que j'ai beaucoup aimé.




 Et un roman  d'un écrivain victorien pour le challenge d'Aymeline-Arieste


Ce roman avec ses 670 pages est digne de figurer dans le challenge Pavé de l'été




jeudi 12 septembre 2013

Colum McCann : Transatlantic, Rentrée Littéraire 2013




Transatlantic, le roman Column McCann est conçu comme un puzzle dont les morceaux, en se mettant en place peu à peu, ne donnent l'image entière qu'à la fin, lors de la mise en place du dernier fragment. En effet, l'intrigue est complexe  et le lien entre les personnages, nombreux, n'est pas dévoilé immédiatement. C'est ce qui fait la force du récit, ces allers-retours dans le temps entre plusieurs moments du passé et du présent, du XIX siècle à nos jours, mais aussi dans l'espace : de l'Irlande, terre maternelle,  à l'Amérique, terre d'exil et d'adoption. Transatlantic, c'est ce passage de l'une à l'autre rive dans un sens ou dans l'autre dans mouvement constant, une toile d'araignée complexe dont les fils qui ne cessent de s'entrecroiser finissent par former un dessin précis et réussi.

En effet, si Lily Dungan, petite bonne irlandaise, part en Amérique, dans le milieu du XIX siècle, pour échapper à l'humiliation de sa condition et à la misère et si sa fille Emily se fixe à Terre Neuve, les aviateurs John Alcock et Arthur Brown, décollent de ce dernier lieu pour atterrir en Irlande en 1919,  à bord d'un ancien bombardier reconverti pour cet exploit extraordinaire en avion de la paix. En 1846, l'américain noir Frederick Douglass, ancien esclave, vient prêcher la cause de l'abolitionnisme  à Dublin dans un pays en proie à la famine, déchiré par les conflits politiques et sa haine de l'Angleterre; à la fin des années 1990, le sénateur américain George Mitchell est à Belfast où il oeuvre pour la paix en Irlande du Nord  au moment où y vivent Lottie et Hannah, les descendantes de Lily, retournées au pays.
C'est ainsi que Colum Mc Cann mêle habilement personnages fictifs et personnages historiques, les fait se croiser, et tisse, au fil de ces rencontres, la trame de l'histoire qui révèle les interactions les uns sur les autres.

Mais paradoxalement, ce sont les personnages fictifs qui paraissent les plus vrais, les plus vivants, ce sont ceux qui nous touchent le plus par leur humanité. Les personnages historiques ont  pourtant un destin hors du commun mais ils ne donnent pas cette impression de vie. Chacun pourrait être le sujet d'une histoire riche et passionnante surtout l'abolitionniste noir Frederick Douglass que j'ai envie, pour ma part, de mieux connaître tant sa vie est étonnante, exceptionnelle.  Mais le roman les présente trop rapidement et nous restons sur notre faim avec l'envie d'en savoir plus sur eux. Peut-être faudrait-il connaître leur parcours mieux que je ne le fais pour  apprécier leur apparition dans le roman? Il semble que l'écrivain n'ait  pas pris assez de liberté avec l'histoire pour en faire des êtres de chair et de sang; ils restent en dehors, des figures exemplaires plutôt que des participants à l'action. Alors que ces femmes courageuses, nées sous la plume de l'écrivain, Lily, Emily, Lottie et Hannah, éveillent notre sympathie, elles qui souffrent, victimes de la  famine, l'exil, la guerre, le deuil, la perte d'un fils, pour l'une pendant la guerre de Sécession, pour l'autre dans les conflits de l'Irlande du Nord… En rencontrant ces femmes, le sentiment de ne pas être concerné, pendant une bonne partie du roman, s'efface peu à peu, surtout avec le dernier récit, poignant, d'Hannah et son dénouement si profondément nostalgique.

Il n'existe pas d'histoire qui, en tout ou en partie, ignore le passé. Le monde a cela d'admirable qu'il ne s'arrête pas après nous.
Même si j'ai aimé l'habileté de sa  composition, Transatlantic ne m'a  donc pas entièrement séduite. Je n'ai adhéré qu'à une partie de l'histoire, celle qui est de l'ordre de la fiction, les personnages historiques paraissant étrangers à l'univers romanesque de l'auteur.





Je remercie  La Librairie Dialogues et les Editions Belfond

mercredi 4 septembre 2013

GLAZ, un nouveau magazine à paraître fin septembre




A la fin du mois de Septembre va paraître le premier numéro de Glaz, magazine numérique collectif que concocte pour ses lecteurs notre bretonne de Douarnenez, Gwenaelle!

Cette revue, ce sera Glaz!, mot breton qui évoque la couleur de la mer, à la fois grise, verte et bleue, écrit Gwenaelle. J’ai envie de faire de ce magazine une fenêtre ouverte sur l’Ailleurs. Les idées, propositions diverses, suggestions, collaborations sont attendues et bienvenues. Un roman qui vous a marqué, une exposition qui vous a transporté, un café où vous aimez aller, une personne de votre entourage dont vous voulez faire le portrait, des photos, des collages, de l’art sous toutes ses formes, un coup de cœur ou de gueule… Voilà le grand bazar que sera peut-être Glaz!
J’aimerais aussi, et surtout, que ce magazine serve de tremplin à des écritures nouvelles, à des voix inconnues et permette de donner vie à des textes de qualité. Parce qu’entre le fond du tiroir et Saint-Germain des Prés, il y a peut-être une zone intermédiaire à défricher.
Tout cela n’est qu’une idée de départ. Le temps, l’expérience et la collaboration amèneront, j’en suis certaine, de multiples développements à ce projet.


Allez voir ICI et LA la genèse de ce magazine et venez nombreux le lire à sa parution fin septembre.

Si l'envoi de textes est clos pour ce premier numéro trimestriel, sachez que votre collaboration est attendue pour le prochain numéro.

Glaz, le blog du magazine






lundi 2 septembre 2013

Shakespeare : recueil de citations, généralités, biographie (bilan 4)

C'est dans cette page que vous trouverez les citations de Shakespeare regroupées par pièce. N'oubliez pas de noter l'acte et la scène de l'extrait. Merci.


La richesse de la langue shakespearienne : Spot the quote (or crypto-quote)

cité par Flora chez claudialucia


Antoine et Cléopâtre


Non, rien n'est plus certain, Iras : d'insolents licteurs
Voudront nous attraper comme des catins, et de vils baladins
Feront de nous des chansons criardes : les délurés comédiens
Nous joueront au théâtre impromptu et représenteront
Nos orgies alexandrines ; Antoine
Sera produit ivre sur la scène, et je verrai
Quelque piaillante Cléopâtre, un garçon, singeant ma grandeur
Avec les gestes d'une prostituée. (V, 2)
(cité par L'Irrégulière)

Beaucoup de bruit pour rien


(Beatrice :) I wonder that you still be talking, Signor Benedick. Nobody marks you.
(Benedick:) What, my dear Lady Disdain ! Are you yet living ?
- Is it possible disdain should die while she hath such meet food to feed it as Signor Benedick ? Courtesy itself must convert to disdain if you come in her presence.
- Then is courtesy a turncoat. But it is certain I am loved of all ladies, only you expected. And I would I could find in my heart that I had not a hard heart, for truly I love none.
- A dear happiness to women. They would else have been troubled with a pernicious suitor. I thank God and my cold blood I am of your humour for that. I had rather hear my dogbark at a crow than a man swear he loves me.
- God keep your ladyship still in that mind.
(…)
- Foul words is but foul wind, and foul wind is but foul breath, and foul breath is noisome, therefore I will depart unkissed.
- Thou hast frighted the word out of his right sense, so forcible is thy wit. (…) And I pray thee now tell me, for which of my bad parts didst thou first fall in love with me ?
- For them all together, which maintain so politic a state of evil that they will not admit any good part to intermingle with them. But for which of my good parts did you first suffer love for me ?
- Suffer love – a good epithet. I do suffer love indeed, for I love thee against my will.
- In spite of your heart, I think. Alas, poor heart. If you spite it for my sake I will spite it for yours, for I will never love that which my friend hates.
- Thou an I are too wise to woo peaceably.

Les mêmes en français
(Béatrice :) Je m’étonne que vous continuiez à parler, signor Bénédict, puisque personne ne vous prête attention.
(Bénédict :) Quoi ! chère demoiselle Dédain ! Encore de ce monde ?
- Est-il possible que meurt le dédain tant qu’il peut se nourrir d’aliments aussi appropriés que le signor Bénédict ? La courtoisie elle-même doit se muer en dédain si vous paraissez devant elle.
- En ce cas la courtoisie est une renégate. Il est pourtant avéré que je suis aimé de toutes les femmes, hormis vous seule ; et je voudrais en m’examinant le cœur découvrir que je n’ai pas le cœur dur, car en vérité je n’en aime aucune.
- Grand bonheur pour les femmes, car autrement elles eussent été ennuyées par un néfaste prétendant. J’en rends grâces à Dieu et à la froideur de mon sang : je suis comme vous sur ce point ; j’aime mieux entendre mon chien aboyer contre une corneille qu’un homme jurer qu’il m’aime.
- Puisse Dieu entretenir en vous, madame, ce sentiment !
(…)
- Sur quoi je vais t’embrasser.
- Des paroles insultantes ne sont que vent empoisonné, et le vent empoisonné n’est qu’une haleine empestée, et une haleine empestée est odieuse, donc je partirai sans me laisser embrasser.
- Tu as fait perdre leur sens aux mots en les effrayant, tant tu as l’esprit vigoureux. (…) Alors, je te prie, dis-moi maintenant lequel de mes défauts t’a le premier fait tomber amoureuse de moi ?
- Tous à la fois, car ils entretiennent une si parfaite entente dans le mal qu’ils ne permettent à rien de bon de se mêler à eux. Mais pour laquelle de mes qualités avez-vous pour la première fois souffert d’amour pour moi ?
- Souffert d’amour – belle expression. Je souffre d’amour en  vérité, car je t’aime contre mon gré.
- Contre votre cœur, je crois. Hélas ! pauvre cœur ! Si vous le malmenez par affection pour moi, je le malmènerai par affection pour vous, car jamais je n’aimerai ce que hait mon ami.
- Nous sommes, toi et moi, trop perspicaces pour nous courtiser paisiblement.


Hamlet


Pour évoquer  l’impuissance des mots face au réel :
Des mots, des mots, des mots.
réponse à Polonius :   (II, 2 )
L’impuissance des mots face à la mort  :
Tout le reste est silence
(V 2)
La différence entre les mots et l’intention, entre le langage et la vérité :
Les mots sans les pensées ne vont jamais au ciel.
(III 3)
Cette phrase est prononcée chaque fois que l’on constate des iniquités, des injustices dans son propre pays ou partout  ailleurs : Il y a quelque chose de pourri dans le royaume de Danemark.(I, 4)
«Nous savons ce que nous sommes, mais nous ne savons pas ce que nous pouvons être.» (IV; 5)
«Qu’ils sont pauvres, ceux qui n’ont pas de patience !»
«Il n’est pas de vertu que la calomnie ne sache atteindre.» (I;3)
Le monologue de Hamlet pose la question pourquoi vivre? A quoi bon vivre?
- Etre, ou ne pas être, c’est là la question. Y a-t-il plus de
noblesse d’âme à subir la fronde et les flèches de la fortune
outrageante, ou bien à s’armer contre une mer de douleurs et à l’arrêter
par une révolte ?. Mourir… dormir, rien de plus ;… et dire que par ce
sommeil nous mettons fin aux maux du coeur et aux mille tortures
naturelles qui sont le legs de la chair : c’est là un dénouement qu’on doit
souhaiter avec ferveur. Mourir… dormir, dormir ! peut-être rêver ! Oui, là
est l’embarras. Car quels rêves peut-il nous venir dans ce sommeil de la
mort, quand nous sommes débarrassés de l’étreinte de cette vie ? Voilà
qui doit nous arrêter. C’est cette réflexion-là qui nous vaut la calamité
d’une si longue existence. Qui, en effet, voudrait supporter les
flagellations, et les dédains du monde, l’injure de l’oppresseur,
l’humiliation de la pauvreté, les angoisses de l’amour méprisé, les
lenteurs de la loi, l’insolence du pouvoir, et les rebuffades que le mérite
résigné reçoit d’hommes indignes, s’il pouvait en être quitte avec un
simple poinçon ? Qui voudrait porter ces fardeaux, grogner et suer sous
une vie accablante, si la crainte de quelque chose après la mort, de cette
région inexplorée, d’où nul voyageur ne revient, ne troublait la volonté,
et ne nous faisait supporter les maux que nous avons par peur de nous
lancer dans ceux que nous ne connaissons pas ? Ainsi la conscience fait
de nous tous des lâches ; ainsi les couleurs natives de la résolution
blêmissent sous les pâles reflets de la pensée ; ainsi les entreprises les
plus énergiques et les plus importantes se détournent de leur cours, à
cette idée, et perdent le nom d’action…
 III  2
cité par claudialucia

« Maintenant grave dans ta mémoire ces quelques préceptes. Refuse l'expression à tes pensées et l'exécution à toute idée irréfléchie. Sois familier, mais nullement vulgaire. Quand tu as adopté et éprouvé un ami, accroche-le à ton âme avec un crampon d'acier ; mais ne durcis pas ta main au contact du premier camarade frais éclos que tu dénicheras. Garde-toi d'entrer dans une querelle ; mais, une fois dedans, comporte-toi de manière que l'adversaire se garde de toi. Prête l'oreille à tous, mais tes paroles au petit nombre. Prends l'opinion de chacun ; mais réserve ton jugement. Que ta mise soit aussi coûteuse que ta bourse te le permet, sans être de fantaisie excentrique ; riche, mais peu voyante ; car le vêtement révèle souvent l'homme ; et en France, les gens de qualité et du premier rang ont, sous ce rapport, le goût le plus exquis et le plus digne. Ne sois ni emprunteur, ni prêteur ; car le prêt fait perdre souvent argent et ami, et l'emprunt émousse l'économie. Avant tout, sois loyal envers toi-même ; et, aussi infailliblement que la nuit suit le jour, tu ne pourras être déloyal envers personne. »

« Doute que les étoiles soient de feu,
Doute que le Soleil se meurt,
Doute que la vérité mente elle-même
Mais ne doute pas que je t'aime. »

cité par Théoma

LA REINE. - Un malheur marche sur les talons d'un autre, tant ils se suivent de près : votre soeur est noyée, Laertes.
LAERTES. - Noyée ! Oh ! Où donc ?. 
 LA REINE. - Il y a en travers d'un ruisseau un saule qui mire ses feuilles grises dans la glace du courant. C'est là qu'elle est venue, portant de fantasques guirlandes de renoncules, d'orties, de marguerites et de ces longues fleurs pourpres que les bergers licencieux nomment d'un nom plus grossier, mais que nos froides vierges appellent doigts d'hommes morts. Là, tandis qu'elle grimpait pour suspendre sa sauvage couronne aux rameaux inclinés, une branche envieuse s'est cassée, et tous ses trophées champêtres sont, comme elle, tombés dans le ruisseau en pleurs.
Ses vêtements se sont étalés et l'ont soutenue un moment, nouvelle sirène, pendant qu'elle chantait des bribes de vieilles chansons, comme insensible à sa propre détresse, ou comme une créature naturellement formée pour cet élément. Mais cela n'a pu durer longtemps : ses vêtements, alourdis par ce qu'ils avaient bu, ont entraîné la pauvre malheureuse de son chant mélodieux à une mort fang
euse.

HAMLET
Et pourtant, ce petit instrument qui est plein de musique, qui a une voix admirable, vous ne pouvez pas le faire parler. Sang-dieu ! croyez-vous qu'il soit plus aisé de jouer de moi que d'une flûte ?. Prenez-moi pour l'instrument que vous voudrez, vous pourrez bien me froisser, mais vous ne saurez jamais jouer de moi.

OPHÉLIA. -  Seigneur, nous savons ce que nous sommes, mais nous ne savons pas ce que nous pouvons être.

Cité par Eimelle


 Hamlet's first soliloquy

 about my brain Hamlet monologue fin de l'acte 2 comment choisir sa traduction?
About, my brains. Hum,I have heard
That guilty creatures sitting at a play
Have by the very cunning of the scene,
Been struck so to the soul, that presently
They have proclaim'd their malefactions ;
For murder, though it have no tongue, will speak
With most miraculous organ. l'll have these players
Play something like the murther of my father
Before mine uncle. I'll observe his looks,
I'll tent him to the quick. Il a do blench,
I know my course. The spirit that I have seen
May be a devil, and the devil hath power
T'assume a pleasing shape ; yea, and perhaps,
Out of my weakness and my melancholy,
As he is very potent with such spirits,
Abuses me to damn me. I'll have grounds
More relative than this. The play's the thing
Wherein I'll catch the conscience of the king.

1) En campagne, ma cervelle

(trad F.V. Hugo : du XIXème siècle, Hugo a renoncé aux vers)
Hum ! J'ai ouï dire que des créatures coupables , assistant à une pièce de théâtre, ont, par l'action seule de la scène, été si frappées dans l'âme, que sur-le-champ elles ont révélées leur forfaits...

  Cité par Carole

     La tempête


Ma bibliothèque m’était un assez grand duché. 
… my library was dukedom large enough.
I, 2, Prospero
Tout de  même que ce fantasme sans assises,
Les tours ennuagées, les palais somptueux,
Les temples solennels et ce grand globe même
Avec tous ceux qui l’habitent, se dissoudront,
s’évanouiront tel ce spectacle incorporel
Sans laisser derrière eux ne fût-ce qu’un brouillard.
Nous sommes de la même étoffe que les songes
Et notre vie infrime est cernée de sommeil…
( IV 1)
And like the baseless fabric of this vision
The clapped-capped towers, the gorgeous palaces
The solemn temple, the great globe itself
Yea, all which it  inherit, shall dissolve,
And, like this insubstantial pageant faded,
Leave not à rack behind : we are such stuff
as dreams are made on; and our little  life
Is rounded with sleep…
(IV 1)
Cité par claudialucia

So glad of this as they I cannot be,
    Who are surprised withal; but my rejoicing
    At nothing can be more. I’ll to my book,
    For yet ere supper-time must I perform
    Much business appertaining.

                                                 Knowing I lov’d my books, he furnish’d me
From mine own library with volumes that 
I prized above may dukedom. 
Act3, Scene 1
Cité par Miriam

Le marchand de Venise

 

Sur le thème de l’Apparence trompeuse

Cette phrase, en réponse à Maroc, le roi qui a choisi le coffret d’or :
Tout ce qui brille n’est pas or : All that glisters is not gold (II;7)
Beau sépulcre a vers pour trésor : Gilded tombs do worms infold (II;7)

Aragon refuse le coffret d’or :
Oh! si les fonctions, les rangs, les charges
n'étaient obtenus par corruption  et que l’honneur clair
Fut acquis au mérite du porteur,
Combien alors seraient couverts qui sont nu-tête!
Combien seraient commandés qui commandent!  (II;9)
Bassanio (III;2)
Ainsi peuvent les apparences n’être rien -
Le monde est toujours égaré par l’ornement :
The worl is still deceived by ornement
Il n’est pas si total vice qu’il ne porte quelque empreinte de la vertu sur son extérieur.(III;2)

Sur le thème du monde comme un théâtre
Antonio (I,1)Le Monde n’est pour moi, Gratiano, que le monde- un théâtre où chacun a son rôle à tenir, le Mien en est un triste :
I hold the world but as the world, Gratiano - A stage, every man must play a part,
And mine a sad one.

Sur le thème du bonheur
Nerissa à Portia :  (I;2 )
On souffre autant d’indigestion  avec trop que de famine avec rien.  I see, they are as sick that surfeit with too much as they starve with nothing

Ce n’est donc pas un bonheur moyen qu’une condition moyenne, car le superflu a vite les cheveux blanchis et  la simple aisance vit plus longtemps.

Sur la difficulté de suivre un  sage conseil
Portia ( I;2)
S’il était aussi facile de faire que de savoir ce qu’il faut faire, les chapelles seraient des églises et les chaumières des palais.
C’est un bon  prêtre que celui qui observe ses sermons. It’s a good divine that follows his own instructions.

Sur l’amour
Bassanio à Portia
Belle dame, avec votre bon vouloir,
Je viens, cet ordre en main, offrir et recevoir.( III.2)

Sur la clémence
La vertu de la la clémence est de n’être forcée
Et le pouvoir terrestre est plus semblable à Dieu
Quand la clémence adoucit la justice.

Sur la force du Bien sur le Mal
Cette lumière qu’on voit brûle dans ma salle.
Que ce petit flambeau lance loin ses rayons
ainsi luit un bon acte en un monde méchant (V; 1)
Haw far that little candle throws his beams!
So shine o good deed in a naughty world. (V; 1)


Il est des gens qui n’embrassent que des ombres ; ceux-là n’ont que l’ombre du bonheur.  
                                                                  Le marchand de Venise
Acte II scène 9 (vers 66-67) Aragon choisit le coffret de plomb :
Some there be that shadow kiss
Such have but a shadow kiss

cité par Claudialucia


Le songe d'une nuit d'été



Macbeth


* Act I sc 5 Lady McB : "Mais je me défie de ta nature : elle est trop pleine du lait de la tendresse humaine pour que tu saisisses le plus court chemin. Tu veux bien être grand, tu as de l'ambition, mais pourvu qu'elle soit sans malaise"
"Yet do I fear your nature, It is too full o'th' milk of human kindness, To catch the nearest way. Thou wouldst be great, Art not without ambition, but without The illness should attend it".

* Act I sc 7 McB "J'ose tout ce qui sied à un homme, qui ose au-delà n'en n'est plus un".
  " I dare do all that may become a man, Who dares more is none".

* Act III sc 2 McB "Connaître ce que j'ai fait ! Mieux vaudrait ne plus me connaître!"
  "To know my deed, 'twere best not know myself"

* Act V sc 5 McB " Il fut un temps où mes sens se seraient glacés au moindre cri nocturne, où mes cheveux, à un récit lugubre, se seraient dressés et agités comme s'ils étaient vivants. Je me suis gorgé d'horreur. L'épouvante, familière à mes meurtrières pensées, ne peut plus me faire tressaillir."
  "I have almost forgot the taste of fears : the time has been, my senses would have sooled. To hear a night-shriek, and my fell of hair Would at a dismal treatise rouse and stir As life were in't. I have supped full with horrors, Direness familiar to my slaughterous thoughts Cannot once start me".

Cité par Hathaway

Et bien souvent pour gagner notre perte
Les puissances obscures nous disent le vrai,
Nous gagnent par futilités honnêtes, pour nous trahir
Dans les plus graves circonstances. (I, 3)
Cité par L'Irrégulière

"Venez, venez, esprits qui assistez les pensées meurtrières ! Désexez-moi ici, et du crâne au talon, remplissez moi de toute la plus atroce cruauté ; épaississez mon sang ; fermez en moi tout accès, tout passage au remords. Qu'aucun retour compatissant de la nature n'ébranle ma volonté farouche et ne s'interpose entre elle et l'exécution ! Venez à mes mamelles de femme, et changez mon lait en fiel, vous, ministres du meurtre, quelque soit le lieu où, invisibles substances, vous aidiez à la violation de la nature. Viens, nuit épaisse, et enveloppe-toi de la plus sombre fumée de l'enfer : que mon couteau aigu ne voie pas la blessure qu'il va faire ; et que le ciel ne puisse pas poindre à travers le linceul des ténèbres et me crier : 'Arrête ! Arrête !'"

"Seyton : La reine est morte, monseigneur.
Macbeth : Elle aurait dû mourir plus tard. Le moment serait toujours venu de dire ce mot là !... Demain, puis demain, puis demain glisse à petits pas de jour en jours, jusqu'à la dernière syllabe du registre des temps ; et tous nos hiers n'ont fait qu'éclairer pour des fous le chemin de la mort poudreuse. Eteins-toi, éteins-toi, court flambeau ! La vie n'est qu'un fantôme errant, un pauvre comédien qui se pavane et s'agite durant son heure sur scène et qu'ensuite on n'entend plus ; c'est une histoire dite par un idiot, pleine de fracas et de furie et qui ne signifie rien..." Acte V scène V


"la vie n'est qu'un fantôme errant, un pauvre comédien qui se pavane et s'agite durant son heure sur la scène et qu'ensuite on n'entend plus ; c'est une histoire dite par un idiot, pleine de fracas et de furie et qui ne signifie rien".
Cité par Maggie

Othello

 

Extrait acte  ?        scène?
« DESDÉMONA. - Moi je ne crois pas qu’il y ait des femmes pareilles.
EMILIA. - Si fait, une douzaine ! et plus encore, et tout autant qu’en pourrait tenir le monde servant d’enjeu. Mais je pense que c’est la faute de leurs maris si les femmes succombent. S’il arrive à ceux-ci de négliger leurs devoirs et de verser nos trésors dans quelque giron étranger, ou d’éclater en maussades jalousies et de nous soumettre à la contrainte, ou encore de nous frapper ou de réduire par dépit notre budget accoutumé, eh bien ! nous ne sommes pas sans fiel ; et, quelque vertu que nous ayons, nous avons de la rancune. Que les maris le sachent! leurs femmes ont des sens comme eux ; elles voient, elles sentent, elles ont un palais pour le doux comme pour l’aigre, ainsi que les maris.
Qu’est-ce donc qui les fait agir quand ils nous changent pour d’autres ? Est-ce le plaisir ? Je le crois. Est-ce l’entraînement de la passion ? Je le crois aussi. Est-ce l’erreur de la faiblesse ? Oui encore. Eh bien ! n’avons-nous pas des passions, des goûts de plaisir et des faiblesses, tout comme les hommes ? Alors qu’ils nous traitent bien ! Autrement, qu’ils sachent que leurs torts envers nous autorisent nos torts envers eux ! »
" Le volé qui sourit dérobe quelque chose au voleur."
"C'est se voler soi-même que dépenser une douleur inutile."
Cité par Théoma


Othello : -"Ah ! mon oiseau, si tu es rebelle au fauconnier, quand tu serais attaché à toutes les fibres de mon cœur, je te chasserai dans un sifflement et je t’abandonnerai au vent pour chercher ta proie au hasard !… Peut-être, parce que je suis noir, et que je n’ai pas dans la conversation les formes souples des intrigants, ou bien parce que j’incline vers la vallée des années ; oui, peut-être, pour si peu de chose, elle est perdue ! Je suis outragé ! et la consolation qui me reste, c’est de la mépriser. ô malédiction du mariage, que nous puissions appeler nôtres ces délicates créatures et non pas leurs appétits ! J’aimerais mieux être un crapaud et vivre des vapeurs d’un cachot que de laisser un coin dans l’être que j’aime à l’usage d’autrui ! Voilà pourtant le fléau des grands ; ils sont moins privilégiés que les petits. C’est là une destinée inévitable comme la mort : le fléau cornu nous est réservé fatalement dès que nous prenons vie…"
-" Le ciel aurait Voulu m’éprouver par des revers, il aurait fait pleuvoir toutes sortes de maux et d’humiliations sur ma tête nue, il m’aurait plongé dans la misère jusqu’aux lèvres, il m’aurait voué à la captivité, moi et mes espoirs suprêmes ; eh bien ! j’aurais trouvé quelque part dans mon âme une goutte de résignation. Mais, hélas ! faire de moi le chiffre fixe que l’heure du mépris désigne de son aiguille lentement mobile ! Pourtant j’aurais pu supporter cela encore, bien, très bien ! Mais le lieu choisi dont j’avais fait le grenier de mon cœur, et d’où je dois tirer la vie, sous peine de la perdre ! mais la fontaine d’où ma source doit couler pour ne pas se tarir ! en être dépossédé, ou ne pouvoir la garder que comme une citerne où des crapauds hideux s’accouplent et pullulent !… Oh ! change de couleur à cette idée, Patience, jeune chérubin aux lèvres roses, et prends un visage sinistre comme l’enfer !"
Cité par Eiluned

Richard III



"Tu étais heureuse épouse, tu es la plus désolée des veuves ; tu étais joyeuse mère, tu en déplores aujourd'hui même le nom ; tu étais suppliée, tu es suppliante ; tu étais reine, tu es une misérable couronnée d'ennuis. Tu me méprisais, maintenant je te méprise ; tu faisais peur à tous, maintenant tu as peur ; tu commandais à tous, maintenant tu n'es obéie de personne! Ainsi la roue de la justice a tourné et t'a laissée en proie au temps, n'ayant plus que le souvenir de ce que tu étais pour te torturer encore étant ce que tu es!" (Acte IV, scène 4) (cité par Céline du Blog Bleu)
"Si ton coeur rancuneux ne peut pardonner, tiens, je te prête cette épée effilée ; si tu veux la plonger dans cette poitrine loyale et en faire partir l'âme qui t'adore, j'offre mon sein nu au coup mortel et je te demande la mort humblement, à genoux. (il découvre sa poitrine, Anne dirige l'épée contre lui puis la laisse tomber) Non ! Ne t'arrête pas; car j'ai tué le roi Henry ... Mais c'est ta beauté qui m'a provoqué ! Allons, dépêche-toi : c'est moi qui ai  poignardé le jeune Edouard ! ... (Anne relève l'épée vers lui) Mais c'est ta face divine qui m'y a poussé ! (Elle laisse tomber l'épée.) Relève cette épée ou relève-moi !" (cité par Céline)
"Lady Anne : Qu'une nuit noire assombrisse ton jour, et la mort, ta vie !
Gloucester : Ne te maudis pas toi même, tu es l'un et l'autre." (Acte I, Scène 2)
"Un cheval, un cheval, mon royaume pour un cheval"

Cité par Céline

Roméo et Juliette



Car jamais aventure ne fut plus douloureuse que celle de Juliette et de Roméo.
 
Cité par L'Irrégulière

Juliette(III, 5)
... C’était le rossignol et non pas l’alouette
    Qui a percé le fond craintif de ton oreille
     Il chante sur ce grenadier
    Crois moi, mon amour c’était le rossignol….
cité par Miriam

"MERCUTIO. - Oh ! je vois bien, la reine Mab vous a fait visite. Elle est la fée accoucheuse et elle arrive, pas plus grande qu'une agate à l'index d'un alderman, traînée par un attelage de petits atomes à travers les nez des hommes qui gisent endormis. Les rayons des roues de son char sont faits de longues pattes de faucheux ; la capote, d'ailes de sauterelles; les rênes, de la plus fine toile d'araignée ; lesharnais, d'humides rayons de lune. Son fouet, fait d'un os de griffon, a pour corde un fil de la Vierge. Son cocher est un petit cousin en livrée grise, moins gros de moitié qu'une petite bête ronde tirée avec une épingle du doigt paresseux d'une servante. Son chariot est une noisette, vide, taillée par le menuisier écureuil ou par le vieux ciron, carrossier immémorial des fées. C'est dans cet apparat qu'elle galope de nuit en nuit à travers les cerveaux des amants qui alors rêvent d'amour sur les genoux des courtisans qui rêvent aussitôt de courtoisies, sur les doigts des gens de loi qui aussitôt rêvent d'honoraires, sur les lèvres des dames qui rêvent de baisers aussitôt ! Ces lèvres, Mab les crible souvent d'ampoules, irritée de ce que leur haleine est gâtée par quelque pommade. Tantôt elle galope sur le nez d'un solliciteur, et vite il rêve qu'il flaire une place ; tantôt elle vient avec la queue d'un cochon de la dîme chatouiller la narine d'un curé endormi, et vite il rêve d'un autre bénéfice ; tantôt elle passe sur le cou d'un soldat, et alors il rêve de gorges ennemies coupées, de brèches, d'embuscades, de lames espagnoles, de rasades profondes de cinq brasses, et puis de tambours battant à son oreille ; sur quoi il tressaille, s'éveille, et, ainsi alarmé, jure une prière ou deux, et se rendort. C'est cette même Mab qui, la nuit, tresse la crinière des chevaux et dans les poils emmêlés durcit ces nœuds magiques qu'on ne peut débrouiller sans encourir malheur. C'est la stryge qui, quand les filles sont couchées sur le dos, les étreint et les habitue à porter leur charge pour en faire des femmes à solide carrure. C'est elle ..."

" ROMÉO. - L'amour, qui le premier m'a suggéré d'y venir : il m'a prêté son esprit et je lui ai prêté mes yeux. Je ne suis pas un pilote ;mais, quand tu serais à la même distance que la vaste plage baignée par la mer la plus lointaine, je risquerais la traversée pour une denrée pareille."

"JULIETTE. - Oh ! renonce, mon cœur ; pauvre failli, fais banqueroute à cette vie ! En prison, mes yeux ! Fermez-vous à la libre lumière ! Terre vile, retourne à la terre, cesse de te mouvoir, et, Roméo et toi, affaissez-vous dans le même tombeau."

cité par Eiluned

« Deux familles, égales en noblesse,
Dans la belle Vérone, où nous plaçons notre scène,
Sont entraînées par d'anciennes rancunes à des rixes nouvelles
Où le sang des citoyens souille les mains des citoyens.
Des entrailles prédestinées de ces deux ennemies
A pris naissance, sous des étoiles contraires, un couple d'amoureux
Dont la ruine néfaste et lamentable
Doit ensevelir dans leur tombe l'animosité de leurs parents.
Les terribles péripéties de leur fatal amour
Et les effets de la rage obstinée de ces familles,
Que peut seule apaiser la mort de leurs enfants,
Vont en deux heures être exposés sur notre scène.
Si vous daignez nous écouter patiemment,
Notre zèle s'efforcera de corriger notre insuffisance. »
« ROMÉO. - Il se rit des plaies, celui qui n'a jamais reçu de blessures ! (Apercevant Juliette qui apparaît à une fenêtre.) Mais doucement ! Quelle lumière jaillit par cette fenêtre ? Voilà l'Orient, et Juliette est le soleil ! Lève-toi, belle aurore, et tue la lune jalouse, qui déjà languit et pâlit de douleur parce que toi, sa prêtresse, tu es plus belle qu'elle-même ! Ne sois plus sa prêtresse, puisqu'elle est jalouse de toi ; sa livrée de vestale est maladive et blême, et les folles seules la portent : rejette-la !... Voilà ma dame ! Oh ! Voilà mon amour ! Oh ! Si elle pouvait le savoir !... Que dit-elle ? Rien ... Elle se tait ... Mais non ; son regard parle, et je veux lui répondre ... Ce n'est pas à moi qu'elle s'adresse. Deux des plus belles étoiles du ciel, ayant affaire ailleurs, adjurent ses yeux de vouloir bien resplendir dans leur sphère jusqu'à ce qu'elles reviennent. Ah ! Si les étoiles se substituaient à ses yeux, en même temps que ses yeux aux étoiles, le seul éclat de ses joues ferait pâlir la clarté des astres, comme le grand jour, une lampe ; et ses yeux, du haut du ciel, darderaient une telle lumière à travers les régions aériennes, que les oiseaux chanteraient, croyant que la nuit n'est plus. Voyez comme elle appuie sa joue sur sa main ! Oh ! Que ne suis-je le gant de cette main ! Je toucherais sa joue ! »
 


Les sonnets

Sonnet XVIII   William Shakespeare
Shall I compare thee to a summer’s day?
Thou art more lovely and more temperate.
Rough winds do shake the darling buds of May,
And summer’s lease hath all too short a date.
Sometime too hot the eye of heaven shines,
And often is his gold complexion dimm’d;
And every fair from fair some time declines,
By chance, or nature’s changing course, untrimm’d;
But thy eternal summer shall not fade
Nor lose possession of that fair thou owest;
Nor shall Death brag thou wand’rest in his shade,
When in eternal lines to time thou grows’t:
So long as men can breathe or eyes can see,
So long lives this, and this gives life to thee.

******
Devrais-je te comparer à un jour d’été ?
Tu es plus tendre et bien plus tempéré.
Des vents violents secouent les chers boutons de mai,
Et le bail de l’été est trop proche du terme.
Parfois trop chaud l’oeil du ciel brille,
Souvent sa complexion dorée ternie,
Toute beauté un jour décline,
Par hasard, ou abîmée au cours changeant de la nature;
Mais ton éternel été ne se flétrira pas,
Ni perdra cette beauté que tu possèdes,
Et la Mort ne se vantera pas que tu erres parmi son ombre,
Quand en rimes éternelles à travers temps tu grandiras;
Tant que les hommes respireront et tant que les yeux verront,
Aussi longtemps que vivra ceci, cela te gardera en vie.
(traduction Wikipédia)
cité par Claudialucia

dimanche 1 septembre 2013

Nuala O'Faolain : On s'est déjà vu quelque part?



On s'est déjà vu quelque part? est le titre que l'écrivaine irlandaise Nuala O'Faolain a choisi pour ses Mémoires afin de devancer, dit-elle, les gens hostiles qui auraient pu dire de moi écrivant sur moi-même : pour qui se prend-elle?
Et de fait son livre a eu un succès international et elle a reçu, à sa grande surprise, de nombreux témoignages d'affection, de nombreuses lettres de personnes qui la remercient de parler d'eux-mêmes, de leurs souffrances, de ce qu'ils ont vécu, tant il est vrai que le poète a raison : quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. O insensé qui crois que je ne suis pas toi!

Et pourtant, paradoxalement, j'ai eu du mal à entrer dans ce livre et ne me je ne me suis vraiment intéressée que tardivement à ce qu'elle écrit. Je n'ai ressenti de véritable émotion que dans les derniers chapitres.
Pourquoi? Une première réponse tient à mon ignorance de l'intelligentsia irlandaise, de la société intellectuelle dublinoise. A part quelques grands auteurs ou poètes, je ne connais pas la plupart des gens qu'elle présente. Le milieu des médias forment un monde bien à part et je dois à mon inculture mon peu d'intérêt pour les faits rapportés par Nuala O' Faolain et les  gens dont elle parle. Pourtant, quand je connais les personnes dont il est question, je  suis intéressée par les portraits qu'elle présente comme celui de Hudson, en wasp, gentleman glacial et grand père rigide, portrait qui me surprend surtout lorsqu'on connaît un peu la vie du réalisateur et ses frasques alcoolisées avec son ami Boggart..
La deuxième réponse est que j'ai commis l'erreur de lire le livre en fonction de l'éducation que j'ai reçue et du pays dans lequel j'ai vécu et le personnage m'a irritée. Voilà une catholique fervente et même plus,  entièrement coincée par son éducation religieuse, mais qui couche avec des hommes mariés et même avec les maris de ses amies sans aucun état d'âme apparent; cependant elle ne peut employer le terme "amants" sans se sentir humiliée et quand elle parle de ses liaisons, elle utilise l'euphémisme : "je fréquentais". Enfin, voilà une féministe, qui dénonce l'aliénation des femmes et l'oppression terrible qu'elles subissaient à la fois de la part des hommes mais aussi de l'Eglise catholique dans l'Irlande des années soixante mais qui agit et pense en contradiction totale avec ses idées. Hypocrisie? Non! Mais souffrance et poids de l'éducation! Car peu à peu, en découvrant ce qu'elle a vécu et avec elle bien des femmes de ce pays, j'ai  mieux compris ces contradictions et j'ai fini par avoir de l'empathie avec le personnage, par comprendre sa souffrance. La manière dont elle parle de sa solitude, de son impossibilité de mener une liaison durable, de ses regrets de ne pas avoir d'enfants, est bouleversante.
Nuala O' Faolain est née à Dublin en 1940, la deuxième d'une fratrie de neuf enfants dans une famille divisée. Le père, célèbre journaliste,  inconstant, léger et irresponsable, est indifférent envers ses enfants, les délaisse et oublie même le prénom des derniers. Sa mère, une femme intelligente, lectrice assidue, humiliée par son mari, incapable d'assumer toute seule des charges aussi lourdes, sombre dans l'alcoolisme. De cette enfance, on le comprend, naît un sentiment de dévalorisation, de solitude, un vide que rien ne peut combler. Nuala est alcoolique tout comme certains membres de sa fratrie. Les enfants O' Faolain pour la plupart ne s'aiment pas!  Elle ressent un grand besoin d'être aimée pour cette raison. Féministe, elle cherche l'amour, tout en étant persuadée qu'elle ne le mérite pas, auprès d'hommes qui la font souffrir et l'humilient à l'occasion, reproduisant ainsi le schéma vécu par sa mère. Toute sa vie, elle a dû lutter pour se libérer de ce sentiment.
De plus, alors que je lui reproche ses euphémismes, son livre fait scandale dans le pays et même auprès de sa propre famille et certains de ses amis lui tournent le dos. Elle est la première à oser une dénonciation aussi franche de l'église irlandaise, de l'oppression sexuelle, du déni du corps, de l'infériorisation de la femme.* Son livre provoque une catharsis et est vécu comme une véritable libération.


*(certes, la France a la même époque avait aussi bien des progrès à faire en ce qui concerne la condition de la femme, l'égalité, la liberté sexuelle mais il n'y avait pas une telle emprise de l'église et la violence était moindre. Enfin, tout est relatif!)

Sylire et Lisa

vendredi 30 août 2013

Victor Hugo : L'homme qui rit





Avec L'homme qui rit, Victor Hugo écrit un roman-somme qui se veut historique, philosophique et poétique, un énorme livre de plus de 700 pages qui draine sur son chemin, comme un fleuve immense et puissant, toutes les idées de l'écrivain sur l'oligarchie, sa suffisance et son égoïsme féroce, et sur la misère du peuple représenté ici par le personnage de Gwynplaine qui en est l'allégorie. Pour la force de l'évocation, il n'y a qu'un Hugo pour parvenir ainsi au sommet. Quant aux excès du roman, ils sont le revers de la médaille en quelque sorte. Il s'agit, en effet, d'une oeuvre complexe, touffue, démesurée - ou plutôt à la mesure du génie de Hugo - de son immense érudition, de sa puissance visionnaire. Le lecteur peut lui reprocher ses longues digressions qui coupent le récit au moment les plus pathétiques, ses répétitions, une systématisation des effets de style, ses redites dans les idées, son insistance toujours amplifiée et même certaines lourdeurs. Il est probable que si je l'avais lu plus jeune, j'aurais envoyé le bouquin promener car il demande de la bonne volonté. Si c'est un roman d'aventures, en effet, il est aussi beaucoup plus et bien autre chose!  Il faut donc le lire en prenant son temps, en goûtant les richesses, sans impatience, sans avoir envie de courir au récit. Il est alors passionnant malgré certaines faiblesses. Et puis comme toujours le style riche, foisonnant de Victor Hugo mis au service de son engagement politique, de son indignation devant l'injustice, de sa compassion pour les opprimés, me fait vibrer.

L'Histoire et l'actualité du roman
 
Gravure de Daniel Vierge :  Gwynplaine , un monstre fabriqué pour divertir la foule
J'ai pris le temps de m'intéresser d'un point de vue historique au système l'aristocratie anglaise au XVII ème siècle, à l'époque de Gwynplaine dont il reste encore de vives survivances au XIX siècle : le patriciat anglais, c'est le patriciat dans le sens absolu du Mot. Pas de féodalité plus illustre, plus terrible, plus vivace. Terribles, en effet, sont les lois qui écrasent le peuple, stupéfiant le système de hiérarchie et de préséances qui règle les rapports des nobles entre eux, illimités les droits des lords sur les roturiers. Et comme la misère n'a jamais été éradiquée de ce monde, comme les puissants ont toujours su s'enrichir sur le dos des plus faibles, j'ai ressenti l'actualité du roman. De nos jours les rois sont les multinationales et l'oppression se nomme mondialisation, le mot-clef, le profit.

Le vrai titre de ce livre, affirme Hugo, serait l'Aristocratie. Un autre livre, qui suivra, pourra être intitulé La Monarchie. ces deux livres, s'il est donné à l'auteur d'achever ce travail, en précèderont et en amèneront un autre qui sera intitulé : Quatre-vingt-treize. 

Autrement dit les deux premiers entraînent la Révolution. Et on sent bien à travers L'Homme qui rit, toute l'empathie que Victor Hugo éprouve envers le peuple qui souffre, toute l'indignation qu'il ressent devant la misère des uns et la férocité des autres; un souffle révolutionnaire passe dans le roman dans le discours, accueilli par des rires, que Gwynplaine tient à la chambre des lords.

Je suis celui qui vient des profondeurs, Milords, vous êtes les grands et les riches. C'est périlleux. Vous profitez de la nuit. Mais prenez garde, il y a une grande puissance, l'aurore. L'aube ne peut être vaincue. Elle arrive. Elle a en elle le jet du jour irrésistible. Et qui empêchera cette fronde de jeter le soleil dans le ciel? Le soleil , c'est le droit. Vous, vous êtes le privilège. Ayez peur. Le vrai maître de la maison va frapper à la porte.

Et comme Victor Hugo même lorsqu'il agit en historien est aussi poète, il convoque une allégorie de ce pouvoir illimité, le wapentake,  apparition terrifiante dont on ne sait trop si elle est réelle ou du domaine du fantastique, ce représentant de la loi des Grands qui désigne avec l'iron-weapon celui que la justice réclame, sans autre sommation ni explication.

L'homme sans dire une parole, et personnifiant cette Muta Themis des vieilles chartes, abaissa son bras droit par-dessus Dea rayonnante, et toucha du bâton de fer l'épaule gauche de Gwynplaine, pendant que, du pouce de sa main gauche, il montrait derrière lui la porte de Green-Box. Ce double geste doublement plus impérieux qu'il était silencieux, voulait dire : Suivez-moi.

Un roman philosophique

Daniel Vierge : Gwynplaine et Dea

La philosophie du roman s'exprime à travers le personnage d'Ursus, bateleur, guérisseur et savant. Vieux misanthrope, vêtu d'une peau d'ours, mi humain-mi bête :

 Il possédait une peau d'ours dont il se couvrait les jours de grande performance; il appelait cela se mettre en costume. Il disait : J'ai deux peaux; voici la vraie. Et il montrait la peau d'ours 
Il a pour cher compagnon un loup baptisé Homo car le loup n'est-il pas finalement plus humain que les hommes?
Le loup avait été dressé par l'homme, ou s'était dresse tout seul, à diverses gentillesses de loup qui contribuaient à la recette. -Surtout ne dégénère pas en homme, lui disait son ami.
En effet, la misanthropie d'Ursus au grand coeur vient de sa constatation de la cruauté des hommes entre eux. Il apporte ici une réflexion sur la nature humaine dont il voit la noirceur, il est lucide face aux injustices, à l'écrasement des faibles par les puissants. Pourtant s'il s'en indigne, il accepte la destinée humaine. Il offre un curieux mélange entre ces deux termes qui le caractérisent : "indigné et résigné" ce qui donne à son discours une coloration bizarre, entre dénonciation et acceptation, et conférer ainsi une plus grande force à la dénonciation. 

Mon Dieu, je sais bien que tout le monde n'a pas vingt-quatre carrosses de gala, mais il ne faut point déclamer. Parce que tu as eu froid cette nuit, ne voilà-t-il pas? Il n'y a pas que toi. D'autres aussi ont eu froid et faim. Et puis si tous les gens qui sont épars se plaignaient, ce serait un beau vacarme. Silence voilà la règle. Je suis convaincu que le bon Dieu ordonne aux damnés de se taire, sans quoi ce serait Dieu qui serait damné d'entendre un cri éternel. Le bonheur de l'Olympe est au prix du silence du Cocyte.

Le vieux misanthrope d'Hugo rejoint parfois le jeune Candide de Voltaire :

Les pairs ont fait une foule de lois sages, entre autres celle qui condamne à mort un homme qui coupe un peuplier de trois ans. p376

La philosophie d'Ursus est en gros "pour être heureux vivons cachés" et c'est pourquoi c'est lui aussi qui mène une réflexion sur le bonheur. Dea, la jeune aveugle, et Gwynplaine, le monstre, dans leur pauvreté connaissant le bonheur parce qu'ils s'aiment. La cécité de Dea lui permet de voir la beauté intérieure de Gwynplaine.

Une seule femme sur terre voyait Gwynplaine. C'était cette aveugle.
-Tu es si beau, lui disait-elle.
C'est que Dea, aveugle, apercevait l'âme.

Ursus en tire la leçon, nous sommes aveuglés par nos sens et trompés par l'apparence :
 -L'aveugle voit l'invisible
Il disait
-La conscience est vision.

Ainsi, c'est le malheur des jeunes amoureux qui est la cause de leur bonheur. Si Gwynplaine n'était pas mutilé, il ne pourrait gagner sa vie comme histrion en faisant rire les foules et ainsi subvenir aux besoins de Dea et de son père adoptif Ursus. Si Dea n'était pas aveugle, elle ne pourrait aimer Gwynplaine. Mais ce qui est résignation chez Ursus devient révolte chez Gwynplaine et la prédictions d'Ursus se réalise, il ne pourra être qu'écrasé.

Un roman poétique  

Dessin de Victor Hugo

Roman poétique, L'homme qui lit est bâti sur des antithèses selon un procédé cher à Victor Hugo qui lui permet de frapper l'imagination et de faire naître des images évocatrices. Ces antithèses sont nombreuses entre la cécité et la clairvoyance, entre les faibles et les puissants, le peuple et les aristocrates, l'histrion et le lord, le mal et le bien, entre l'amour spirituel et l'amour charnel.
Mais l'une de ces antithèses est une constante dans l'oeuvre de Hugo romancier et poète. Elle repose sur le contraste entre l'ombre et la lumière, la nuit et le jour. Le Livre premier s'intitule La nuit moins noire que l'homme et la conclusion du roman La mer et la nuit; certains chapitres eux aussi présentent ces jeux  d'ombre : Bataille entre la mort et le nuit,  Face à face avec la nuit, L'enfant dans l'ombre. Ces contrastes d'ombre et lumière permettent à Victor Hugo de splendides effets de clair-obscur dans des descriptions qui correspondent à son tempérament artistique et que l'on retrouve dans sa peinture. Ces notions symbolisent la mort. Dans le premier livre c'est le naufrage de la Matutina, l'ourque des voleurs d'enfants, les comprachicos, dans le dernier, c'est le suicide de Gwynplaine. La lumière qui disparaît est un présage de la fin. Ainsi lorsque les comprachicos voient apparaître le phare des Casquets, ils ont un moment d'espoir mais qui se révéle dérisoire :

La phare, reculant, pâlit, blémit, puis s'effaça.
Cette extinction fut morne. Les épaisseurs de brume se superposèrent à ce flamboiement devenu diffus. Le rayonnement se délaya dans l'immensité mouillée. La flamme flotta, lutta, s'enfonça, perdit forme. On eût dit une noyée. Le brasier devint lumignon, ce ne fut plus qu'un tremblement blafard et vague. C'était comme un écrasement de lumière au fond de la nuit.

La nuit et la lumière sont donc bien synonymes de la mort dans les trois premiers livres. Dans le livre 8, elles sont par contre le symbole du triomphe du bien sur le mal, de la justice sur l'oppression, de l'espoir sur le désespoir comme on l'a vu dans le discours du Gwynplaine aux lords.

Vous profitez de la nuit. Mais prenez garde, il y a une grande puissance, l'aurore.

Victor Hugo met en aussi en relief l'opposion entre la mer et la terre dans le premier livre. D'un point de vue dramatique, il établit, en effet, un parallèle entre ce qui se passe sur l'océan et sur la pointe de Portland : La Matutina des comprachicos est prise dans une tempête de neige en pleine mer, évite à plusieurs reprises une mort annoncée pour sombrer enfin lorsqu'elle se croit sauvée. Gwynplaine, abandonné par les bandits, marche dans la neige, le froid et la tourmente au prix de mille souffrances, se retrouve face à un pendu devant un gibet, et sauve le bébé Dea d'une mort certaine à l'arrachant au cadavre de sa mère. L'écrivain tire  de cette opposition de splendides effets picturaux et poétiques qui renforcent l'intérêt dramatique :
La mer comme la terre était blanche; l'une de neige, l'autre d'écume. Rien de mélancolique comme le jour que faisait cette double blancheur. Certains éclairages de la nuit ont des duretés très nettes; la mer était de l'acier, les falaises de l'ébène. De la hauteur où était l'enfant, la baie de Portland apparaissait presque en carte géographique, blafarde dans son demi-cercle de collines; il y avait du rêve dans ce paysage nocturne...

Un romantisme tardif

Dessin de Victor Hugo

En 1869, le mouvement romantique est éteint depuis longtemps mais le roman de Gwyplaine par bien des aspects appartient encore au romantisme.

Et d'abord, par le choix du personnage Gwynplaine qui comme Hernani est un proscrit, un être voué au malheur, qui ne trouve sa place nulle part sur terre.  Gwynplaine est un monstre mais à la différence de Quasimodo, c'est un monstre fabriqué par les comprachicos pour amuser la foule.

Cette fabrication de monstres se pratiquait sur une grande échelle et comprenait divers genres.
Il en fallait au sultan; il en fallait au pape. A l'un pour garder ses femmes; à l'autre pour faire ses prières. C'était un genre à part ne pouvant se reproduire par lui même.Ces à-peu-près humains étaient utiles à la volupté et à la religion. Le sérail et la chapelle Sixtine consommaient la même espèce de monstres ici féroces, là, suaves .

C'est en cela qu'il incarne l'Humanité souffrante. Il est l'allégorie du peuple misérable qui comme lui est le jouet  des grands, il  n'est pas maître de son destin. Pourtant, il représente aussi l'espoir et la révolte. En devenant lord il se fait le porte-parole du peuple et annonce la naissance d'une autre ère, où la justice sera possible. Gwynplaine, l'histrion devenu lord est donc bien un héros romantique.

Ce rire qui est sur mon front, c'est un roi qui l'y a mis. Ce rire exprime la désolation universelle. Ce rire veut dire haine, silence contraint, rage , désespoir. Ce rire est un rire de force. Si Satan avait ce rire, ce rire condamnerait Dieu. Mais l'éternel ne ressemble point aux périssables; étant l'absolu, il est le juste; et Dieu hait ce que font les rois. Ah! vous me prenez pour l'exception! Je suis un symbole!
Je représente l'humanité telle que ses maîtres l'ont faite. L'homme est un mutilé. Ce qu'on m'a fait on la fait au genre humain. p 696

Autre thème romantique, celui de la femme idéalisée qui représente l'Esprit, la part de Dieu qui est en tout homme. Déa, aveugle qui sait voir l'invisible, est dans son innocence et sa fragilité, l'incarnation de l'amour idéal, loin des tentations de la chair, à l'opposé de la duchesse Josiane, qui représente le désir charnel et la dépravation. C'est pourquoi l'amour de Gwynplaine et de Dea ne peut se résoudre que dans la mort.
Pas de pureté comparable à ces amours. Dea ignorait ce que c'était qu'un baiser, bien que peut-être elle le désirât; car la cécité, surtout d'une femme a ses rêves, et, quoique tremblante devant les approches de l'inconnu, ne les hait pas toutes. Quant à Gwynplaine, la jeunesse frissonnante le rendait pensif; plus il se sentait ivre, plus il était timide.
À la fin du XVIIe siècle, un jeune lord est enlevé sur ordre du roi et atrocement défiguré, la bouche fendue jusqu'aux oreilles. Abandonné une nuit d'hiver, il parvient à rejoindre la cahute d'un philosophe ambulant, et devient saltimbanque. Quinze ans plus tard, rétabli dans ses droits, il est pair d'Angleterre. Mais sa mutilation ne s'effacera pas, et celui qui se serait voulu prophète à la Chambre des lords restera condamné à n'être qu'un bouffon.


ET voilà la lecture commune faite avec Miriam et Rosamond sur L'Homme qui rit de Victor Hugo