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dimanche 8 novembre 2015

Shakespeare : Richard III/ Looking For Richard Al Pacino

Au centre le crâne de Richard III, à gauche un portrait, à droite une reconstitution d'après le crâne (source Télérama)

Richard III est l’oeuvre la plus jouée de toutes les pièces de Shakespeare, et, ce qui est étonnant,  plus même que Hamlet.
C’est  pourtant une  pièce difficile que j’ai essayé de lire plusieurs fois et devant laquelle j’ai calé avant de la voir cet été au festival d’Avignon dans une mise en scène d'Ostermeier qui m’a permis de comprendre les plus grands enjeux de l'oeuvre.
 Richard III ( 1591 ou 1592) est la dernière pièce d'une tétralogie dont trois volets sont consacrés  à Henri VI. 

 Looking for Richard

Looking for Rcihard : Al Pacino interprète du roi Richard
Difficile? C’est de ce constat que part Al Pacino dans son film Looking for Richard lorsqu’il s’aperçoit après avoir interprété la première scène devant des étudiants que ceux-ci n’ont pas saisi le sens profond du texte. Commence alors une passionnante "explication" de la pièce, pleine d’intelligence et de finesse, qui nous permet de découvrir la période historique (l'une des plus grandes difficultés) et l’enjeu de l’intrigue mais aussi les motivations des personnages, les sentiments qui les animent… Si vous voulez comprendre cette pièce par l’intérieur, commencez par voir ce film génial, et ceci d’autant plus que chaque personnage fait l’objet d’une réflexion, de propositions émises par le metteur en scène ou l’acteur lui-même, et, cerise sur le gâteau, est interprété par des comédiens tous excellents. Voir chez Wens pour le film ICI

La guerre des deux roses 

La guerre des deux Roses Henry Arthur Payne (1868_1940)

 « Now is the winter of our discontent /Made glorious summer by the sun of York »
« Voici l’hiver de notre déplaisir mué en radieux été par le soleil d’York »

Al Pacino part des premiers vers qui ouvrent la scène 1 de l'acte I pour situer l’intrigue historique : La guerre des Roses (l’hiver de notre déplaisir) qui a divisé le pays et opposé les Lancaster et les York vient de se terminer par la victoire des York (le soleil d’York). Richard III  conte la dernière bataille de cette guerre civile. 
Au début de l'action, le roi Edouard IV est en train de mourir et les membres de la famille se déchirent déjà pour savoir à qui appartiendra le pouvoir, une lutte intestine mesquine, sordide et sanguinaire..
Richard de Gloucester, frère du roi, qui deviendra Richard III, décide que ce sera lui. Au début de la pièce l’on sait qu’il a déjà assassiné Henri VI et le fils de celui-ci Edouard. Il ne va donc pas s’arrêter en chemin et pour cela il doit éliminer tous ceux qui l’empêchent d’accéder au trône : son frère Clarence, ses neveux, Edouard, héritier légitime de la couronne, et Richard, tous deux âgés respectivement de 12 et 9 ans; lord Hastings qui lui tient tête, Buckingham… et bien d’autres encore. Il lui faut aussi se choisir une reine, lady Anne, dont il a tué le père et l’époux.  Son ambition satisfaite, il se retrouve isolé, sans amis, et succombera dans la bataille qui l’oppose à Henry, comte de Richmond, qui devient roi sous le nom de Henri VII et fonde la dynastie des Tudor.

La pièce se termine sur des vers qui célèbrent la grandeur des Tudor et d'Elizabeth et la fin de la guerre civile.  Acte V scène 5

Nos blessures civiles sont fermées, la paix revit: puisse-t-elle parmi nous longtemps vivre avec l’amen de Dieu!

Le pouvoir de la conscience 


Dans cette mise en scène Al Pacino  met en relief un thème -en plus de celui du pouvoir et de la corruption qui vont de pair avec l’hypocrisie et la traîtrise : celui de la conscience.
Le thème apparaît avec les deux assassins  dépêchés à la Tour de Londres pour tuer Clarence. Mais si la conscience a un pouvoir, celui-ci est bien limité car il ne tient pas face à une bourse bien pleine.
« Je ne veux plus avoir affaire à elle : elle vous acouardit son homme : un homme ne peut voler sans qu’elle l’accuse; un homme ne peut sacrer sans qu’elle l’arrête; un homme ne peut plus coucher avec la femme de son voisin sans qu’elle le surprenne .»
Car tout homme est achetable affirme Shakespeare mais où se situe la limite de chacun?Ainsi le duc de Buckingham est un complice complaisant, retors, au service de Richard, moyennant la promesse de hautes récompenses. Pourtant il a une limite. Il refuse l’assassinat des enfants. (Acte IV scène2) 
Le roi Richard :
- Dis-moi tombes-tu d’accord qu’ils doivent mourir?
Buckingham
- Donnez-moi quelque répit... Le temps de souffler, cher seigneur, avant de me déclarer positivement en ceci : je vous répondrai sans faute tout à l’heure.
Cette hésitation scellera sa perte.

Et Richard III, lui-même, finit par être rattrapé par sa conscience dans la scène du rêve de l’acte V scène 3
« Ma conscience a mille langues diverses et chaque langue raconte une autre histoire et chaque histoire me condamne comme un scélérat. Le parjure, le parjure au plus haut degré; le meurtre, l’implacable meurtre au plus fatal degré; tous les péchés, et commis à tous les degrés, se pressent à la barre, criant tous : « coupable! coupable! »



Le squelette de Richard III : (source Télérama)

On sait que Shakespeare a noirci le portrait de Richard III, d’abord pour des raisons dramatiques : Il a exagéré sa difformité pour montrer symboliquement la laideur intérieure du personnage. De plus, sa disgrâce physique qui l’isole et le fait souffrir peut expliquer sa cruauté. Mais il faut savoir aussi que la biographie de Richard III a été faite pas ses ennemis les Tudor qui l’ont peint sous les traits d’un monstre. Du temps d’Elizabeth, évidemment, ce portrait s’était imposé et Shakespeare n’avait pas intérêt à contrarier la souveraine!

Voir aussi cette article de Télérama ICI sur le squelette de Richard III retrouvé sous un parking à Leicester en 2012, découverte qui a permis de répondre à bien des questions sur la santé du roi. On voit sur cette photo parue dans Télérama que le roi souffrait d'une sévère scoliose!

 La réplique la plus célèbre de la pièce

To be or not to be est la réplique la plus célèbre de Hamlet mais celle de Richard III ne l'est pas moins!
Dans l'acte V scène 4, au Au cours de la bataille de qui l’oppose au futur Henri VII, fondateur de la dynastie des Tudor, le cheval de Richard III est tué; Le roi combat, seul, et à pied et s'écrie :  

Un cheval! Un cheval! Mon royaume pour un cheval!



Théâtre : Shakespeare : Richard III
 Film : Al Pacino : Looking for Richard  interprète du rôle titre Al Pacino

Vous avez tous trouvé l'auteur mais il y a une erreur sur la pièce et plusieurs sur le film.  (non ce n'était pas Hamlet mais c'est vrai que l'on pouvait s'y tromper car le personnage de l'usurpateur est fréquent dans le théâtre shakespearien)
Merci à vous tous : Aifelle, Asphodèle, Dasola, Eeguab, Keisha, Miriam,  Syl, Thérèse.




samedi 7 novembre 2015

Un livre/un film : énigme N°117




Un  livre/un film

Pour ceux qui ne connaissent pas Un Livre/un film, l'énigme du samedi, je rappelle la règle du jeu.

Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le 1er et le 3ème samedi du mois, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film. Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.

Consignes  

Vous pouvez donner vos réponses par mail, adresse que vous trouverez dans mon profil : Qui suis-je? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.

La prochaine énigme aura lieu le troisième samedi du mois le 21 Novembre

Enigme N° 117

Il s'agit d'une pièce de théâtre historique écrite par un dramaturge anglais. Elle est la dernière pièce d'une tétralogie créée au début de la carrière du dramaturge. Elle raconte l'ascension et la fin d'un tyran usurpateur. C'est l'une des tragédies les plus représentées du théâtre anglais.

 Aie pitié, Jésus!... Calmons-nous, ce n'était qu'un rêve. O lâche conscience, comme tu me persécutes! Les lumières brûlent bleu. Nous touchons le fond de la nuit. Des gouttes de sueur froide perlent sur ma chair qui tremble. De quoi ai-je peur? De moi-même? Il n'y a personne d'autre ici. (...) Y a-t-il un assassin ici? Non... si : moi-même. Fuyons donc. Quoi! Me fuir? Bonne raison pour cela... crainte que je ne me venge moi-même de moi-même? Mais je m'aime moi-même. Pour m'être fait du bien à moi-même? Oh! non. Hélas, je me hais plutôt moi-même pour les actes haïssables que j'ai moi-même commis! Je suis un scélérat : non, je mens, je n'en suis pas un. Imbécile, parle bien de toi-même! Imbécile, ne te flatte pas! Ma conscience a mille langues diverses et chaque langue raconte une autre histoire et chaque histoire me condamne comme scélérat.

vendredi 6 novembre 2015

Un livre/Un film : Rendez-vous demain



 L'énigme du samedi a lieu demain samedi 7 novembre.

Un  livre/un film

Pour ceux qui ne connaissent pas Un Livre/un film, l'énigme du samedi, je rappelle la règle du jeu.

Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le 1er et le 3ème samedi du mois, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film. Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.

Consignes  

Vous pouvez donner vos réponses par mail, adresse que vous trouverez dans mon profil : Qui suis-je? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.
A demain!


mercredi 4 novembre 2015

David Lagercrantz : Millenium 4 ce qui ne me tue pas..


Parmi les reproches des détracteurs de Millenium 4, il y en a un qui revient sans cesse :  celui d’être un produit de marketing, ce qui est incontestable… Ecrire et publier une suite à cette trilogie après la mort de l’auteur peut en effet, inspirer quelques craintes.
J’ai eu envie, pour ma part, de le découvrir malgré toute cette polémique et je me suis dit que le roman ne pouvait être entièrement mauvais sinon Actes Sud ne l’aurait pas publié. Vous voyez ma confiance en cette maison d’édition. Je ne l'ai pas regretté.

Se posent les questions suivantes quand on aborde la lecture de Millenium 4 : 

Le roman est-il inférieur ou égal au roman d’origine?  Retrouvons-nous les personnage tels que nous les avons découverts et appréciés? Mais on pourrait aussi se demander tout simplement : est-ce un bon polar?


Lisbeth Salander interprétée par Noomi Rapace

J’ai beaucoup aimé les trois premiers « Millénium » : le personnage de Lisbeth Salander m’a fascinée comme la plupart des lecteurs, je pense! Cette Fifi Brin d’acier pour adultes était absolument géniale; une superwoman dotée de pouvoirs fabuleux qui prenait sa revanche, pour notre plus grand bonheur, sur les « méchants » qui n’aimaient pas les femmes. Le roman nous plongeait dans une Suède située entre le réalisme le plus sordide et le conte le plus farfelu, ceci grâce à son héroïne et au journaliste Michael Bloomkvist. Tous deux nous permettaient de découvrir la Suède actuelle bien loin de l’image du pays modèle qui nous était habituel. Ils nous plongeaient aussi, au cours de leurs investigations, dans son passé peu reluisant marqué par le nazisme, idéologie haineuse qui infecte la société actuelle.

Mikael Blomkvist interprété par Daniel Graig

Que deviennent les personnages de Stieg Larsson dans le roman de David Lagercrantz? 

Michael Bloomkvitz apparaît ici fatiguée, traversant une mauvaise passe, à un moment difficile de sa carrière, découragé par la menace qui pèse sur son journal. Il me paraît très crédible et vrai dans ce rôle de perdant qui va peu à peu reprendre du poil de la bête. Lisbeth Salander, elle ne m’a pas totalement convaincue. Certes, elle accomplit des exploits mais elle me paraît moins présente, moins au centre de l’action. Mais si Lisbeth me déçoit par rapport à l’original, j’ai, par contre, aimé les personnages qui sont les créations de l’auteur, qui sortent de  son imagination.

 Le personnage du petit garçon autiste, August, au regard étrange, savant doté de connaissances hors du commun dans le dessin et les mathématiques, enfant fragile et attachant, est un « super héros » et peut rivaliser avec Salander! Ce serait bien qu’il devienne un personnage récurrent s’il doit y avoir une suite à cette histoire comme tout semble l’annoncer. J’ai aimé aussi le père d’August, le savant obnubilé par ses recherches dans le domaine de l’intelligence artificielle, poursuivi par les services secrets américains alliés à la maffia, qui découvre l’amour paternel en retrouvant son fils dont il avait été séparé à cause de sa propre  négligence. C’est un personnage bien campé, qui préfère détruire l’oeuvre de toute une vie plutôt que de la voir mal exploitée. C’est lui qui pose l’éternel problème de « science sans conscience… », de la science et de l’éthique, toujours et de plus en plus tragiquement actuel.

D’autre part, en pointant du doigt les services de contre-espionnage américains, suédois et russes, David Lagercrantz sonde les pouvoirs abyssaux de ces organismes, la violation organisée de notre vie privée, la négation de la démocratie.  Big Brother a cessé d’être une fiction, Big Brother surveille vos faits et gestes.

J’ai lu chez Dominique (voir son billet dans A sauts et à gambades ici) qu’il faut être passionné en informatique pour parvenir à s’intéresser au roman. Il est vrai que les explications sont ardues, et surtout longuettes, bien qu’on nous les présente comme simplifiées, mais cela ne m’a pas outre mesure gênée. J’ai jugé, par contre, les thèmes intéressants et les personnages créés par Lagercrantz convaincants.

La trilogie de Larsson, brillante, m’a certainement plus captivée, plus subjuguée que le Millénium nouveau mais celui-ci est un bon roman. David Lagercrantz gagnerait, certes, à éviter les longueurs, à élaguer les détails techniques et à être moins didactique, mais c’est un écrivain qui sait faire vivre des personnages et conter une histoire.

mardi 3 novembre 2015

Philippe Jaenada : La petite femelle

Résumé de l'éditeur:

Au mois de novembre 1953 débute le procès retentissant de Pauline Dubuisson, accusé d'avoir tué de sang-froid son amant. Mais qui est donc cette beauté ravageuse dont la France entière réclame la tête ? Une arriviste froide et calculatrice? Un monstre de duplicité qui a couché avec les Allemands, a été tondue, avant d'assassiner par jalousie un garçon de bonne famille? Ou n'est-elle, au contraire, qu'une jeune fille libre qui revendique avant l'heure son émancipation et questionne la place des femmes au sein de la société? Personne n'a jamais voulu écouter ce qu'elle avait à dire, elle que les soubresauts de l'Histoire ont pourtant broyée sans pitié. Voir Editions Julliard ICI

Le livre de Philippe Jaenada, La petite femelle,  sur Pauline Dubuisson, cette jeune et belle meurtrière dont le procès a passionné la France en 1953, paraît en même temps que le roman de Jean-Luc Seigle sur le même sujet. Une occasion pour Jaenada de préciser dans un prologue ce qu’il ne veut pas faire : recréer une Pauline par l’imagination, comme on l’a déjà trop fait et dresser d’elle un portrait faux, « plus faux que faux » comme celui de Jean-Luc Seigle. 

Ce qu’il veut?
Pour essayer de ne trahir ni Pauline ni mon projet, il faut que je sois rigoureux et -comme un petit chercheur en blouse blanche (au coeur tendre, allez) qui baisse le nez sur son microscope- soucieux des détails. Où se trouve le diable, paraît-il.

Et en effet, Philippe Jaenada  a étudié au microscope la vie de Pauline, lisant toutes les archives la concernant, tous les articles des journaux, menant une enquête auprès de ceux qui l’ont connue, se rendant dans tous les lieux où elle a habité… Une enquête minutieuse que l'on suit avec intérêt. Une étude rigoureuse qui exclut tout ce qui n’est pas avéré, comme le viol qu’elle aurait subi à la libération après avoir été tondue pour avoir couché avec des allemands, viol dont on n’est pas sûr qu’il a eu lieu.
Une analyse soucieuse des détails, effectivement mais… car il y a un mais! Les petits chercheurs en blouse blanche s’éprennent-ils de leur sujet d’étude, tombent-ils amoureux des petites cellules, des  beaux virus qu’ils observent? L’écrivain lui, le fait, on sent que le personnage le passionne, l’obsède et son étude est avant tout une réhabilitation de Pauline, un cri de révolte contre les mensonges qui l’ont discréditée aux yeux de l’opinion publique et surtout des jurés, une dénonciation de ceux, qui, par parti pris, par étroitesse d'esprit, par bégueulerie, par haine de l'indépendance féminine, médias ou officiers de justice, ont falsifié les dossiers, faisant disparaître les témoignages en sa faveur pour ne retenir que ceux qui aggravent son cas.
Pourtant, l'écrivain est parfois obligé quand il n’y pas d’autres possibilités d’imaginer ce qui a dû se passer, s’il ne trouve pas de preuves. Objectif, Philippe Jaenada? Non! trop « coeur tendre, allez! » rigoureux dans ses recherches mais sincère, passionné; parfois son tempérament prend le dessus et devient une déclaration d’amour à Pauline et une vocifération contre tous ceux qui lui ont fait du mal! Il faut dire que le personnage de Pauline est fascinant non seulement parce que la jeune fille est d'une beauté, d'une distinction bien au-dessus de la moyenne mais aussi d'une intelligence remarquable. Elle fait des études de médecine à une époque ou peu de femmes pouvaient arriver jusque là! Et son père lui donne à lire Nietzsche au biberon, ce qui crée bien des ravages dans sa tête mais en fait quelqu'un de peu banal.

Finalement, Pauline ne sera pas jugée pour son crime -elle a tué son amant qui allait se marier avec une autre -mais pour avoir été, selon la morale de l'époque, une femme de mauvaise vie, dévergondée, trop libre, pensez donc! elle a eu jusqu’à six amants! Jugée aussi pour avoir eu des relations avec des allemands pendant la guerre, alors que son père qui faisait ami-ami avec les nazis, la poussait, elle, petite Lolita de 14 ans, dans leur lit. A noter que le père, important industriel, n’a jamais été inquiété mais sa fille, oui. C’est la thèse que veut démontrer l’auteur. En ce sens son livre est une revendication féministe que j'ai entièrement suivie.
Ce qui m’a le plus bufflée,  c’est le style de l’écrivain avec toutes ses digressions qui abordent toutes sortes de sujets y compris sur sa vie privée… Et que dire de ses apostrophes et ses injures à tous ceux qui se sont laissés égarer par leur haine de Pauline et ceci au détriment de la vérité! Un livre surprenant par certains de ces aspects, plein de fougue, de passion, et incontestablement intéressant.

lundi 2 novembre 2015

Une autre Venise : Acqua alta et brouillard

Venise : le palais des Doges dans le brouillard bleuté
Visiter Venise en décembre est une autre expérience, celle du brouillard qui enferme tout dans son sac  de coton bleuté et qui nous transporte dans un rêve éveillé; celle de l'acqua alta et de la place San Marco inondée, spectacle féérique de ses dentelles et de ses palais reflétées par l'eau, spectacle amusant de la foule des touristes vêtues de bottes vertes et roses, brandissant leur parapluie, tout en  marchant sur les passerelles que les agents municipaux installent sur  la place San Marco et le long du  Quai des Esclaves, riva degli Schiavoni. Et puis toutes sortes de petits détails : les portes des hôtels béantes sur des halls submergés où tous s'affairent pour évacuer l'eau afin de libérer leurs clients prisonniers. Moi, je n'ai pas eu la patience d'attendre! Puis cette odeur fraîche comme après l'orage, cette haleine de fond marin, et cette exaltation heureuse qui vous prend devant cette ville assaillie par les flots, qui semble faire le gros dos, en habituée; le claquement des gondoles tossées les unes contre les autres par l'agitation de la lagune; les pigeons aux plumes mouillées, piteux et déconfits, qui se massent sur les seuils du palais pour échapper à la pluie; et ce petit chaperon rouge, qui échappe à ses parents et qui marche dans l'eau en levant très haut les pieds... pour mieux se mouiller! Enfin l'eau se retire, le pavement de la place luit et joue avec les couleurs, bientôt, la cité s'ébroue et sèche et, en quelques instants, plus rien!

Acqua Alta

Venise  Acqua Alta  reflets

Venise acqua alta


Venise  Acqua Alta  Le palais des Doges

Venise  Acqua Alta : livraison
Venise acqua alta : reflets

Venise  Acqua Alta : pigeons piteux déconfits
Venise acqua alta : reflets

Brouillard

Venise : Riva degli Schiavoni

Venise palais des Doges en arrière plan


Venise : Punto della Dogano

Venise : Eglise de la Salute


Venise : Le pont de l'Académie

Venise : Le palais Barbarigo et ses mosaïques

Chez Eimelle, pendant le mois de Novembre, le challenge italien Il Viaggio se poursuit sur le thème de Venise.

Chez Eimelle

vendredi 30 octobre 2015

Andrea Camilleri : La couleur du soleil

Le Caravage : la nativité avec Saint François et Saint Laurent
"En revanche, il me dit que la nativité palermitaine du Caravage avait été volée en 1969..."


J’ai voulu découvrir Camilleri puisque le mois italien d’Eimelle m’a permis de lire de nombreux billets sur cet auteur italien.
La couleur du soleil commence comme un livre policier, genre auquel Camilleri s’est intéressé.  Lors d’un voyage en Sicile, il accepte un rendez-vous avec un inconnu et est amené dans le plus grand secret, les yeux bandés, sur les pentes de l’Etna. Là, dans une grande villa, un homme de belle prestance, Carlo, lui fait découvrir des documents appartenant à sa femme décédée. Pour le remercier d’avoir apporté du réconfort à son épouse pendant sa maladie, Carlo laisse Camilleri libre, pendant quelques heures, de lire et de recopier des fragments de ces textes précieux car il ne s’agit de rien d’autre que du journal authentique du Caravage. L’écrivain est ensuite reconduit sans avoir connaissance ni de l’endroit où il est allé, ni de la véritable identité de son interlocuteur que l’on nous laissera deviner par la suite..
La couleur du soleil sont les notes forcément fragmentaires des derniers jours du Michelangelo Merisi da Caravaggio ou Le Caravage, de ses pérégrinations à travers la Sicile. Le récit commence à Malte où il a été fait chevalier de Grâce, titre honorifique qui lui permet d’échapper à sa condamnation à mort à la suite d’un meurtre au cours d’une rixe; puis de nouveaux esclandres l’obligent à fuir en direction de Syracuse, puis de Girgenti (Agrigente) et Licati, Messine et Palerme, poursuivi par la justice.
Pendant les séjours dans ces villes, il reçoit maintes commandes qu’il exécute avant d’être à nouveau obligé de partir et c’est ainsi que nous découvrons les oeuvres de cette période tourmentée et les pensées que lui prête Camilleri sur ces peintures qu’un court livret, à la fin du livre, nous permet de découvrir. Mais Camilleri s’intéresse aussi à ce qui peut expliquer ses oeuvres, au glissement vers la folie du personnage, à ce soleil noir qui l’aveugle et envahit ses jours comme ses nuits, à ces visions terrifiantes qu’il ne distingue pas de la réalité, cette souffrance, ces tourments incessants suivis par des crises de violence.

" J’ai commencé à travailler  à la Décollation  de Saint-Jean Baptiste et la lumière noire du soleil noir ne me quitte plus. Je ne vois pas un tantin de différence entre le jour et la nuit."

Michelangelo Caravaggio : La décollation de Saint-jean Baptiste

"Il lui semblait que Lazare se prêtait assez mal à la résurrection et à la vie nouvelle qui l’attendait. Comme il m’en demandait la raison, je lui répondis que la mort avait peut-être été pour Lazare un affranchissement des maux de cette terre. Et que, de ce fait, recouvrer la vie ne lui serait peut-être pas agréable."
 
Italie : Le Caravage : La résurrection de Saint Lazare Musée antional de Messine
Le Caravage : La résurrection de Saint Lazare


J'ai aimé en apprendre un peu plus sur la vie du Caravage dont je savais bien peu de choses, en somme, sinon qu'il avait eu une vie agitée. J’ai aimé le style de ce texte écrit dans un vieil italien « rocailleux » censé représenter la langue du Caravage, que le traducteur, Dominique Vittoz, a su préserver dans la traduction en moyen-français, pittoresque et goûteuse, surtout dans le vocabulaire 
Ainsi nous voyons le peintre se « belutant le cerveau », en proie à la « mésaise ». Et nous l’abandonnons quand il s’embarque à Naples déguisée en moine, « pour enquinauder la mort, un court instant »
Par contre, j’ai été déçue par l’aspect fragmentaire du récit. Par moments, il ne s’agit que de bribes disparates comme si le copiste, pressé par le temps, n’avait pu tout recopier si bien que lorsque je commençais à m'intéresser, le fragment s'interrompait. Je sais bien que c’est un choix voulu par l’auteur et que cela donne au récit un certain réalisme comme si Le Caravage s'adressait vraiment à nous, mais ... cela m’a laissée sur ma faim.

Quatrième de couverture
Et si le Caravage, grand peintre italien à l’existence tumultueuse, avait laissé un journal? Et si Camilleri, écrivain brillant et érudit, avait été mystérieusement guidé vers la découverte de ce précieux manuscrit? Et si ces pages, qui nous replongent dans un seizième siècle finissant, nous donnaient de nouvelles clés pour comprendre les foucades de l’homme et les prouesses de l’artiste?
 Andrea Camilleri nous offre ici de vivre de l’intérieur le dernier voyage aventureux du Caravage fuyant la justice des Chevaliers de Malte. Avec le brio de l’écrivain rompu au genre historique comme au policier, il sait imaginer pour ce génie du clair-obscur une voix d’une authenticité confondante.


Andrea Camilleri
Né en 1925 près d'Agrigente, en Sicile, metteur en scène de théâtre, réalisateur de télévision, scénariste, Andrea Camilleri s'est fait connaître tardivement comme romancier, mais avec un succès foudroyant. Auteur culte de la série des enquêtes du commissaire Montalbano, il écrit parallèlement des romans inspirés par des documents d'archives. Chez Fayard sont parus : La Concession du téléphone, La Saison de la chasse (Prix de traduction Amédée Pichot), Un filet de fumée, Le Roi Zosimo, Le Cours des choses, Privé de titre, Les Enquêtes du commissaire Collura et Petits Récits au jour le jour.





lundi 26 octobre 2015

Léon Tolstoï : La mort d’Ivan Illitch, suivi de Maître et serviteur et de Trois morts



Dans les trois nouvelles de ce recueil du livre de poche, Tolstoï explore le thème de l’homme face à la mort. Qu’il s’agisse de La mort d’Ivan Illitch, suivi de Maître et serviteur et de Trois morts, Tolstoï analyse les sentiments d’angoisse, de refus, de colère ou d’acceptation de l’individu saisi par le vertige de la mort annoncée,  alternances de lucidité ou de déni, d’honnêteté ou de mensonge quant  au bilan que le mourant fait de sa vie.
Tolstoï a été touché par la mort dans son plus jeune âge puisque, orphelin dès l’enfance, il n’a pu connaître sa mère et son père; puis en 1850 son frère Dimitri disparaît mais c’est la mort de son frère Nicolas dont il est très proche, atteint de tuberculose, qui le touche le plus. Pourtant il ne s’agit encore que d’une appréhension de la mort par l’extérieur, d’une donnée intellectuelle et non de vécu.
L’expérience par l’intérieur, dans sa chair, de la mort comme une « horreur blanche et rouge et carrée »,  il l’expérimente au cours d’un voyage et d’une nuit passée dans l’auberge Arzamas. Cette sensation de mort imminente, cette prise de conscience de sa vulnérabilité, sa révolte vécue comme un cri, son désir de vivre répondant à la terreur qui l’envahit et le possède entièrement, il ne l’oubliera jamais.

La Mort d’Ivan Illitch (1886)

Ivan Kramskoï : Les derniers chants de Nekrassov Galerie Tretiakov
C’est ce qu’il transcrit dans La Mort d’Ivan Illitch, ce personnage à qui il ressemble et dont il raconte la mort avec une sensibilité d’écorché, un justesse à fleur de peau, une angoisse horrible qui se transmet au lecteur … La description réaliste de l’évolution de la maladie, de la déchéance du corps est terrifiante. L’analyse psychologique est d’une étonnante finesse jusque dans les plus petits détails. Et que dire de cette prose, dense, puissante qui vous happe, à laquelle vous ne pouvez plus échapper, qui vous retourne, vous bouleverse..
L’on peut ajouter à cette terrible expérience existentielle, la vision satirique d’une société uniquement guidée par l’attrait de l’argent, des honneurs et de la réussite, qui oublie les valeurs spirituelles, l’amitié, l’amour, une société en manque d’idéaux et où la mort d’un collègue est reçue avant tout comme une promesse de promotion à la place qu’il occupait.
Apparaît aussi à travers le portrait de Praskovia Federovna, l’épouse d’Ivan Illitch, la misogynie de Tolstoï et son horreur du mariage.
La Mort d’Ivan Ilitch est une nouvelle qui est à la fois un grand moment littéraire et un grand moment de vérité. Il vous oblige à regarder l'idée de la mort en face sans plus vous voiler la face. Je l’ai reçu comme un coup de poing. Rares sont les écrivains qui ont ce pouvoir d’impliquer si totalement le lecteur, de faire vivre avec autant d’acuité une expérience aussi universelle, la mort, que par définition l’on ne peut habituellement partager avec autrui. Quel écrivain! Pendant un certain temps, tout paraît fade à côté de lui!

Maître et serviteur(1895)

VG Perov : la denrière taverne avec la sortie du village Galerie Titrakov Moscou
VG Pérov : la dernière Taverne avant la sortie du village  Galerie Tetriakov

Maître et serviteur raconte l’histoire de Brekhounov, un marchand, âpre au gain, qui n’hésite pas, pour acheter les forêts qu’il convoite, à se déplacer en traîneau en plein hiver, pendant une tempête de neige. Bloqués au fond d’un ornière, par un froid intense, les deux hommes voient arriver leur mort prochaine. Seul le serviteur, Nikita, un homme simple, proche de la nature, l’envisage avec sérénité. Tolstoï pense, en effet, que la civilisation entraînant la cupidité, l’égoïsme, la recherche des biens matériels, détourne des valeurs essentielles. Mais la mort permet au maître de se confronter à la vérité en faisant le bilan de sa vie et de se dépouiller de son égoïsme.

Trois Morts (1850)

Dans Trois Morts, une mourante part en voyage vers un pays chaud pour échapper à la mort. Si son entourage sait qu’elle va mourir, elle se ment à elle-même, à la recherche du moindre espoir qui la sauvera. La religion est inutile et ne lui procure aucun soulagement réel. La deuxième mort est celle du postillon, l’oncle Fédor, qui accepte sa mort, en homme simple et proche de la nature. Le troisième est un arbre qui meurt en « beauté parce qu’il ne joue pas la comédie, ne craint, ni ne regrette rien ».  La nouvelle écrite en 1850, trente ans avant La mort d’Ivan Illitch, présente les mêmes thèmes mais d'une manière plus superficielle, moins aboutie et plus démonstrative; je me suis sentie moins concernée.

dimanche 25 octobre 2015

Carlo Goldoni : L'éventail


Carlo Goldoni
Contrairement à La Locandiera, Les Rustres, Il Campielo ou La trilogie de la Villégiature, je n’avais jamais lu et je n’ai jamais vu sur scène la pièce de Goldoni intitulée : L’éventail.
Comme le titre l’indique, c’est un éventail qui est le prétexte à l’intrigue; il suscite toutes sortes de quiproquos retentissants et en passant de main en main relance sans cesse l’action d'où toute une série de rebondissements. Un éventail donc qui va attiser la suspicion, les commérages, la jalousie, les ruptures, les scènes de ménage, les bagarres,  les crises de désespoir et …

Au départ, la pièce n’est qu’un simple canevas de Commedia dell’arte, sans dialogue écrit, que Goldoni avait proposé aux comédiens italiens. La pièce obtint peu de succès et Goldoni à qui elle était chère décida de la réécrire entièrement. De Paris où il résidait alors, il envoya le texte aux comédiens vénitiens qui la représentèrent avec succès  au Théâtre San Luca de Venise en 1765.

Le ressort comique est bien rôdé et le rythme rapide et enlevé, la critique sociale même si elle n’est pas nouvelle, est réussie et l’on retrouve ici les thèmes chers à Goldoni.

Dans un lieu unique, fermé, une place comme dans Il Campielo, (mais nous sommes dans un village du Milanais pas à Venise) se retrouve tout un échantillon de la société, du haut en bas de l’échelle :  les nobles, -  un comte de vieille noblesse mais désargenté et un baron, moins titré mais riche comme dans La Locandiera-, les commerçants ayant pignon sur rue, -l’apothicaire et l’hôtelier- , les petits commerces -mercerie, cordonnerie-, (là encore toute une hiérarchie apparaît au sein de la même classe sociale, les uns méprisant les autres et affirmant leur supériorité) et puis les serviteurs, et encore plus bas, les paysans comme la jolie Jeannine et son rustre de frère, Noiraud.
Et chacun joue son rôle social, le comte de Rocca-Marina, ruiné, offrant sa protection pour soutirer des faveurs aux uns et aux autres, est un personnage caricatural mais finaud, tirant toujours son épingle du jeu, bernant ses amis comme ses ennemis. Evariste, l’amoureux de Candide,  Couronné, l’aubergiste, Crépin, le cordonnier et le  baron del Cedro en feront les frais!
Chacun joue son rôle ou le refuse comme Jeannine qui est sous la coupe de son frère depuis que ses parents sont morts mais revendique (thème féministe que l’on retrouve souvent dans Goldoni) sa liberté et surtout celle de choisir elle-même son mari. Et comme c’est une fille de caractère, elle obtiendra ce qu’elle voudra!

Ces personnages avec leurs travers, leurs faiblesses et leurs qualités représentent donc la condition humaine et Goldoni, s’il fait rire parfois à leur dépens, ne les juge ni ne les condamne. Ce sont eux qui présentent l’intérêt de la pièce et si l’intrigue paraît légère, ne vous y fiez pas! elle est toujours nourrie chez Goldoni par la vérité des caractères et par une peinture des moeurs qui pour être malicieuse n’en est pas moins réaliste et vraie!

Dans la version Commedia dell’arte, le cordonnier Crépin était probablement Arlequin ou Carlin et  l’aubergiste Couronné, Brighella ou Scapin.

Carlin ou Arlequin
Brighella


Critique d’une représentation de L’Eventail dans Libé

« L’intrigue est aussi mince qu'implacable : la belle Candida laisse choir de son balcon un éventail qui se brise. Evaristo, son amoureux, lui en rachète un. Et imagine, plutôt que de le lui offrir en mains propres, de le confier à Giannina, la paysanne forte tête. Trois heures plus tard, l'objet aura volé de main en main et, tel un talisman malin, déclenché une suite de mini catastrophes.
De bagarres en quiproquos, de ruptures en ratages, l'éventail fonctionne comme le révélateur d'un monde qui se ment à lui-même. Lorsqu'il revient enfin entre les mains de Candida et que tout est bien qui finit bien, reste un fond de mélancolie, comme si, au jeu de la vérité, la communauté avait vacillé sur ses bases. »
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vendredi 23 octobre 2015

Moscou : Zenaïda Serebriakova : peintre franco-russe Galerie Tretiakov

Zenaida Serebriakova – Le déjeuner des enfants – 1914 – Galerie Tretiakov, Moscou

En rendant visite à l’Or, dans son blog, quand je suis revenue de Russie, je suis tombée nez à nez avec le tableau de Zenaïda Serebriakova : Le déjeuner des enfants que je venais juste de découvrir la galerie Tetriakov à Moscou.
Voilà le  texte qu’il a inspiré à L’Or :
Rien ne symbolise plus l’automne que ce tableau là. Dès que je l’ai vu, pour moi, il était l’image même de septembre et de la rentrée scolaire. Les repas se prennent à nouveau à l’intérieur, les enfants sont à table, ils dégustent une chaleureuse soupe d’automne, chaude et bienfaisante pour les petits bidons. Demain ils reprendront l’habitude de se lever plus tôt, d’enfiler leurs chaussures et de mettre leurs lourds cartables sur le dos. » lire la suite ICI  

Moscou Galerie Tetriakov : musée d'art russe détail du fronton
Galerie Tetriakov : détail
Moscou : La place des trois tableaux de Zinaïde Serebriakova  sur le mur de la galerie Tetraikov
La place des trois tableaux de Srebriakova sur le mur de la galerie Tetriakov

Quant à moi, ce qui m’a touchée dans cette oeuvre comme dans les deux autres tableaux qui sont exposés à Tetriakov, c’est la beauté des personnages et la force qui émane d’eux, une quiétude, une plénitude qui renvoient à une image du bonheur, de la joie de vivre. Ainsi, ces deux enfants aux yeux noirs qui  fixent le peintre -leur mère- avec sérieux, tandis que l’aîné plus rêveur contemple son verre comme s’il contenait un secret, ainsi ce cadre rassurant, paisible, celui de la table familiale, autour de la soupe du soir servie par une main que j’imagine être celle de la grand mère; ce décor délicat, cette vaisselle à la fois raffinée et simple, ces couleurs pastels rehaussés par le jaune plus vif du broc à eau; tout concourt à nous donner une image de sérénité.


Zenaïda Serebriakova : autoportrait  Galerie Tretiakov, Moscou
Et il en est de même de son autoportrait, cette jeune femme à sa toilette, si gracieuse avec sa longue chevelure et ses yeux noirs, les mêmes que que l’on retrouve chez les deux enfants tournés vers nous dans Le déjeuner, avec cette lueur malicieuse qui luit dans ses yeux, ce léger sourire mutin,  image de la beauté et de la séduction mais naturelle et saine.

peintre franco-russe Zenaïda Serebriakova :  Les lavandières tableau exposé à la Galerie Tretiakov, Moscou
Zenaïda Serebriakova :  Les lavandières Galerie Tretiakov, Moscou
Quant à Les lavandières, Serebriakova ne cherche pas à montrer un métier pénible et des femmes du peuple pauvres, usées par le travail. Au contraire, elles peint des jeunes femmes robustes, aux vêtements vivement colorés et elle les magnifie en les prenant en contre-plongée de manière à ce qu’elles apparaissent, souveraines, se détachant sur le ciel bleu. C’est une peinture résolument optimiste,  qui charme et procure du bonheur. On parle à son propos de peinture réaliste romantique!

Peintre franco-russe Zenaïda Serebriakova : autoportrait exposé à la Galerie Tretiakov, Moscou (détail)
Zenaïda Serebriakova : autoportrait  Galerie Tretiakov, Moscou (détail)

Zinaïda Ievguenina Serebriokov est une peintre franco-russe; elle est née en Ukraine en 1884 ; sa mère était d’origine française, et sa famille les Lanseray compte des artistes connus en France comme en Russie. Nicolas Lanceray, son grand père, est un des architectes de Saint Péterbourg, son père Ievgueni Serebriakova est un sculpteur célèbre.
 Elle perd toute sa fortune avec la révolution de 1917 et sa propriété Neskoutchnié (Sans Soucis) lui est confisquée. Son mari Boris est emprisonné par les Bolchéviques et meurt du typhus en 1919. Elle  doit élever toute seule ses quatre enfants. En 1924, elle se rend à Paris pour une commande de peintures murales mais elle ne peut rentrer en Russie et est séparée de ses enfants et de sa mère. Plus tard, elle parviendra à faire venir deux de ses enfants dont sa fille cadette Ekaterina et son fils aîné, Alexandre, peintre reconnu et décorateur d'intérieur qui l’aidera à subvenir au besoin de la famille restée en Russie ; elle  ne reverra plus les autres Tatiana et Evguiéni pendant 36 ans, ce qui sera pour elle un tourment constant. Le temps du bonheur est passé. Sa peinture deviendra plus grave mais c'est toujours avec respect qu'elle peint ses modèles et les met en valeur.
A Paris, Zinaïda Serebriokova refuse l’influence de l’avant-garde française et continue à peindre d’une manière classique comme le feront les peintres soviétiques à la même époque. Aussi, même si beaucoup admire ses oeuvres, ses tableaux ne se vendent pas très bien. Pourtant la période française de Zinaïda Serebriakova est très riche. Elle voyage au Maroc et en Afrique, est inspirée par les femmes et des hommes de l’Atlas, par les paysages aux couleurs ardentes; elle peindra aussi un cycle de tableaux consacrés à la Bretagne et aux marins. La France influence donc son oeuvre. Elle obtient la nationalité française en 1947. Elle meurt  Paris en 1967. 

Zenaïda Serebriakova Marocain en bleu Marrakech 1932 (collection privée?)
Une rétrospective de ses oeuvres a lieu en 1960 à Moscou, Léningrad et Kiev. Elle y est reconnue comme un grand peintre. À partir de 1966, ses tableaux sont de plus en plus exposés en Union Soviétique, surtout dans les grandes villes russes. Mais en France où elle a passé tant d’années et exercé son art si longtemps, on la connaît fort peu alors qu’elle appartient à la fois au patrimoine russe et français. Beaucoup de ses tableaux sont dans des collections privées semble-t-il. Je ne crois pas qu’il y en ait dans les musées français. Pas de rétrospective en vue et l’on ne peut que le regretter!

mercredi 21 octobre 2015

Olivier Barde-Cabuçon : Humeur noire à Venise


Humeur noire à Venise de Olivier Barde-Cabuçon est le troisième livre des aventures plombières du chevalier de Volnay, commissaire aux morts étranges à Paris. C’est le titre que Louis XV a accordé au jeune homme pour le remercier de lui avoir sauvé la vie en 1757.Volnay se rend à Venise avec le moine ( je ne sais pourquoi ce personnage s’habille en moine puisque c’est un mécréant, il faut lire les livres précédents pour le comprendre, je suppose), un moine qui n’est autre que le père du jeune homme, en proie à une dépression après le départ de la femme qu’il aime. Volnay espère ainsi chasser l’humeur noire de son compagnon et il répond aussi à l’appel au secours de Chiara son ex-amoureuse dont le cousin, le comte de Trissano, issu d’une grande famille vénitienne, est menacé de mort. 

Les mystères de Venise

Venise, une ville de roman noir
Nous voilà donc à Venise et sachez que l’intrigue comme la ville va nous entraîner dans un tourbillon d’aventures dont on n’a pas besoin de savoir si nous y croyons ou non!   Si bien que la jeune Violetta qui se rend dans la ville travestie en garçon (pour remplacer son frère afin d’éponger une dette d’honneur en se mettant au service d’une grande famille patricienne) nous paraît tout à fait naturelle. D’autant plus que, comédienne, elle cite Shakespeare (de quoi bien s’entendre avec le moine) et que nous voilà plongés en même temps dans une comédie Shakespearienne et pas n’importe laquelle, « La nuit des rois »! Après tout, nous sommes à Venise, ville des mystères, du complot, des apparences, des reflets et des masques.

Venise, la ville des reflets
Ceci dit, dans Humeur noire, ce n’est pas l’intrigue policière même si elle est passablement compliquée, qui nous mène par le bout du nez mais..  Venise! J’ai même parfois l’impression que l’écrivain passionné par son sujet ( c’est un spécialiste du XVIII siècle et manifestement il connaît la Serinissime comme sa poche) n’hésite pas à ralentir l’action pour expliquer la ville : sa naissance qui l’extrait des eaux en l’asseyant sur des millions de pieux de bois, arbres innombrables arrachés aux forêts; son histoire, son fonctionnement politique, ses intrigues, ses palais luxueux rongés par l’humidité mais aussi par le manque d’argent des nobles et leur goût du paraître. Nous apprenons aussi l’opposition entre la mer et les Terres fermes, entre le commerce maritime et l’agriculture, et le combat incessant que mène la ville pour sa survie. 
Un belle promenade dans Venise : nous glissons en gondole dans les rios; nous pénétrons dans de somptueux palaispar l'entrée des maîtres bien différente de celle des domestiques et assistons à l'envers du décor,  nous y rencontrons Goldoni et les petites orphelines! visitons l'arsenal, avec ses hangars, ses ateliers, ses bassins d'amarrage et où tous les corps de métiers sont représentés, sommes reçus au palais des Doges

 Et peut-être irai-je lire les débuts des aventures de Volnay qui se passent en France et où le jeune homme se bat en duel avec Casanova; Rien de moins!

Ils s'enfoncèrent dans les canaux intérieurs au milieu des chants  et des accents de guitare. De petits plongeons signalaient des rats se jetant à l'eau pour traverser le rio. Les vielles maisons aux murs humides et aux pieds crevassés par l'eau saumâtre se succédaient, leurs façades lépreuses parfois illuminées par un rai de lumière. Au-dessus, le linge séchait et les chats s'assoupissaient sur les balcons ou les bords des fenêtres.
Venise : un rio
Les rayons du soleil précédant le coucher avaient laissé place au bleu le plus pur avant de se dissoudre dans le noir de la nuit. Le moine se glissa dans la rue, échappant un peu plus loin au contenu des restes d'un pot de nuit qu'une perfide petite vieille jetait par la  fenêtre sans souci du passant qu'il était. Cela le fit rire.
Venise bruissait de vie, de mouvements, de plaisirs et de lumières. (...)
Soudain le moine retrouva tout ce qu'il avait oublié, quelques-uns des mille trésors de la vie qui font chanter le coeur : la lumière du soir, le rire d'un enfant qui efface soudain les peines, la beauté d'une âme, le regard perçant d'une femme, une mélodie, un air d'opéra, la grâce d'uneballerine, l'esprit de fête.

Venise : coucher de soleil sur la lagune
Venise : San Marco, la nuit